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Intervention de Denis Badré

Réunion du 3 mai 2011 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Denis Badré :

C'est un honneur d'avoir la possibilité de m'exprimer devant votre commission des affaires étrangères. Je tiens à saluer la présence de ma collègue Maryvonne Blondin, ainsi que de députés membres de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et du président de la délégation française, M. Jean-Claude Mignon. Leur présence à mes côtés est le reflet de l'excellent travail que députés et sénateurs mènent en commun au sein de la délégation.

A l'origine de la réflexion que j'ai conduite, à la demande du Premier ministre, réside le constat de la très faible participation des Etats membres de l'Union européenne aux travaux du Conseil de l'Europe. Celui-ci n'est pas considéré comme le lieu de la construction européenne et la faible participation des représentants des Etats membres de l'Union européenne conduit à une forme de surreprésentation des vingt autres Etats membres du Conseil de l'Europe, au premier rang desquels la Russie et la Turquie. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation.

J'ai observé que la France adoptait trop souvent une attitude défensive vis-à-vis du Conseil de l'Europe dont elle craint les critiques, que celles-ci portent sur l'interdiction du voile intégral, la question de l'indépendance du parquet ou le traitement réservé aux populations rom. Il est très important que la France, ainsi que tous les autres Etats membres de l'Union européenne, soient présents et actifs au sein du Conseil de l'Europe pour attester du fait que celui-ci reste porteur des valeurs qui ont présidé à la construction européenne. Ceci est particulièrement nécessaire dans le contexte international actuel.

La réflexion que m'a confiée le Premier ministre vise à améliorer l'implication de la France dans les travaux du Conseil de l'Europe dans le contexte du débat sur le rôle respectif de ce conseil et de l'Union européenne. Les travaux que j'ai menés m'ont amené à mesurer l'importance des attentes de la France et de l'Union européenne vis-à-vis du Conseil de l'Europe, mais aussi celle du Conseil de l'Europe vis-à-vis de la France et de l'Union européenne. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec un grand nombre de personnalités de haut niveau parmi lesquels les présidents de la commission des affaires étrangères et de la commission des droits de l'homme du Parlement européen, M. Alexandre Orlov, actuel ambassadeur de Russie en France qui était auparavant le représentant permanent de la Russie auprès du Conseil de l'Europe, les représentants de la Turquie qui préside actuellement le comité des ministres et dont un député est à la tête de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. J'ai naturellement rencontré le secrétaire général du Conseil, un ancien Premier ministre norvégien qui a exprimé la volonté de recentrer l'activité du Conseil de l'Europe sur le noyau de ses compétences, qui est constitué par l'Etat de droit, les droits de l'homme et la démocratie. Ce recentrage est à articuler avec le projet de réforme de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, sur lequel le président Mignon a été nommé rapporteur, et avec le débat animé sur les relations entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe.

Sur ce dernier point, mon rapport au Premier ministre présente une analyse détaillée des questions que pose l'éventuelle adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'homme. J'y souligne aussi les problèmes nés de la création récente, à Vienne, de l'Agence des droits fondamentaux, dont les compétences empiètent incontestablement sur celles du Conseil de l'Europe. J'ai déjà eu l'occasion de critiquer le phénomène « d'agenciarisation » de l'Union européenne, qui s'avère particulièrement coûteux. Le fonctionnement de cette seule agence coûte 20 millions d'euros par an, contre 14 millions d'euros pour celui de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Dans mon rapport, je formule des propositions précises sur la coordination qu'il conviendrait de mettre en place entre les deux structures.

Les questions de fond abordées au sein du Conseil de l'Europe sont fondamentales et font l'objet de débats qui ne pourraient pas se dérouler ailleurs. Tels sont par exemple les cas des tensions dans le Caucase, où se sont affrontés deux Etats, la Georgie et la Russie, qui s'étaient pourtant engagés, dans le cadre du Conseil de l'Europe, à régler tout différend par la voie du dialogue, de l'évolution des Balkans, actuellement marqués par l'affaire des présomptions de trafic d'organes au Kosovo, dénoncée par un rapport de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, ou de la situation en Biélorussie.

Le Conseil de l'Europe a aussi un rôle important à jouer dans le partenariat oriental de l'Union européenne, tous les Etats concernés étant membres du Conseil, et dans les relations euro-méditerranéennes. J'ai présenté il y a quelques temps un rapport sur la politique de voisinage du Conseil de l'Europe en direction de la Méditerranée, qui mettait l'accent sur le caractère central du retard démocratique des pays du sud. J'ai proposé que l'Union européenne confie au Conseil de l'Europe le volet de l'Union pour la méditerranée consacré à la promotion des valeurs démocratiques, dans la mesure où, d'une part, cela permettait à l'Union de se concentrer sur les autres volets et que, d'autre part, cela revenait à confier les efforts en faveur de la démocratisation à des spécialistes de ce processus. Cette proposition a conduit à l'élaboration du « partenariat pour la démocratie » qui est actuellement mis en oeuvre avec le Maroc. Les événements récents démontrent la pertinence de mon analyse et doivent conduire à une évolution de ce partenariat pour faire face aux défis auxquels sont désormais confrontés les Etats arabes qui ont fait leur révolution. La commission de Venise va notamment les aider à élaborer leur constitution. Pour certains de ces Etats, il est plus facile de discuter avec le Conseil de l'Europe qu'avec ces Etats qui ont joué un rôle particulier dans leur histoire ou qui ont pris des positions contestées pendant les récents événements. Je signale en outre que les interventions du Conseil de l'Europe donnent un cadre aux initiatives que la Turquie serait, sans lui, amenée à prendre de manière isolée.

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est un lieu unique de dialogue entre les parlementaires nationaux des 47 Etats membres. Elle a une vraie vie de parlement à l'occasion de ses quatre sessions annuelles et de ses réunions de commissions. Une partie des représentants des parlements d'Etats membres de l'Union européenne participe aussi aux travaux de la COSAC, ce qui contribue à la constitution d'un réseau de parlementaires des Etats membres de l'Union européenne au sein des parlementaires des Etats membres du Conseil de l'Europe.

Ma réflexion m'a conduit à formuler 47 propositions – autant que d'Etats membres du Conseil de l'Europe ! – pour renforcer l'implication de la France dans les travaux de ce Conseil. Certaines concernent le pouvoir exécutif, qui doit améliorer la préparation des sessions de l'Assemblée parlementaire et faire en sorte que les experts envoyés auprès du Conseil aient des instructions précises et cohérentes avec celles qui sont défendues au sein de l'Union européenne. En ce qui concerne le volet parlementaire de mes propositions, elles visent principalement à donner davantage d'écho au travail accompli à Strasbourg au sein du Sénat et de l'Assemblée nationale. La possibilité qui m'est donnée aujourd'hui de m'exprimer devant votre commission constitue un signe très positif mais j'estime qu'il faudrait aussi que les membres de la délégation à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe rendent régulièrement compte des travaux qui ont lieu à Strasbourg auprès des commissions des affaires étrangères et des affaires européennes des deux chambres. J'ai par exemple présenté les conclusions de la mission que j'ai menée à Chypre au nom du Conseil de l'Europe devant la commission des affaires européennes du Sénat. Nos assemblées doivent suivre avec beaucoup d'attention les réformes du Conseil de l'Europe et de son Assemblée parlementaire et la nécessaire évolution de la Cour européenne des droits de l'homme. Ils doivent aussi s'intéresser aux moyens de renforcer la complémentarité entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe en matière de relations internationales et veiller au développement de la diplomatie parlementaire.

Je tiens à souligner une fois encore que le Conseil de l'Europe constitue un instrument exceptionnel en étant un lieu de dialogue entre tous les Etats membres, et donc entre les Etats membres de l'Union européenne et ses voisins de l'Est ainsi que la Turquie. Le secrétaire général du ministère des affaires étrangères est chargé de la mise en oeuvre du volet relatif à l'exécutif de mes propositions, le président Larcher s'est engagé à les appliquer au Sénat et je ne doute pas que le président Mignon saura en assurer la promotion au sein de votre Assemblée.

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