La Commission entend, en audition ouverte à la presse, M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, à l'occasion de la remise d'un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires sur l'effet redistributif des prélèvements obligatoires pesant sur les ménages.
Nous avons le grand plaisir de recevoir M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, en sa qualité de président du Conseil des prélèvements obligatoires, conseil auquel, en vertu de l'article L. 351-3 du code des juridictions financières, notre commission a demandé une étude sur l'effet redistributif des prélèvements obligatoires pesant sur les ménages. M. Migaud, accompagné de Mme Catherine Démier, secrétaire générale, et de M. Antoine Guéroult, rapporteur général de l'étude, va nous en présenter les grandes lignes.
Le sujet a soulevé des questions de méthodologie délicates : qu'entend-on, par exemple, par progressivité d'un prélèvement public, ou par effets redistributifs ? Comment délimiter le champ de l'étude et définir ses limites ? Sans compter une difficulté générale d'accès aux statistiques fiscales et à leur traitement, que le Parlement rencontre également, alors que dans d'autres pays ce genre de données sont à la disposition de tous. Nous pourrions relayer les réflexions dont le Premier président voudrait bien nous faire part sur ce sujet.
Cette étude de 410 pages est une véritable mine d'informations et d'analyses. Elle met en évidence par exemple que l'impôt sur le revenu et la CSG représentent 7,2 % du PIB quand la moyenne de l'OCDE est à 9,7 % – 9,1 % en Allemagne –, que les foyers du décile de foyers aux revenus les plus élevés consomment 62 % des crédits d'impôt, ou que la progressivité de l'impôt sur le revenu décline à la fin du dernier centile. Une analyse de cette dégressivité pour les plus hauts revenus sera d'ailleurs intéressante : le Conseil met en évidence que le taux moyen effectif de prélèvement du cent millième des foyers les plus aisés est de 15 %, alors que le taux marginal est de 41 %. L'explication réside probablement dans un taux d'imposition des plus-values de 19 % et une utilisation astucieuse des niches fiscales.
Le Conseil constate aussi que l'ISF est plus efficace que l'impôt sur le revenu pour ce qui est de la redistribution verticale, malgré ses défauts – une assiette étroite et des taux élevés. Enfin, il apparaît qu'une redistribution s'opère par le biais de la protection sociale. Ne la mettrait-on pas à mal en modifiant, comme il en est parfois question, ses modalités dans le sens d'une taxation en aval – je pense en particulier à la TVA ?
Je suis, comme toujours, très heureux de répondre à votre invitation, cette fois en qualité de président du Conseil des prélèvements obligatoires. Je suis accompagné de Mme Catherine Démier, conseiller-maître à la Cour et secrétaire générale du Conseil, et de M. Antoine Guéroult, conseiller maître et rapporteur général de cette étude, ainsi que de certains des rapporteurs particuliers qui y ont participé.
Cette étude a été demandée conjointement par les Commissions des finances des deux assemblées. C'est une première. À première vue, nous n'avions pas pensé que le sujet soulèverait autant de questions méthodologiques. Et pourtant ! Je tenterai de vous présenter nos conclusions de la manière la plus simple. Mais encore faut-il apporter d'abord quelques précisions.
D'abord, la progressivité et la redistribution sont des notions voisines, intimement liées mais malgré tout distinctes. En effet, la progressivité n'est pas une condition nécessaire à la redistribution : même un impôt proportionnel comme la CSG ou la TVA peut avoir des effets redistributifs verticaux si son produit est majoritairement affecté aux ménages disposant de revenus faibles, alors qu'un impôt progressif, dont le taux moyen augmente donc avec le revenu, a peu d'effets redistributifs si son produit est faible, comme c'est le cas pour l'ISF. La classification des prélèvements selon leur caractère progressif, proportionnel ou dégressif conserve malgré tout son intérêt, mais il importe d'en mesurer les limites.
L'évolution de la progressivité de l'ensemble des prélèvements dépend à la fois de l'évolution de leur poids par rapport au PIB et de celle de leur progressivité propre. La redistributivité d'un système socio-fiscal, quant à elle, s'apprécie autant, voire plus, par les prestations que par les prélèvements. C'est pourquoi le Conseil a estimé ne pas devoir faire l'économie d'une réflexion sur les dépenses. Pas toutes, certes – il n'est pas toujours possible de mesurer le caractère redistributif des transferts en nature, comme les dépenses d'éducation nationale ou de santé –, mais celles consistant en des transferts monétaires, par exemple : allocations familiales, minima sociaux ou encore prime pour l'emploi.
Pour ce qui est des prélèvements, nous avons choisi l'approche la plus large possible en considérant qu'ils sont toujours – même ceux qui sont acquittés par les entreprises – à la charge ultime des ménages, en tant que salariés, consommateurs ou actionnaires, comme le montrent la TVA ou les cotisations patronales. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que la redistribution emprunte d'autres canaux que ceux des prélèvements. L'existence d'un salaire minimum ou la fixation du prix du gaz et de l'électricité, par exemple, sont des choix de la puissance publique qui ont des effets redistributifs.
Il existe différentes formes d'effets redistributifs : la redistribution spatiale, par la péréquation entre les régions ou l'existence de zones franches par exemple ; la péréquation intertemporelle voire intergénérationnelle, avec les régimes de retraite ; la redistribution verticale, des plus aisés vers les plus modestes ; la redistribution horizontale, entre ménages appartenant à la même catégorie de revenus – des bien portants vers les malades par exemple. Le rapport privilégie les dimensions verticale et horizontale.
Enfin, nous n'avons pas perdu de vue que d'autres objectifs sont assignés à la politique fiscale, prise dans son sens le plus large : le rendement budgétaire, l'efficacité économique ou encore la lisibilité et l'acceptabilité pour le citoyen.
Le rapport, en s'appuyant sur l'analyse économique, tente de montrer dans quelle mesure se concilient efficacité économique et redistribution. Nous avons passé en revue notre système socio-fiscal du point de vue de la progressivité et de la redistributivité – car c'est un état des lieux que vous nous avez commandé, pas des propositions. Ce travail peut se résumer par trois grandes questions : notre système socio-fiscal est-il devenu plus progressif entre 1990 et 2009 ? Quel est le diagnostic en matière de redistributivité, sur la base d'un arrêt sur image en 2009 ? Enfin, quelles sont les principales caractéristiques de chacun de nos impôts pris isolément au regard de la progressivité et de la redistribution dans l'échelle des revenus ?
D'abord, et dans le champ d'analyse retenu par le Conseil, le système français est plus progressif en 2009 qu'il ne l'était en 1990. Quelle a été l'évolution des revenus ? En France, les écarts de niveau de vie disponible sont sensiblement inférieurs à ceux de pays comparables. D'après une récente enquête de l'INSEE, ils ont peu évolué entre 1996 et 2008. Jusqu'en 2004, cette stabilité reflète un rattrapage des classes moyennes par les plus pauvres. Depuis, le revenu des plus modestes a cessé d'augmenter alors que celui des plus aisés continue de croître, du fait notamment de l'augmentation rapide des revenus du patrimoine.
Dans ce contexte donc, le taux d'effort des ménages, c'est-à-dire leur effort contributif par rapport à leur revenu, a augmenté de plus de 4 points en vingt ans. Mais plusieurs lectures sont possibles selon le périmètre d'analyse retenu. Dans le champ le plus large, qui inclut l'ensemble des prélèvements, y compris les transferts en espèces – c'est le champ sur lequel le Conseil des prélèvements obligatoires fonde son analyse –, la progressivité du système s'est accrue sur la période pour l'ensemble des déciles, bien que de manière différenciée : le taux d'effort est de 0,8 point pour les ménages du premier décile, de 3 points pour le troisième décile et continuellement croissant jusqu'au neuvième décile, où il atteint 7 points – le taux d'effort du dernier décile, c'est-à-dire les revenus les plus élevés, étant toutefois légèrement inférieur, à 6 points. L'hypothèse retenue était que les exonérations de cotisations sociales patronales, qui portent sur certains niveaux de salaire, bénéficiaient en totalité aux catégories de ménages qui ont ce genre de niveau de salaire. Si ce n'est pas totalement le cas, l'augmentation de la progressivité est plus faible et moins généralisée.
Dans un champ plus restreint, qui ne tient pas compte des transferts en espèce mais seulement des prélèvements obligatoires, l'augmentation de la progressivité est plus marquée. En sens inverse, si l'on retire du champ de l'analyse les cotisations patronales pour se rapprocher de la perception que les ménages ont de leur revenu net, le système socio-fiscal apparaît avoir perdu en progressivité.
C'est pour l'essentiel entre 1990 et 1998 que la progressivité a augmenté, en raison largement de la fiscalisation de la protection sociale. Les évolutions des années 2000 n'ont que peu modifié la progressivité globale du système, même s'il faut tenir compte de la prime pour l'emploi ou de la réforme de la taxe d'habitation. Le taux d'effort moyen a légèrement diminué et se répartit globalement de façon homogène sur l'ensemble des ménages.
La CSG, qui compte pour 30 % aujourd'hui dans le financement de la protection sociale, a joué un rôle essentiel dans cette augmentation de la progressivité. En effet, en dépit de ses taux proportionnels, elle comporte des éléments de progressivité, ce qui n'était pas le cas des cotisations sociales auxquelles elle s'est substituée. En outre, elle a une assiette plus large, et des taux plus élevés pour les revenus du patrimoine. CSG et CRDS réunies représentent désormais 4,6 % de la richesse nationale.
Mais d'autres phénomènes ont, eux, diminué la progressivité. Les prestations sociales – minima sociaux, allocations familiales, allocations logement par exemple – ont été revalorisées non pas en fonction de l'évolution du revenu moyen, mais le plus souvent selon l'indice des prix, ce qui les a rendues moins progressives. En outre, l'impôt sur le revenu, par construction progressif, a vu son poids relatif et sa progressivité diminuer dans l'ensemble des prélèvements obligatoires. Il ne représente désormais plus que 2,6 % du PIB.
J'en viens à l'état de la redistributivité de notre système en 2009. Le premier constat est qu'elle repose moins sur les impôts que sur les transferts sociaux. Du point de vue de la distribution verticale, les prestations sociales concourent pour deux tiers à la réduction des inégalités et les impôts directs pour un tiers – ce qui confirme les diagnostics antérieurs.
Le cas particulier de l'assurance maladie illustre bien le caractère redistributif d'une dépense sociale. Les dépenses d'assurance maladie ne sont pas supposées avoir d'effet redistributif. Sauf qu'elles sont proportionnelles au revenu, alors que dans n'importe quel régime d'assurance privée, elles seraient fonction du risque couru par l'assuré. En outre, tout le monde a l'obligation de cotiser. L'effet redistributif de l'assurance maladie est donc très important – ce sont 163 milliards d'euros qui sont en jeu. Si la cotisation d'assurance maladie n'était pas obligatoire, comme c'est le cas en Allemagne, la perte de recettes pour l'assurance maladie concernant les salariés gagnant plus de 4 000 euros serait de l'ordre de 20 milliards d'euros ! Par l'assurance maladie, il s'effectue une redistribution verticale au profit des ménages à bas revenus à partir des cotisations perçues sur les hauts revenus, surtout depuis qu'elles ont été déplafonnées. Toutefois, il s'exerce aussi une forte redistribution horizontale, puisque la cotisation sociale est la même quel que soit le nombre de membres du foyer de l'assuré. L'assurance maladie participe ainsi puissamment à la politique familiale.
Plus généralement, c'est aux deux extrémités de l'échelle des revenus que s'effectue la redistribution, c'est-à-dire des plus aisés vers les plus modestes, essentiellement les ménages du premier décile, qui voient leur niveau de vie augmenter après redistribution de 44 %. En revanche, celui des ménages moyens ne se modifie guère. Pour le dire autrement, le système socio-fiscal est progressif jusqu'à 20 000 euros de niveau de vie par unité de consommation, puis proportionnel jusqu'à 50 000 euros. Au-delà le système est très probablement dégressif au sommet de la distribution.
Le système français se caractérise par une redistribution horizontale très développée – celle qui s'opère entre ménages au niveau de vie identique, des bien-portants vers les malades, des célibataires vers les couples, des sans enfants aux parents. Les prestations familiales, concentrées sur les familles d'au moins trois enfants, le quotient familial et le quotient conjugal jouent un rôle particulièrement important. Pour autant, 54 % des familles monoparentales avec trois enfants étaient pauvres en 2008, contre 36 % en 2004.
Le quotient familial, créé en 1948, vise en première analyse à moins taxer les ménages avec enfants. Mais, même plafonné, il comporte des effets régressifs, puisque l'économie d'impôt croît plus que proportionnellement au revenu. Cette question fait l'objet de débats récurrents. Le quotient familial n'existe qu'en France, au Portugal et au Luxembourg. D'autres dispositifs sont envisageables, avec des effets non régressifs, comme le crédit d'impôt forfaitaire aux États-Unis ou la réduction d'impôt pratiquée en Italie ou en Autriche.
Quant au quotient conjugal, il se justifie au nom de l'équité horizontale : à revenu égal, les couples dans lesquels un seul travaille acquittent le même impôt que ceux qui ont deux revenus. Mais l'avantage va croissant avec le revenu : la proportion des couples bénéficiant du dispositif est de 7,1 % dans le premier décile, contre 71,5 % dans le décile supérieur de l'échelle des revenus. Une tendance à l'individualisation de l'impôt sur le revenu est d'ailleurs très nette dans les pays de l'OCDE. Là encore, seuls la France, le Portugal et le Luxembourg font de l'imposition commune une obligation. En Allemagne, en Irlande, au Canada ou en Espagne, c'est une option, et sur les 34 pays de l'OCDE, 17 pratiquent l'imposition séparée. Bref, ces quotients, instruments horizontaux, contrarient en partie les objectifs de redistribution verticale. Cela montre combien redistribution verticale et horizontale sont imbriquées, voire peuvent se neutraliser.
Enfin, comment décrire nos principaux impôts au regard des objectifs de progressivité et de redistributivité ? Le premier constat est que les prestations sociales jouent un rôle majeur dans la réduction des inégalités, mais moins qu'il y a vingt ans : leur mode de revalorisation, fondé sur les prix plutôt que sur les revenus moyens, les a fait diminuer de 20 à 30 % par rapport au revenu moyen disponible. Elles ont donc perdu de fait en progressivité. Or, les prestations monétaires représentent près de 60 % du revenu des plus modestes.
La CSG, créée en 1991, a eu un effet important dans le changement de physionomie de notre système socio-fiscal. Avec la CRDS, créée en 1996, elle s'applique désormais à l'ensemble des revenus – du travail ou de remplacement, des placements ou du patrimoine, ou encore gains de jeux. Étant proportionnelle, la CSG ne poursuit pas à première vue un objectif de redistribution. Elle comporte pourtant des effets redistributifs induits. D'abord, en se substituant à des cotisations qui ne portaient que sur les revenus d'activité, elle a élargi l'assiette des prélèvements sociaux à d'autres catégories de revenus plutôt concentrés dans le haut de l'échelle. Ensuite, ses taux sont moins élevés pour les revenus de remplacement que pour les revenus du travail, et supérieurs pour les revenus du patrimoine et des placements. Enfin, une partie de la CSG n'est pas déductible de l'impôt sur le revenu. Cela permet de socialiser les risques relevant du champ de la protection sociale. C'est le principal aspect redistributif de la CSG, qui représente, avec ses prélèvements annexes, un produit de plus de 88 milliards d'euros, soit 4,6 % du PIB.
J'insisterai plus particulièrement sur l'impôt sur le revenu, celui auquel l'objectif de progressivité et de redistribution a été historiquement le plus clairement assigné et qui peine de plus en plus à le remplir. Le Conseil des impôts avait déjà fait ce constat en 1990, puis en 2004. L'impôt sur le revenu ne représente plus que 2,6 % de la richesse nationale, contre le double en 1987. C'est le taux le plus faible des pays de l'OCDE. Ses recettes, environ 50 milliards d'euros, stagnent depuis vingt ans et sa concentration est forte : 74 % de son produit est acquitté par les 10 % des foyers aux revenus les plus élevés, alors que 47 % des foyers ne sont pas imposables, proportion qui n'a pas varié depuis vingt ans.
L'impôt sur le revenu a également perdu en progressivité, pour trois raisons principales. D'abord, son barème a fait l'objet de plusieurs modifications réduisant le nombre de tranches et abaissant les taux. Le taux marginal, de 41 %, est désormais inférieur à celui de nombre de pays comparables : il est de 45 % en Allemagne et atteint 50 % au Royaume-Uni. Ensuite, de nombreux mécanismes dérogatoires – les niches fiscales – réduisent son assiette. Sous la forme le plus souvent de réductions d'impôt, ils sont présentés comme ayant une vocation économique ou sociale – en faveur de l'investissement locatif, des économies d'énergie ou du développement économique dans les DOM-TOM. Leur prolifération coûte cher et mène à une allocation des ressources économiquement peu efficace. Enfin, l'impôt sur le revenu comporte un effet régressif important, dans la mesure où le taux de taxation diffère selon les catégories de revenus visées – il en est ainsi du prélèvement libératoire forfaitaire qui s'applique aux revenus de l'épargne financière, étendu aux dividendes depuis 2008. Les revenus de capitaux mobiliers ou du patrimoine, qui se trouvent surtout chez les contribuables les plus aisés, sont taxés à des taux inférieurs aux revenus salariaux. En 2009, le taux moyen d'imposition sur le revenu du centième des foyers aux revenus les plus élevés était de 18,3 %. Encore plus au sommet, il baissait à 15 %. Cette dualité, même si elle n'est pas propre à la France, ne paraît pas toujours économiquement justifiée. Elle soulève une question d'équité fondamentale. Le rapport décompose très précisément les données qui fondent ce constat.
De fait, l'impôt sur le revenu a vieilli : plus d'un demi-siècle s'est écoulé depuis la dernière réforme d'envergure. Ses défauts se sont accentués, ses recettes sont faibles et il a perdu son efficacité redistributive et économique. Sans formuler de proposition, le Conseil des prélèvements obligatoires estime que des modifications qui remédieraient ici ou là à quelques insuffisances ne sont plus de mise : il vous appartient d'engager une réforme ambitieuse.
La fiscalité du patrimoine dans sa globalité – taxes foncières, droits de mutation et ISF, soit une recette de l'ordre de 40 milliards d'euros – présente des avantages sur le plan de la redistribution, la concentration du patrimoine étant plus forte que celle des revenus. Mais les défauts des uns et des autres sont bien connus : taxes foncières aux bases obsolètes ; droits de mutation, dont le principal objectif est le rendement fiscal, préjudiciables à l'efficacité économique… Leur caractère redistributif est à tout le moins incertain. L'ISF comporte des éléments de modernité : c'est un impôt progressif qui repose sur des valeurs vénales, donc actuelles. On peut en outre déduire ses dettes de sa déclaration d'ISF, ce qui n'est pas le cas pour les taxes foncières. Toutefois, son assiette est étroite – moins de 2 % des foyers français sont redevables et de nombreux actifs en sont exemptés – et ses taux sont élevés, surtout aux niveaux supérieurs, ce qui a conduit à l'instauration de mécanismes pour y déroger.
Enfin, quelques mots sur la taxe d'habitation et sur la fiscalité indirecte. La taxe d'habitation était auparavant un impôt continûment dégressif. La réforme de 2000 l'a rendu progressif pour les ménages situés dans la première partie de l'échelle des revenus, ce qui veut dire que les ménages modestes en ont bénéficié. Mais force est de constater que la taxe d'habitation reste dégressive pour la moitié la plus aisée des ménages.
Quant aux évolutions de la TVA et des accises, elles ont eu peu d'effets au total sur la progressivité de notre système. Rapportée au revenu disponible des ménages, la TVA pèse beaucoup plus lourdement sur les plus modestes que sur les derniers déciles. D'une manière générale, la taxation indirecte a des effets très régressifs. C'est un outil de rendement fiscal. Pourtant si, il y a vingt ans, la France était un des pays où les recettes de TVA étaient les plus élevées, elle ne se situe plus aujourd'hui que dans la moyenne. Les récentes baisses de taux sur certains secteurs comme la rénovation immobilière ou l'hôtellerie restauration, n'ont pas pu atténuer sa régressivité, puisqu'elles profitent peu aux ménages modestes. Quant aux accises, tabac ou carburant par exemple, elles ont un caractère régressif encore plus prononcé – mais la progressivité n'est pas leur objectif.
En conclusion, ce rapport a cherché à dresser le bilan le plus complet possible de la progressivité et des effets redistributifs de notre système socio-fiscal depuis vingt ans. Il est complexe, mais peu d'études à ce jour sont aussi approfondies. Enfin, il donne des indications importantes sur l'impôt sur le revenu, et en particulier sur l'imposition des plus hauts revenus.
Pour répondre à la question posée par votre commission, notre système socio-fiscal est relativement efficace en matière de redistribution verticale, dans le sens où il permet de réduire les écarts de revenus. L'est-il davantage que celui d'autres pays comparables de l'Union européenne ou de l'OCDE ? Il est difficile de se prononcer, car il existe peu d'études précises. Toutefois, notre système se singularise par l'importance de la redistribution horizontale. Cela explique que le champ de la protection sociale soit plus étendu en France que dans d'autres pays. Cela permet aussi de comprendre pourquoi nos prélèvements sont plus élevés, ce qui pose par ailleurs avec acuité le problème du financement de notre protection sociale par l'emprunt, c'est-à-dire en en transférant la charge aux générations à venir.
Une réforme de l'impôt sur le revenu est nécessaire. La fiscalité du patrimoine doit être reconsidérée de manière globale. La redistribution horizontale ne doit pas contrarier la redistribution verticale – le rapport fournit des clefs pour mieux distinguer les deux. Enfin, chaque instrument fiscal doit se voir assigner l'objectif qui convient le mieux à sa nature. Par exemple, l'impôt sur le revenu doit jouer un rôle redistributif alors que l'objectif de la TVA doit être le rendement fiscal. Cette efficacité est le meilleur moyen de redonner des marges de manoeuvre à la redistribution, pour répondre à cette exigence de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qu'une contribution commune est indispensable, et qu'elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés.
Merci pour ce nouveau rapport extrêmement intéressant de la Cour des comptes, surtout à une époque où les sujets de finances publiques et de justice fiscale vont devenir omniprésents.
Le champ de votre étude est tellement vaste que je me focaliserai sur l'impôt sur le revenu. Néanmoins je fais observer que la redistribution ne peut se résumer à la fiscalité, et que, en France, elle s'effectue même essentiellement par les transferts sociaux. Or, dans votre rapport d'il y a deux mois sur la convergence franco-allemande, le poids de ces transferts apparaissait justement comme une des principales différences entre les deux systèmes – ce qui soulève la question du financement de notre protection sociale par l'emprunt, qui n'est pas soutenable.
Pour ce qui est de l'impôt sur le revenu donc, il y a plusieurs paradoxes. D'abord, son montant s'est affaibli : il ne représente plus que 6,4 % de l'ensemble de nos prélèvements obligatoires, contre 9 % en 1995. Et pourtant, contrairement à nos impôts locaux par exemple, sont assiette est dynamique ! Il faut vraiment y réfléchir. Par ailleurs, ce montant diminuant, il joue forcément un rôle de redistribution plus faible alors que sa concentration reste très élevée – les deux tiers sont acquittés par les 10 % de ménages aux revenus les plus importants.
La question de l'évolution des taux moyens est un autre phénomène à prendre sérieusement en compte. Au cours des dix ou quinze dernières années, les taux moyens ont eu tendance à décroître plus vite pour les revenus les plus hauts. Il y a trois grandes raisons à cela.
D'abord, les réformes de l'impôt sur le revenu – celle de 2000 certes, mais surtout celle de 2006. Cette dernière a réintégré l'abattement de 20 %, qui était plafonné, dans le barème, ce qui a conduit mécaniquement à son déplafonnement. À peu près un quart du coût de cette réforme a donc bénéficié aux revenus les plus élevés, et cela de façon délibérée – c'était parfaitement explicite dans mon rapport. C'était en effet l'époque où nous pensions avoir un problème d'attractivité, nombre d'études liant des départs au côté excessif de l'impôt sur le revenu. Depuis la crise, ces questions sont à nouveau ouvertes. On peut notamment se poser la question d'une tranche supplémentaire, peut-être dans la loi de finances pour 2012.
Deuxième raison à la baisse des taux moyens : la multiplication des niches fiscales, qui profitent principalement aux plus hauts revenus et ne consistent pas seulement en réductions, mais aussi en crédits d'impôt. Il faut être très vigilant sur ce point.
Enfin, troisième raison : plus le revenu s'élève, plus la proportion provenant non pas du travail, mais de capitaux mobiliers ou de plus-values augmente. Or, ces revenus font l'objet dorénavant d'un prélèvement forfaitaire libératoire, qui est passé de 16 à presque 20 %, plus, certes, les prélèvements sociaux. Bref, cette diminution des taux moyens doit appeler notre attention.
J'en viens à mes questions. D'abord, la Commission des finances a conduit à l'automne 2008 des réformes qui auront sans doute un effet significatif sur les plus hauts revenus : le plafonnement de toutes les niches fiscales, leur transformation systématique en réduction d'impôt, alors que la déduction d'assiette était d'autant plus avantageuse qu'on était au taux marginal, et un plafonnement global durci d'année en année – 18 000 euros plus 6 % du revenu aujourd'hui. La réforme, n'étant à juste titre pas rétroactive, n'a joué qu'à partir des revenus 2009. Il sera très intéressant d'analyser ses effets au fur et à mesure que nous disposerons de nouvelles données.
Ensuite, vous soulignez que CSG et impôt sur le revenu confondus pèsent en France deux à trois points de PIB de moins que dans la plupart des pays comparables. Mais pour ce qui est de l'ensemble des prélèvements obligatoires, nous sommes plutôt dans le peloton de tête ! Si l'on devait donc accentuer quelque peu les prélèvements sur le revenu, lesquels devrait-on diminuer en contrepartie ? Ce qui m'amène à la question de la fusion entre la CSG et l'impôt sur le revenu. Vous soulignez que la CSG est par certains aspects progressive, puisqu'elle est beaucoup plus élevée sur les revenus du capital que sur les revenus du travail, et moins élevée sur les retraites. Ne craignez-vous pas qu'avec une fusion – qui, au demeurant, risque de provoquer un transfert très important sur les classes moyennes –, la CSG ne soit contaminée par les inconvénients de l'impôt sur le revenu ?
Enfin, lorsqu'on voit la proportion des très hauts revenus qui est liée au capital, on ne peut que faire la relation avec l'excellente réforme de l'ISF qui va nous être présentée tout à l'heure. Cette réforme, par son caractère très équilibré, ne risque-t-elle pas de consolider l'ISF dans le paysage fiscal français ?
Je salue à mon tour la qualité et l'utilité de ces documents.
Il a été question de l'obsolescence de la fiscalité locale sur les ménages – taxe d'habitation ou foncière. Quelques mesures ont fait évoluer le dispositif, mais la révision générale des bases n'est toujours pas engagée. Quelle est l'analyse du Conseil des prélèvements obligatoires sur les conditions de faisabilité d'une telle réforme ? Car cette obsolescence est un vrai problème, aussi bien pour les collectivités territoriales que du point de vue de la redistribution et de l'équité collective.
Le rapport évoque longuement la problématique de la TVA. Or, il est toujours question d'une TVA sociale. On sait son intérêt du point de vue de l'activité économique et de l'exportation. Mais, compte tenu des comparaisons européennes, que pourrait-on attendre de son introduction ? Quel pourrait être son impact dans les déséquilibres mis en évidence par le Conseil ?
Enfin, l'impôt sur le revenu. Je ne reviens pas sur la baisse progressive de son produit malgré une assiette dynamique, ce qui est un problème en soi car les assiettes dynamiques ne sont pas si nombreuses dans la fiscalité d'État qu'on puisse s'en dispenser si facilement. Mais, et à l'heure où va nous être présenté le projet de loi sur la fiscalité du patrimoine, il apparaît dans le rapport que l'imposition globale des plus aisés ne peut être mesurée. Vous écrivez que l'appareil statistique fiscal ne permet pas de mesurer de façon intégrée l'imposition des revenus ou des patrimoines en isolant pour un même foyer l'impôt sur le revenu, la taxe d'habitation, la taxe foncière, la CSG et prélèvements connexes et les droits de mutation et autres impositions ou taxes comme l'ISF, et que cette information serait d'autant plus utile s'agissant des contribuables les plus aisés que ce sont les plus susceptibles de s'expatrier pour des raisons fiscales. Tout est dit ! Mais que faut-il faire pour y remédier ? Ce défaut d'information est-il lié une absence de volonté politique, à des imperfections de la consolidation, à la CNIL ? Ces données seraient vraiment très utiles.
Si ces données très utiles ne sont pas connues, c'est peut-être qu'on n'a pas très envie de les connaître !
La non compensation par l'État de certaines prestations sociales est en train de se développer. Ainsi, l'allocation personnalisée d'autonomie est aujourd'hui payée à 72 % par mon département contre 28 % par l'État. À vue d'oeil, cela me paraît très antiredistributif puisque 72 % des versements reposent donc sur des contribuables qui se trouvent en large majorité dans les déciles inférieurs ! Il en est de même pour la prestation compensatoire de handicap, qui devait être intégralement compensée par l'État : trois ans plus tard, on en est à moitié-moitié ! Même chose pour une part croissante du RSA. Dans mon département, le différentiel de non compensation entre 2004 et 2010 représente 204 millions d'euros, sur un budget de 400 millions. Comment avez-vous intégré tout cela dans vos calculs ?
Cela devrait fausser vos conclusions, peut-être pas de beaucoup, mais en tout cas dans le mauvais sens. Une centaine de départements sont dans le même cas, et on en est à plus de 6 milliards d'euros de non compensation ! C'est un phénomène récurrent, quoi qu'en dise la majorité. Dans mon département, les smicards qui payent la taxe d'habitation payent aussi pour l'APA ! La contribution des revenus n'est pas progressive.
Je ne reviendrai pas sur les désastreuses réformes de 2000 et de 2006 : nous en avons beaucoup débattu. Il est évident que le paradigme du début du siècle selon lequel la baisse des prélèvements obligatoires se traduirait par une hausse des investissements et ensuite de l'emploi a été remplacé par cette réalité que notre pays est devenu champion du monde du taux d'épargne par rapport au PIB – un taux d'épargne qui sert par ailleurs à financer notre dette publique.
Merci pour ce travail très utile et très intéressant. Il est très souvent question ici de faire évoluer la taxe foncière, sans parler du débat, qui commence à dater, sur la nécessaire revalorisation de ses bases. Le Conseil s'interroge sur son assiette, qui repose non pas sur la valeur vénale des biens mais sur leur valeur locative et avantage donc les propriétaires, notamment ceux des biens les plus spacieux dont le rendement est plus faible. Contrairement à la taxe d'habitation, la taxe foncière ne tient aucunement compte des facultés contributives des redevables. En outre, ses taux, qui dépendent du potentiel fiscal de chaque collectivité, peuvent être très variables. Il faut donc la moderniser, accentuer son caractère redistributif. J'espère que nous aurons l'occasion d'en discuter dans le prochain projet de loi de finances, et que nous arriverons à faire un sort rapidement à ce serpent de mer de la revalorisation des bases pour aboutir à un impôt plus équitable.
À mon tour de saluer ce travail. Le rapport confirme que le poids de l'impôt sur le revenu a beaucoup baissé, voire est devenu marginal face aux prélèvements sociaux, CSG et autres, qui continuent à augmenter et pèsent sur le pouvoir d'achat des ménages. La période étant propice à une certaine créativité en matière fiscale, et bien qu'il n'appartienne certes pas à la Cour ni au Conseil des prélèvements obligatoires de porter un jugement sur les programmes politiques qui fleurissent, pouvez-vous nous donner une appréciation générale sur la faisabilité et l'intérêt d'une fusion entre l'impôt sur le revenu et la CSG, qui réintroduirait une certaine forme de progressivité dans cet ensemble ?
Personne n'a abordé la question des droits de mutation à titre gratuit, qui ont été considérablement réduits dans les lois de finances pour 2004 à 2007 et par la loi TEPA. Quelle est votre analyse de cette politique ?
Merci pour toutes ces observations. Toutefois, je dois répéter que le Conseil des prélèvements obligatoires s'est contenté de répondre à la demande de la Commission, qui consistait à dresser un état des lieux. Il ne s'est pas autorisé à suggérer ou à porter une appréciation sur une proposition de réforme. Nous n'avons pas abordé par exemple la question de la fusion entre IR et CSG, et avons décidé de ne pas nous exprimer sur ce sujet, puisque ce n'est pas l'objet de ce rapport. Par ailleurs, un certain nombre des questions qui m'ont été posées s'adressent en fait à vous-mêmes : c'est à vous qu'il convient de décider des réformes. Nous pouvons seulement vous aider dans la réflexion, travailler sur les sujets que vous nous donnerez. Mais en l'occurrence, pour répondre à votre commande, nous avons présenté des constats, sachant en outre que les premiers effets des dispositions récentes rappelées par le rapporteur général n'ont pas pu être pris en considération.
À ce propos, l'incidence des niches fiscales sur le taux moyen est de l'ordre de deux points. Ce n'est pas la cause la plus importante de réduction de ce taux : il y a aussi la différence de fiscalité selon la catégorie de revenus par exemple. En tout état de cause, le rapport montre que les revenus les plus élevés ont un taux moyen inférieur à celui des gens qui gagnent nettement moins.
S'agissant des impôts directs, monsieur le rapporteur général, la Cour des comptes – et non le Conseil des prélèvements obligatoires puisque ce n'était pas le sujet de son rapport – a globalement constaté que leur produit est plutôt moins élevé qu'ailleurs. Quant aux impositions indirectes, nous sommes à peu près dans la moyenne. Le rendement de la TVA a même plutôt baissé, compte tenu des mesures de réduction ciblées. Beaucoup d'autres pays ont des taux de TVA supérieurs, notamment lorsqu'ils ont des niveaux de protection sociale élevés – auquel cas leur impôt progressif sur le revenu est également plus élevé. Mais, une fois de plus, la redistribution n'est pas toujours fonction du caractère progressif ou régressif des impositions.
Enfin, le Conseil des prélèvements obligatoires note qu'une imposition du patrimoine peut avoir un intérêt au regard des questions de progressivité et de redistribution.
En ce qui concerne la TVA sociale, monsieur Michel Bouvard, il s'agit d'une question qui ne nous était pas posée. Quant aux taxes foncières des ménages, nous avons constaté, comme la Commission l'a déjà fait, toutes leurs insuffisances, alors qu'elles ont un poids important sur le plan redistributif et économique. Une réforme est déjà en cours pour les taxes foncières sur les commerces, fondée sur une expérimentation dans quatre départements. Le tout est de savoir s'il faut l'élargir aux logements. Mais là encore, la décision vous revient.
Henri Emmanuelli a évoqué la question des transferts de compétences qui seraient insuffisamment compensés par l'État. Nous n'avons pas pris cette dimension en compte : nous avons raisonné comme s'il y avait unité de caisse. Je pense d'ailleurs que cela n'aurait que conforté nos observations, notamment sur le fait que la redistribution s'opère beaucoup par les prestations, qu'elles soient versées par l'État ou par les collectivités territoriales. Pour ce qui est du problème plus global de la péréquation et de l'équilibre entre ce qui relève de l'État et des collectivités locales, nous avons observé dans notre rapport de mai 2010 sur la fiscalité locale que les transferts de compétences pouvaient aggraver les inégalités, puisque la réponse aux besoins devenait fonction de la richesse des collectivités territoriales. Il y a donc un équilibre à trouver, sachant qu'en France, on lie étroitement fiscalité locale et responsabilité locale alors que d'autres pays donnent des pouvoirs extrêmement importants à l'échelon décentralisé sans obligatoirement lui reconnaître un pouvoir fiscal.
J'ai déjà traité de la question de Nicolas Perruchot sur la taxe foncière.
Quant à celle de François de Rugy sur la fusion entre IR et CSG, je suis au regret de confirmer que je ne suis pas en mesure d'y répondre. C'est d'ailleurs un sujet complexe : un certain nombre de préalables doivent être tranchés avant toute réforme.
Peut-on envisager de demander au Conseil d'étalonner une éventuelle fiscalité écologique afin de veiller à ce qu'elle ne soit pas trop régressive, problème qui était apparu à propos de la taxe carbone ? Et, concernant les transports collectifs, pourrait-il estimer l'impact du versement transports et évaluer son effet redistributif ?
Il serait intéressant de chiffrer les inégalités entre Paris et le reste du territoire sur le plan de la dépense locale. Cela n'a jamais été fait. Le fait qu'à Paris les transports, ou les dépenses culturelles, soient très largement payés par l'État alors que l'offre est la plus abondante du territoire et que c'est une des villes les plus riches de France crée pour les citoyens une inégalité assez importante.
Par ailleurs, et malgré les difficultés méthodologiques rencontrées, le rapport réussit à produire un modèle d'analyse objectif de notre système, sous l'angle de la redistribution et de la progressivité. Est-il possible de comparer divers systèmes fiscaux nationaux, en particulier dans les travaux de l'OCDE, sous cet angle ou sous d'autres ? En d'autres termes, j'ai l'impression que notre capacité d'analyse a beaucoup progressé. Les travaux internationaux ont-ils accompli les mêmes avancées ?
Le rapport souligne que les exonérations de cotisations sont passées de 1 % en 1990 à 9 % en 1998 et 19 % en 2009, et leur attribue un rôle important dans la réduction des inégalités. Pourtant, ce sont pour l'essentiel des cotisations patronales. Comment peuvent-elles avoir une répercussion à ce point massive sur les réductions des inégalités ?
Je reste persuadée que tout changement de la fiscalité induit un changement chez les agents économiques, quels qu'ils soient. Et je continue à me poser la question de la progressivité optimale de la taxation : un taux marginal constant ne serait-il pas préférable à la progressivité ?
Certaines taxations ou prélèvements de type environnemental peuvent avoir une dimension régressive forte, qui doit être compensée d'une autre façon. Mais il ne faut pas vouloir assigner plusieurs objectifs au même impôt. On peut compenser l'injustice d'un prélèvement par un autre prélèvement, ou par les prestations – qui assurent, je le rappelle, les deux tiers de la redistribution. Une politique fiscale doit s'apprécier dans sa globalité, après avoir examiné les conséquences particulières de chacun de ses impôts. Votre commande portait sur la redistribution et la progressivité. Notre raisonnement aurait pu être différent s'il avait été question de compétitivité économique. Par la suite, c'est au politique d'assurer la cohérence de tous ses outils.
Pour ce qui est des inégalités entre Paris et le reste de la France, j'ai le souvenir de quelques études, mais elles ne doivent pas être nombreuses. Une capitale bénéficie souvent d'un effort de l'État plus important que la moyenne du territoire. En ce qui concerne les transports en commun en tout cas, certains rapports de la Cour des comptes ont fait état de ces différences.
Pour ce qui est des statistiques, il est vrai, comme le disait le président Cahuzac, qu'il est plus difficile d'avoir des informations en France qu'ailleurs, même si les rapporteurs n'ont rencontré aucune difficulté, après avoir précisé leurs demandes, pour les obtenir – le rapport contient d'ailleurs de nombreuses données nouvelles. Car les informations existent, mais sans être regroupées. Il est parfois plus simple d'y accéder dans d'autres pays. En revanche, je pense que certains éléments dont nous disposons nous donnent la capacité d'analyser notre système socio-fiscal, éléments qui n'existent pas toujours ailleurs. Nous avons ainsi eu beaucoup de difficultés à établir des comparaisons internationales pertinentes, comme l'indique le rapport en annexe qui y est consacré.
Pour répondre à Louis Giscard d'Estaing, je lui dirai que nous avons considéré, comme les autres études, les cotisations patronales comme des salaires différés, d'où leur dimension progressive ou redistributive. Mais je laisse Antoine Guéroult vous apporter des précisions, comme sur la progressivité optimale évoquée par Arlette Grosskost.
M. Giscard d'Estaing se demande pourquoi les exonérations de cotisations patronales contribuent de façon significative à la réduction des inégalités. C'est que les cotisations, patronales ou salariales, sont considérées dans ce rapport comme faisant partie de la rémunération des salariés. Si vous exonérez de cotisation des salariés entre 1 et 1,6 fois le SMIC, cela revient aux ménages qui appartiennent au même décile. Cela ne veut pas dire que le salaire net de ces salariés a augmenté : l'effet majeur de ces exonérations est davantage de maintenir ou de créer des emplois – mais pour l'essentiel des emplois de même nature, ou plus exactement de même revenu. C'est le raisonnement de notre scénario 1.
Nous avons aussi considéré d'autres hypothèses d'imputation de ces exonérations – qui se montent tout de même à 30 milliards d'euros. Ainsi, lorsqu'une partie des exonérations va aux ménages par le biais de baisses de prix, elles sont à peu près également réparties. Lorsque la plus grande part va à l'augmentation de la marge des entreprises, et donc de leur rentabilité, cela se traduit par une hausse du revenu des ménages qui possèdent ces entreprises, qui font plutôt partie de la partie haute de la distribution. Bref, ces hypothèses permettent de nuancer le diagnostic : il y a bien dans tous les cas une augmentation de la progressivité sur la période, mais qui peut être beaucoup plus limitée et ne concerner qu'une fraction plus réduite de la distribution. Elle s'arrête au septième décile : le taux d'effort redevient plus faible pour les déciles supérieurs, particulièrement le dernier.
Enfin, la forme optimale des taux d'imposition est une question importante. Le chapitre 4 de la première partie y est consacré, ainsi que l'annexe 2 sur la fiscalité optimale. Beaucoup de recherches économiques ont été faites sur le sujet. Au début, il y a une quinzaine d'années, le sentiment partagé était qu'un taux marginal constant, donc proportionnel, se rapprochait de l'optimum. Les travaux plus récents aboutissent à une courbe en U, avec des taux marginaux plus élevés au début de la distribution, puis qui baissent, puis qui remontent – c'est expliqué dans l'annexe 2. De nombreux travaux ont été conduits sur le sujet. Le prix Nobel James Mirrlees a notamment procédé à une revue en profondeur de l'ensemble des prélèvements et systèmes sociaux britanniques, notamment du point de vue des effets des taux marginaux d'imposition sur l'efficacité économique.
Les trente pages que consacre le rapport à la fiscalité familiale constituent objectivement une charge à l'égard du quotient familial, qui est un des éléments fondamentaux de notre organisation fiscale depuis longtemps – et l'une des explications de notre singularité démographique, constatée encore récemment. J'y trouve deux difficultés méthodologiques. D'abord, l'impôt doit s'analyser par rapport aux charges ! Il faut tenir compte des charges liées à l'enfance ou à l'adolescence, et qui sont en train d'exploser, comme les nouvelles formes de formation en alternance, qui sont des occasions de dépenses pour les familles, ou la multiplication des téléphones portables. Ensuite, il y a un certain sophisme à affirmer que le quotient familial est antiredistributeur et à faire des comparaisons dans l'ensemble des déciles. La comparaison ne vaut que pour ceux qui payent l'impôt, ou qui le paieraient s'il n'y avait pas de quotient familial ! J'espère que tout cela n'inspirera pas certains programmes dans les mois à venir…
Le Conseil des prélèvements obligatoires n'apporte pas de jugement sur la politique familiale, et le rapport ne constitue certainement pas une charge. Il est purement descriptif. Un Gouvernement peut vouloir avantager les familles de trois enfants, quel que soit leur niveau de revenu : c'est un choix politique. Nous, comme vous nous l'avez demandé, nous contentons de dire en quoi le quotient familial et le quotient conjugal peuvent contrarier la progressivité et la redistribution des prélèvements – je ne vois vraiment pas comment on pourrait prétendre le contraire. Cela n'empêche pas de décider de les appliquer, pour des raisons politiques.
Informations relatives à la Commission
La Commission a autorisé la création d'une mission d'information sur les conséquences fiscales des ventes illicites de tabac.
La Commission a reçu en application de l'article 12 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 deux projets de décret portant transfert et virement de crédits :
–un projet de transfert de crédits de 13 393 692 euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement, qui s'effectue du programme 214 Soutien de la politique de l'éducation nationale de la mission Enseignement scolaire vers le programme 150 Formations supérieures et recherche universitaire de la mission Recherche et enseignement supérieur. Il fait suite à la dissolution de l'Institut national de recherche pédagogique.
Les annulations s'effectuent comme suit :
– Programme 214 : 13 393 692 euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement.
Les ouvertures sont réalisées de la façon suivante :
– Programme 150 : 13 393 692 euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement.
– un projet de virement de crédits d'un montant de 20 550 000 euros en autorisations d'engagement et 2 500 000 euros en crédits de paiement, qui s'effectue du programme 146 Équipement des forces de la mission Défense à destination du programme 212 Soutien de la politique de la défense de la mission Défense. Ce virement intervient dans le cadre du programme du système de Commandement et des conduites des opérations aériennes, étape 3 (programme SCCOA 3). Il est destiné au financement des travaux de génie civil et des premières opérations de maintenance du centre ARS sur le site de Cinq-Mars-La-Pile (Indre et Loire), qui résulte de la combinaison de missions de contrôle, de reconnaissance et de communication lors de la conduite d'opération aériennes.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 11 mai 2011 à 9 h 30
Présents. - M. Dominique Baert, M. Jean-Pierre Balligand, M. Claude Bartolone, M. Jean-Marie Binetruy, M. Michel Bouvard, Mme Chantal Brunel, M. Jérôme Cahuzac, M. Bernard Carayon, M. Thierry Carcenac, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Charles de Courson, M. Jean-Yves Cousin, M. Richard Dell'Agnola, M. Yves Deniaud, M. Michel Diefenbacher, M. Jean-Louis Dumont, M. Henri Emmanuelli, Mme Aurélie Filippetti, M. Jean-Claude Flory, M. Marc Francina, M. Daniel Garrigue, M. Georges Ginesta, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. François Goulard, Mme Arlette Grosskost, M. David Habib, M. Laurent Hénart, M. François Hollande, M. Jean-François Lamour, M. Jean Launay, M. Marc Le Fur, M. Victorin Lurel, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jean-Claude Mathis, M. Pierre Moscovici, M. Henri Nayrou, Mme Béatrice Pavy, M. Jacques Pélissard, M. Nicolas Perruchot, Mme Sophie Primas, M. Camille de Rocca Serra, M. Alain Rodet, M. François de Rugy, M. Jean-Claude Sandrier, M. Michel Sapin, M. François Scellier, M. Pascal Terrasse, Mme Isabelle Vasseur, M. Philippe Vigier
Excusés. - M. Pierre Bourguignon, M. Jean-Pierre Brard, M. Alain Claeys, M. Patrick Lemasle, M. Hervé Novelli, M. Michel Vergnier
Assistaient également à la réunion. - M. Gérard Bapt, M. Alain Cacheux, M. Marcel Rogemont, M. Lionel Tardy