Le sommet franco-britannique de novembre dernier s'est traduit par la signature de plusieurs accords en matière de défense, parmi lesquels un traité relatif au partage d'installations radiographiques et hydrodynamiques ou, en d'autres termes, au partage de la construction et de l'entretien d'installations de simulation d'explosions nucléaires. Ce traité, qui porte sur un domaine particulièrement sensible, a déjà été ratifié par le Royaume-Uni et démontre la solidité du partenariat franco-britannique.
Vous le savez, il s'agit d'un partenariat ancien. Nos pays se sont trouvés du même côté au cours des deux conflits mondiaux ; aujourd'hui encore, nos soldats sont engagés sur les mêmes théâtres d'opérations, notamment en Afghanistan.
Nos scientifiques comme nos industriels ont l'habitude de travailler ensemble : souvenons-nous de l'avion de combat Jaguar ou, plus récemment, du rapprochement de nos filières de missiles.
L'accord du 2 novembre est donc un aboutissement : la qualité de la relation entre nos deux pays permet désormais d'inclure la dissuasion nucléaire dans notre coopération.
Cet accord présente un triple intérêt. Il favorise tout d'abord le renforcement de l'Europe de la défense en associant deux partenaires naturels, la France et le Royaume-Uni étant en effet les deux nations dotées des capacités militaires les plus importantes en Europe. À elles deux, elles représentent près de la moitié de l'effort européen de défense et près de 70 % des investissements en recherche et développement.
Leur rapprochement concrétise le nouvel élan donné à la coopération franco-britannique impulsée par le sommet de Saint-Malo en 1998. Les deux partenaires avaient alors rappelé la compatibilité de la construction de l'Europe de la défense avec nos engagements au sein de l'Alliance atlantique. Le retour de notre pays dans les structures de commandement intégrées de l'Alliance a achevé de rassurer nos partenaires.
Pour le Royaume-Uni, la coopération avec la France constitue l'un des deux partenariats fondamentaux identifiés par le Livre vert de 2010, document qui présente, à l'instar de notre Livre blanc, les grandes orientations de défense retenues par les Britanniques. Il réaffirme la place primordiale de la coopération avec les États-Unis. Cette relation spéciale s'est notamment traduite par des accords dans le domaine nucléaire, au premier rang desquels ceux de Nassau en 1962, aux termes desquels les Britanniques s'en remettent aux Américains pour la fourniture des vecteurs de leur force de dissuasion. Ils conservent néanmoins la maîtrise de la fabrication des têtes nucléaires et restent donc un partenaire souverain.
Par ailleurs, dans un contexte budgétaire contraint tant pour la France que pour le Royaume-Uni, le traité devrait permettre de réaliser une économie de 450 millions d'euros pour chacun des deux pays grâce au financement commun de la construction et de l'entretien d'installations de simulation.
Enfin, l'intérêt de ce traité réside dans le fait que ces installations permettront, grâce au progrès scientifique et technologique qu'elles représentent par rapport aux installations existantes, de travailler plus efficacement à la conception des nouvelles têtes nucléaires océaniques qui doivent entrer en service après 2015.
Concrètement, le traité prévoit le financement commun par la France et par le Royaume-Uni de deux installations.
La première, dénommée ÉPURE, sera implantée sur le site du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) de Valduc en France. Elle permettra de valider par l'expérience les simulations effectuées sur les grands calculateurs du CEA qui reproduisent les différentes phases de fonctionnement d'une arme nucléaire. Il n'y aura donc pas d'essai nucléaire, ce qui répond aux exigences du traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE) ratifié par la France en 1998. La plupart des expériences utiliseront des matériaux se substituant au plutonium, tels le tantale ou le plomb. Les quelques expériences qui utiliseront des matériaux nucléaires seront sous-critiques, c'est-à-dire que les quantités de matière fissile seront très faibles, de manière à ce qu'il n'y ait aucun dégagement d'énergie nucléaire. Dans l'installation ÉPURE, il sera possible de faire évoluer ces matériaux de leur état nominal vers des conditions extrêmes de densité, de vitesse et de pression, équivalentes à celles rencontrées dans les armes nucléaires lors de la phase initiale de fonctionnement. Ces expériences permettront en particulier de continuer à exploiter les résultats de la campagne française d'essais nucléaires de 1996.
L'installation ÉPURE sera constituée de parties communes, où seront réalisées les expériences, et de halls d'assemblage où seront préparés les édifices expérimentaux. La France et le Royaume-Uni disposeront chacun d'un hall d'assemblage dont l'accès sera interdit à l'autre partie. Dans les parties communes se trouveront deux pas de tir. Sur le premier seront installées trois machines radiographiques qui permettront d'analyser la densité des matières utilisées pour l'expérience. Des mesures de chronométrie et de vitesse de la matière en mouvement seront également réalisées dans ÉPURE. Cette installation comprendra par ailleurs un second pas de tir, équipé d'appareils de mesures plus légers.
La deuxième installation prévue par le traité, appelée Technological development centre (TDC), sera implantée sur le site d'Aldermaston au Royaume-Uni. Deux des trois machines radiographiques qui doivent être installées dans ÉPURE y seront élaborées, la première étant la machine AIRIX qui provient du site français de Moronvilliers.
Le développement de ces installations s'effectuera en deux phases. Au cours de la première, le premier pas de tir sera réalisé. Il comprendra la machine radiographique AIRIX ainsi que le hall d'assemblage français qui sera mis en service en 2014. La seconde phase comprendra le hall d'assemblage britannique, mis en service d'ici à 2016, la machine radiographique britannique, mise en service en 2019, puis la machine radiographique franco-britannique, le second pas de tir et une installation de traitement des déchets qui seront réalisés d'ici à 2022.
La France prendra en charge la réalisation de la première phase d'EPURE ; le Royaume-Uni la réalisation du TDC et de la deuxième machine radiographique. Par la suite, toutes les dépenses seront partagées équitablement, la troisième machine radiographique étant élaborée et financée en commun.
Bien que ces installations soient communes, le traité garantit l'indépendance des expériences réalisées par chacune des deux parties. Le Royaume-Uni n'aura pas accès aux travaux effectués par la France et inversement. Aucune information relative aux systèmes d'armes nucléaires ne sera échangée. Les dispositions du traité ne portent pas atteinte à la souveraineté et à l'autonomie française dans le domaine nucléaire, ce qui a contribué à rassurer la communauté militaire. En outre, il ne s'agit en aucun cas de transférer des technologies. Je le répète : ce traité ménage parfaitement notre souveraineté nationale.
En conclusion, je formule un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi. Je forme également le souhait qu'il recueille un soutien unanime car il y va de l'avenir de notre dissuasion nucléaire.