C'est un immense plaisir d'être des vôtres, et je vous remercie de votre invitation. Je suis depuis neuf ans en politique, élu deux fois député, mais n'ayant pu effectuer mon troisième mandat pour cause d'incompatibilité entre les fonctions ministérielle et parlementaire. Je suis en tout cas honoré de pouvoir partager avec vous quelques réflexions sur l'avenir de notre jeune Etat.
Depuis le 17 février 2008, le Kosovo est un Etat indépendant. Nous poursuivons deux objectifs fondamentaux : la construction d'un Etat sur le plan intérieur et la consolidation étatique sur la scène internationale. Depuis trois ans, notre nouvelle Constitution offre un cadre juridique propice à la mise au point d'institutions qui fonctionnent non pas en fonction de principes liés à la nationalité ou à l'ethnie, mais à la citoyenneté. C'est un principe fondamental, au coeur de notre édifice constitutionnel. Sur les 120 membres de l'Assemblée kosovare, 25 appartiennent à différents groupes ethniques, serbe, bosniaque, turc ou rom, et ce dans différents groupes politiques. Je me suis récemment rendu dans un pays de la région et l'on m'a demandé combien de députés kosovars d'origine rom siégeaient au Parlement. J'ai répondu qu'il y en avait six, alors qu'un seul siégeait dans ce pays qui devrait pourtant entrer l'an prochain dans l'Union européenne. Le Kosovo a donc beaucoup fait pour faire avancer le principe pluriethnique, pas seulement au Parlement mais aussi au Gouvernement, qui compte des membres serbe, turc, bosniaque. Quoique ce sujet mériterait de bien plus amples développements, je ne peux pas ne pas mentionner le fait que nos institutions politiques sont souvent plus féminisées que dans beaucoup d'Etats membres de l'UE.
Depuis 2006-2007, un processus a été suivi pour définir le statut du Kosovo, sous l'autorité de l'envoyé spécial de l'ONU Martti Ahtisaari qui devait faire des propositions pour régler la question du statut. Le plan Ahtisaari a été mis en oeuvre à plus de 85 %. On peut effectuer une comparaison avec les plans comparables définis pour la Bosnie-Herzégovine ou la Macédoine. L'efficacité dans la mise en oeuvre du plan international au Kosovo en ressort avec d'autant plus d'éclat.
Pourquoi un tel succès ? D'abord, en raison d'une volonté politique partagée par les responsables. Mais également du fait de la pression de nos partenaires internationaux, notamment l'activité considérable déployée par la France et par son représentant à Pristina. Le peuple kosovar est très reconnaissant envers la France pour le soutien qu'elle lui a apporté depuis des années, pendant la guerre et pendant la reconstruction dès 1999 pour établir un Etat, et depuis trois ans pour assurer le fonctionnement de cet Etat. La raison fondamentale de notre indépendance est que les petites nations ont le droit d'exister. Mais au-delà de cette thèse, nous ne serions pas indépendants sans votre soutien, et cette aide française est inscrite dans notre mémoire.
Mais la question à régler par le Kosovo n'est pas le pluriethnisme, mais plutôt le respect de l'Etat de droit. Je développerai, en toute franchise, deux exemples. Il y a cinq mois, un ancien président du pays a dû démissionner car il était devenu président de la République et président d'un parti politique, ce qui est contraire à la Constitution, principe d'ailleurs très répandu en Europe. Nous avons donc dû procéder à une nouvelle élection, mais du fait d'irrégularités de procédure au Parlement, la cour constitutionnelle a imposé à la personne élue de démissionner. Nous avons donc finalement élu une femme, de 35 ans, ancienne générale de police à Pristina, qui a fait du très bon travail à ce poste. Ces deux exemples montrent notre attachement à l'Etat de droit, puisque nous sommes allés jusqu'à deux démissions de présidents pour permettre une bonne application de la Constitution.
A l'extérieur, notre objectif est aujourd'hui de consolider notre place dans le monde. Jusqu'à présent, 75 Etats nous ont reconnu, principalement des Etats occidentaux. Nous sommes membres de plusieurs organisations internationales, notamment le FMI, la Banque mondiale et différentes institutions politiques, culturelles et financières.,
Par ailleurs, nous avons initié depuis quelques mois un dialogue avec la République de Serbie. En septembre 2010, une résolution de l'ONU prévoyait la relance des relations entre les deux pays afin de résoudre des questions telles que la circulation des personnes et des biens, la coopération régionale et pour préparer l'intégration européenne des deux Etats. Après quatre tournées de discussions, nous avons pu aborder des points techniques essentiels, comme la télécommunication, la mise en place d'un système postal – le Kosovo n'a toujours pas de code postal – mais aussi la création d'un code de déplacement et l'amélioration de l'utilisation de l'espace aérien, car aujourd'hui il est impossible de survoler l'espace aérien serbe pour rejoindre le Kosovo. Les discussions mettent donc l'accent sur la circulation des personnes, avec pour but de long terme la possibilité d'un franchissement de la frontière entre le Kosovo et la Serbie sans passeport ni visa, sur la simple foi d'un document d'identité d'un des deux pays. Nous souhaitons étendre ce principe de liberté de circulation au Monténégro.
Le dialogue met donc l'accent sur des questions concrètes et techniques afin de faciliter la vie des gens, mais ce dialogue se fait grâce au rôle facilitateur de l'Union européenne. Toutefois, ces discussions n'abordent pas la question du statut, qui a de toute façon été réglée par l'indépendance, ni la question des frontières, qui a malgré cela des échos dans la presse, ni la question du Nord Kosovo, où la Serbie fait montre d'une grande activité. Notre participation à ces discussions prouve que nous souhaitons aboutir à une situation pacifique avec nos voisins. Si les Serbes acceptaient certaines solutions, qui ne sont pas les nôtres mais des propositions de compromis soutenues par l'UE, nous pourrions aller vers une solution partagée, mais un blocage a vu le jour depuis cinq à six semaines, le représentant de la Serbie n'ayant pas accepté la solution proposée par la commission européenne.
Je souhaiterais enfin insister sur le fait que, bien que nous ayons le droit d'exister comme toutes les petites Nations, un petit Etat comme le nôtre ne peut subsister sans perspective européenne. Je suis conscient de l'existence d'un débat en Europe notamment sur la libre circulation des personnes, entendue comme la suppression de l'obligation de visa. Deux éléments doivent toutefois être pris en compte. Sur les 50 millions d'habitants des Balkans qui voyagent librement, seuls 2 millions de Kosovars ne peuvent profiter de cette opportunité. Nous ne demandons pas la suppression immédiate des visas, mais simplement l'ouverture de discussions avec la Commission européenne, demande que nous relayons depuis deux ou trois ans. Nous n'avons aujourd'hui aucune feuille de route ni calendrier et souhaitons simplement pouvoir aborder ce sujet avec les institutions de l'Union européenne. En second lieu, il est possible que la Croatie intègre cette année l'UE, rejoignant la Slovénie. La Macédoine a reçu le statut de candidat, le Monténégro aussi et la Serbie pourrait l'obtenir cette année également. Le Kosovo ne demande pas à bénéficier de ce statut. Nous sommes conscients de la distance qui nous sépare des standards européens. Nous demandons simplement à avoir une relation plus soutenue avec l'Union européenne, notamment la signature d'un accord commercial qui est très important pour améliorer les conditions de vie de nos concitoyens. Nous sommes isolés économiquement et souhaitons développer une relation avec la Commission européenne sur ce point.