Cette audition portant sur l'affrètement stratégique aérien et naval se déroule en présence de Mme Françoise Saliou, conseillère maître à la Cour des comptes, et de M. Olivier Brochet, rapporteur.
Les rapporteurs de la Mission d'évaluation et de contrôle, M. Bernard Cazeneuve et M. Louis Giscard d'Estaing, sont issus de commissions et de groupes politiques différents, afin que leurs préconisations rencontrent l'assentiment général de l'Assemblée nationale.
Au sein du Centre multimodal de transport (CMT), je conduis les opérations. Le général Patrick Huguet est chargé du contrat de partenariat d'État des navires rouliers ; le général Girier est responsable de l'acquisition des avions ; le colonel Laurent Chaput et le colonel Jean Rondel travaillent sur la partie capacitaire et la politique de transport.
Depuis les décrets de 2005 et de 2009, le chef d'état-major des armées est responsable de la conduite des opérations. Le Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) détermine leur économie générale, ainsi que le volet logistique qui y est associé. Organisme interarmées, le CMT a la tutelle sur les trois modes d'acheminement : aérien, maritime et de surface. Il assure la planification et la programmation, l'exécution des mouvements dépendant des trois centres de conduite.
Depuis décembre 2010, le Commandement du transport aérien européen (EATC, European Air Transport Command) implanté à Eindhoven, rassemble les moyens aériens de la France, de l'Allemagne et des Pays-Bas, en attendant ceux de la Belgique. Il prend en compte nos besoins et assure la conduite des opérations aériennes.
Le Centre de conduite du transit maritime (CCTM), situé à La Rochelle, assure les transports maritimes au moyen de trois navires rouliers affrétés à l'année. Ceux-ci sont appelés RoRo (roll onroll off) parce que les véhicules y entrent et en sortent en roulant.
Les transports de surface sont gérés par le centre de Montlhéry, commun à l'armée de l'air et à l'armée de terre. Il me consacre un quart de son temps.
Le CMT est responsable de l'acheminement stratégique. Pour les opérations ou pour le prépositionnement de nos forces, nous assurons le transport depuis le point de la métropole où est basée la ressource, par exemple Châteauroux, jusqu'au territoire concerné, comme Kaboul ou N'Djamena. Sur place, le commandant de théâtre est responsable des acheminements internes.
Quand nous recevons une demande, nous l'étudions en envisageant les trois modes de transport, entre lesquels nous choisissons en fonction de l'urgence. Par ailleurs, nous privilégions les moyens patrimoniaux. Ainsi, pour la voie aérienne, nous préférons utiliser nos cinq Airbus, nos Transall et nos C-130, n'affrétant un appareil que si nécessaire. Pour la voie maritime, les bâtiments de guerre de la marine ne se chargent pas de transport régulier, même s'ils peuvent, en cas de besoin, effectuer des transports opérationnels. Nous utilisons donc les trois navires affrétés à l'année. Le transport de surface, qui est utilisé vers l'Afghanistan, emprunte la voie ferrée. Mais le trajet, au départ de la Lituanie et à travers l'Asie centrale, rencontre des problèmes liés au transit ou à la traversée des frontières. Il est long, compliqué et réservé au fret non sensible.
En 2010, nous avons transporté 133 000 passagers, dont 99 % à bord de nos cinq Airbus, ainsi que 82 000 tonnes de fret. Les Airbus A340, qui seuls peuvent aller en Afghanistan, y effectuent la totalité des transports et des relèves. Ils assurent aussi tous ceux des compagnies tournantes en Afrique et dans les départements et territoires d'outre-mer. La capacité de ces Airbus est pleinement employée au transport des militaires. Sur les 82 000 tonnes de fret, 60 % ont été transportées par voie maritime, 29 % par voie aérienne et 11 % par voie de surface.
Pour la voie maritime, il existe des lignes régulières vers la côte ouest de l'Afrique, les Antilles-Guyane-Pacifique et l'Océan indien. Des ruptures de charge permettent de réduire les coûts, ce qui est notre souci permanent. Ainsi, le fret vers l'Afghanistan est transporté par navire jusqu'aux Émirats arabes unis (EAU), puis par avion. Le transport externalisé d'un conteneur de vingt pieds standard depuis la France représente environ 27 000 euros en acheminement direct, mais seulement 19 000 euros avec une rupture de charge aux EAU et moins de 4 000 euros par voie de surface. Cependant, l'acheminement par mer jusqu'à Karachi, puis par voie routière à travers le Pakistan reste difficile. L'an dernier, les Talibans ont attaqué plusieurs convois, notamment de carburants. Cette voie ne peut donc être utilisée que pour 20 % du fret, à l'exclusion du transport d'armement, de munitions ou de denrées périssables.
Le trafic aérien est assuré à 38 % par nos avions – Transall, C-130 et CASA 235 – pour l'acheminement inter-théâtre. Le reste est effectué par voie aérienne externalisée, majoritairement dans le cadre du contrat SALIS (Strategic Air Lift Interim Solution), liant une agence de l'OTAN, la NAMSA (Nato Maintenance and Supply Agency), à plusieurs pays. Il est assuré par Antonov 124. Pour garantir un flux quotidien vers l'Afghanistan, où séjournent environ 4 000 de nos hommes, un commissionnaire en transport est chargé de déterminer le moyen approprié de transporter tel fret en urgence ou en routine. Le fret encombrant, qui ne peut être palettisé, est transporté par Iliouchine 76, qui, pour charger ou décharger, n'exige aucun moyen aéroportuaire. En revanche, le fret palettisé, notamment les vivres frais, peut être acheminé à moindre coût par un avion-cargo comme le Boeing 747 cargo. Ces divers moyens nous permettent de remplir notre mission.
Le contrat SALIS court jusqu'en 2012, mais notre partenaire le jugeant peu rentable eu égard au coût des heures de vol, a annoncé l'an dernier qu'il souhaitait se désengager. Le volume d'heures SALIS est ainsi tombé de 1 200 à 550. Pour compenser l'écart, nous avons proposé à l'état-major des armées de passer un nouveau marché. Le contrat a été remporté par la société ICS, qui utilise tout type d'avions, Antonov 124, Iliouchine 76, Airbus A300, Boeing 747 et C 130, en fonction de la charge à transporter.
En cas de besoin inopiné, un marché d'affrètement peut être conclu à très courte échéance, grâce à un contrat cadre qui inclut sept compagnies. En cinq à six jours – le temps d'obtenir les autorisations de survol –, elles peuvent affréter un avion. Un autre marché nous permet, si besoin, d'affréter un porte-conteneurs.
Est-ce en raison d'un déficit capacitaire ou pour réaliser des économies qu'on recourt à l'externalisation ?
L'armée a choisi de ne pas posséder de navires marchands. Or, s'ils peuvent effectuer du transport opérationnel, les bâtiments de la marine ont une activité opérationnelle trop dense pour se charger des transports réguliers. C'est ce qui explique le recours à l'affrètement maritime.
Il en va de même pour le trafic aérien. L'armée n'a pas voulu se doter de l'Antonov 124, nécessaire pour transport le hors-gabarit, ou de C-17. L'externalisation relève donc d'une décision délibérée.
À terme, même si nous disposons d'une capacité suffisante en A400M et en MRTT (Multi Role Tanker Transport), nous aurons toujours besoin d'un volume incompressible de 350 heures de vol d'Antonov 124 par an pour le fret hors gabarit. Pour l'heure, puisque le « tuilage » entre l'A-400M et le Transall a pris du retard, l'externalisation est un choix qui permet de pallier le déficit capacitaire.
N'ayant pas choisi d'acquérir d'AN-70 ou de C-17, nous attendons avec impatience d'être dotés de l'A-400M, qui apportera une réponse appropriée. Quand nous avons lancé ce programme, les besoins émergeaient dans le cadre des projections à long rayon d'action. Ils se sont précisés ensuite. Pour l'instant, nous n'avons pas d'autre choix que de recourir à l'externalisation au travers de contrats comme SALIS, qui nous a permis de couvrir les besoins d'engagement sur les théâtres d'opération.
L'externalisation se justifie donc essentiellement par des considérations capacitaires et opérationnelles. Quelle part du transport, tous types confondus et par type de transport, s'effectue en régie et par externalisation ?
Le fret maritime est entièrement externalisé. Le fret aérien est externalisé à 57 %, 38 % étant transporté par nos vecteurs patrimoniaux et 5 % par des appareils étrangers dans le cadre du protocole ATARES (protocole d'échange de services de transport aérien et de ravitaillement en vol).
Nous utilisons également les voies maritimes commerciales pour assurer un flux logistique régulier, par exemple vers l'Afrique, le Liban ou la Guyane, où nous envoyons environ un navire tous les six mois. Pour acheminer régulièrement un conteneur avec la logistique appropriée, nous avons passé des marchés permettant certaines économies. Il y a quelques années, nous affrétions vers la Guyane trois navires par an, qui n'étaient pas toujours totalement remplis. Nous n'en envoyons plus que deux, en utilisant en complément les voies maritimes commerciales.
En somme, vos choix sont dictés par l'incapacité dans laquelle vous êtes parfois de recourir à des moyens patrimoniaux. Y a-t-il des missions qui figurent dans votre coeur de métier et dont l'externalisation peut poser problème ?
Pour la partie aérienne, dès lors que nous disposerons de l'A-400M et du MRTT, nous serons moins sensibles aux aléas de la voie externalisée. Cela dit, en trois ou quatre ans, pendant lesquels l'acheminement du fret vers l'Afghanistan a été vital pour nos troupes, nous ne nous sommes jamais retrouvés ni en rupture ni en déficit de contrat SALIS. Je ne pense pas qu'une rupture capacitaire soit à craindre, compte tenu de la demande croissante de tels avions au niveau mondial, et du besoin de toutes les compagnies qui les affrètent de fiabiliser et de conforter le marché. Cependant, pour être certains de disposer d'un avion SALIS à la date donnée, nous le réservons généralement avec au moins un mois d'avance, alors que le délai contractuel est de vingt jours. Nous serons plus réactifs quand nous recourrons à des ressources patrimoniales.
Les événements survenus récemment en Libye et en Côte-d'Ivoire montrent que le Gouvernement peut décider d'une opération en quelques heures. Les modalités de mobilisation des moyens dont vous disposez sont-elles compatibles avec les exigences d'un monde instable, où les interventions sont rapides ?
Il serait plus confortable de disposer de l'A-400M et du MRTT. Cela dit, dans le contexte que vous évoquez, tous les moyens ont été mobilisés pour répondre aux besoins. L'EATC nous a permis de disposer d'un DC10 néerlandais pour transporter des passagers. À terme, le transport aérien européen permettra de rassembler des moyens plus importants pour faire face aux besoins urgents et ponctuels.
Pour desservir la Côte-d'Ivoire, nous aurions pu affréter des avions en urgence, mais ceux-ci, ne pouvant atterrir à Abidjan, auraient dû se poser par exemple à Lomé, dans un pays voisin et stable, le transport intra-théâtre restant à assurer. Les moyens patrimoniaux nous permettront de nous rendre directement sur le théâtre, une fois le terrain sécurisé.
Le contrat SALIS peut paraître risqué, au sens où il fait appel à des aéronefs de compagnies russes et ukrainiennes ; mais il offre une large palette de procédures d'accès aux aéronefs en termes de volume de moyens et de délais. La procédure normale permet de disposer de deux avions sous vingt et un jours. Les nations bénéficient, en outre, d'un dispositif d'activation garantissant l'accès en urgence, sous soixante-douze heures, à deux appareils, pour des besoins nationaux ou communs à d'autres nations du programme. Si l'opération s'effectue dans le cadre de l'Union européenne ou de l'OTAN, elles peuvent disposer de six appareils entre soixante-douze heures et neuf jours.
Nous avons utilisé des Antonov d'une compagnie ukrainienne en soutien des opérations que nous menions en Libye et que la Russie n'avait pas approuvées. Au cours des cinq dernières années, le gouvernement de la Russie ou de l'Ukraine n'a jamais tenté de s'ingérer dans l'utilisation que les sociétés commerciales, qui jouissent d'ailleurs d'une certaine influence auprès des autorités politiques locales, font de leurs appareils. Leur aptitude à satisfaire les besoins de leurs clients paraît donc garantie.
Depuis dix ans, comment le coût annuel de l'externalisation du transport stratégique a-t-il évolué ? Quels bénéfices a-t-on retiré de la mise en place de la base navale des Émirats arabes unis en vue d'intervenir sur le théâtre afghan ?
Le CMT, créé en 2007, a la main sur les trois modes de transport depuis 2009. Depuis 2006, les heures de vol SALIS sont un important facteur de dépenses pour la voie externalisée. Leur coût, fixé de manière contractuelle, est en partie fixe et en partie lié au prix du carburant. Les besoins opérationnels évoluent également. En 2008, du fait de l'envoi en Afghanistan d'un Groupement tactique interarmes (GTA) supplémentaire et de l'engagement de l'EUFOR (force de l'Union européenne) au Tchad, nous avons consommé 1 700 heures de SALIS, contre 1 350 en 2009 et 1 230 en 2010. Pour 2010, la partie externalisée correspond à 85 millions d'euros pour l'aérien, le maritime et la voie de surface. Pour la seule voie aérienne, le montant du contrat SALIS atteint 29 millions.
Le marché maritime est extrêmement fluctuant. Comme dans tous les marchés de niche, des effets de bascule peuvent être produits par de faibles variations. En outre, le prix du pétrole a fortement augmenté. Les contrats actuels peuvent évoluer de 5 à 10 % par an pendant toute leur durée.
Les conditions dépendant du moment de leur signature, 2010 aurait été une bonne année pour les renouveler : du fait de la situation du commerce mondial, les bateaux ne trouvaient pas preneur et les taux d'affrètement étaient intéressants. Il n'est pas impossible que la donne ait évolué de 20 à 30 % quand nous renégocierons les contrats.
On se souvient que, lors de la crise irakienne, quand les prix ont triplé en moins de quinze jours, il n'aurait pas été possible de se rendre dans la région : il n'y avait plus aucun roulier disponible.
On voit à quel point il est difficile de parler de tendance du marché maritime. Depuis que nous réfléchissons au projet de partenariat pour améliorer la capacité opérationnelle de projection française, nous avons connu quatre cycles de très forte hausse suivie d'une très forte baisse. Nous terminons un cycle de forte baisse, et les taux d'affrètement repartent à la hausse. La notion de moyenne n'a donc pas grand sens.
L'an dernier, le coût d'affrètement pur des trois navires rouliers a représenté 14,5 millions d'euros, auxquels il faut ajouter les coûts variables, principalement le prix du carburant, qui représentent 10 millions d'euros. Pour 2010, le total se situe aux alentours de 25 millions. Il était compris entre 20 à 25 millions pour les années précédentes.
Pour évaluer les besoins capacitaires liés à chaque opération, il faut distinguer, année par année, le déficit permanent, en partie imputable à l'attente de l'A-400M, et les besoins liés à un engagement précis : retrait, redéploiement ou création d'un nouveau GTIA (Groupement tactique interarmes). C'est ce qui me permettra, en tant que Rapporteur spécial compétent pour le budget des OPEX, d'identifier leur surcoût.
La France utilise-t-elle de manière équilibrée le protocole ATARES, qui prévoit, au niveau de l'OTAN, l'échange d'heures de vol ? Est-elle toujours demandeuse ou fournit-elle aussi des heures, quand ses capacités se révèlent excédentaires ?
Depuis que nous avons la main sur l'ensemble des modes de transport, nous optimisons les moyens. L'an dernier, sur les trois navires rouliers, la planification de l'activité a permis de réaliser neuf mois de mise hors-charte, soit un million d'économies. La branche Guyane-Pacifique étant coûteuse en jours de mer, nous avons supprimé une rotation en compensant par la voie commerciale, également pour le transport des munitions.
Créé en 2001, le protocole ATARES constitue une bourse d'échange pour les heures d'avion et de ravitailleur. Récemment, les Pays-Bas devaient emmener du personnel pour effectuer un exercice en Alaska. Leurs DC-10 ne pouvant effectuer la totalité de l'opération, un de nos Airbus 340 les y a aidés, en échange d'une rotation en DC-10 sur Dakar. ATARES est devenu l'unité de compte de l'EATC. Des missions peuvent être assurées par les Transall allemands, plus nombreux et moins utilisés que les nôtres. Pour équilibrer sa balance, la France dispose d'un atout : elle est seule à posséder des avions ravitailleurs, ce qui la conduit à effectuer du ravitaillement en vol pour l'Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas. Au 31 mars 2011, une fois comptabilisées les prestations croisées de transport, de ravitaillement et de prise en charge partielle d'un chargement, nous disposions d'un crédit de 244 heures. Nous veillons d'ailleurs à ce que notre solde ne soit jamais négatif. Le protocole est donc équilibré.
J'en viens à une question que nous avons déjà posée au président du GIFAS (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales) et au ministre de la Défense. Sachant que, pour les ravitailleurs, le programme MRTT est repoussé au plus tôt en 2017, comment sera financé le contrat opérationnel, dans un contexte budgétaire marqué par la suppression de 54 000 emplois, les interrogations qui entourent les recettes exceptionnelles et la décision, il y a quelques mois, de taxer de 3,5 milliards d'euros le budget de la Défense ?
Les Britanniques ont choisi de passer avec des entreprises privées un contrat de vingt-sept ans. Sans être particulièrement favorable à cette stratégie, j'aimerais savoir si vous avez eu des retours à son sujet. Vous semble-t-elle pertinente ?
L'externalisation, qui est dictée par des contraintes capacitaires d'autant plus importantes que le budget est serré, est-elle plus ou moins onéreuse que l'acquisition d'un matériel d'occasion ou de transition, qui permettrait d'effectuer le transport de manière patrimoniale ? Comparez-vous systématiquement le coût des deux solutions ?
Pour les ravitailleurs, le pilotage du programme MRTT est effectué en liaison avec la direction générale de l'Armement, qui a exploré toutes les hypothèses, du CPE à l'acquisition d'avions neufs ou de deuxième main. L'instruction se poursuit, mais l'orientation patrimoniale s'impose, car les ravitailleurs font partie de la mise en oeuvre de la mission de dissuasion, qui appartient à notre coeur de métier.
Nous dialoguons avec les Britanniques au sujet du contrat FSTA (Future Strategic Tanker Aircraft) pour envisager des synergies. Différentes options sont possibles, mais il faut poser le problème de la mission de dissuasion, dont dépend notre souveraineté.
Non, car ils ne mettent pas en oeuvre de composante nucléaire pilotée. La discussion se poursuit. Nous explorons aujourd'hui les aspects financiers et budgétaires du problème.
Les discussions avec les Britanniques portent sur une partie de la capacité, l'autre devant être totalement à notre disposition pour que nous puissions exercer notre mission de dissuasion aéroportée. Le MRTT étant multirôle, les comparaisons portent sur les missions de ravitaillement en vol et le transport de passagers, les besoins français incluant même le transport de fret avec des avions modifiés à cette fin. Cette capacité ne sera pas détenue par le Consortium britannique, qui offre à la Royal Air Force les heures de vol d'A330 transformés en ravitailleurs.
Compte tenu du montage du PFI (Private Finance Initiative) FSTA, le coût de l'heure de vol est élevé. Après discussion, il excède encore celui du service à capacité identique qu'offrirait un MRTT, voire le coût de fonctionnement actuel de nos C-135. Tous les aspects du problème doivent être pris en compte, y compris le fait que ces avions et leur équipage sont britanniques et que leur mise à disposition dans tous les cas pour les opérations françaises reste à définir. Les assurances que nous avons obtenues à cet égard sont assez vagues.
Au-delà du problème financier, nous étudions avec attention les conditions qui entoureraient leur mise à disposition dans le cadre des opérations conduites par la France, ainsi que les conditions de rappel imposées par la partie britannique, qui entend utiliser ces appareils chaque fois qu'elle en aura besoin, indépendamment des engagements français.
Les phases préparatoires du projet de partenariat sur les navires rouliers comprennent une étude de faisabilité et la rédaction d'un rapport d'évaluation. Dans ce cadre, au deuxième semestre 2007, nous avons comparé trois scénarios. Le premier consistait à poursuivre les affrètements actuels et à chercher sur le marché les compléments nécessaires en cas de projection. Le deuxième reposait sur le leasing de navires, mais sans équipage, puisque la politique des ressources humaines des armées exclut de les doter d'équipages militaires. Le troisième était le contrat de partenariat. Au vu des chiffres obtenus alors, la dernière solution permettait une économie de plus de 10 % en euros courants et d'environ 9 % en valeur actuelle nette, notre calcul l'établissant à 6 ou 7 % sur vingt-cinq ans. Pour la proposition intermédiaire, les chiffres obtenus à l'époque correspondent pratiquement à l'offre que les industriels nous font aujourd'hui. En 2007, nous avons estimé que la poursuite du système actuel en euros courants, cumulée sur vingt-cinq ans, coûterait un peu plus de 1 400 millions d'euros, contre plus de 1 500 pour la solution patrimoniale et 1 200-1 250 millions pour le CPE.
Oui. Cette étude a été validée par l'organisme expert du ministère de la Défense, « filiale » de la mission d'appui aux partenariats public-privé (PPP) du ministère des finances. Nous avons alors été autorisés à lancer le projet. Pour autant, la situation ayant considérablement évolué dans le domaine maritime, le coût final n'est pas garanti.
Quelques questions plus particulières sur les deux Airbus A340 prévus en location avec option d'achat (LOA), sur lequel s'est penchée la Cour des comptes. Seront-ils toujours utiles quand les MRTT seront disponibles ? Une clause de sortie de la LOA a-t-elle été prévue ? Le contrat de location avec option d'achat passé sur ces appareils a-t-il été choisi ou est-il induit par des contraintes budgétaires ? Quels sont le coût actuel annualisé de la location et le montant total des dépenses constatées entre le début du contrat et le 31 décembre 2010 ? À quel moment pourra-t-on utiliser l'option d'achat ? Quelle valeur résiduelle faudra-t-il débourser ? L'opération sera-t-elle intéressante ?
Le programme MRTT doit permettre à terme d'harmoniser et d'optimiser notre flotte de ravitailleurs et de transport stratégique. Les quatorze MRTT ont vocation à remplacer les quatorze C-135 et les cinq avions stratégiques, c'est-à-dire les trois A310 et les deux A340. Compte tenu du problème capacitaire, il faudra retirer les A340 au moment opportun. Le programme A340 a été lancé dans une perspective de transition, entre le retrait des DC8, qui étaient en bout de course, et l'arrivée des MRTT. Le coût des maintiens en condition opérationnelle (MCO) était de plus en plus difficilement maîtrisable. Air France Industries (AFI) n'avait plus intérêt à soutenir ces appareils, ni à maintenir certaines équipes uniquement pour l'armée de l'air française. Par ailleurs, il devenait impossible d'entraîner les équipages, puisque les simulateurs DC8 ont dû fermer en 2003. Pour sortir de l'impasse, il fallait adopter un système transitoire.
Le programme A340 vise à maîtriser deux risques. Le premier tient au fait que l'aboutissement du programme MRTT, prévu pour 2011, lors du lancement du programme A340, est aujourd'hui repoussé en 2017. Nous savions d'ailleurs qu'il s'inscrirait dans une perspective budgétaire difficile et que sa mise en place entraînerait des retards. L'autre risque tient à la nécessité de retirer rapidement les DC8, ce qui suppose de trouver une solution de remplacement sur le plan capacitaire.
Pour l'utilisation des A340, différentes options ont été étudiées. La location avec option d'achat s'intégrait plus facilement aux perspectives budgétaires, mais ce n'était pas son seul atout : la nécessité de pallier immédiatement l'attente du MRTT a été décisive.
Nous louons deux A340 que nous utilisons environ 2 000 heures par an, le temps de vol moyen annuel par appareil étant, dans une entreprise civile, de 4 000 heures. Le recours à un matériel neuf ne se justifiait pas, puisque les appareils de deuxième main répondent parfaitement aux besoins. Le mode d'action conduisait à un flux financier annuel de 28 à 30 millions d'euros, qui a trouvé sa place dans le contexte budgétaire envisagé. La décision résulte donc d'un choix conditionné par l'urgence des besoins et par les contraintes budgétaires. Je vous transmettrai le tableau des dépenses réalisées sur le programme A340 depuis 2005. Elles étaient de 1 million d'euros la première année et se sont aujourd'hui stabilisées entre 28 et 30 millions.
Si, à l'origine, on pouvait envisager de se dégager du programme A340 à l'horizon de 2015, il faut aujourd'hui reconsidérer ces perspectives du fait du retard du programme MRTT. Tel est l'objet des analyses capacitaires qui accompagnent la révision de la version actualisée du référentiel (VAR) et de la loi de programmation militaire (LPM). Sur les trois possibilités initialement prévues pour lever l'option d'achat à cinq, sept ou neuf ans, seule l'année 2015 reste accessible, avec un coût de 6 millions d'euros par appareil. Cette piste est étudiée par l'état-major des armées. Compte tenu du programme MRTT, l'armée de l'air souhaiterait acquérir ces appareils pour les utiliser jusqu'en 2022, date à laquelle ils seraient retirés du service.
Oui, nous nous trouverions dans une impasse capacitaire entre 2015 et 2017, en admettant que le premier MRTT arrive effectivement à cette date et qu'il ait pu être procédé à la transformation des équipages et à la mise en place du soutien, puisque la prise en compte des caractéristiques de l'appareil peut demander un ou deux ans.
Nous avons compris le raisonnement de nos armées : la location avec option d'achat des A340 a paru le moyen d'éviter qu'une rupture capacitaire n'obère nos interventions sur certains théâtres d'opération, puisqu'il était impossible de financer immédiatement le MRTT. Cependant, quand le ministre de la Défense nous a exposé les réflexions en cours concernant l'absorption des 3,5 milliards de taxation supplémentaire décidée l'an dernier, il a cité le programme MRTT comme l'un des premiers qui pourraient être concernés par un étalement. Les chiffres que vous citez incluent-ils la totalité des dépenses engendrées, notamment le surcoût induit par l'étalement des programmes, l'allongement de la durée de location des appareils et l'obligation de lever l'option d'achat ?
Pour desserrer l'étau budgétaire, on peut aussi partager la pénurie avec d'autres. Tel est l'objet de l'accord franco-britannique qui, outre des aspects opérationnels, comporte aussi une dimension économique. Je comprends que, pour garantir notre souveraineté, nous ne voulions pas faire appel à des moyens privés ; mais les Britanniques ne risquent-ils pas de considérer qu'ils compromettent la leur en mettant leurs moyens au service de notre dissuasion ? Sur quels sujets précis porte la coopération franco-britannique ? Sur quels items travaillez-vous ? Ce sujet est-il mentionné dans l'accord qui nous lie à la Grande-Bretagne ?
Je laisserai au colonel Rondel, qui est au coeur des discussions, le soin de vous répondre sur le contenu de la coopération franco-britannique. Mais je peux d'ores et déjà vous dire que le programme FSTA (Future Strategic Tanker Aircraft) fait partie de ces discussions. Nous étudions le sujet en essayant, notamment, de cerner les limites d'un tel partage d'activité. Mais nous n'excluons pas un rapprochement avec nos homologues britanniques.
Le colonel Rondel, étant à l'état-major des armées, participe également à la réflexion capacitaire et programmatique et répondra précisément à votre première question. Je sais néanmoins que toute mesure d'étalement est toujours identifiée au regard des mesures palliatives correspondantes ; en effet, reporter l'acquisition d'un matériel nouveau entraîne le prolongement d'un matériel ancien. Avant de les proposer, ces mesures palliatives doivent être étudiées du point de vue de leur équilibre capacitaire et financier. Cela fait l'objet des travaux qui sont réalisés par le Collège des officiers de cohérence de l'État-major des armées.
Le programme MRTT a la particularité de se fonder sur une plate-forme civile qui est produite en quantité assez importante, et qui est ensuite modifiée pour fournir en avions ravitailleurs plusieurs clients. Dans ces conditions, un retard d'exécution ou un décalage se traduit certainement, à terme, par une augmentation des coûts, mais pas par leur explosion comme ce serait le cas si le matériel était produit de façon spécifique, dès le début.
Le surcoût d'un tel décalage portera en revanche sur l'augmentation du coût de maintenance des flottes anciennes et des locations palliatives que l'on prolonge.
Au cours des travaux budgétaires de 2009, l'option d'achat – à la fin des cinq premières années de location – des deux A340 avait été envisagée. On considérait que cela reviendrait moins cher que de les louer jusqu'au bout du contrat. Mais dès les travaux budgétaires de 2010, nous avons renoncé à l'achat de ces deux avions, pour continuer à les louer, puisque la « bosse » de l'époque n'était pas absorbable.
Par ailleurs, le FSTA fait bien partie de l'accord franco-britannique qui comprend les termes « explorer les voies de coopération possibles dans le domaine du ravitaillement en vol ». Il s'agit donc de continuer à progresser dans ce domaine.
Des travaux menés avec nos collègues britanniques, il ressort qu'il peut exister deux phases dans un partage capacitaire autour du FSTA : une phase 1 où l'on rachète des heures de vol, de ravitaillement en vol ou de transport aérien – qui ne sont pas tarifées de la même façon – au MOD (ministry of defence), les avions étant mis en oeuvre par la Royal Air Force ; et une phase 2, qui est envisagée un peu plus tard, où nous deviendrions nous-mêmes clients de la société Air Tanker en achetant des coques nues d'avions FSTA, que nous ferions voler avec des équipages français.
Aujourd'hui, en raison du poids financier de ce contrat FSTA, le MOD est enclin à nous maintenir dans la phase 1, plutôt qu'à passer directement en phase 2, qui permettrait pourtant un partage capacitaire plus équilibré
S'agissant des surcoûts budgétaires liés à la LOA, je ferai remarquer à mon collègue Cazeneuve que nous ne pouvons pas demander à nos armées de résoudre pour nous les problèmes du déficit budgétaire annuel, des critères de Maastricht et des bosses de programmes auxquelles le ministère de la Défense a été confronté. Cela dit, messieurs, j'aimerais savoir si vous approuvez les chiffres de la Cour des comptes, laquelle évalue ce surcoût à environ 16 millions d'euros – soit le différentiel entre l'acquisition patrimoniale et la LOA, sur la durée.
Il semblerait par ailleurs que l'entretien des appareils ait été confié à la société portugaise TAP. Dans quelles conditions ce choix a-t-il été fait ? Existait-il d'autres possibilités pour les A340 ? Nous connaissons un autre cas de contrat d'externalisation : auprès d'une société de droit suisse, avec des salariés de droit suisse opérant sur le territoire français, y compris dans des installations militaires françaises.
Nous sommes bien sûr d'accord sur l'estimation de la Cour des comptes. Mais celle-ci s'entend dans le périmètre initial du programme, soit entre 2005 et 2015. Dès lors que l'on envisage d'exploiter les appareils au-delà de cette période, le surcoût doit être évalué en conséquence, surtout si une option d'achat était levée.
Par ailleurs, le contrat actuel d'externalisation de l'entretien est le fruit d'un appel d'offres qui a conduit à choisir la société portugaise. Celle-ci procède aux révisions de façon alternée : une année, dix jours en France, à l'aéroport Charles de Gaulle ; l'année suivante, un mois au Portugal. On se trouve dans le cadre classique d'une mise en concurrence, le candidat retenu étant le mieux disant par rapport aux aspects financiers et aux prestations demandées.
J'ajoute que ces deux A340 nous sont indispensables : on ne peut pas envoyer Air France procéder aux relèves en Afghanistan ; et les A310 ne le peuvent pas en raison de leur moindre capacité en passagers et de leurs performances insuffisantes.
Est-ce que le fait que l'on confie le maintien en condition opérationnelle d'appareils dont nous avons besoin sur le théâtre des opérations à des sociétés étrangères, bien qu'européennes, est de nature à poser des difficultés quant à nos interventions ?
Honnêtement, jusqu'à ce jour, nous n'avons pas eu de problème particulier. En tout cas, le code des marchés publics actuel ne nous autorise pas à choisir impérativement une entreprise française.
Vous avez dit que vous utilisiez ces avions à hauteur de 2 000 heures de vol, là où un appareil neuf pourrait être utilisé à hauteur de 4 000 heures. Est-ce que cela signifie qu'il y a des capacités excédentaires sur ces avions et que vous pouvez, dans les conditions de planification des relèves et de déploiement en opérations, vendre ces capacités excédentaires ?
Non, pour une raison liée au nombre d'heures d'exploitation pouvant être assuré par les équipages. Dans une compagnie civile, il y aurait deux fois plus d'équipages par avion que nous n'en avons.
Aujourd'hui, les cinq appareils, avec leur potentiel d'utilisation, conviennent à notre besoin. Nous sommes d'ailleurs le seul pays européen à avoir cette capacité de cinq avions de transport stratégique. Cela nous offre aussi un petit avantage, celui, notamment dans le cadre d'ATARES, de pouvoir effectuer des échanges.
Lorsqu'il s'agit d'externaliser du soutien, avons-nous le choix d'interdire à une société européenne de répondre à un appel d'offres ? Ces activités ne sont pas, au sens de la directive européenne, du domaine de la défense et sont donc soumises au droit commun européen de la mise en concurrence. C'est incontournable : la loi française et européenne s'appliquent aux armées comme aux autres.
On peut considérer que l'utilisation de moyens aériens pour assurer des missions de transport dans le cadre d'opérations extérieures relève d'un secteur régalien, qui peut garantir l'efficacité de nos opérations militaires et engager la crédibilité des interventions de nos forces.
Nous examinons bientôt à l'Assemblée nationale des transpositions de directives concernant les transferts intercommunautaires et l'ouverture des marchés d'armement. On pourrait très bien considérer que si les marchés de maintien en condition opérationnelle touchent à des questions régaliennes, l'article 346 du traité s'applique, et que nous pouvons précisément échapper aux règles du code des marchés publics auquel vous faisiez référence.
Je ne suis donc pas convaincu que nous soyons pieds et poings liés au code des marchés publics. La seule raison pour laquelle nous n'y échappons pas, c'est que nous sommes, dès lors qu'il s'agit d'eurocompatibilité, infiniment plus respectueux que nos partenaires européens, qui ne s'embarrassent pas de ce type de précautions et font ce qu'ils doivent faire pour préserver leur industrie. Je vous repose donc la question de savoir si vraiment, on ne peut pas s'y prendre autrement.
Je vous répondrai en prenant l'exemple d'un autre domaine. Je m'occupe des services postaux et financiers de nos militaires en opération : lorsque j'ai présenté le dossier de ce marché de niche devant la Commission consultative des marchés publics, à la question de savoir si le soutien des besoins privés des militaires en opération entrait dans le domaine régalien, tous les juristes consultés ont répondu par la négative.
Il ne vous est nullement reproché d'avoir interrogé ces experts. Ce que disait M. Cazeneuve, c'est qu'une lecture différente est sans doute possible.
Nous n'avons pas pu coopérer avec les Danois dans le domaine maritime parce que leur application de la loi européenne aux transports de défense n'est pas compatible avec la nôtre. Pendant plus d'un an et demi, nous avons ainsi travaillé avec leur ministère de la défense pour passer un arrangement nous permettant d'utiliser leurs navires. Seulement, nous n'avons pas été capables, dans notre référentiel juridique, de trouver le moyen de nous accorder. Cela dit, je suis bien d'accord : d'autres pays ne font pas comme nous. Mais ce n'est pas notre affaire.
Peut-on faire autrement pour l'externalisation de la maintenance des appareils ? Nous ne sommes pas bien placés pour y répondre, dans la mesure où c'est la DGA qui est au coeur des réflexions et des contrats passés. Mais on connaît son attachement au pilotage de la BITD – la base industrielle et technologique de défense – et sa tendance à promouvoir le tissu industriel français, chaque fois qu'il s'agit de domaines stratégiques au plan industriel. Il se trouve que, en matière de maintenance, s'agissant de niches, le choix a été fait de s'adresser à l'extérieur. Nous n'avons pas observé de contraintes ni sur le plan capacitaire ni sur celui de l'utilisation des appareils, qui nous permette de remettre en cause ce principe.
L'externalisation a un autre avantage. À partir du moment où l'on se limite à la France, on est un peu prisonnier du monopole, les industriels sachant qu'ils sont les seuls sur le marché. Le fait qu'il y ait une concurrence européenne crée une émulation et permet de passer le contrat le mieux-disant.
Quel est le statut des équipages des trois navires rouliers affrétés à l'année ? Ces équipages ont-ils un statut particulier ? Sont-ils dépendants du propriétaire du navire ? Quelle est leur nationalité ? Quel est le pavillon d'attache de ces navires ? Sont-ils considérés comme relevant de la souveraineté nationale, même s'ils étaient sous pavillon d'un autre pays, hors de l'Union européenne ? Pouvez-vous aborder la question des restrictions géographiques, en particulier le problème posé par le piratage maritime ?
Dans le transport maritime au profit de la défense, le coeur de métier est assuré, en particulier pour les opérations amphibies, par les navires de projection, les bâtiments de projection et de commandement (BPC) et les transports de chalands de débarquement (TCD). Les navires de transport ne sont pas considérés comme relevant du coeur de métier, et leur emploi exclut le fait qu'ils soient employés dans des opérations de vive force, en particulier en appui direct d'une opération amphibie.
Cela nous a conduits à ne pas choisir le pavillon français de premier rang, mais à spécifier le pavillon français du registre international (RIF), pour mettre malgré tout la marque française sur ces navires. Quand on sait qu'un navire RIF coûte 2 500 euros par jour de plus qu'un navire sous pavillon maltais, dans une période où on nous demande de « faire rentrer la bosse dans les entonnoirs », on comprend que chaque caractéristique militaire de ces navires a été pesée au regard du juste besoin opérationnel.
Le choix d'un pavillon RIF signifie, d'une part, que les officiers sont français et sont des employés directs de l'armateur, d'autre part, que les armateurs ont recours à des sociétés de manning, chargées de fournir les équipages d'exécution. Historiquement, nous n'avons jamais eu de cas de refus, même quand nous naviguions sous des pavillons autres que celui du RIF. Mais il faut savoir que si nous avions choisi, comme les Britanniques l'ont fait pour le programme équivalent, de pouvoir engager ces navires dans des opérations de force, nous n'aurions pas utilisé ce pavillon. Nous aurions accepté les surcoûts liés à la capacité opérationnelle.
Venons-en aux restrictions géographiques, liées au danger. Les limitations ne viennent pas de l'équipage, mais des assureurs. Dans le monde des assurances maritimes, le Joint war commitee décide des zones où l'on peut aller au tarif de droit commun, des zones où on peut aller à condition de payer des surprimes, et des zones dans lesquelles les assureurs refusent de prendre le risque.
Ainsi, dans le prix de base du loyer des navires, nous devons tenir compte de l'assurance « risque de guerre » classique. Lorsque nous allons dans des zones à surprimes, nous acceptons le remboursement des surprimes, qui sont payées tant aux assurances qu'à l'équipage, dans la mesure où il a accepté d'aller dans des zones plus dangereuses que les zones ordinaires. La situation est la même qu'avec Sodexo, qui nous fournit la nourriture en Afghanistan. Le cuisinier sur une base avancée ne coûte pas autant qu'à la Garenne-Bezons ! Enfin, au cas où les assurances refusent de prendre en charge la couverture du risque, l'État se substitue à l'assureur. Nous n'avions pas d'autre solution.
Évidemment, nous acceptons le droit de retrait et le droit de grève, parce que l'on travaille dans un milieu civil et qu'on ne peut pas s'affranchir de ses règles. Ces risques sont inévitables. Simplement, nous essayons de les gérer au mieux. Et une fois sur cent ou sur mille, nous devrons traiter le problème sur un mode exceptionnel.
Le sujet nous a bien occupés, avant que l'on aboutisse à ce consensus. Il se trouve que la substitution des assureurs existe dans un programme OTAN, qui date des années 70.
Je précise que sur les navires affrétés qui traversent les zones sensibles à la piraterie, nous embarquons des éléments de protection de la Marine nationale.
J'ajoute qu'on a fini par nous dire que l'échange de prestations de transport de surface, qui s'apparente à du troc, était contraire à la Constitution, et qu'on avait de la chance qu'ATARES ait déjà été signé. Ainsi, après avoir entraîné de nombreux pays dans ce partenariat, nous avons dû y renoncer pour des raisons juridiques.
Quelle est la part de transport de marchandises qui se fait par ligne régulière et la part qui bénéficie des navires affrétés ?
C'est une question d'opportunité. Cela dépend normalement des volumes mis en jeu : les navires affrétés sont utilisés pour le transport de masse. Pour des besoins ponctuels ou de fluidification des flux, on utilise la voie maritime commerciale, qui représente à peu près 10 % du trafic.
Sur l'année 2010, on a transporté presque 45 000 tonnes de fret en voie maritime affrétée – avec nos trois navires rouliers – et environ 4 000 tonnes de fret en voie maritime commerciale, c'est-à-dire en conteneur.
Vous avez dit que, dans vos missions, vous vous occupiez des OPEX et de l'acheminement des prépositionnés. Vous occupez-vous aussi des exercices ?
En fait, vous assurez tout le transport.
Par ailleurs, vous occupez-vous des évacuations sanitaires par voie aérienne (EVASAN) ? Dans ce cas, comment procédez-vous avec les avions à usage gouvernemental ?
Nous ne nous en occupons pas directement. Lla question est traitée directement par le cabinet du ministre de la Défense avec la régulation aérienne.
Vous avez dit par ailleurs que le volume du contrat SALIS diminuant, vous aviez conclu un autre contrat. Est-ce un contrat bilatéral ou un contrat qui implique plusieurs partenaires ?
C'est un contrat bilatéral, car nous nous étions pris au dépourvu et nous ne disposions pas de beaucoup de temps. Les premières utilisations de ce contrat auront lieu ce mois-ci.
Nos partenaires dans SALIS ont forcément connu aussi des problèmes de transport stratégique, même à un degré moindre que nous, dans la mesure où ils ont moins d'engagements. Ont-ils choisi une solution voisine à la nôtre ou s'accommodent-ils finalement de la réduction de SALIS ?
Les autres nations ont été prises au dépourvu de la même manière que la France par le revirement du partenariat avec Ruslan SALIS. L'Allemagne a opté pour une solution approchante de la nôtre – en tout cas d'esprit équivalent. Le Royaume-Uni, troisième client par ordre d'importance de SALIS, disposait d'une solution d'affrètement parallèle et, surtout, de huit avions C17 en patrimonial qui leur offrent une capacité d'une autre nature. Donc, oui, d'une certaine manière, nos partenaires importants dans le programme SALIS ont opté pour des solutions similaires à la nôtre.
L'avantage est que le titulaire de ce nouveau marché va baser un Antonov 124 à Châlons-Vatry, ce qui est très pratique pour nous. Par ailleurs, et c'est une nouveauté que l'on a introduite, nous ne paierons que les heures de vol utiles – si l'on fait un transport d'Istres à Kaboul, on ne paiera que les huit heures de vol pour Kaboul – alors qu'avec le marché SALIS, qui reste un marché très intéressant, nous payions également le positionnement et le dépositionnement.
Tout cela se met en place et je pense que dès l'année prochaine, nous serons en mesure de disposer d'un retour d'expérience sur ce marché que l'on reconduira chaque année. S'il ne nous convenait pas, nous pourrions envisager d'autres solutions. Mais le fait d'avoir un marché propre pour compenser ce déficit capacitaire est malgré tout très intéressant, d'autant que le titulaire, à savoir ICS, a tout intérêt pour son propre avenir à remplir ce marché de façon satisfaisante.
Notre participation au contrat SALIS et au marché d'affrètement que nous venons de passer sont deux solutions assez complémentaires, qui offrent des avantages financiers dans les deux cas, selon le scénario d'emploi.
Plus précisément, le contrat SALIS offre non seulement une réponse à des besoins capacitaires ponctuels, mais également des garanties en cas de déclenchement d'une opération commune, sachant que les partenaires sont soit membres de l'OTAN soit membres de l'Union européenne et seront très vraisemblablement engagés dans le même type d'opérations. Or cet avantage spécifique n'est pas offert par le contrat national. Nous avons intérêt à conserver ces deux solutions complémentaires, et tout au moins à conserver le contrat SALIS tel quel.
Pouvez-vous nous dire où en est le projet de CPE pour les nouveaux navires rouliers et, notamment, si le lieu de construction des navires est choisi, sachant que la question a parfois été posée de savoir s'il fallait introduire dans le contrat une contrainte pour faire construire les navires en France ou laisser le partenaire choisir le lieu de construction.
Après réception voilà trois semaines des propositions intermédiaires des industriels, il a été procédé au dépouillement, et nous sommes maintenant en phase d'harmonisation de l'analyse des propositions. Nous devrions procéder aux auditions des candidats entre le 25 mai et le 8 juin et nous pouvons imaginer avoir sélectionné notre candidat au début de 2012. De fait, les CPE et la procédure associée sont des procédures très souples, mais très longues, nécessitant pratiquement un projet de contrat par candidat – une charge de travail que l'on avait mal appréciée initialement. Une fois le candidat sélectionné, nous maîtriserons un peu moins les phases d'approbation du dossier. Mais l'objectif est toujours de disposer d'un contrat notifié courant 2012. C'est comme cela que l'on a construit le budget.
Pour répondre à votre seconde question, je vous renverrai à ma remarque précédente sur la directive européenne. En tout cas, une construction en France est, sur la base des résultats des propositions initiales, de 30 à 50 % plus chère qu'une construction ailleurs en Europe. En outre, les prix des navires sont difficilement comparables. Ils reviennent entre 40 et 60 millions d'euros, en fonction de l'endroit où ils sont construits. Pour autant, on ne peut pas faire de classement car les spécifications techniques ne sont pas entièrement figées.
Je serais content que les ouvriers français travaillent. Mais j'ai deux problèmes : il faut que quelqu'un me donne l'argent, et que la loi me permette de le faire !
Selon la directive sur les contrats de partenariat, la durée de ces contrats est normalement fondée sur la durée d'usage. La difficulté est que la directive a été plutôt faite pour des projets bâtimentaires, et peu pour les navires de transport. Nous étions donc partis sur une idée de vingt-cinq ans, option que l'on a conservée. Mais cette directive précise aussi que, dans certains cas, on peut fonder la durée du contrat sur l'amortissement financier du bien. Dans le domaine maritime, elle est plutôt d'une quinzaine d'années.
Nous avons demandé aux candidats de nous faire deux propositions : l'une sur la base d'une durée de 17 ans – pour des raisons de simulations – et l'autre sur une durée de 25 ans. Nous allons comparer les résultats au cours de l'analyse des propositions intermédiaires. Et au moment de l'offre finale, nous choisirons entre les deux options.
Toutes choses étant égales par ailleurs, nous considérons qu'un engagement de 25 ans serait intéressant. Cela dit, le projet a été lancé en octobre 2005, et je ne voudrais pas avoir à recommencer immédiatement après sa signature l'instruction du contrat suivant.
Si les besoins des armées ne couvrent pas la totalité des capacités de ces navires, est-ce que vous recevez un intéressement en cas d'affrètement de ceux-ci à d'autres fins ?
C'est un sujet sur lequel je travaille depuis le sommet de Washington de l'OTAN, en avril 1999. Jusqu'en 2004, nous avons rongé notre frein en attendant que l'arsenal législatif français nous permette de partager l'exploitation. Maintenant, nous sommes passés d'une capacité de trois rouliers qui correspond globalement à nos besoins courants – le service régulier, qui comprend notamment le soutien des prépositionnés, des forces déployées et des exercices – à la capacité opérationnelle issue des indications du Livre blanc, qui est de 5 à 6 navires selon la taille de ceux-ci.
En acquisition budgétaire pure, c'est une ineptie d'avoir six navires et d'en utiliser trois, sachant que, globalement, un navire coûte 60 % de son prix quand il est à l'ancre. C'est ce qui explique pourquoi, jusqu'en 2005, nous nous sommes contentés d'une sous-capacité par rapport au contrat opérationnel des armées.
Pour être schématique, voire caricatural, le mécanisme des CPE repose sur une exploitation conjointe avec un armateur : trois navires dédiés à 80 % du temps aux besoins des armées françaises ; et deux navires exploités 100 % du temps sur le marché commercial. Ces derniers seront placés sous des contrats de moyenne durée. À l'origine, notre ambition était qu'ils ne nous coûtent rien, les revenus générés compensant les loyers que nous aurions à payer. Malheureusement, la situation n'est plus celle d'il y a quatre ans, et nous avons du mal à atteindre cet équilibre. Mais nous avons des pistes qui pourraient nous permettre d'y parvenir. De cette manière, lorsque nous n'utiliserons pas les navires excédentaires par rapport à nos besoins courants, cette pleine capacité sera exploitée sur le marché commercial.
S'agissant des navires de service régulier, utilisés pour nos besoins classiques, il faut distinguer selon les cas. Les besoins opérationnels sont en effet très fluctuants. Prenons l'exemple de la Côte d'Ivoire : il y a cinq ans, on avait besoin de navires pleins, contrairement à la situation il y a encore six ou sept mois ; mais il y a quinze jours, quand les forces du Nord sont descendues vers le Sud, on aurait pu connaître à nouveau une hausse considérable de nos besoins.
Quoi qu'il en soit, la capacité disponible sera commercialisée. Et en commercialisant cette surcapacité, on retirera entre 75 et 100 % des bénéfices, suivant les configurations.
Je comprends l'intérêt qu'il y a à prévoir des moyens capacitaires qu'on pourrait ne pas utiliser pour faire face à des aléas. C'est cette logique qui a présidé à l'augmentation de la flotte. Pour financer ces opérations, nous acquérons donc des bateaux que nous pourrons amortir financièrement s'ils sont utilisés à 100 % par des opérateurs privés en location. Est-ce bien le raisonnement ?
Selon le contrat opérationnel inscrit dans le Livre blanc, les forces françaises doivent être capables, de façon autonome, de procéder à une projection maritime de 5 000 hommes, sachant que le moment où l'on déclenche cette capacité est aléatoire. Aussi sommes-nous allés présenter il y a trois ou quatre ans au Conseil économique de la défense notre raisonnement en termes statistiques : même si, ponctuellement, cela coûtait plus cher, le coût serait inférieur si l'on faisait la somme de la dépense sur une vingtaine d'années ou sur le temps d'une loi de programmation – sachant que l'autre option, qui a présidé jusqu'en 2005, était de renoncer à cette capacité, en espérant qu'on la trouverait sur le marché à un coût abordable.
Je comprends. Mais je vois mal comment vous pouvez considérer que vous allez réaliser une opération blanche en appliquant un taux d'occupation de 100 % aux deux ou trois navires qui pourraient éventuellement vous permettre de faire un ajustement. S'ils vous permettent de faire un ajustement, c'est précisément parce qu'ils ne sont pas utilisés à des fins commerciales, par d'autres, à 100 % !
L'armateur a par contrat une exigence de rappel des navires entre cinq et quinze jours. Évidemment, quand il « casse » ce contrat, nous lui payons des dédommagements. Mais le jour où l'on aura à projeter 5 000 hommes en quinze jours, hypothèse du Livre blanc, la situation sera suffisamment sérieuse pour que les surcoûts soient jugés admissibles.
Donc, les 20 % que vous n'intégrez pas comme aléas d'occupation, par vous, de ces bateaux, sont payés éventuellement en dédommagement de l'utilisateur du bateau ?
Nous espérons que la somme des recettes et des dépenses nous sera favorable.
C'est ce que nous faisons partiellement en ce moment, en procédant à des mises hors charte : il n'y a vraiment que le moment où l'on met la totalité du bateau hors charte que l'on ne paie pas. En effet, les navires ne sont pas toujours pleins à 100 %. Si les navires à destination de l'Océan indien sont pleins à 100 %, ce n'est pas le cas de ceux à destination des côtes d'Afrique de l'Ouest ou des Antilles. Et on ne peut pas, pour l'instant, utiliser et partager la charge des 20 ou 30 % qui restent.