La séance est ouverte à dix-sept heures.
La commission examine pour avis, sur le rapport de M. Marc Joulaud, le projet de loi, adopté par le Sénat autorisant la ratification du traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes (n° 3385).
Nous avons tous une pensée pour notre collègue Françoise Olivier-Coupeau qui nous a quittés la semaine dernière à la suite d'une longue maladie.
Nous nous souviendrons avec émotion de cette excellente collègue. Son investissement passionné dans nos travaux comme son amitié ont marqué notre commission. Lors d'une mission en Afghanistan, malgré sa fatigue et sa maladie que j'ignorais, elle a su, selon les mots de Guynemer, « faire face » avec courage.
Je vous propose de nous recueillir quelques instants à sa mémoire.
Mmes et MM. les membres de la commission se lèvent et observent une minute de silence.
Je vous remercie. Le suppléant de Mme Olivier-Coupeau, M. Gwendal Rouillard, siégera au sein de notre commission.
Je salue par ailleurs le retour de Michel Sordi qui a été souffrant pendant longtemps et que nous retrouvons avec plaisir.
L'ordre du jour appelle l'examen pour avis du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du nord relatif à des installations radiographiques et hydrodymaniques communes. Le texte a été examiné la semaine dernière au fond par la commission des affaires étrangères.
Ce traité vise à construire des installations communes permettant d'effectuer des simulations d'essais pour notre dissuasion nucléaire.
Une telle initiative touche un domaine particulièrement sensible et il m'a semblé indispensable que notre commission se saisisse pour avis, en complément du suivi assuré par le groupe de travail franco-britannique qui se réunira le 7 juillet prochain.
En premier lieu, je crois qu'il sera utile que notre rapporteur, Marc Joulaud, nous éclaire sur les détails très techniques du traité, afin que nous comprenions l'utilité des installations concernées pour notre pays.
Ensuite, nous voudrions être rassurés : ce projet ne risque-t-il pas d'écorner notre indépendance dans un domaine de souveraineté par excellence ?
Enfin, cette coopération pourrait-elle être le prélude à une coopération plus forte en la matière ? Ou bien la relation spéciale unissant le Royaume-Uni aux États-Unis continuera-t-elle de primer ? Serait-il par exemple envisageable que les Britanniques acquièrent des vecteurs pour la dissuasion nucléaire non plus auprès des Américains mais des Français ?
Le sommet franco-britannique de novembre dernier s'est traduit par la signature de plusieurs accords en matière de défense, parmi lesquels un traité relatif au partage d'installations radiographiques et hydrodynamiques ou, en d'autres termes, au partage de la construction et de l'entretien d'installations de simulation d'explosions nucléaires. Ce traité, qui porte sur un domaine particulièrement sensible, a déjà été ratifié par le Royaume-Uni et démontre la solidité du partenariat franco-britannique.
Vous le savez, il s'agit d'un partenariat ancien. Nos pays se sont trouvés du même côté au cours des deux conflits mondiaux ; aujourd'hui encore, nos soldats sont engagés sur les mêmes théâtres d'opérations, notamment en Afghanistan.
Nos scientifiques comme nos industriels ont l'habitude de travailler ensemble : souvenons-nous de l'avion de combat Jaguar ou, plus récemment, du rapprochement de nos filières de missiles.
L'accord du 2 novembre est donc un aboutissement : la qualité de la relation entre nos deux pays permet désormais d'inclure la dissuasion nucléaire dans notre coopération.
Cet accord présente un triple intérêt. Il favorise tout d'abord le renforcement de l'Europe de la défense en associant deux partenaires naturels, la France et le Royaume-Uni étant en effet les deux nations dotées des capacités militaires les plus importantes en Europe. À elles deux, elles représentent près de la moitié de l'effort européen de défense et près de 70 % des investissements en recherche et développement.
Leur rapprochement concrétise le nouvel élan donné à la coopération franco-britannique impulsée par le sommet de Saint-Malo en 1998. Les deux partenaires avaient alors rappelé la compatibilité de la construction de l'Europe de la défense avec nos engagements au sein de l'Alliance atlantique. Le retour de notre pays dans les structures de commandement intégrées de l'Alliance a achevé de rassurer nos partenaires.
Pour le Royaume-Uni, la coopération avec la France constitue l'un des deux partenariats fondamentaux identifiés par le Livre vert de 2010, document qui présente, à l'instar de notre Livre blanc, les grandes orientations de défense retenues par les Britanniques. Il réaffirme la place primordiale de la coopération avec les États-Unis. Cette relation spéciale s'est notamment traduite par des accords dans le domaine nucléaire, au premier rang desquels ceux de Nassau en 1962, aux termes desquels les Britanniques s'en remettent aux Américains pour la fourniture des vecteurs de leur force de dissuasion. Ils conservent néanmoins la maîtrise de la fabrication des têtes nucléaires et restent donc un partenaire souverain.
Par ailleurs, dans un contexte budgétaire contraint tant pour la France que pour le Royaume-Uni, le traité devrait permettre de réaliser une économie de 450 millions d'euros pour chacun des deux pays grâce au financement commun de la construction et de l'entretien d'installations de simulation.
Enfin, l'intérêt de ce traité réside dans le fait que ces installations permettront, grâce au progrès scientifique et technologique qu'elles représentent par rapport aux installations existantes, de travailler plus efficacement à la conception des nouvelles têtes nucléaires océaniques qui doivent entrer en service après 2015.
Concrètement, le traité prévoit le financement commun par la France et par le Royaume-Uni de deux installations.
La première, dénommée ÉPURE, sera implantée sur le site du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) de Valduc en France. Elle permettra de valider par l'expérience les simulations effectuées sur les grands calculateurs du CEA qui reproduisent les différentes phases de fonctionnement d'une arme nucléaire. Il n'y aura donc pas d'essai nucléaire, ce qui répond aux exigences du traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE) ratifié par la France en 1998. La plupart des expériences utiliseront des matériaux se substituant au plutonium, tels le tantale ou le plomb. Les quelques expériences qui utiliseront des matériaux nucléaires seront sous-critiques, c'est-à-dire que les quantités de matière fissile seront très faibles, de manière à ce qu'il n'y ait aucun dégagement d'énergie nucléaire. Dans l'installation ÉPURE, il sera possible de faire évoluer ces matériaux de leur état nominal vers des conditions extrêmes de densité, de vitesse et de pression, équivalentes à celles rencontrées dans les armes nucléaires lors de la phase initiale de fonctionnement. Ces expériences permettront en particulier de continuer à exploiter les résultats de la campagne française d'essais nucléaires de 1996.
L'installation ÉPURE sera constituée de parties communes, où seront réalisées les expériences, et de halls d'assemblage où seront préparés les édifices expérimentaux. La France et le Royaume-Uni disposeront chacun d'un hall d'assemblage dont l'accès sera interdit à l'autre partie. Dans les parties communes se trouveront deux pas de tir. Sur le premier seront installées trois machines radiographiques qui permettront d'analyser la densité des matières utilisées pour l'expérience. Des mesures de chronométrie et de vitesse de la matière en mouvement seront également réalisées dans ÉPURE. Cette installation comprendra par ailleurs un second pas de tir, équipé d'appareils de mesures plus légers.
La deuxième installation prévue par le traité, appelée Technological development centre (TDC), sera implantée sur le site d'Aldermaston au Royaume-Uni. Deux des trois machines radiographiques qui doivent être installées dans ÉPURE y seront élaborées, la première étant la machine AIRIX qui provient du site français de Moronvilliers.
Le développement de ces installations s'effectuera en deux phases. Au cours de la première, le premier pas de tir sera réalisé. Il comprendra la machine radiographique AIRIX ainsi que le hall d'assemblage français qui sera mis en service en 2014. La seconde phase comprendra le hall d'assemblage britannique, mis en service d'ici à 2016, la machine radiographique britannique, mise en service en 2019, puis la machine radiographique franco-britannique, le second pas de tir et une installation de traitement des déchets qui seront réalisés d'ici à 2022.
La France prendra en charge la réalisation de la première phase d'EPURE ; le Royaume-Uni la réalisation du TDC et de la deuxième machine radiographique. Par la suite, toutes les dépenses seront partagées équitablement, la troisième machine radiographique étant élaborée et financée en commun.
Bien que ces installations soient communes, le traité garantit l'indépendance des expériences réalisées par chacune des deux parties. Le Royaume-Uni n'aura pas accès aux travaux effectués par la France et inversement. Aucune information relative aux systèmes d'armes nucléaires ne sera échangée. Les dispositions du traité ne portent pas atteinte à la souveraineté et à l'autonomie française dans le domaine nucléaire, ce qui a contribué à rassurer la communauté militaire. En outre, il ne s'agit en aucun cas de transférer des technologies. Je le répète : ce traité ménage parfaitement notre souveraineté nationale.
En conclusion, je formule un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi. Je forme également le souhait qu'il recueille un soutien unanime car il y va de l'avenir de notre dissuasion nucléaire.
Derrière le titre très technique de ce traité, il y a la perspective d'une coopération en matière d'ogives nucléaires, dont je crains qu'elle ne marque la fin de l'autonomie nationale.
En outre, ces recherches communes reviennent à moderniser et à renforcer notre arsenal nucléaire. Elles sont donc en contradiction avec le principe de stricte suffisance et contreviennent au traité de non-prolifération nucléaire qui interdit la recherche de nouveaux systèmes d'armes.
En conséquence, je voterai contre la ratification.
Il ne s'agit nullement de travailler sur les ogives.
Après l'arrêt des essais nucléaires, la France et le Royaume-Uni se sont trouvés dans une situation comparable : les deux pays souhaitaient maintenir une dissuasion nucléaire en se dotant, selon des calendriers quasi identiques, de nouvelles installations visant à assurer la sécurité et le développement de leurs outils nucléaires. C'est ainsi que des discussions sont intervenues pour travailler en commun, non pas sur les têtes nucléaires, mais sur la phase en amont du déclenchement de l'arme. Les recherches qui auront lieu sur le site de Valduc sont de nature scientifique et technologique ; elles ne concernent pas la phase nucléaire proprement dite. En outre, si l'installation est partagée, les résultats des expériences ne le sont pas et la souveraineté de chaque pays est protégée. Le traité ne vise en aucun cas à mettre en commun la politique de dissuasion : il s'agit bien de recherche fondamentale, les travaux d'ÉPURE participeront d'ailleurs au programme français de simulation qui fait intervenir le laser mégajoule et les calculateurs du CEA.
Ce sont les systèmes de mesure et non la construction des missiles que nous mettons en commun. J'ajoute que les outils de simulation ne sont pas tous partagés, le laser mégajoule restant par exemple sous le seul contrôle de la France. Chacun a pris soin de préserver ses propres intérêts. Les essais nucléaires réels ayant cessé, il s'agit de procéder à des mesures scientifiques sur les processus conduisant à l'explosion nucléaire elle-même. On en reste au domaine de la recherche.
Je tiens à féliciter le rapporteur pour avis, qui a su rendre très compréhensible un texte assez ardu.
Ce traité va dans le bon sens, mais je m'interroge sur les réactions de nos principaux partenaires européens.
C'est effectivement une question que je me suis posée en procédant aux auditions. J'ai observé que tout s'était fait dans la transparence à l'égard de nos alliés européens qui n'ont formulé aucune réserve, ni aucune objection à ce traité. Ils ont même témoigné un intérêt pour cette démarche très novatrice, mais sans aller plus loin.
Les États-Unis n'ont pas davantage cherché à freiner le projet, alors qu'on aurait pu penser qu'ils s'étonneraient de voir le Royaume-Uni s'engager dans cette coopération nouvelle et si importante. La nouvelle administration américaine est peut-être plus ouverte que la précédente.
Pourquoi ne pas aller jusqu'au bout de la démarche en établissant un seul site ou en mettant en commun l'ensemble des calculs, étant entendu que la construction des ogives est exclue de la coopération ?
Pour le moment, il ne s'agit que de mettre en commun une installation tournée vers l'analyse et le développement de la phase initiale des armes et non de leur partie strictement nucléaire. Comme je l'ai indiqué, la coopération s'engage pour des raisons budgétaires et de calendrier, mais aussi dans le but de maintenir le niveau de performances et de connaissances des deux côtés.
D'autres rapprochements sont toutefois envisageables : le traité est conclu pour une durée de 50 ans, et si l'article 2 prévoit que les résultats resteront sous la souveraineté de chaque pays, il n'interdit pas d'éventuels échanges volontaires d'information, exception faite du volet industriel. Les Britanniques ont réaffirmé leur souhait que les missiles Trident continuent à équiper leurs sous-marins, y compris ceux de nouvelle génération.
Merci, monsieur le président, d'avoir rendu à notre collègue Françoise Olivier-Coupeau l'hommage qu'elle méritait J'avais moi aussi apprécié sa compagnie lors de notre déplacement en Afghanistan et je n'oublie pas la qualité de ses interventions. Je pense en particulier à la conviction dont elle fait preuve sur le texte relatif à la gendarmerie.
La France est un des seuls pays au monde à disposer d'un potentiel de recherche assez développé pour maîtriser la technologie nucléaire et nous pouvons en être fiers. Si nous en sommes capables, c'est grâce à plusieurs décennies de travaux et d'avancées technologiques et scientifiques.
S'il existe un certain consensus national en matière de défense, c'est avant tout sur la nécessité de maîtriser le nucléaire pour assurer notre indépendance. Or nous allons mutualiser, pour la première fois, les processus nucléaires avec un tiers, même si ce sera de façon très limitée. Bien que le rapporteur pour avis nous ait partiellement rassurés, chacun connaît la relation de coopération historiquement très privilégiée entre les États-Unis et le Royaume-Uni dans ce domaine. Là où la France a fait le choix de l'indépendance, nos voisins ont fait celui de la dépendance. Disposons-nous vraiment de toutes les garanties nécessaires ? Quand on utilise une plateforme commune, même si c'est à tour de rôle ou de façon totalement indépendante, on ne peut pas exclure la possibilité de porosités, voulues ou subies.
Je rappelle que cette coopération ne portera que sur des sujets très scientifiques. ÉPURE est une installation commune permettant à chaque pays de réaliser ses propres essais.
Au demeurant, n'y aura-t-il pas une duplication ? Il y aura d'abord une installation en France puis les Britanniques construiront son pendant.
L'ensemble des essais sera réalisé en France ; le site britannique servira à la construction, au suivi et au développement des outils radiographiques utilisés dans le cadre d'ÉPURE. Il n'existera pas de centre de simulations et d'essais au Royaume-Uni.
Il y aura certes un site commun et des machines communes à Valduc, mais les halls d'assemblage, où chacun préparera ses maquettes d'armes, resteront strictement nationaux. Il en sera de même pour les dispositifs informatiques et scientifiques d'analyse des essais. Chaque pays conservera donc une pleine maîtrise sur les essais menés, sur leurs résultats, sur leur analyse, ainsi que sur les déchets produits.
Il est vrai que rien n'interdira aux Britanniques de communiquer aux États-Unis des données concernant les essais réalisés à Valduc pour leur propre compte, ainsi que leurs analyses et leurs interprétations. En revanche, ils ne pourront pas transmettre d'informations sur les essais ou les simulations réalisés par la France.
Pourriez-vous replacer ce traité dans le paysage de la coopération avec le Royaume-Uni en matière de défense ? En quoi constitue-t-il une étape ? Existe-t-il une continuité ?
Le rapport retrace les grandes étapes des relations franco-britanniques en matière de défense.
Comme je l'ai rappelé tout à l'heure, plusieurs accords ont été signés à la fin de l'année 2010 entre la France et le Royaume-Uni. Le traité que nous examinons aujourd'hui s'inscrit donc dans un cadre plus large visant à développer considérablement les coopérations entre les deux pays aux plans opérationnel et industriel.
Les accords de novembre prévoient par exemple de mieux partager nos capacités aéronavales y compris par la présence de militaires britanniques sur le porte-avions Charles de Gaulle. Je note également que le Royaume-Uni a prévu que ses futurs porte-avions seront équipés de catapultes, ce qui assure une parfaite interopérabilité avec les avions français.
D'autres axes de progrès ont été identifiés, qu'il s'agisse des sous-marins, de la guerre contre les mines maritimes ou des drones. J'ajoute qu'un corps expéditionnaire commun devrait être constitué. Vous le constatez, le champ de la coopération est large avec des avancées très significatives.
En dépit de certains fantasmes, le traité ne vise absolument pas le nombre de têtes nucléaires, ni leur arrangement dans les missiles embarqués sur nos sous-marins nucléaires lanceurs engins, ni leur furtivité.
Je tiens par ailleurs à rappeler avec force que la France est le seul pays européen totalement autonome en matière de dissuasion. Celle-ci ne peut pas se partager avec un autre pays car elle relève de la responsabilité ultime du chef de l'État.
Je reviens sur la question des têtes nucléaires dans mon rapport : pour la France, leur nombre est d'environ 300. Le stock britannique comprendra à moyen terme environ 120 têtes.
Il me semble que les Britanniques sont en train d'abandonner leur dissuasion nucléaire qui n'est plus assurée que par trois sous-marins, ce qui est insuffisant.
Ils n'ont d'ailleurs pas l'ambition de se doter à nouveau d'une composante aérienne. La coopération technique et scientifique qui s'engage aujourd'hui est sans doute utile pour éviter une perte de connaissances et de capacités. Au demeurant, tous les acteurs français considèrent que l'installation du site en France est une reconnaissance de notre savoir-faire.
Cette coopération est l'occasion pour nos deux pays de maintenir savoir-faire et compétences.
Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l'adoption du projet de loi.
La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.