Pour ce qui concerne l'intégration des minorités ethniques, je tiens à rappeler que, entre juin 1999 et février 2008, le Kosovo a été dirigé par une Mission des Nations unies, la MINUK, dans le but de reconstruire une société pluriethnique. Entre 2005 et 2007, s'est déroulé un processus international conduit par M. Martti Ahtisaari visant à prévoir les mesures à prendre pour l'intégration de la minorité serbe au sein du Kosovo et à élaborer un statut final pour le territoire. J'ai directement participé, en tant que député, à ces négociations, qui se sont tenues à Vienne. Les Kosovars ont accepté, dans ce cadre, des concessions importantes, comme la création de nouvelles municipalités dans lesquelles les Serbes étaient majoritaires et placés aux commandes. Pendant ces négociations, je pensais qu'il faudrait du temps pour que ces mesures soient prises et je n'ai jamais cru que ce serait le cas avant 2015. Pourtant, en dépit de la grande complexité de certaines d'entre elles et des moyens limités pour leur mise en oeuvre, tout observateur impartial est obligé de reconnaître qu'elles sont aujourd'hui en application. Après que 200 millions d'euros y ont été consacrés en trois ans, le plan a été respecté : les Serbes participent aux élections, ils ont des représentants à tous les niveaux d'organisation territoriale. Il faut se souvenir que la société du Kosovo a toujours été hétérogène. A Prizren, la deuxième ville du pays, d'où je suis originaire, on entend les mêmes personnes discuter en albanais, puis en serbo-croate, en utilisant aussi des termes turcs. Cette longue tradition pluriethnique a été remise en cause il y a vingt ans, sous l'effet de l'importation depuis la Serbie d'un conflit entre Serbes et Albanais. Nous sommes en train de parvenir à surmonter cette division.
L'indépendance du Kosovo a été reconnue par 75 Etats, dont 22 membres de l'Union européenne. Aujourd'hui, l'Espagne, la Slovaquie, la Roumanie, la Grèce et Chypre continuent à refuser cette reconnaissance. Pourtant, en 2010, un arrêt de la Cour internationale de Justice, qui avait été saisie par la Serbie sur la question de la légalité internationale de notre déclaration d'indépendance, a débouté Belgrade et jugé que cette indépendance était conforme à la légalité internationale. L'indépendance du Kosovo doit être reconnue comme l'a été celle des six autres Etats issus de l'éclatement de la Yougoslavie. Le Kosovo plaide pour la reconnaissance par ces cinq Etats membres de l'Union européenne qui n'ont plus de raison de ne pas le faire, mais attend aussi d'être reconnue par de nombreux Etats situés dans d'autres régions du monde.
La question de l'éducation est effectivement essentielle. Quand un Etat est aussi jeune que le Kosovo, il faut le doter à la fois d'un Etat solide et d'une économie dynamique. Il faut choisir entre investir prioritairement dans le secteur productif ou dans celui des services. La petite taille du pays limite sa capacité de production matérielle ; il doit donc investir dans son capital humain. Les autorités ont étudié les différents systèmes éducatifs existant ailleurs avant de faire leur choix : elles ont opté pour le système finnois, qui est un modèle inclusif dont les excellents résultats ont été démontrés par l'étude PISA. L'accent doit être mis sur les formations primaires et secondaires, décisives pour la formation des citoyens, partout dans le pays. Nous investissons beaucoup dans la formation des enseignants. Une deuxième université a vu le jour, ainsi que des collèges professionnels. Nous avons aussi besoin d'instituts polytechniques pour enseigner les sciences appliquées.
Je ne conteste pas le droit qu'ont certaines personnes de désapprouver l'indépendance du Kosovo. Je veux simplement rappeler l'histoire. Après l'implosion de la Yougoslavie, les guerres en Slovénie, en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, la politique du nettoyage ethnique pratiquée en Bosnie a été répétée au Kosovo. Après que l'intervention de l'OTAN a mis un terme à cette opération, le territoire a été géré par les Nations unies pendant neuf ans. Des négociations ont ensuite conduit à l'idée d'une indépendance supervisée, telle que proposée par le Représentant spécial des Nations unies. Notre déclaration d'indépendance a été coordonnée avec la communauté internationale. Tout comme la Turquie d'Atatürk a su surmonter le démantèlement de l'Empire ottoman, la Serbie doit aujourd'hui penser à son avenir, qui passe par son intégration européenne, au lieu de ressasser ses obsessions relatives au Kosovo et à la Bosnie-Herzégovine.
Concernant le rapport de M. Dick Marty, la position du gouvernement kosovar est on ne peut plus claire. Nous prenons ce rapport très au sérieux et considérons que toutes les allégations doivent faire l'objet d'une enquête minutieuse conduite, comme vous le savez, par Eulex, forte de ses près de 1700 fonctionnaires internationaux, professionnels et compétents. Le gouvernement kosovar fera preuve du plus grand esprit de coopération pour clarifier tout ça. Nous émettons des doutes sur le sérieux des allégations contenues dans le rapport, confortés par les propos tenus à la presse suisse par M. Dick Marty. Ce n'est pas mon travail de juger le dossier au fond, mais en tant que ministre des Affaires étrangères, je peux exprimer l'engagement ferme de mon Gouvernement à faire preuve d'ouverture et de coopération, afin que toute la lumière soit faite sur des allégations qui nous ont causé beaucoup de tort. Trois réunions se sont déjà tenues entre Eulex et M. Dick Marty.
Concernant le caractère pluri-ethnique du Kosovo et des autres Etats issus de l'ex-Yougoslavie, chaque pays dispose de son expérience propre. Certains pays, en fonction de leurs constitutions, sont fondés au nom de la nation principale et reconnaissent des minorités, d'autres comme le Kosovo considèrent que les fondateurs du pays sont les citoyens. Bien sûr, des difficultés et des divisions existent, mais au bout de vingt ans beaucoup ont été surmontées.
L'arrestation de Ratko Mladic est une excellente nouvelle, quoiqu'elle intervienne tard et que le processus ne soit pas totalement abouti puisque Goran Hadzic est toujours libre. L'arrestation permettra de parvenir à la réconciliation et nous soutenons l'action conduite par la Serbie à cette fin. Le moment est venu de mettre un terme aux divisions du passé et de commencer le processus de réconciliation entre la République de la Serbie et la République du Kosovo. Certes nous sommes sensibles à notre histoire, mais la violence et la haine doivent disparaître.
Concernant l'aéroport de Pristina, il s'agit d'un grand projet, moderne, qui est en bonne voie. Nous nous réjouissons qu'une entreprise turque et une entreprise française en soient adjudicataires. Comme je l'ai déjà dit, je pense que nous devons tisser des liens étroits avec la France car ce pays a toujours soutenu le nôtre dans des moments difficiles.
S'agissant des actions à mener à court terme, le problème principal est de savoir comment mettre en place une économie efficiente. Notre préoccupation première est l'énergie ; nous disposons de réserves importantes de charbon à exploiter, l'agriculture est un secteur important également et je suis sûr qu'à moyen terme des projets pour développer le secteur tertiaire verront le jour.
Vous m'avez également interrogé sur la question d'une partition du Kosovo. La communauté internationale s'est attachée à garantir la multiethnicité dans les Balkans et je défends cette même ligne. En outre, une partition entre le nord et le sud du Kosovo aurait un effet de contagion, particulièrement en Macédoine, et serait susceptible d'engendrer un nouveau cycle de violences. Affecter tel ou tel village de chaque côté d'une nouvelle frontière ne me paraît pas une solution opportune.
Concernant la participation des femmes à la vie politique, trente-quatre députés sont des femmes, la délégation qui mène le dialogue avec celle de la Serbie est une femme, deux vice-Premier Ministre sont des femmes, et quatre femmes sont membres du Gouvernement. En qualité d'ancien ministre de l'éducation, je dois dire que les femmes sont souvent plus qualifiées que les hommes pour occuper des postes de haut niveau.
Enfin, s'agissant de l'héritage orthodoxe, le Kosovo abrite de très belles églises des XIIIème et XIVème siècles, dont certaines sont inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco. Nos lois et notre police les protègent. Par ailleurs, si 90% de la population est musulmane, il s'agit d'un islam « européen », propagé par l'empire ottoman, ouvert et moderne. La religion et l'Etat sont séparés et l'appartenance religieuse est plus une question culturelle qu'à proprement parler religieuse.