Audition de M. Enver Hoxhaj, ministre des affaires étrangères du Kosovo.
La séance est ouverte à dix-heures trente.
Vous êtes le premier membre d'un gouvernement kosovar à être reçu par notre commission, ce qui n'est pas anormal si l'on se souvient que votre pays n'a proclamé son indépendance que le 17 février 2008, il y a plus de 3 ans.
La France a été l'un des premiers Etats à reconnaître cette indépendance, mais je ne vous cacherai pas qu'une partie d'entre nous étaient alors sceptiques sur la viabilité du Kosovo. Aujourd'hui encore, nous nous interrogeons sur la pérennité des frontières actuelles de votre pays, alors que la zone située au nord de l'Ibar continue d'être, de fait, sous l'autorité de la Serbie. Un certain nombre d'étapes et d'obstacles ont été franchis par le Kosovo au cours de ses trois premières années d'indépendance, mais beaucoup reste à faire.
Parmi les évolutions positives, je citerai le déploiement d'EULEX, qui assiste les autorités kosovares dans le domaine de la justice, de la police et des douanes, l'absence de heurts entre la majorité albanophone et les différentes minorités ethniques, la plus forte participation des Serbes vivant dans les enclaves aux élections législatives de décembre dernier, et le début du dialogue entre Belgrade et Pristina. Les défis à relever restent considérables, qu'ils tiennent à la normalisation d'une vie politique encore chaotique, à la lutte absolument indispensable contre toutes les formes de criminalité organisée, ou à la relance d'une économie conditionnée à la privatisation des grandes entreprises des secteurs de l'électricité et des télécommunications, notamment, et à la réalisation d'investissements considérables.
Pour l'aider, le Kosovo peut compter sur la communauté internationale et sur l'Union européenne, même si cinq des vingt-sept Etats membres n'ont pas encore reconnu votre indépendance. Mais il doit surtout mener lui-même une politique résolument orientée dans la bonne direction.
C'est un immense plaisir d'être des vôtres, et je vous remercie de votre invitation. Je suis depuis neuf ans en politique, élu deux fois député, mais n'ayant pu effectuer mon troisième mandat pour cause d'incompatibilité entre les fonctions ministérielle et parlementaire. Je suis en tout cas honoré de pouvoir partager avec vous quelques réflexions sur l'avenir de notre jeune Etat.
Depuis le 17 février 2008, le Kosovo est un Etat indépendant. Nous poursuivons deux objectifs fondamentaux : la construction d'un Etat sur le plan intérieur et la consolidation étatique sur la scène internationale. Depuis trois ans, notre nouvelle Constitution offre un cadre juridique propice à la mise au point d'institutions qui fonctionnent non pas en fonction de principes liés à la nationalité ou à l'ethnie, mais à la citoyenneté. C'est un principe fondamental, au coeur de notre édifice constitutionnel. Sur les 120 membres de l'Assemblée kosovare, 25 appartiennent à différents groupes ethniques, serbe, bosniaque, turc ou rom, et ce dans différents groupes politiques. Je me suis récemment rendu dans un pays de la région et l'on m'a demandé combien de députés kosovars d'origine rom siégeaient au Parlement. J'ai répondu qu'il y en avait six, alors qu'un seul siégeait dans ce pays qui devrait pourtant entrer l'an prochain dans l'Union européenne. Le Kosovo a donc beaucoup fait pour faire avancer le principe pluriethnique, pas seulement au Parlement mais aussi au Gouvernement, qui compte des membres serbe, turc, bosniaque. Quoique ce sujet mériterait de bien plus amples développements, je ne peux pas ne pas mentionner le fait que nos institutions politiques sont souvent plus féminisées que dans beaucoup d'Etats membres de l'UE.
Depuis 2006-2007, un processus a été suivi pour définir le statut du Kosovo, sous l'autorité de l'envoyé spécial de l'ONU Martti Ahtisaari qui devait faire des propositions pour régler la question du statut. Le plan Ahtisaari a été mis en oeuvre à plus de 85 %. On peut effectuer une comparaison avec les plans comparables définis pour la Bosnie-Herzégovine ou la Macédoine. L'efficacité dans la mise en oeuvre du plan international au Kosovo en ressort avec d'autant plus d'éclat.
Pourquoi un tel succès ? D'abord, en raison d'une volonté politique partagée par les responsables. Mais également du fait de la pression de nos partenaires internationaux, notamment l'activité considérable déployée par la France et par son représentant à Pristina. Le peuple kosovar est très reconnaissant envers la France pour le soutien qu'elle lui a apporté depuis des années, pendant la guerre et pendant la reconstruction dès 1999 pour établir un Etat, et depuis trois ans pour assurer le fonctionnement de cet Etat. La raison fondamentale de notre indépendance est que les petites nations ont le droit d'exister. Mais au-delà de cette thèse, nous ne serions pas indépendants sans votre soutien, et cette aide française est inscrite dans notre mémoire.
Mais la question à régler par le Kosovo n'est pas le pluriethnisme, mais plutôt le respect de l'Etat de droit. Je développerai, en toute franchise, deux exemples. Il y a cinq mois, un ancien président du pays a dû démissionner car il était devenu président de la République et président d'un parti politique, ce qui est contraire à la Constitution, principe d'ailleurs très répandu en Europe. Nous avons donc dû procéder à une nouvelle élection, mais du fait d'irrégularités de procédure au Parlement, la cour constitutionnelle a imposé à la personne élue de démissionner. Nous avons donc finalement élu une femme, de 35 ans, ancienne générale de police à Pristina, qui a fait du très bon travail à ce poste. Ces deux exemples montrent notre attachement à l'Etat de droit, puisque nous sommes allés jusqu'à deux démissions de présidents pour permettre une bonne application de la Constitution.
A l'extérieur, notre objectif est aujourd'hui de consolider notre place dans le monde. Jusqu'à présent, 75 Etats nous ont reconnu, principalement des Etats occidentaux. Nous sommes membres de plusieurs organisations internationales, notamment le FMI, la Banque mondiale et différentes institutions politiques, culturelles et financières.,
Par ailleurs, nous avons initié depuis quelques mois un dialogue avec la République de Serbie. En septembre 2010, une résolution de l'ONU prévoyait la relance des relations entre les deux pays afin de résoudre des questions telles que la circulation des personnes et des biens, la coopération régionale et pour préparer l'intégration européenne des deux Etats. Après quatre tournées de discussions, nous avons pu aborder des points techniques essentiels, comme la télécommunication, la mise en place d'un système postal – le Kosovo n'a toujours pas de code postal – mais aussi la création d'un code de déplacement et l'amélioration de l'utilisation de l'espace aérien, car aujourd'hui il est impossible de survoler l'espace aérien serbe pour rejoindre le Kosovo. Les discussions mettent donc l'accent sur la circulation des personnes, avec pour but de long terme la possibilité d'un franchissement de la frontière entre le Kosovo et la Serbie sans passeport ni visa, sur la simple foi d'un document d'identité d'un des deux pays. Nous souhaitons étendre ce principe de liberté de circulation au Monténégro.
Le dialogue met donc l'accent sur des questions concrètes et techniques afin de faciliter la vie des gens, mais ce dialogue se fait grâce au rôle facilitateur de l'Union européenne. Toutefois, ces discussions n'abordent pas la question du statut, qui a de toute façon été réglée par l'indépendance, ni la question des frontières, qui a malgré cela des échos dans la presse, ni la question du Nord Kosovo, où la Serbie fait montre d'une grande activité. Notre participation à ces discussions prouve que nous souhaitons aboutir à une situation pacifique avec nos voisins. Si les Serbes acceptaient certaines solutions, qui ne sont pas les nôtres mais des propositions de compromis soutenues par l'UE, nous pourrions aller vers une solution partagée, mais un blocage a vu le jour depuis cinq à six semaines, le représentant de la Serbie n'ayant pas accepté la solution proposée par la commission européenne.
Je souhaiterais enfin insister sur le fait que, bien que nous ayons le droit d'exister comme toutes les petites Nations, un petit Etat comme le nôtre ne peut subsister sans perspective européenne. Je suis conscient de l'existence d'un débat en Europe notamment sur la libre circulation des personnes, entendue comme la suppression de l'obligation de visa. Deux éléments doivent toutefois être pris en compte. Sur les 50 millions d'habitants des Balkans qui voyagent librement, seuls 2 millions de Kosovars ne peuvent profiter de cette opportunité. Nous ne demandons pas la suppression immédiate des visas, mais simplement l'ouverture de discussions avec la Commission européenne, demande que nous relayons depuis deux ou trois ans. Nous n'avons aujourd'hui aucune feuille de route ni calendrier et souhaitons simplement pouvoir aborder ce sujet avec les institutions de l'Union européenne. En second lieu, il est possible que la Croatie intègre cette année l'UE, rejoignant la Slovénie. La Macédoine a reçu le statut de candidat, le Monténégro aussi et la Serbie pourrait l'obtenir cette année également. Le Kosovo ne demande pas à bénéficier de ce statut. Nous sommes conscients de la distance qui nous sépare des standards européens. Nous demandons simplement à avoir une relation plus soutenue avec l'Union européenne, notamment la signature d'un accord commercial qui est très important pour améliorer les conditions de vie de nos concitoyens. Nous sommes isolés économiquement et souhaitons développer une relation avec la Commission européenne sur ce point.
Vous êtes un excellent diplomate, M. le Ministre ! J'ai l'impression que, dans votre présentation, vous avez sous-estimé les désaccords entre Belgrade et Pristina. Même si les Serbes du Kosovo sont représentés dans les institutions du pays, ils demeurent en opposition vis-à-vis de la majorité albanophone. Selon vous, quels sont les points de blocage qu'il faudrait surmonter pour mettre un terme à cette situation conflictuelle ?
M. le Ministre, la reconnaissance du Kosovo comme un Etat sujet de droit international à part entière a été largement inspirée par le souci de « sortir par le haut » d'une situation à la fois pénible par ses conséquences humaines et difficile à tolérer dans une Europe dont l'unité repose par excellence sur le maintien de la paix. C'est une condition nécessaire, mais peut-être pas tout à fait suffisante pour assurer intégralement l'avenir du Kosovo sur la scène internationale et son équilibre intérieur. Que peut faire l'Europe, et singulièrement l'Union européenne, pour aider le Kosovo à affirmer encore davantage sa personnalité internationale ?
Avant de diriger la diplomatie de votre pays, vous avez eu la responsabilité, au gouvernement, de l'éducation et de la culture. On sait par ailleurs à quel point la formation des jeunes est importante dans un pays dont une très grande partie de la population a moins de trente ans. Quelles sont les priorités de la politique d'éducation et de formation du Kosovo ? Comment assurer l'adéquation des filières de formation aux besoins d'une société et d'une économie qui sortent à peine d'années de conflit ?
J'assiste à cette réunion car le règlement de l'Assemblée en fait une obligation, mais je ne reconnais pas le Kosovo comme un Etat indépendant. J'estime que sa déclaration d'indépendance a largement remis en cause les fondements de l'organisation du monde.
En tant que membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je me dois de vous interroger sur les accusations que le rapport de mon collègue Dick Marty formule à l'encontre de hauts dirigeants kosovars, qui auraient pris part à un trafic d'organes.
Je vous remercie de cet exposé clair et très intéressant. Vous avez souligné que la Constitution de votre Etat permettrait une cohabitation des différentes ethnies présentes sur son territoire. Je souhaiterais savoir pourquoi cette cohabitation ne pouvait pas être organisée de la même manière à une échelle plus large, celle de l'ancienne Yougoslavie.
Je suis pour ma part très content de vous entendre et reconnaîs volontiers le droit à l'existence du Kosovo. Pensez-vous que la récente arrestation de M. Ratko Mladic va faciliter le dialogue entre Pristina et Belgrade ?
En mai 2010, un consortium lyonnais a remporté un appel d'offre portant sur la concession de la gestion de l'aéroport de Pristina. Pouvez-vous nous indiquer où les choses en sont ?
Vous nous avez rappelé les progrès enregistré par le Kosovo depuis trois ans : quelles sont, selon vous, les prochaines étapes à franchir pour construire un véritable Etat ?
L'économie du Kosovo doit être privatisée et modernisée. Sur quels secteurs repose-t-elle aujourd'hui ? Quelles sont les perspectives ?
Il y a peu, Belgrade considérait encore le Kosovo comme la province méridionale de la Serbie. Récemment, des voix se sont fait entendre en faveur de l'acceptation de l'indépendance du Kosovo, sous réserve du rattachement de la partie nord, peuplée majoritairement de Serbes, à la république de Serbie. Qu'en pensez-vous ?
Pourriez-nous nous dire dans quelle mesure les femmes participent au gouvernement du Kosovo ? Le pays compte plus de 90 % de musulmans. Comment la coexistence avec les orthodoxes et les autres chrétiens s'organise-t-elle ?
Pour ce qui concerne l'intégration des minorités ethniques, je tiens à rappeler que, entre juin 1999 et février 2008, le Kosovo a été dirigé par une Mission des Nations unies, la MINUK, dans le but de reconstruire une société pluriethnique. Entre 2005 et 2007, s'est déroulé un processus international conduit par M. Martti Ahtisaari visant à prévoir les mesures à prendre pour l'intégration de la minorité serbe au sein du Kosovo et à élaborer un statut final pour le territoire. J'ai directement participé, en tant que député, à ces négociations, qui se sont tenues à Vienne. Les Kosovars ont accepté, dans ce cadre, des concessions importantes, comme la création de nouvelles municipalités dans lesquelles les Serbes étaient majoritaires et placés aux commandes. Pendant ces négociations, je pensais qu'il faudrait du temps pour que ces mesures soient prises et je n'ai jamais cru que ce serait le cas avant 2015. Pourtant, en dépit de la grande complexité de certaines d'entre elles et des moyens limités pour leur mise en oeuvre, tout observateur impartial est obligé de reconnaître qu'elles sont aujourd'hui en application. Après que 200 millions d'euros y ont été consacrés en trois ans, le plan a été respecté : les Serbes participent aux élections, ils ont des représentants à tous les niveaux d'organisation territoriale. Il faut se souvenir que la société du Kosovo a toujours été hétérogène. A Prizren, la deuxième ville du pays, d'où je suis originaire, on entend les mêmes personnes discuter en albanais, puis en serbo-croate, en utilisant aussi des termes turcs. Cette longue tradition pluriethnique a été remise en cause il y a vingt ans, sous l'effet de l'importation depuis la Serbie d'un conflit entre Serbes et Albanais. Nous sommes en train de parvenir à surmonter cette division.
L'indépendance du Kosovo a été reconnue par 75 Etats, dont 22 membres de l'Union européenne. Aujourd'hui, l'Espagne, la Slovaquie, la Roumanie, la Grèce et Chypre continuent à refuser cette reconnaissance. Pourtant, en 2010, un arrêt de la Cour internationale de Justice, qui avait été saisie par la Serbie sur la question de la légalité internationale de notre déclaration d'indépendance, a débouté Belgrade et jugé que cette indépendance était conforme à la légalité internationale. L'indépendance du Kosovo doit être reconnue comme l'a été celle des six autres Etats issus de l'éclatement de la Yougoslavie. Le Kosovo plaide pour la reconnaissance par ces cinq Etats membres de l'Union européenne qui n'ont plus de raison de ne pas le faire, mais attend aussi d'être reconnue par de nombreux Etats situés dans d'autres régions du monde.
La question de l'éducation est effectivement essentielle. Quand un Etat est aussi jeune que le Kosovo, il faut le doter à la fois d'un Etat solide et d'une économie dynamique. Il faut choisir entre investir prioritairement dans le secteur productif ou dans celui des services. La petite taille du pays limite sa capacité de production matérielle ; il doit donc investir dans son capital humain. Les autorités ont étudié les différents systèmes éducatifs existant ailleurs avant de faire leur choix : elles ont opté pour le système finnois, qui est un modèle inclusif dont les excellents résultats ont été démontrés par l'étude PISA. L'accent doit être mis sur les formations primaires et secondaires, décisives pour la formation des citoyens, partout dans le pays. Nous investissons beaucoup dans la formation des enseignants. Une deuxième université a vu le jour, ainsi que des collèges professionnels. Nous avons aussi besoin d'instituts polytechniques pour enseigner les sciences appliquées.
Je ne conteste pas le droit qu'ont certaines personnes de désapprouver l'indépendance du Kosovo. Je veux simplement rappeler l'histoire. Après l'implosion de la Yougoslavie, les guerres en Slovénie, en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, la politique du nettoyage ethnique pratiquée en Bosnie a été répétée au Kosovo. Après que l'intervention de l'OTAN a mis un terme à cette opération, le territoire a été géré par les Nations unies pendant neuf ans. Des négociations ont ensuite conduit à l'idée d'une indépendance supervisée, telle que proposée par le Représentant spécial des Nations unies. Notre déclaration d'indépendance a été coordonnée avec la communauté internationale. Tout comme la Turquie d'Atatürk a su surmonter le démantèlement de l'Empire ottoman, la Serbie doit aujourd'hui penser à son avenir, qui passe par son intégration européenne, au lieu de ressasser ses obsessions relatives au Kosovo et à la Bosnie-Herzégovine.
Concernant le rapport de M. Dick Marty, la position du gouvernement kosovar est on ne peut plus claire. Nous prenons ce rapport très au sérieux et considérons que toutes les allégations doivent faire l'objet d'une enquête minutieuse conduite, comme vous le savez, par Eulex, forte de ses près de 1700 fonctionnaires internationaux, professionnels et compétents. Le gouvernement kosovar fera preuve du plus grand esprit de coopération pour clarifier tout ça. Nous émettons des doutes sur le sérieux des allégations contenues dans le rapport, confortés par les propos tenus à la presse suisse par M. Dick Marty. Ce n'est pas mon travail de juger le dossier au fond, mais en tant que ministre des Affaires étrangères, je peux exprimer l'engagement ferme de mon Gouvernement à faire preuve d'ouverture et de coopération, afin que toute la lumière soit faite sur des allégations qui nous ont causé beaucoup de tort. Trois réunions se sont déjà tenues entre Eulex et M. Dick Marty.
Concernant le caractère pluri-ethnique du Kosovo et des autres Etats issus de l'ex-Yougoslavie, chaque pays dispose de son expérience propre. Certains pays, en fonction de leurs constitutions, sont fondés au nom de la nation principale et reconnaissent des minorités, d'autres comme le Kosovo considèrent que les fondateurs du pays sont les citoyens. Bien sûr, des difficultés et des divisions existent, mais au bout de vingt ans beaucoup ont été surmontées.
L'arrestation de Ratko Mladic est une excellente nouvelle, quoiqu'elle intervienne tard et que le processus ne soit pas totalement abouti puisque Goran Hadzic est toujours libre. L'arrestation permettra de parvenir à la réconciliation et nous soutenons l'action conduite par la Serbie à cette fin. Le moment est venu de mettre un terme aux divisions du passé et de commencer le processus de réconciliation entre la République de la Serbie et la République du Kosovo. Certes nous sommes sensibles à notre histoire, mais la violence et la haine doivent disparaître.
Concernant l'aéroport de Pristina, il s'agit d'un grand projet, moderne, qui est en bonne voie. Nous nous réjouissons qu'une entreprise turque et une entreprise française en soient adjudicataires. Comme je l'ai déjà dit, je pense que nous devons tisser des liens étroits avec la France car ce pays a toujours soutenu le nôtre dans des moments difficiles.
S'agissant des actions à mener à court terme, le problème principal est de savoir comment mettre en place une économie efficiente. Notre préoccupation première est l'énergie ; nous disposons de réserves importantes de charbon à exploiter, l'agriculture est un secteur important également et je suis sûr qu'à moyen terme des projets pour développer le secteur tertiaire verront le jour.
Vous m'avez également interrogé sur la question d'une partition du Kosovo. La communauté internationale s'est attachée à garantir la multiethnicité dans les Balkans et je défends cette même ligne. En outre, une partition entre le nord et le sud du Kosovo aurait un effet de contagion, particulièrement en Macédoine, et serait susceptible d'engendrer un nouveau cycle de violences. Affecter tel ou tel village de chaque côté d'une nouvelle frontière ne me paraît pas une solution opportune.
Concernant la participation des femmes à la vie politique, trente-quatre députés sont des femmes, la délégation qui mène le dialogue avec celle de la Serbie est une femme, deux vice-Premier Ministre sont des femmes, et quatre femmes sont membres du Gouvernement. En qualité d'ancien ministre de l'éducation, je dois dire que les femmes sont souvent plus qualifiées que les hommes pour occuper des postes de haut niveau.
Enfin, s'agissant de l'héritage orthodoxe, le Kosovo abrite de très belles églises des XIIIème et XIVème siècles, dont certaines sont inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco. Nos lois et notre police les protègent. Par ailleurs, si 90% de la population est musulmane, il s'agit d'un islam « européen », propagé par l'empire ottoman, ouvert et moderne. La religion et l'Etat sont séparés et l'appartenance religieuse est plus une question culturelle qu'à proprement parler religieuse.
Vous avez indiqué que plusieurs députés serbes étaient élus au Parlement kosovar. Cela résulte-t-il de dispositions constitutionnelles tendant à réserver des sièges aux minorités comme cela existe dans d'autres pays ?
Je souhaiterais vous interroger sur une question qui inquiète beaucoup les Français et les Européens en général, à savoir les trafics en tous genres. Quelle politique de lutte contre les trafics, particulièrement le trafic d'armes, est conduite par votre Gouvernement ?
Le Kosovo est un Etat jeune, multiethnique et pluriconfessionnel. Pourriez-vous nous indiquer sur quels principes se fonde la citoyenneté ? Existe-t-il un droit du sol ou d'autres critères ? Comment l'appartenance à une ethnie est-elle définie et constitue-t-elle une composante de la citoyenneté ? Enfin, quelle est votre conception de la laïcité ?
Pourriez-vous nous préciser combien de Serbes sont revenus au Kosovo, quelle est leur situation et comment la libre-circulation est aujourd'hui assurée à Mitrovica en particulier au niveau du pont qui enjambe la rivière Ibar ?
Le Kosovo est le dernier maillon de la dissolution de l'ex-Yougoslavie, son indépendance n'est pas reconnue par tous, cela constitue-t-il selon vous un facteur de stabilité ou l'inverse pour la région ?
Vous avez évoqué à plusieurs reprises l'héritage ottoman du Kosovo. Vous êtes tourné vers l'Union européenne, mais quelles sont vos relations avec la Turquie ?
Je suis impressionné car le Kosovo a la même superficie que ma région et la moitié de sa population mais je ne pense pas que la France accepterait que ma région fasse sécession. Cette dernière aurait sans doute à faire face à une offensive diplomatique de même nature que celle que conduit la Serbie et qui a enregistré des succès notamment en Afrique et en Asie. Je souhaiterais connaître votre avis à ce sujet ainsi que sur la manière dont les Serbes ont ressuscité le mouvement des non-alignés. L'activisme du Mufti de Pristina à l'étranger conduit-il par ailleurs le Kosovo à revoir sa position, qui jusqu'alors cherchait à marquer son ancrage occidental en dehors de toute considération islamique ?
Selon la constitution kosovare, dix sièges sont réservés à la communauté serbe et dix autres pour les autres communautés, l'idée étant d'assurer une représentation qui soit la meilleure. C'est ce qui était prévu selon le plan Ahtisaari mais seulement pour les deux premiers mandats. Il devrait y avoir une prochaine révision de la constitution pour modifier les dispositions sur cette question. Tous les partis politiques sont d'accord pour maintenir une répartition de sièges réservés aux minorités.
La question des trafics est prise très au sérieux et nous suivons cela de près car nous appartenons aux Balkans, c'est-à-dire que nous sommes un pont entre l'ouest et l'est. Cette situation a toujours été exploitée. La lutte contre la criminalité et contre la corruption fut aussi sous la responsabilité de la communauté internationale (de l'ONU, de 1999 à 2008) ; désormais, c'est l'EULEX et notre Gouvernement qui collaborent sur cette question. Cela étant, si l'on compare Pristina avec les différentes capitales européennes sur le plan du taux de criminalité et de la violence, Pristina est sans doute l'une des plus calmes.
En ce qui concerne les questions de citoyenneté, sont citoyens ceux qui reconnaissent la constitution et qui sont nés chez nous. Notre situation sur les questions de pluriethnicité n'est pas très différente de celle qui prévaut dans les autres pays de la région. La citoyenneté est acquise de la même manière qu'en France, et nous essayons aussi de régler la question clef des flux migratoires. Au Kosovo, l'Etat et la société sont laïcs, et les Kosovars ont cette vision depuis 200 ans. La religion n'est pas un obstacle à la vie publique, son rôle est limité en politique et elle n'appartient pas à la vie institutionnelle.
Entre 1999 et 2008, la question du retour et de l'accueil des Serbes a été importante. Aujourd'hui, la majorité des Serbes vivent au Kosovo de la même façon qu'auparavant ; ils ne sont pas limités au nord ou en Serbie. Le droit au retour n'est plus une question aussi importante aujourd'hui.
La question du pont sur le fleuve Ibar à Mitrovica est un problème du nord, créé par la Serbie en juin 1999 pour contrer l'indépendance du Kosovo. Si l'objectif n'était pas atteint par la Serbie, ce problème du nord persisterait pour faire échec à l'Etat du Kosovo. Je vous invite à réfléchir à ce qui se passe en Bosnie et en Republica Serbska. Il y a une véritable source d'inquiétude, y compris au Kosovo.
En ce qui concerne notre relation à la Turquie et notre patrimoine ottoman, je dirais que nous avons la même relation qu'avec les autres pays de la région, commerciales en grande part. Cela étant, notre plateforme est clairement européenne et nous travaillons ardemment vis-à-vis de l'Union européenne et sa reconnaissance. Ces trois dernières années, des pays non-alignés nous ont reconnus, d'autres hésitent encore ; nous essayons aussi de travailler cette question. Cela étant, certains ne se sont peut-être pas aperçus que Tito était mort et qu'il fallait changer de point de vue car la réalité a changé !
M. le président Axel Poniatowski. Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et d'avoir bien voulu répondre en détail à nos questions. Nous avons bien compris les efforts déployés par le Kosovo pour devenir un grand pays.
La séance est levée à onze heures quarante cinq.