Audition de M. Denis Badré, sénateur, sur son rapport au Premier ministre relatif aux relations entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe
La séance est ouverte dix-sept heures.
Je suis très heureuse d'accueillir le sénateur Badré qui vient nous présenter le rapport qu'il a remis au Premier ministre il y a quelques semaines, dans lequel il étudie notamment les moyens de renforcer la complémentarité de deux organisations à la fois très interdépendantes et très différentes, l'Union européenne et le Conseil de l'Europe.
C'est un honneur d'avoir la possibilité de m'exprimer devant votre commission des affaires étrangères. Je tiens à saluer la présence de ma collègue Maryvonne Blondin, ainsi que de députés membres de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et du président de la délégation française, M. Jean-Claude Mignon. Leur présence à mes côtés est le reflet de l'excellent travail que députés et sénateurs mènent en commun au sein de la délégation.
A l'origine de la réflexion que j'ai conduite, à la demande du Premier ministre, réside le constat de la très faible participation des Etats membres de l'Union européenne aux travaux du Conseil de l'Europe. Celui-ci n'est pas considéré comme le lieu de la construction européenne et la faible participation des représentants des Etats membres de l'Union européenne conduit à une forme de surreprésentation des vingt autres Etats membres du Conseil de l'Europe, au premier rang desquels la Russie et la Turquie. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation.
J'ai observé que la France adoptait trop souvent une attitude défensive vis-à-vis du Conseil de l'Europe dont elle craint les critiques, que celles-ci portent sur l'interdiction du voile intégral, la question de l'indépendance du parquet ou le traitement réservé aux populations rom. Il est très important que la France, ainsi que tous les autres Etats membres de l'Union européenne, soient présents et actifs au sein du Conseil de l'Europe pour attester du fait que celui-ci reste porteur des valeurs qui ont présidé à la construction européenne. Ceci est particulièrement nécessaire dans le contexte international actuel.
La réflexion que m'a confiée le Premier ministre vise à améliorer l'implication de la France dans les travaux du Conseil de l'Europe dans le contexte du débat sur le rôle respectif de ce conseil et de l'Union européenne. Les travaux que j'ai menés m'ont amené à mesurer l'importance des attentes de la France et de l'Union européenne vis-à-vis du Conseil de l'Europe, mais aussi celle du Conseil de l'Europe vis-à-vis de la France et de l'Union européenne. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec un grand nombre de personnalités de haut niveau parmi lesquels les présidents de la commission des affaires étrangères et de la commission des droits de l'homme du Parlement européen, M. Alexandre Orlov, actuel ambassadeur de Russie en France qui était auparavant le représentant permanent de la Russie auprès du Conseil de l'Europe, les représentants de la Turquie qui préside actuellement le comité des ministres et dont un député est à la tête de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. J'ai naturellement rencontré le secrétaire général du Conseil, un ancien Premier ministre norvégien qui a exprimé la volonté de recentrer l'activité du Conseil de l'Europe sur le noyau de ses compétences, qui est constitué par l'Etat de droit, les droits de l'homme et la démocratie. Ce recentrage est à articuler avec le projet de réforme de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, sur lequel le président Mignon a été nommé rapporteur, et avec le débat animé sur les relations entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe.
Sur ce dernier point, mon rapport au Premier ministre présente une analyse détaillée des questions que pose l'éventuelle adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'homme. J'y souligne aussi les problèmes nés de la création récente, à Vienne, de l'Agence des droits fondamentaux, dont les compétences empiètent incontestablement sur celles du Conseil de l'Europe. J'ai déjà eu l'occasion de critiquer le phénomène « d'agenciarisation » de l'Union européenne, qui s'avère particulièrement coûteux. Le fonctionnement de cette seule agence coûte 20 millions d'euros par an, contre 14 millions d'euros pour celui de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Dans mon rapport, je formule des propositions précises sur la coordination qu'il conviendrait de mettre en place entre les deux structures.
Les questions de fond abordées au sein du Conseil de l'Europe sont fondamentales et font l'objet de débats qui ne pourraient pas se dérouler ailleurs. Tels sont par exemple les cas des tensions dans le Caucase, où se sont affrontés deux Etats, la Georgie et la Russie, qui s'étaient pourtant engagés, dans le cadre du Conseil de l'Europe, à régler tout différend par la voie du dialogue, de l'évolution des Balkans, actuellement marqués par l'affaire des présomptions de trafic d'organes au Kosovo, dénoncée par un rapport de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, ou de la situation en Biélorussie.
Le Conseil de l'Europe a aussi un rôle important à jouer dans le partenariat oriental de l'Union européenne, tous les Etats concernés étant membres du Conseil, et dans les relations euro-méditerranéennes. J'ai présenté il y a quelques temps un rapport sur la politique de voisinage du Conseil de l'Europe en direction de la Méditerranée, qui mettait l'accent sur le caractère central du retard démocratique des pays du sud. J'ai proposé que l'Union européenne confie au Conseil de l'Europe le volet de l'Union pour la méditerranée consacré à la promotion des valeurs démocratiques, dans la mesure où, d'une part, cela permettait à l'Union de se concentrer sur les autres volets et que, d'autre part, cela revenait à confier les efforts en faveur de la démocratisation à des spécialistes de ce processus. Cette proposition a conduit à l'élaboration du « partenariat pour la démocratie » qui est actuellement mis en oeuvre avec le Maroc. Les événements récents démontrent la pertinence de mon analyse et doivent conduire à une évolution de ce partenariat pour faire face aux défis auxquels sont désormais confrontés les Etats arabes qui ont fait leur révolution. La commission de Venise va notamment les aider à élaborer leur constitution. Pour certains de ces Etats, il est plus facile de discuter avec le Conseil de l'Europe qu'avec ces Etats qui ont joué un rôle particulier dans leur histoire ou qui ont pris des positions contestées pendant les récents événements. Je signale en outre que les interventions du Conseil de l'Europe donnent un cadre aux initiatives que la Turquie serait, sans lui, amenée à prendre de manière isolée.
L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est un lieu unique de dialogue entre les parlementaires nationaux des 47 Etats membres. Elle a une vraie vie de parlement à l'occasion de ses quatre sessions annuelles et de ses réunions de commissions. Une partie des représentants des parlements d'Etats membres de l'Union européenne participe aussi aux travaux de la COSAC, ce qui contribue à la constitution d'un réseau de parlementaires des Etats membres de l'Union européenne au sein des parlementaires des Etats membres du Conseil de l'Europe.
Ma réflexion m'a conduit à formuler 47 propositions – autant que d'Etats membres du Conseil de l'Europe ! – pour renforcer l'implication de la France dans les travaux de ce Conseil. Certaines concernent le pouvoir exécutif, qui doit améliorer la préparation des sessions de l'Assemblée parlementaire et faire en sorte que les experts envoyés auprès du Conseil aient des instructions précises et cohérentes avec celles qui sont défendues au sein de l'Union européenne. En ce qui concerne le volet parlementaire de mes propositions, elles visent principalement à donner davantage d'écho au travail accompli à Strasbourg au sein du Sénat et de l'Assemblée nationale. La possibilité qui m'est donnée aujourd'hui de m'exprimer devant votre commission constitue un signe très positif mais j'estime qu'il faudrait aussi que les membres de la délégation à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe rendent régulièrement compte des travaux qui ont lieu à Strasbourg auprès des commissions des affaires étrangères et des affaires européennes des deux chambres. J'ai par exemple présenté les conclusions de la mission que j'ai menée à Chypre au nom du Conseil de l'Europe devant la commission des affaires européennes du Sénat. Nos assemblées doivent suivre avec beaucoup d'attention les réformes du Conseil de l'Europe et de son Assemblée parlementaire et la nécessaire évolution de la Cour européenne des droits de l'homme. Ils doivent aussi s'intéresser aux moyens de renforcer la complémentarité entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe en matière de relations internationales et veiller au développement de la diplomatie parlementaire.
Je tiens à souligner une fois encore que le Conseil de l'Europe constitue un instrument exceptionnel en étant un lieu de dialogue entre tous les Etats membres, et donc entre les Etats membres de l'Union européenne et ses voisins de l'Est ainsi que la Turquie. Le secrétaire général du ministère des affaires étrangères est chargé de la mise en oeuvre du volet relatif à l'exécutif de mes propositions, le président Larcher s'est engagé à les appliquer au Sénat et je ne doute pas que le président Mignon saura en assurer la promotion au sein de votre Assemblée.
Je vous remercie pour cet exposé. Vous avez évoqué la réforme du Conseil de l'Europe. Comment la concevez vous ?
L'histoire de la construction européenne a commencé en 1849 avec la formule désormais célèbre de Victor Hugo sur les Etats-unis d'Europe lors du Congrès international de la paix. Un siècle plus tard, le Conseil de l'Europe était créé. La méthode « Schuman » avait pour finalité le service des valeurs, l'Etat de droit, la démocratie et les droits de l'homme. Pour cela les hommes devaient travailler ensemble. Robert Schuman ne faisait qu'appliquer le beau proverbe « si tu veux que ton sillon soit droit, oriente ta charrue vers une étoile ». Les droits de l'homme étant l'étoile et le marché unique la charrue. Mais l'Union européenne s'est focalisée sur le travail et non les valeurs.
La chute du mur de Berlin a joué un rôle important dans la construction européenne. Il convient de rappeler que le secrétaire général du Conseil de l'Europe en 1989 était Catherine Lalumière, une Française. Quelques mois avant la chute du mur, en juillet 1989, Mikhaïl Gorbatchev intervient devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur son projet de « maison commune ». C'était un message très fort. La Douma obtient un statut d'invité spécial et pour la première fois, un vrai dialogue se crée, qui va permettre de préparer les adhésions des pays d'Europe orientale au Conseil de l'Europe mais également l'élargissement de l'Union européenne. Avec leur adhésion au Conseil de l'Europe nos voisins de l'est revenaient à l'essentiel : les valeurs et surtout parmi elles la liberté. Leurs dirigeants actuels ont tous siégé à l'Assemblée parlementaire.
Le fait qu'à l'Assemblée parlementaire nous siégions par ordre alphabétique et non par pays ou groupe politique permet de mieux appréhender la réalité de la Grande Europe.
Que doit être le rôle du Conseil de l'Europe dans l'avenir ? D'une part il doit rester cet espace de dialogue avec notre Est, la Russie notamment mais aussi avec la Turquie sur les grandes questions relatives à la démocratie et les droits de l'homme. L'Union européenne doit déléguer au Conseil de l'Europe certaines missions au lieu de créer des agences thématiques faisant double emploi. La crise financière oblige également le Conseil de l'Europe à recentrer son travail sur les droits de l'homme, la démocratie et l'Etat de droit, en incluant la culture. Certains sujets comme le biotope forestier ne me semblent pas relever des missions du Conseil de l'Europe.
La demande d'adhésion de l'Union européenne à la CEDH permettra une meilleure complémentarité entre les deux organisations. Mais en même temps, lorsque l'Union européenne crée une agence pour l'égalité homme-femme, il y a une contradiction interne. Intelligemment l'agence des droits fondamentaux occupe des créneaux sur lesquels le Conseil de l'Europe n'avait ni les moyens ni le temps de travailler comme les nomenclatures par exemple. Je considère pour ma part que les agences devraient être évaluées au bout de trois ans afin de juger de leur pertinence.
Le travail effectué par la délégation française sous la présidence de Jean-Claude Mignon est important. Les nombreuses interventions de la délégation française et son travail pendant les sessions et les commissions est reconnu par l'ensemble des pays membres. Cette participation française pose parfois des problèmes. Lors de l'audition du Premier ministre turc, alors que sept orateurs français (sur neuf) étaient inscrits, un seul a pu intervenir, alors que le Premier ministre a tenu des propos extrêmement choquants à l'encontre de notre pays. Il faut reconnaître une faiblesse de la présence de la France au plus haut niveau. Le dernier Président de la République venu à Strasbourg était François Mitterrand. Le Conseil de l'Europe a reçu le Premier ministre turc, le Président de la République turc, Angela Merkel entre autres. Cette absence de représentation au plus haut niveau est regrettable.
Concernant l'évolution du Conseil de l'Europe il convient de s'interroger sur certaines institutions comme le congrès des pouvoirs locaux et régionaux. Ne faudrait-il pas faire un audit comme pour les agences de l'Union européenne ? Le problème de moyens est essentiel : le Conseil de l'Europe a de plus en plus de responsabilités mais les moyens ne suivent pas.
Le Secrétaire général et le Président de l'Assemblée ont été reçus à Paris. Il faudrait maintenant que les personnalités françaises aillent à Strasbourg. Il ne faut pas oublier que grâce au Conseil de l'Europe 47 ambassades sont présentes à Strasbourg.
En 2000 a été institué un Commissaire européen aux droits de l'homme, personnalité indépendante, élue par l'Assemblée parlementaire. Il faudrait considérer que ce commissaire aux droits de l'homme pour les 47 pays membres du Conseil de l'Europe l'est aussi pour les 27 pays de l'Union européenne. Cela aurait aidé lors de l'affaire des Roms. J'aimerais revenir sur le recentrage sur le « coeur de métier » du Conseil de l'Europe qui permettrait également de faire des économies. La CEDH ayant des besoins financiers importants, ce sont les autres institutions qui voient leurs moyens diminuer et cela n'est pas souhaitable.
Je remercie M. Badré pour son intervention. Depuis que je suis membre du Conseil de l'Europe, j'ai découvert ce lieu de diplomatie où les parlementaires travaillent ensemble au-delà des différentes nationalités et clivages politiques.
Au sein de la délégation française, les divergences sont rares car l'intérêt de la France est placé au premier plan. Les contacts avec les autres délégations sont extrêmement riches.
Je profite de l'occasion pour faire part de mon regret de voir disparaître l'UEO, lors de sa dernière session, le 9 mai prochain. Il faut absolument trouver, au niveau inter parlementaire, un nouvel endroit de discussion pour les sujets touchant à la sécurité et à la défense.
Je tiens à souligner le fait que la délégation française a voulu montrer, depuis notamment que M. Jean-Claude Mignon en assure la présidence, que la France était très impliquée au sein du Conseil de l'Europe. Nous arrivons à pouvoir peser sur les ordres du jour et sur l'agenda des travaux. Au cours des derniers mois, nous avons eu l'occasion de travailler sur des sujets de fonds extrêmement importants.
Je suis en train de préparer un rapport sur l'universalité des droits de l'homme et il me semble important, dans le monde dans lequel nous vivons, de faire très attention à une relativisation des droits de l'homme pour des raisons régionales ou religieuses. Il faut une réflexion de fonds sur le sujet.
Je veux également citer le thème du dialogue interreligieux sur lequel nous avons débattu une journée complète lors de notre dernière session. Nous avons pu, à cette occasion, avoir un véritable débat sur les questions de laïcité. Cette journée avait été introduite par les interventions de cinq responsables religieux, un catholique, un protestant, un orthodoxe, un juif et un musulman devant 300 parlementaires du Conseil de l'Europe. L'intervention de ces cinq dignitaires religieux a été exceptionnelle. Il n'existe pas, en Europe, d'autre lieu susceptible et capable d'organiser ce genre de débats.
Je m'associe totalement à ce qui vient d'être dit. Je tiens toutefois à faire part d'un bémol relatif à la situation du siège du Conseil de l'Europe à Strasbourg. Tous mes collègues qui se rendent au Conseil de l'Europe sont confrontés à d'énormes difficultés d'accès. La plupart des lignes aériennes régulières passent par Bâle. Il est à craindre une progression des revendications pour le transfert des institutions siégeant à Strasbourg vers Luxembourg ou Bruxelles. Il est urgent que la France prenne réellement conscience de l'importance du rôle que joue Strasbourg, mais aussi que les difficultés d'accès risquent, à terme, de poser de sérieux problèmes.
La construction européenne a débuté autour de la réconciliation franco-allemande et symboliquement autour de la cathédrale de Strasbourg. La menace qui pèse sur les sessions du Parlement européen qui se tiennent à Strasbourg est réelle ; toutefois, le Conseil de l'Europe est moins directement concerné dans la mesure où il n'a qu'un siège unique.
Je suis député alsacien et déplore tout autant la difficile accessibilité de Strasbourg. Le TGV dessert désormais la ville, mais depuis, Air France a totalement délaissé la desserte locale.
J'ajoute que les conditions d'accueil, à l'aéroport de Strasbourg, de nos collègues étrangers, sont déplorables.
Notre pays ne sait pas valoriser les associations internationales dont le siège se trouve en France (Unesco, OCDE et Conseil de l'Europe).
Je remercie M. Denis Badré d'avoir bien voulu venir présenter son rapport devant notre commission.
La séance est levée à dix-huit heures.