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Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Séance du 10 février 2011 à 9h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • assuré
  • fraude
  • prestation
  • vieillesse

La séance

Source

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 20 février 2011

La séance est ouverte à neuf heures.

(Présidence de M. Pierre Morange, coprésident de la mission)

La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l'audition de M. Serge Cigana, représentant de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) au conseil d'administration de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, Mme Danièle Karniewicz, secrétaire nationale chargée de la protection sociale et des retraites de la Confédération française de l'encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC), M. Jean-Louis Butour, conseiller confédéral de la Confédération générale du travail (CGT) et M. Jean-Michel Cano, membre du secteur « protection sociale » confédéral et conseiller à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), M. Jean-Marc Bilquez, secrétaire confédéral chargé de la protection sociale de Force Ouvrière (FO), M. François Joliclerc, secrétaire national de l'Union des syndicats autonomes (UNSA), et M. Jean-Louis Besnard, conseiller national.

PermalienPhoto de Dominique Tian

Merci d'avoir répondu à l'invitation de la MECSS dans le cadre de ses travaux sur la fraude sociale, sujet dont, partout, on parle beaucoup. Demain, le Conseil d'État organise ainsi un colloque sur le thème « Fraudes et protection sociale ». Et hier, un article du Figaro rapportait notamment que, fort curieusement, les arrêts maladie des enseignants entouraient bien souvent le week-end.

La MECSS a décidé de travailler à la fois sur la fraude aux cotisations sociales, sur laquelle le Conseil des prélèvements obligatoires a tiré la sonnette d'alarme et qui passe en particulier par le « travail au noir », et sur la fraude aux prestations sociales. La Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), qui communique désormais sur ce sujet, admet ainsi que 700 millions d'euros seraient détournés chaque année ; dans les autres branches, la fraude serait également importante.

Si nous avons souhaité vous auditionner aujourd'hui, c'est que les syndicats sont co-gestionnaires de beaucoup d'organismes sociaux et qu'ils doivent, à ce titre, rendre des comptes aux assurés. Que pensez-vous de la fraude ? Estimez-vous que les organismes sociaux sont suffisamment engagés dans la lutte contre ce phénomène – qui est problématique non seulement d'un point de vue financier, mais aussi du point de vue de la justice ?

PermalienPhoto de Pierre Morange

Nous souhaiterions connaître votre sentiment sur les moyens techniques de contrôle qui sont à votre disposition dans les différentes branches pour lutter contre la fraude. Sont-ils suffisamment opérationnels ? Avez-vous des solutions concrètes à proposer pour améliorer la situation ?

PermalienSerge Cigana, représentant de la Confédération française démocratique du travail, CFDT au conseil d'administration de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, ACOSS

La Confédération française démocratique du travail est évidemment très sensible au problème de la fraude sociale, dont il faut souligner qu'il concerne non seulement les prestations, aspect le plus souvent mis en avant, mais aussi les cotisations – pour lesquelles elle représente un enjeu financier très important.

La fraude remet en cause le principe d'égalité des citoyens ou des entreprises devant les charges communes ou en matière de droits à prestations. Par exemple, une personne qui n'est pas déclarée par son employeur se trouve privée de droits à la retraite. Par ailleurs, la fraude affecte l'équilibre des comptes sociaux, elle entrave la lutte contre le chômage et elle crée des distorsions de concurrence importantes entre les entreprises. La Confédération française démocratique du travail ne peut donc que se féliciter que les diverses branches aient engagé des actions pour lutter plus efficacement contre la fraude sociale. Des progrès ont été réalisés dans chacune d'entre elles : le taux de détection et le taux de recouvrement des fraudes se sont améliorés, mais il existe encore des marges de progression importantes. De nouveaux efforts sont donc nécessaires.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Quelles recommandations concrètes pourriez-vous faire ?

PermalienSerge Cigana, représentant de la Confédération française démocratique du travail, CFDT au conseil d'administration de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, ACOSS

S'agissant de la fraude aux cotisations, les moyens de lutte ont été renforcés avec la création de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) et la mise en place progressive des comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF). Les organismes sociaux peuvent s'appuyer sur des dispositifs et des outils juridiques leur permettant de mieux appréhender la fraude et de la combattre plus efficacement. Malgré ces évolutions, les résultats demeurent mitigés : le montant des redressements effectués dans le cadre de la lutte contre le travail illégal n'a pas dépassé 130 millions en 2009, ce qui est assez modeste au regard de l'ampleur du phénomène. Dans ce domaine, la difficulté vient de la faiblesse des moyens en personnel : sur 1 500 inspecteurs en charge du contrôle d'assiette et de la lutte contre la fraude, seuls 180 sont affectés à cette dernière tâche ; dans certains départements, il y a ainsi moins d'un équivalent temps plein pour lutter contre le travail dissimulé. Par ailleurs, la fixation d'objectifs financiers aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) conduit à ce que les efforts portent sur les entreprises pour lesquelles l'enjeu financier est le plus important. On contrôle ainsi toujours le même type d'entreprises, tandis que des pans entiers de l'activité économique, où le montant unitaire des fraudes est moindre, ne font pas l'objet d'investigations. À moins d'une augmentation globale des effectifs, hypothèse qui ne semble pas à l'ordre du jour dans le contexte actuel, déplacer les lignes supposerait de faire de la lutte contre le travail dissimulé une priorité, en réduisant le personnel affecté aux activités classiques de contrôle d'assiette.

Nous sommes par ailleurs confrontés, avec les auto-entrepreneurs, à une problématique nouvelle. Entre 60 % et 70 % des 500 000 auto-entrepreneurs ne déclarent aucun revenu, sans doute à juste titre dans la grande majorité des cas mais, si leur statut a incontestablement des aspects positifs, il peut conduire à des distorsions de concurrence et occasionner un niveau important de fraude. Il serait donc utile d'améliorer, sous le contrôle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), les informations disponibles sur les auto-entrepreneurs. Si leur activité est souvent connue, leur origine l'est moins ; or il serait intéressant de savoir si l'auto-entreprise constitue une part marginale de l'activité de la personne, ou bien son activité principale : cela permettrait de mieux orienter la lutte contre la fraude.

Autre problème : le taux de recouvrement effectif des cotisations sociales. Si 130 millions d'euros sont mis en recouvrement au titre de la lutte contre le travail illicite, la plupart des entreprises concernées déposent leur bilan – ce qui n'est pas sans conséquence sur le recouvrement effectif. En outre, ces opérations de redressement n'étant pas isolées dans les comptes, la mesure de la fraude est difficile.

Le problème est le même pour la fraude aux prestations dans la branche Famille. En matière de revenu minimum d'insertion (RMI) et de revenu de solidarité active (RSA), les indus sont considérés par la Caisse nationale d'allocations familiales comme soldés dès lors qu'ils sont transférés dans les comptes des paieries départementales, où cependant le taux de recouvrement effectif est faible. Que ce soit dans les comptabilités des caisses d'allocations familiales (CAF) ou dans celles des paieries départementales, les fraudes ne sont pas individualisées. Tous les indus sont confondus. Il serait bon d'assurer un suivi du début à la fin de la chaîne.

Des liens commencent à se développer entre les caisses d'allocations familiales et les conseils généraux, au-delà des rapprochements qui ont déjà lieu avec les services de l'État, notamment les administrations financières, la police et la gendarmerie. Il convient d'aller plus loin dans le dialogue, notamment pour la qualification de la fraude, sur laquelle on constate souvent aujourd'hui des divergences d'appréciation entre les conseils généraux et les caisses d'allocations familiales.

PermalienDanièle Karniewicz, secrétaire nationale chargée de la protection sociale et des retraites de la Confédération française de l'encadrement – Confédération générale des cadres, CFE-CGC

La Confédération française de l'encadrement – Confédération générale des cadres considère que la lutte contre la fraude est une priorité : la protection sociale ouvre des droits, mais elle crée aussi des devoirs ; elle est un bien commun que nos concitoyens doivent respecter et défendre. Comme l'indiquait le rapporteur, c'est une question de justice.

Je voudrais insister sur la nécessité de l'accompagnement des assurés, par la pédagogie et l'information. Il faut aider les assurés à mieux appréhender les enjeux de la fraude – souvent estimée à 1 % du montant des prestations versées dans les branches Famille et Maladie. Chacun doit être conscient de l'importance des montants, mais sans toutefois les surestimer : l'éradication de la fraude ne permettrait pas de résoudre les difficultés financières de la Sécurité sociale. Par ailleurs, les assurés ont besoin de connaître clairement leurs droits et leurs devoirs ; or la complexité du système actuel les en empêche. Il faut donc aider nos concitoyens à mieux comprendre, d'une part, ce à quoi ils peuvent prétendre et, d'autre part, ce qu'ils doivent s'abstenir de faire au nom de la morale collective.

Il convient aussi d'avoir une démarche de prévention, au moment de l'élaboration des textes législatifs, par une meilleure anticipation de la réaction des assurés. En ce qui concerne les dérives constatées en matière de carrières longues, la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) avait insisté en 2005 sur les risques du dispositif en vigueur, mais elle n'a pas été écoutée avant 2007 ou 2008.

PermalienPhoto de Dominique Tian

Faites-vous allusion aux déclarations sur l'honneur ?

PermalienDanièle Karniewicz, secrétaire nationale chargée de la protection sociale et des retraites de la Confédération française de l'encadrement – Confédération générale des cadres, CFE-CGC

Oui. Les failles de la législation n'exonèrent pas de leur responsabilité ceux qui ont fraudé, mais leur existence pose tout de même problème, surtout quand elles sont identifiées à l'avance.

PermalienPhoto de Dominique Tian

Si la fraude a été massive, c'est aussi à cause de complicités internes. Des agents appartenant aux organismes sociaux ont été licenciés, dont deux directeurs de caisses. 87 personnes font aujourd'hui l'objet de poursuites devant la justice.

PermalienDanièle Karniewicz, secrétaire nationale chargée de la protection sociale et des retraites de la Confédération française de l'encadrement – Confédération générale des cadres, CFE-CGC

Je ne veux exonérer personne de ses responsabilités, qu'il s'agisse des assurés ou des salariés des organismes sociaux. Néanmoins j'insiste sur la nécessité d'améliorer l'information des assurés et de mieux anticiper les risques de fraude au moment de la rédaction de la loi.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Le but de la MECSS n'est pas de stigmatiser qui que ce soit, mais d'essayer de rationaliser, au service de nos concitoyens, les dépenses effectuées dans le cadre de notre système de protection sociale. Ce que nous attendons de vous, ce sont les propositions concrètes que vous pouvez formuler en tant qu'acteurs et observateurs privilégiés de ce système.

À titre personnel, je me suis particulièrement impliqué dans la mise en place d'une interconnexion entre les fichiers des organismes sanitaires et sociaux, via le numéro d'identification commun ; nous allons bientôt aller vérifier sur le terrain, à Tours, l'efficience du dispositif. Quelles suggestions complémentaires pouvez-vous nous faire pour aller dans le sens d'une plus grande vertu, aussi bien en matière de cotisations qu'en matière de prestations ? Certes cela ne suffira pas à résoudre le problème des déficits ; néanmoins l'enjeu financier est important.

PermalienDanièle Karniewicz, secrétaire nationale chargée de la protection sociale et des retraites de la Confédération française de l'encadrement – Confédération générale des cadres, CFE-CGC

C'est bien des moyens de lutter contre le phénomène de la fraude que je parle lorsque j'évoque la prévention à laquelle doit se livrer le législateur en anticipant les difficultés. Tout ne relève pas des organismes sociaux, je tiens à le faire entendre.

Il est indispensable aussi que les dispositifs soient simples : ils sont aujourd'hui de plus en plus complexes et incompréhensibles pour les assurés. Le système des pensions de réversion est particulièrement effrayant et incohérent : alors qu'aujourd'hui on autorise le cumul emploi-retraite pour tous ceux qui ont une bonne retraite, ce n'est pas le cas pour les personnes qui touchent une pension de réversion puisque celle-ci est soumise à une condition de ressources.

Par ailleurs, si la lutte contre la fraude est un objectif que je partage, la protection des assurés est également fondamentale à mes yeux. Si je suis favorable au recoupement des fichiers afin que les organismes de sécurité sociale disposent de tous les éléments nécessaires à leur action, il me paraît indispensable d'être très prudent dans ce domaine. La question ne concerne pas seulement la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

S'agissant des moyens des organismes, des référentiels utiles à tous ont été développés par la Caisse nationale d'assurance vieillesse, notamment le système national de gestion des identifications et au système de gestion des carrières. Mais beaucoup de progrès restent à faire dans le développement de l'outil informatique. Il faut aussi développer la sensibilisation des salariés, afin qu'ils consacrent une partie plus importante de leur temps aux contrôles. Mais cela signifie que des personnels doivent remplir spécifiquement cette mission de contrôle.

En outre, il me paraît nécessaire d'améliorer, dans chaque caisse, les données statistiques et l'évaluation de la fraude. Nous avançons dans cette démarche dans le cadre des conventions d'objectifs et de gestion (COG), mais il reste encore beaucoup à faire.

Enfin, une réflexion s'impose sur les indus et les sanctions. Faut-il sanctionner seulement s'il y a eu un préjudice, ou dès lors qu'il y a eu intention de frauder ? Il faut s'interroger aussi sur le type de sanctions à prendre. Il faudrait arriver sur ce sujet à un système cohérent.

PermalienPhoto de Dominique Tian

En ce qui concerne la Caisse nationale d'assurance vieillesse, la Cour des comptes a estimé que les résultats extrêmement limités de la lutte contre la fraude témoignaient d'un manque de motivation de la branche. Elle a signalé un problème d'appréhension statistique de la fraude et s'est étonnée que les mesures annoncées ne reçoivent pas d'application immédiate, la Caisse nationale d'assurance vieillesse les assortissant souvent d'un horizon assez vague. Elle a par ailleurs observé que les engagements quantifiés de la Caisse nationale d'assurance vieillesse ne paraissaient pas vraiment contraignants. Elle a donc formulé des reproches assez sérieux.

PermalienDanièle Karniewicz, secrétaire nationale chargée de la protection sociale et des retraites de la Confédération française de l'encadrement – Confédération générale des cadres, CFE-CGC

Dans d'autres passages de son rapport, la Cour des comptes souligne l'importance du travail effectué. Je n'entrerai donc pas dans un débat sur ce sujet. Si le volume des fraudes constatées est peu important, c'est que la Caisse nationale d'assurance vieillesse intervient beaucoup en amont pour stopper le processus. La Cour des comptes fait également ce constat.

Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer le problème des moyens humains et informatiques. Ainsi, la Caisse nationale d'assurance vieillesse a dû mettre en oeuvre, dans des délais très courts et à effectifs constants, voire en baisse, les différentes réformes des retraites.

J'aimerais que nous adoptions ici une attitude positive. Toutes les caisses, dont la Caisse nationale d'assurance vieillesse, sont engagées dans une démarche de progrès.

PermalienPhoto de Dominique Tian

La Cour des comptes observe que le renforcement des contrôles ne s'est pas concrétisé comme on l'attendait dans un certain nombre de domaines. C'est notamment le cas pour la réalisation des contrôles à l'étranger, la signature d'accords internationaux avec certains pays européens pour permettre des échanges de données, le ciblage des zones géographiques à risques, hors Union européenne, et la vérification de l'authenticité et la sincérité des certificats de vie dans le cadre de paiement de prestations à l'étranger. La Cour relève qu'il y aurait plus de centenaires en Algérie percevant une pension de retraite de la Caisse nationale d'assurance vieillesse que de centenaires recensés par les autorités algériennes.

PermalienDanièle Karniewicz, secrétaire nationale chargée de la protection sociale et des retraites de la Confédération française de l'encadrement – Confédération générale des cadres, CFE-CGC

Je ne pensais pas venir pour débattre du rapport de la Cour des comptes. À l'étranger, vous le savez bien, on réalise beaucoup de contrôles, en passant par des prestataires, par le système bancaire ou divers intermédiaires. Ils vérifient que les bénéficiaires sont toujours en vie et résident bien à l'adresse indiquée. Ces contrôles ne sont pas simples et il ne s'agit pas toujours de contrôles physiques sur place, car il faut se soucier de l'adéquation entre les objectifs et les moyens… La Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés est bien consciente des difficultés signalées par la cour dans certains pays et se montre très vigilante.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Nous avons pu constater, au cours de précédentes auditions, les difficultés extrêmes auxquelles on se heurte pour vérifier certaines données au Maghreb. Une expérimentation de contrôle reposant sur une délégation de service devrait être engagée, mais elle n'est pas encore opérationnelle. Il semble, par ailleurs, que la tenue et l'actualisation de l'état civil soient, dans certains cas, des plus aléatoires. Des efforts ont certes été engagés par la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, mais ils restent à géométrie variable et leur efficience reste à démontrer.

Mais revenons-en aux préconisations concrètes et opérationnelles. Quelle appréciation portez-vous sur les organes récemment créés au niveau départemental dans le cadre de la lutte contre la fraude ?

PermalienDanièle Karniewicz, secrétaire nationale chargée de la protection sociale et des retraites de la Confédération française de l'encadrement – Confédération générale des cadres, CFE-CGC

Je suis assez surprise de la tonalité de nos échanges. Tous les organismes sont engagés dans des démarches de progrès. Ils rencontrent des difficultés qu'il faut chercher ensemble à résoudre, au lieu de désigner les bons et les mauvais élèves.

PermalienPhoto de Dominique Tian

La Cour des comptes relève qu'il existe un écart d'espérance de vie difficile à expliquer en faveur des retraités algériens.

PermalienDanièle Karniewicz, secrétaire nationale chargée de la protection sociale et des retraites de la Confédération française de l'encadrement – Confédération générale des cadres, CFE-CGC

Arrêtons d'alimenter cette rumeur malsaine qui enfle depuis quelques mois sur cette question. Il faut cesser de stigmatiser certaines populations.

PermalienPhoto de Dominique Tian

En attendant, on continue à verser des prestations à des personnes décédées.

PermalienJean-Louis Butour, conseiller confédéral de la Confédération générale du travail, CGT

La discussion prend un tour quelque peu surprenant. Je ne serais pas hostile à une augmentation des effectifs de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, mais je ne suis pas certain que la priorité soit d'envoyer des dizaines d'agents en Algérie pour réaliser des contrôles.

On a l'impression, à vous écouter, que la fraude aux prestations sociales est considérable. Or la fraude la plus importante est la fraude fiscale. La fraude sociale porte avant tout sur les cotisations. Cela ne signifie pas, bien entendu, qu'il ne faut pas se soucier de la fraude aux prestations : il est hors de question de laisser des personnes malintentionnées piller l'argent des salariés.

Je constate également que la question est essentiellement abordée sous l'angle de la fraude pratiquée. Or il me semblerait utile d'essayer d'anticiper et de faire de la prévention. L'affichage de décision judiciaire auquel le tribunal de Melun a récemment demandé aux caisses d'allocations familiales de procéder illustre bien un certain état d'esprit : il s'agit d'une liste de sept noms, tous à consonance maghrébine, avec indication des dates de naissance, des adresses et du montant des condamnations. La nature de la fraude, en revanche, n'est pas mentionnée. Il n'y a donc aucun effet pédagogique et cela conduit à une terrible stigmatisation.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Pour des raisons évidentes, tenant au principe de séparation des pouvoirs, la Représentation nationale ne peut faire de commentaire. Je souhaiterais donc que nous en revenions aux propositions concrètes que vous pourriez formuler.

PermalienJean-Louis Butour, conseiller confédéral de la Confédération générale du travail, CGT

C'est dans la façon dont l'intention du tribunal a été traduite qu'il me semble y avoir problème.

Dans son rapport d'avril dernier, la Cour des comptes suggère au Parlement d'essayer de réduire les possibilités de fraude. Il me semble, en effet, qu'il y a beaucoup à faire au niveau de la législation et de la réglementation : on constate une complexification croissante des dispositions applicables dans chaque branche et une tendance croissante à la mise sous condition de ressources des prestations. Le système produit ainsi de plus en plus d'indus, alors même que les assurés sont généralement de bonne foi – ils sont tout au plus un peu négligents –, car les organismes, submergés par les règles nouvelles, réagissent parfois avec un peu de retard. Les assurés qui sont en situation d'indu sont considérés a priori comme des fraudeurs, ce qui est extrêmement fâcheux.

Les parlementaires que vous êtes devraient donc prêter une grande attention à ne pas multiplier les conditions dans les procédures que vous mettez en place : elles sont potentiellement sources de fraude. La question des pensions de réversion, évoquée par Mme Danièle Karniewicz, en est un exemple frappant.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Nous avons justement décidé d'engager un travail de fond avec la Cour des comptes sur la question de la complexification des règles en matière sanitaire et sociale, souvent contreproductive et source d'une mauvaise utilisation des deniers publics. Nous veillerons à ce que les représentants des organisations syndicales puissent contribuer à notre réflexion.

PermalienJean-Louis Butour, conseiller confédéral de la Confédération générale du travail, CGT

La dernière réforme des retraites, notamment avec le système du minimum contributif, va produire des situations de ce type : il faudra réaliser des comparaisons a posteriori, après liquidation des pensions, ce qui sera très complexe et va entraîner des indus.

PermalienPhoto de Dominique Tian

Notre système de retraite est historiquement complexe : pourquoi ne pas s'intéresser, un jour, à la multiplicité sans équivalent des caisses de retraite dans notre pays ? On pourrait envisager de les fusionner.

PermalienJean-Louis Butour, conseiller confédéral de la Confédération générale du travail, CGT

Cela ne changerait rien à la complexité des conditions posées par la loi et le règlement, notamment en matière de ressources. Les assurés sont très mal informés. Un travail est d'ailleurs en cours au sein de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés : nous essayons, notamment à partir de l'activité des commissions de recours amiable, de repérer les problématiques les plus fréquentes et de trouver des solutions.

Mais pour agir, il faut des moyens. Nous sommes progressivement passés, notamment à la demande du Gouvernement et du Parlement, à des mécanismes de gestion de risques plus que de contrôle. Gérer les risques, c'est admettre une part de risque, et par conséquent une part d'indus et une part de fraude. Mais en demandant aux organismes de ne pas remplacer un départ sur deux à la retraite, on limite les moyens disponibles pour ce travail complexe et qui nécessite de surcroît une formation.

Faute de personnel, on ne pourra pas faire de prévention, alors qu'il conviendrait de revoir l'ensemble des mécanismes d'information de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés. Afin d'améliorer la transparence, il faudrait une obligation de motivation des actes, telle qu'on la connaît pour les actes administratifs. Évitons de transformer en fraudeurs des assurés qui n'avaient pas du tout l'intention de frauder : dans le cas des longues carrières, on ne peut pas nier qu'il y a eu des faux témoignages, mais on a fait tout ce qu'il fallait, y compris au Parlement, pour provoquer ce qui s'est produit…

PermalienJean-Michel Cano, membre du secteur « protection sociale » confédéral de la Confédération générale du travail et conseiller à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés

Nous avons besoin de définitions aussi claires que possible sur un certain nombre de points. Qu'est-ce que la fraude ? Que sont les abus ? Que faut-il imputer à la méconnaissance ? Je rappelle qu'un assuré social dont on a mal calculé les indemnités journalières est en situation d'indu. Il est considéré comme un fraudeur, alors qu'il ne maîtrise en rien l'attestation salariale de son employeur ni le calcul des indemnités effectué par la caisse primaire. On lui demande de rembourser le trop-perçu, ce qui est normal, mais il faut faire attention à la manière dont on le traite.

Le système a, par ailleurs, atteint un tel degré de complexité que les divergences d'appréciation entre les caisses ne sont pas rares, ce qui met en difficulté les assurés, les agents des organismes, ainsi que les professionnels et les établissements de santé. La complexité des groupes homogènes de séjours (GHS) en est l'illustration.

PermalienPhoto de Dominique Tian

Les organisations syndicales siègent dans les conseils des organismes sociaux. Que faites-vous concrètement pour réduire la complexité du système ?

PermalienJean-Michel Cano, membre du secteur « protection sociale » confédéral de la Confédération générale du travail et conseiller à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés

Je participais hier à la commission de réglementation de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, qui s'est opposée à un projet de décret tendant à créer de nouveaux groupes homogènes de séjours, dont l'effet serait de complexifier encore la situation. Il faut cesser d'empiler les normes, car personne n'y comprend plus rien. On peut d'ailleurs se demander si ce n'est pas une démarche délibérée ; non pas du pouvoir législatif, qui ne fait que définir un cadre, mais du pouvoir réglementaire qui négocie et échange avec certains professionnels de santé. Aujourd'hui, un médecin conseil contrôlant un établissement de santé peut très bien voir sa décision remise en cause parce qu'une appréciation différente est retenue par la caisse primaire d'assurance maladie voisine ou au niveau national.

M. le coprésident Pierre Morange. Nous sommes convaincus de la nécessité de clarifier un paysage devenu une telle jungle que personne ne peut plus en avoir une vision exhaustive et opérationnelle. C'est pourquoi nous allons vous inviter à participer à un travail collectif. Quelles propositions pourriez-vous aujourd'hui nous faire ?

PermalienJean-Michel Cano, membre du secteur « protection sociale » confédéral de la Confédération générale du travail et conseiller à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés

En cas de fraude avérée, les cliniques et les professionnels de santé se dégagent de leur responsabilité en remboursant le montant fraudé. Mais l'assurance maladie engage des dépenses importantes pour réaliser les contrôles : il a ainsi fallu mobiliser huit agents pendant six mois pour percer à jour une fraude de trois millions d'euros commise par une clinique de la région parisienne ; est-il normal que celle-ci ne rembourse que le montant de la fraude ?

J'appelle en outre votre attention sur la durée de conservation des pièces, de deux ans et trois mois : c'est trop peu. Quand on détecte une fraude commise par un professionnel de santé, il est impossible de remonter au-delà de cette durée faute de documents probants. Or on ne peut pas caractériser la fraude en l'absence de pièces. Il conviendrait d'assurer une véritable dématérialisation de ces pièces, avec l'approbation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, ou bien d'allonger la durée de conservation des données afin de permettre des recherches sur des périodes plus longues.

PermalienPhoto de Dominique Tian

La Cour des comptes observe que très peu de sanctions sont prononcées à l'encontre des professionnels de santé, qui s'exposent surtout à devoir rembourser le montant de leur fraude. On n'a pas l'impression d'une volonté de s'en prendre aux professionnels qui abusent du système. Ne pourriez-vous pas vous faire l'écho de cette préoccupation auprès des organismes sociaux ? La décision de poursuivre ou non les professionnels de santé relève de la responsabilité de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés.

PermalienJean-Michel Cano, membre du secteur « protection sociale » confédéral de la Confédération générale du travail et conseiller à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés

Elle exerce des poursuites, mais vous connaissez ses relations avec les professionnels de santé et l'impact que peut avoir le fait de cibler l'un d'entre eux comme fraudeur.

PermalienPhoto de Dominique Tian

La Cour des comptes écrit que l'impunité des professionnels de santé n'est satisfaisante ni du point de vue de l'équité, ni du point de vue de l'efficacité.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Estimez-vous que les tribunaux sont suffisamment saisis de tels faits ?

PermalienJean-Michel Cano, membre du secteur « protection sociale » confédéral de la Confédération générale du travail et conseiller à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés

Oui, mais le lobbying dont fait l'objet l'assurance maladie la contraint régulièrement à faire machine arrière. Je pense notamment au Conseil national de l'ordre des médecins et à diverses organisations qui se sont précisément fédérées pour éviter de telles actions en justice. En cas de fraude d'un médecin, il est possible de saisir soit le tribunal des affaires de sécurité sociale soit le Conseil national de l'ordre, et le choix est difficile.

PermalienPierre Morange Quid, président

de la saisine des procureurs de la République en cas de violation du code des marchés publics par les établissements de santé ? Avez-vous le sentiment qu'ils sont suffisamment saisis ?

PermalienJean-Michel Cano, membre du secteur « protection sociale » confédéral de la Confédération générale du travail et conseiller à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés

Oui, c'est mon sentiment.

PermalienJean-Marc Bilquez, secrétaire confédéral de Force Ouvrière, FO chargé de la protection sociale

Partageant assez largement tout ce que mes collègues ont pu dire jusqu'à présent, je n'y reviendrai pas. Pour Force Ouvrière, la lutte contre les fraudes est un impératif qui tombe sous le sens. Depuis déjà un certain nombre d'années, nous constatons dans les organismes que la volonté de lutter contre les fraudes grandit. Il faut souligner que l'évolution est réelle.

PermalienPhoto de Pierre Morange

J'ai encore un souvenir précis de la diabolisation dont avaient fait l'objet, en 2006, mes amendements sur l'interconnexion des fichiers… Depuis, les esprits ont fortement évolué.

PermalienJean-Marc Bilquez, secrétaire confédéral de Force Ouvrière, FO chargé de la protection sociale

Sans retirer aux parlementaires leurs mérites, je crois nécessaire de reconnaître ceux des personnels : en disant que les organismes sont convaincus de la nécessité de lutter contre la fraude, je ne parle pas seulement, bien entendu, de leurs dirigeants, de leur conseil d'administration ou de leur modeste conseil car à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, où je siège, nous ne sommes plus administrateurs. Mais je pense surtout aux personnels.

PermalienPhoto de Pierre Morange

S'agissant de « l'appropriation culturelle » de la démarche de lutte contre la fraude par les personnels, la Cour des comptes a formulé dans son rapport une appréciation plus tempérée que la vôtre. Pensez-vous que son avis est un peu daté ou que des progrès ont eu lieu ?

PermalienJean-Marc Bilquez, secrétaire confédéral de Force Ouvrière, FO chargé de la protection sociale

L'appréciation de la Cour des comptes me paraît, en effet, un peu datée : il existe toujours une marge de progression mais il nous paraît clair, quand nous parlons avec les personnels, que les choses avancent. Cela dit, leur sentiment est qu'ils n'ont pas toujours les moyens de faire leur travail. Ce problème de moyens ne relève pas de la direction des organismes, mais de l'État. À la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, M. Jean-Michel Cano et moi-même venons de participer à des discussions sur la convention d'objectifs et de gestion, dont le contenu est à cet égard dramatique : j'ai voté sans aucune difficulté l'orientation « gestion du risque », dont la lutte contre la fraude fait partie, mais j'ai néanmoins voté contre la convention d'objectifs et de gestion, l'État n'apportant pas les moyens nécessaires. L'aveuglement avec lequel la révision générale des politiques publiques (RGPP) est appliquée aux organismes sociaux conduit ainsi les personnels à se trouver confrontés à un problème de crédibilité de leur travail : ils ne peuvent pas aller au bout de ce qu'ils voudraient faire. J'insiste sur la responsabilité de l'État dans cette situation.

Au-delà de la fraude aux prestations et de la fraude aux cotisations, il faut s'intéresser au champ de fraude énorme qu'a révélé l'affaire du Mediator. Elle sera peut-être suivie d'autres affaires.

PermalienPhoto de Pierre Morange

La MECSS avait effectué une mission sur le médicament, sa fiscalité, sa prescription et son utilisation. Le rapport établi par notre collègue socialiste Mme Catherine Lemorton, qui avait été fortement contesté par l'industrie pharmaceutique, préconisait le renforcement des dispositifs de pharmacovigilance. La MECSS l'avait voté à l'unanimité.

PermalienJean-Marc Bilquez, secrétaire confédéral de Force Ouvrière, FO chargé de la protection sociale

Il faudrait aussi se préoccuper du problème de la sous-déclaration des accidents du travail, qui fait régulièrement l'objet de rapports de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Il s'agit, là encore, de fraudes et d'abus de la part des employeurs. Peut-être l'assurance maladie n'en fait-elle pas assez, mais quels sont ses moyens d'action ?

Enfin, il me paraît essentiel de mener un travail de prévention sur l'ensemble des sujets, à l'égard des assurés, des professionnels de santé et de l'ensemble des personnes concernées.

PermalienPhoto de Dominique Tian

À combien chiffrez-vous la fraude pour la branche Maladie ? Et que dites-vous des surfacturations dont la Sécurité sociale est victime dans les hôpitaux ?

PermalienJean-Marc Bilquez, secrétaire confédéral de Force Ouvrière, FO chargé de la protection sociale

Je ne suis pas un technicien du chiffrage.

PermalienPhoto de Dominique Tian

Mais que pensez-vous des radios à répétition, des examens redondants ?

PermalienJean-Marc Bilquez, secrétaire confédéral de Force Ouvrière, FO chargé de la protection sociale

Sur ces sujets, il faut être prudent et éviter les poncifs.

Je rappelle que la tarification à l'activité (T2A) n'est pas une invention française. Elle est appliquée dans beaucoup de pays, dont certains ont d'ailleurs commencé à faire marche arrière.

Par ailleurs, dans la définition des groupes homogènes de séjours, le ministère de la santé me paraît avoir un rôle central.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Il ne s'agit pas pour nous de jeter la pierre à tel ou tel, mais de trouver comment mettre fin à certains dysfonctionnements.

PermalienJean-Louis Besnard, conseiller national de l'Union des syndicats autonomes, UNSA

L'organisation à laquelle j'appartiens occupe une place quelque peu marginale dans les organismes sociaux, ce qui limite sa capacité d'expertise. La lutte contre la fraude est évidemment pour nous un objectif d'intérêt général ; sans doute faudrait-il s'intéresser d'aussi près à la fraude fiscale qu'à la fraude sociale.

PermalienPhoto de Pierre Morange

La MECSS, émanation de la commission des affaires sociales, ne peut s'occuper que de ce qui relève de son champ de compétences.

PermalienJean-Louis Besnard, conseiller national de l'Union des syndicats autonomes, UNSA

Les chiffres qui ont été avancés concernant la fraude sociale ne sont que des évaluations, incertaines et bien inférieures à celles de la fraude fiscale. Il me paraît nécessaire de se garder d'un discours stigmatisant et réducteur.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Je rappelle les montants : la fraude fiscale est estimée entre 30 et 40 milliards d'euros chaque année ; pour la fraude sociale, on évoque en général une fourchette de 10 à 12 milliards. Mais ces montants ne sont qu'une estimation.

PermalienJean-Louis Besnard, conseiller national de l'Union des syndicats autonomes, UNSA

Mon intention n'est nullement de minorer l'importance de la fraude sociale, ni bien évidemment la nécessité de lutter contre.

Je rejoins Mme Danièle Karniewicz pour dire qu'il faut veiller à améliorer l'accès aux droits : les réglementations sont non seulement compliquées, mais variables dans le temps, ce qui crée beaucoup de difficultés pour les assurés, qui peuvent se retrouver dans une position de fraudeur sans l'avoir voulu.

S'agissant des techniques de lutte contre la fraude, les administrateurs des caisses ne me paraissent pas les mieux placées pour déterminer les procédures les plus adéquates.

PermalienPhoto de Dominique Tian

Selon la définition qui figure dans le code de la sécurité sociale, la fraude suppose un caractère intentionnel. C'est sur cette fraude que portent les estimations fournies par la Cour des comptes.

PermalienSerge Cigana, représentant de la Confédération française démocratique du travail, CFDT au conseil d'administration de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, ACOSS

Je voudrais, pour terminer, formuler quelques propositions concrètes.

Il faut clarifier la réglementation. On l'a vu en matière de cotisations sociales des entreprises, en faveur desquelles 266 millions d'euros ont été régularisés en 2009.

Comme il a été dit, il convient de faire un travail de prévention. La question de la réversion a été évoquée. Il serait également important de bien informer les auto-entrepreneurs que leur situation n'est pas celle des salariés en matière de droits à la retraite.

Concernant la fraude, le plan de communication a été bien perçu ; ce genre d'opération me paraît devoir être renouvelé.

Cela étant, il faut des moyens humains à la dimension de la tâche à accomplir. Nous n'ignorons pas les contraintes budgétaires actuelles mais nous réclamons un renforcement des moyens car il en va de la capacité des organismes à agir : actuellement, je le répète, certains départements disposent d'un demi-équivalent temps plein pour la lutte contre le travail illégal !

Il faudrait que les conseils généraux fassent partie des comités opérationnels départementaux anti-fraude.

J'ai déjà évoqué le suivi du recouvrement effectif des indus du revenu de solidarité active. La plupart du temps, il n'y a pas de préméditation. Dans la majorité des cas, il s'agit de personnes qui trouvent dans la fraude une solution à leur situation de précarité. Souvent les allocataires n'ont pas de ressources et on ne peut recouvrer auprès d'eux les sommes indûment perçues.

Je voudrais enfin évoquer des problèmes annexes qui peuvent engendrer des dérives : le non-recours aux droits – ce sujet fait actuellement l'objet d'une étude par la Caisse nationale d'allocations familiales et la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) –, la répartition des médecins sur le territoire, le paiement à l'acte.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Merci à tous. N'hésitez pas à nous faire parvenir des contributions écrites sur vos préconisations opérationnelles.

La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède ensuite à l'audition de M. François Schechter, inspecteur général des affaires sociales, coauteur du rapport de l'inspection générale des affaires sociales et de l'inspection générale des finances sur le dispositif des départs anticipés pour carrières longues.

PermalienFrançois Schechter, inspecteur général des affaires sociales

Nous avons été saisis avant l'été 2008, à la suite d'une demande du directeur de la sécurité sociale, lui-même alerté à deux reprises depuis décembre par la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, qui s'inquiétait d'une augmentation des flux d'examen des dossiers de complétion pour carrières longues.

Nous avons donc d'abord rencontré les trois têtes de réseau, la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA), l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale et la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés. L'Inspection générale des finances ayant organisé une « suite » de brigades, nous pouvions avoir recours à l'ensemble de ses jeunes inspecteurs : de ce fait, nous avons pu visiter de nombreux sites et intervenir sur l'ensemble des réseaux sous une forme qui s'apparentait à des opérations « coups de poing ».

Après avoir conduit des tests dans des caisses, choisies au hasard, dépendant de chacun des trois opérateurs, M. David Lubek, de l'Inspection générale des finances, et moi-même avons concentré nos efforts sur la Mutualité sociale agricole (MSA), où nous avions identifié des éléments de fragilité, confirmés par des informations reçues par ailleurs.

À la mi-juillet, nous avons élaboré à l'attention du ministre du budget de l'époque, M. Éric Woerth, une note d'étape. Sur cette base, il a pris plusieurs décisions. Cependant, nos constats n'avaient déjà plus qu'une valeur historique : depuis janvier 2008, une circulaire de la direction de la sécurité sociale avait, fort heureusement, modifié le régime que nous avions contrôlé. Il était réellement « fraudogène », c'est-à-dire si fragile, si peu contraignant et si incitatif à la fraude que c'est un miracle que les fraudeurs n'aient pas été plus nombreux. Ce qui nous a frappés, c'est qu'aucun des trois réseaux n'avait songé à développer une approche commune aux régimes ou aux caisses, alors même qu'il avait été décidé, dans le cadre de la réforme des retraites, de favoriser les complétions de carrières longues. En outre, les décisions prises ne pouvaient être que très difficilement corrigées.

Nous avons débusqué des situations préoccupantes, voire cocasses. Aucune des trois têtes de réseau ne s'était rendu compte de l'extraordinaire hétérogénéité des conditions d'instruction des dossiers. Tandis qu'une union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) pouvait avoir organisé un examen des dossiers sur pièces, la réception des demandeurs et le recoupement des informations, sa voisine, à quelques dizaines de kilomètres, ne convoquait même pas les bénéficiaires et calculait les retraites, non pas sur des bases forfaitaires, mais sur les salaires déclarés.

J'ai découvert qu'au lieu d'instruire les dossiers, un agent solitaire de la Mutualité sociale agricole de la région d'Île-de-France aidait les demandeurs à les améliorer. Le « festival » de témoignages douteux, d'invraisemblances, d'homonymies non vérifiées que nous avons découvert dans certains dossiers nous a parfois bien fait rire.

Malgré trois circulaires de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, personne n'a traité le problème. L'actuel directeur général de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole est d'ailleurs convenu du caractère surprenant de cette absence de réaction.

En fait, l'attention des pouvoirs publics a été attirée par un afflux de demandes que personne n'avait vu venir. C'est pourquoi nul ne saurait en faire grief à la seule Mutualité sociale agricole. Nous avons parfaitement pu expliquer cette augmentation du flux : la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés avait commis une erreur d'appréciation en ce qui concerne la validation des périodes d'apprentissage. Mais cette erreur, qui pouvait être corrigée sans difficulté, nous a fait découvrir d'autres pratiques et lors de la commission des suites qui s'est tenue à l'Inspection générale des affaires sociales l'an dernier, il a fallu adopter des correctifs importants. Pour parler pudiquement, l'affaire a montré que si la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole était bien une caisse centrale, elle n'était pas encore une vraie tête de réseau. Seules une ou deux caisses avaient évoqué la situation, de façon cursive et lacunaire, dans certains de leurs conseils.

Si, dans la chaîne de services à l'assuré, la culture de la réglementation, de la prestation, de l'instruction, du conseil étaient bien présentes, aucune approche n'y permettait de discerner les comportements déviants. Les agents n'étaient pas formés à ce travail. Le seul outil d'analyse du risque est celui que nous avons très modestement proposé dans notre rapport. Aujourd'hui, seule la réglementation fait écran à la fraude. Or, ne répondre aux risques de fraude que par un supplément de réglementation peut aboutir à des lourdeurs ainsi qu'à des pénalisations injustes.

À ce propos précisément, dernier paradoxe, ce dossier a fait apparaître la forte pénalisation par le système des fils d'agriculteurs passés par des maisons familiales rurales. Ils n'ont en effet pas pu faire valider leurs périodes d'apprentissage, les maisons familiales rurales n'ayant pas été reconnues par la loi de 1972 comme centres de formation d'apprentis alors qu'elles fonctionnaient effectivement comme telles. Dans le même temps, d'autres abusaient du système en faisant valider des périodes de travaux aux champs relevant de la pure poésie ! Cette injustice m'a laissé une certaine amertume.

PermalienPhoto de Dominique Tian

À combien s'est monté le préjudice pour les finances publiques ?

PermalienFrançois Schechter, inspecteur général des affaires sociales

À partir d'échantillons, nous avons estimé que la fraude portait sur 10 à 45 millions d'euros. Le rapport donne les raisons d'une telle amplitude.

PermalienFrançois Schechter, inspecteur général des affaires sociales

Oui.

PermalienPhoto de Dominique Tian

Ces fraudes pourraient-elles être parfois dues, non à un défaut d'organisation ou de vigilance de la part de la Mutualité sociale agricole ou des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales, mais à des complicités ?

PermalienFrançois Schechter, inspecteur général des affaires sociales

Nous avons repéré deux sortes de fraudes. La première est la fraude anodine, à attendre dans un système vraiment très relâché. Elle a été corrigée. Mais nous avons aussi découvert une entreprise de fraude organisée, au moyen notamment de faux documents, et constaté que des agents, ayant perdu leurs repères, pratiquaient une forme de délit d'initié social, en faisant profiter des proches d'informations dont ils disposaient à titre professionnel. Dans certaines caisses, des agents ont validé au profit de proches 70 trimestres d'un coup ! La fraude est alors avérée.

Même face à des faits précisément établis, les services de contrôle interne, puis les services de police, peuvent se retrouver en position incertaine si leur auteur prend un avocat. La commission des suites nous a ainsi expliqué que des dossiers n'avaient pas abouti parce que, en l'absence d'aveu des intéressés, il était très difficile d'aller au-delà de la constatation de la fraude. Si certains agents ont sans doute vu leur carrière retardée ou compromise, les conséquences pour d'autres, déjà retraités, ont été minimes.

C'est un problème à la fois de formation et de déontologie qui est en cause. À l'Inspection générale des affaires sociales, nous avons établi des règles très claires en matière de déclaration de conflit d'intérêts et d'information de notre direction au cas où, à l'occasion d'une mission, nous sommes amenés à traiter une information qui pourrait fragiliser les procédures de l'Inspection générale des affaires sociales et faciliter la défense des personnes contrôlées. Toute information qui pourrait être exploitée à des fins personnelles doit être portée à la connaissance du chef de corps, ne serait-ce que par courriel. Cette procédure n'existait pas dans les trois régimes lorsque nous y avons enquêté. Si leurs obligations générales étaient très proches de celles des fonctionnaires, les agents, pour des raisons historiques, n'ont reçu qu'une formation sommaire. De plus, la formation déontologique des agents d'encadrement du secteur médico-social, social et sanitaire reste très scolaire. Ils se contentent de gérer des procédures. Ceux qui ont utilisé des informations ont, je le répète, manqué de repères.

Un code de déontologie ne doit pas être seulement un document disponible sur l'intranet de la Caisse. Les managers doivent le « faire vivre ». Régulièrement, ils doivent expliquer les risques auxquels ceux qui s'écarteraient des règles exposeraient l'institution et s'exposeraient eux-mêmes, sachant que, dans ces cas, la fraude finit toujours par être détectée.

PermalienPhoto de Dominique Tian

Celui qui verse les prestations doit-il se contrôler lui-même ?

PermalienFrançois Schechter, inspecteur général des affaires sociales

Le contrôle interne des organismes de prestations sociales et des hôpitaux doit être lui-même contrôlé : il n'est pas raisonnable qu'une personne puisse en être chargée pendant vingt-trois ans d'affilée !

Les principaux organismes doivent disposer d'un corps de contrôle interne et, sans doute, d'un dispositif d'alerte : pour moi, à l'exemple des entreprises privées soumises à la loi américaine Sarbanes-Oxley, une personne doit pouvoir signaler des dysfonctionnements en étant protégée. Je me souviens aussi que, dans l'entreprise anglo-saxonne où j'ai travaillé, je recevais tous les deux mois une formation au titre de cette loi.

Dans les établissements de plus petite taille, il appartient aux corps d'inspection, dans le cadre de leurs plans de contrôle, non seulement de faire prendre conscience aux gestionnaires que des procédures de contrôle interne et qu'un contrôle de gestion régulier sont indispensables, mais de leur expliquer qu'eux-mêmes passeront régulièrement sous l'oeil du contrôleur. Nous disposons désormais d'une jurisprudence à cet égard : le tribunal administratif de Paris a condamné l'ancienne Commission de contrôle des institutions de prévoyance, désormais fusionnée avec la Commission de contrôle des assurances, pour défaut de contrôle et de vigilance. L'environnement actuel impose donc déjà aux pouvoirs publics de procéder à ces contrôles. À l'Inspection générale des affaires sociales, nous mettons l'accent sur ce point.

Enfin, les organismes qui dépendent des collectivités territoriales ou de la direction générale de la cohésion sociale doivent relever, s'ils mènent des politiques publiques, d'un corps d'inspection et, sinon, d'un dispositif d'alerte. Le ministre chargé des affaires sociales dispose à leur égard d'instruments plus nombreux qu'auparavant : la direction de la sécurité sociale est désormais dotée d'un corps de contrôle et le secrétariat général pilote avec l'Inspection générale des affaires sociales la mission d'audit interne du ministère (MAI).

Les progrès sont réels : des leçons ont été tirées de ce qui s'est passé entre 2003 et 2006. Il faut dire que, lorsque nous avons présenté les résultats de nos enquêtes, les directeurs généraux des têtes de réseaux se sont sentis quelque peu sur la sellette…

PermalienPhoto de Dominique Tian

À l'occasion de l'audition de représentants de la Mutualité sociale agricole, nous avons découvert non seulement que des fautes avaient été commises, mais que des personnes s'étaient enrichies à titre personnel. À force d'insistance, nous avons fini par apprendre que la Mutualité sociale agricole d'Île-de-France avait procédé au licenciement de cinq agents et la caisse centrale d'un, et que, pour 10 000 dossiers réexaminés, 74 cas avaient fait l'objet d'une plainte au pénal pour fraude. C'est là un taux de poursuites extrêmement faible.

PermalienFrançois Schechter, inspecteur général des affaires sociales

Pendant la tenue de la commission des suites, nous pressentions déjà ce qu'il allait en advenir. La mission elle-même a préconisé de ne traiter que les dossiers à risque portant sur plus de quatorze trimestres. Autrement dit, nous avons probablement de nous-mêmes « biseauté » fortement le dispositif.

Réunir les preuves est très complexe. Le dispositif que nous avons examiné est, je l'ai dit, « fraudogène » et difficilement amendable. Il est l'illustration de tout ce qu'il ne fallait pas faire. Il a été construit à la hussarde. Les circulaires ont été rédigées dans l'idée que les gestionnaires allaient par eux-mêmes découvrir la méthode de contrôle, ce qui n'est évidemment jamais le cas. Une forte proportion des agents ne disposait pas du niveau suffisant pour procéder aux contrôles. Les outils étaient désuets : dans bien des caisses de Mutualité sociale agricole, même la vérification de l'existence des exploitations était très difficile ; il fallait parfois appliquer des plaques de verre sur le cadastre. Certaines caisses n'étaient tout simplement pas en capacité de contrôler.

Une fois les éléments réunis, il revient à chaque directeur général d'apprécier les chances d'aboutir à une condamnation. Beaucoup de gens l'ont ainsi échappé belle. En outre, nous n'avons inspecté qu'une partie des caisses et j'ai appris, plus tard et par d'autres canaux, qu'ailleurs, la situation allait au-delà de ce que nous avions pu constater de plus grave.

L'inspection après coup n'est pas une solution pour remédier à un dispositif mal conçu. S'il était très généreux, ce qui était socialement et politiquement légitime, le nombre de situations folkloriques que nous avons pu mettre au jour montre aussi que, s'agissant de la complétion des droits comme de la vérification des pièces, l'organisation souffrait de vices originels.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Les corrections apportées vous semblent-elles suffisantes ?

PermalienFrançois Schechter, inspecteur général des affaires sociales

La commission des suites travaille sur la base des déclarations des personnes entendues. Dans ce dossier, cependant, le délégué interministériel, assisté d'un magistrat, était présent pour vérifier que les motifs juridiques invoqués par les caisses étaient les bons.

Les organismes ont été relativement honnêtes ; ils nous ont confirmé l'ampleur du « biseau » entre la fraude identifiée et les mesures correctives. Nous ne sommes pas allés ensuite vérifier si ces mesures, introduites par voie de circulaires ou de lettres circulaires et qui portaient sur la formation des agents, sur la déontologie et sur le renforcement du contrôle interne, étaient bien appliquées sur le terrain.

PermalienPhoto de Dominique Tian

Trouveriez-vous utile, comme l'un de nos collègues l'a préconisé, de créer un corps chargé de contrôler l'ensemble des organismes qui versent des prestations, selon les modalités en vigueur pour les contrôles fiscaux ?

PermalienFrançois Schechter, inspecteur général des affaires sociales

Je vous répondrai en faisant appel à une expérience antérieure, dans un organisme privé, Experian, qui effectuait pour les douanes britanniques et pour les services fiscaux américains des tâches de contrôle de fraude, selon des procédures strictes.

Pour moi, en créant son corps de contrôle – qui n'est pas un corps d'inspection –, la direction de la sécurité sociale a bien identifié la nécessité de définir des modalités adaptées aux spécificités des organismes sociaux. En revanche, que ce corps de contrôle soit placé auprès du directeur pourrait avoir des répercussions sur la relation entre la direction de la sécurité sociale et ces organismes. Une voie médiane consisterait à ce que les corps de contrôle interne rendent compte, sous une forme à définir, au pouvoir législatif.

En revanche, créer un nouvel acteur supposerait de clarifier les compétences de la mission d'audit interne, des inspecteurs de la direction de la sécurité sociale, de l'Inspection générale des affaires sociales et de l'Inspection générale des finances. Lorsqu'on examine leurs modes de travail, une coordination n'a rien d'évident. L'Inspection générale des affaires sociales élabore un programme de travail qu'elle soumet au ministre et les organismes sociaux entrent sans aucun doute dans le champ de son contrôle. Mais le directeur de la sécurité sociale, s'il ne l'a déjà fait, vous expliquera sans doute beaucoup mieux que moi, de façon très documentée, pourquoi ce nouvel acteur n'est pas utile !

Se pose aussi une question de coût, surtout si vous considérez qu'au-delà des procédures, le contrôle devrait également porter sur l'ensemble de la gestion de ces organismes, et notamment sur leurs politiques de regroupement de sites ou de mutualisation des moyens.

La réponse à la question que vous posez touche aussi à l'organisation de l'État ; c'est pourquoi elle doit être débattue au plus haut niveau.

Pour les Anglo-Saxons, c'est au moment du calcul de la prestation qu'il faut agir. La transposition de cette méthode en France est délicate : aux États-Unis et en Grande-Bretagne, les données personnelles font l'objet d'un traitement trop différent du nôtre. Le contrôle s'y appuie sur des systèmes d'aide à la décision reposant eux-mêmes sur l'utilisation de bases de données et de recoupements. Le débat qui a duré quinze ans en France sur le numéro d'inscription au répertoire (NIR) a été réglé aux États-Unis en 1947 ou 1948 ; les deux premiers ordinateurs d'IBM capables de traiter ce type de données achetés par l'administration civile américaine ont été destinés à l'Internal Revenue Service. La Grande-Bretagne dispose également d'un système de bases de données pour lutter contre la fraude. Je ne saurais vous assurer que les résultats sont meilleurs qu'en France, mais il est certain que chaque directeur régional dispose ainsi d'informations sur la situation d'un administré ou d'un assuré social au regard des dispositifs fiscaux sans commune mesure avec celles dont dispose un directeur d'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales sur la situation de chaque bénéficiaire ou cotisant au regard des prestations versées, à verser ou en attente.

Les différences entre modalités de contrôle américaines ou britanniques et françaises ne s'arrêtent pas là. Aux États-Unis, mentir à un corps de contrôle est un crime. Devant une mission de contrôle, tout agent public détenteur d'autorité est ainsi mis dans une situation psychologique très différente de celle d'un agent français. Il sait que, dans le déroulement même de la procédure, omettre des éléments, ne pas effectuer toutes les diligences, le met juridiquement en situation de risque à titre personnel. Sa responsabilisation est ainsi très large. De plus, la judiciarisation américaine l'expose à être attaqué par un usager, éventuellement aidé d'un avocat bien informé.

Je suis toutefois persuadé qu'en France, le régime de la faute de service sera un jour ou l'autre supplanté par un régime de responsabilité personnelle.

Cela dit, pour précis que soient ces dispositifs d'aide à la décision – qui seraient en France en contradiction avec la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés –, ils ne sont pas pour autant parfaits : des bandes comportant des données nominatives ont été retrouvées dans une poubelle…

PermalienPhoto de Dominique Tian

À mesure que nous avançons, nous constatons aussi que les dossiers sont traités de façon anonyme, sous forme dématérialisée, sans qu'il y ait une rencontre physique entre le demandeur et l'agent. Le face-à-face n'aurait-il pas permis d'éviter les fraudes, et si oui, en quelle proportion ?

PermalienFrançois Schechter, inspecteur général des affaires sociales

Notre rapport expose très clairement que convoquer les bénéficiaires et leur demander les pièces dont ils se prévalent aurait permis d'éviter un nombre considérable de situations qu'on peut aujourd'hui qualifier de frauduleuses. Cela étant, au moment où les faits se sont produits, leurs auteurs ont pu, vu la faible rigueur du système, n'y voir que des « bons coups » à faire, un peu comme lorsqu'on réussit à éviter de payer au parcmètre !

L'inconscience que nous avons constatée nous a stupéfiés. Nous avons par exemple retrouvé des mots de remerciement pour des indications fournies adressés par téléphone aux bénéficiaires de ces situations. Aujourd'hui pourtant, la circulation de l'information permet de contourner la protection juridique dont pensent bénéficier les acteurs publics.

Cela étant, je pense effectivement que rencontrer physiquement les bénéficiaires au moins une fois au cours de la procédure pour leur poser une série de questions préparées à l'avance permettrait de détecter des comportements répréhensibles.

PermalienPhoto de Dominique Tian

Dans certains cas, une simple lecture des attestations de travail aurait pu permettre de voir qu'elles couvraient une période où l'intéressé n'était pas encore né !

PermalienFrançois Schechter, inspecteur général des affaires sociales

C'est là, au mieux, de l'amateurisme !

C'est une folie que de fonder un système sur la moralité du bénéficiaire. Un dispositif doit être rigoureux, précisément expliqué aux agents, et appliqué avec méthode. La personne qui en bénéficie doit pressentir qu'elle sera contrôlée.

Tout un dossier a pu être rédigé de la même main et comprendre des attestations attribuées aussi bien à un maire honoraire, père du bénéficiaire, qu'au gardien du château de famille ! D'autres personnes, à l'inverse, avaient visiblement été guidées par l'agent : on trouvait leur lettre de remerciement dans le dossier, où l'employé l'avait laissée !

Tous les services encaisseurs souffrent de ce que j'appellerai un peu pompeusement une « fracture actuarielle ». Ils se satisfont d'encaisser, sans se soucier du décalage entre le montant perçu et celui des droits ainsi ouverts, qui peuvent être dix ou cinquante fois supérieurs compte tenu de la durée moyenne pendant laquelle ils seront honorés. La raison en est sans doute d'abord que nombre de leurs agents n'ont pas été formés, ayant été recrutés dans les années 1970 pour mettre en oeuvre un système beaucoup plus simple. On devrait à tout le moins fournir à ceux qui instruisent les dossiers de reconstitution de carrière une table leur indiquant la prestation moyenne qui sera versée pour chaque euro perçu par la caisse. Nos collègues de l'Inspection générale des finances sont arrivés à démontrer à des dirigeants de caisses stupéfaits qu'en cumulant les dispositifs de validation, une mise de fonds de 5 000 ou 6 000 euros permettait la constitution d'un revenu complémentaire annuel décuple ! Personne dans le dispositif n'en avait conscience. L'alerte est venue de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, en décembre 2007, et de plus pour un motif qui n'était pas le bon ! L'envolée qui a attiré son attention avait en effet pour origine, non pas les modalités de liquidation, mais les validations de périodes.

PermalienPhoto de Dominique Tian

Du fait de la facilité avec laquelle de faux dossiers peuvent être construits à partir de fausses identités et de faux documents d'entreprise créateurs de droits, la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, nous a-t-on dit, commence à servir des retraites à des personnes n'ayant que très peu travaillé, voire pas travaillé du tout. Pour y remédier, ne faudrait-il pas envisager de réexaminer à fond certains dossiers, choisis par tirage au sort ?

Ne serait-il pas souhaitable également de revenir sur le caractère irrémédiable du versement de la pension liquidée, et ce pour l'ensemble des branches ? Cette réflexion me semble aussi valable pour le handicap : handicap déclaré et handicap réel sont-ils toujours identiques ?

PermalienFrançois Schechter, inspecteur général des affaires sociales

Le premier devoir d'un organisme, c'est de tester la robustesse de ses procédures. Deux techniques sont possibles, celle du « client mystère » et celle du contrôle externe massif. La méthode pratiquée dans le secteur privé sous le nom de « client mystère » consiste à injecter régulièrement dans les procédures d'instruction, en respectant bien entendu des règles déontologiques, des dossiers complètement fictifs et frauduleux, pour voir ce qu'il en advient. Un collègue et moi-même avions proposé, sans succès, à la mission de la préconiser. Après la présentation orale du rapport, le ministre du budget de l'époque avait repris un temps cette idée, mais les organismes contrôlés n'en ont pas voulu.

Quelles sont les possibilités pour un opérateur public de revenir sur une liquidation ? Les pistes sont peu nombreuses. L'administration fiscale recourt à l'abus de droit qui est l'utilisation d'un dispositif dans un but contraire à son esprit. Mais la procédure est très lourde. Intéressante pour des montages financiers, elle ne paraît guère utilisable dans des dossiers qui ne portent que sur 3 000 euros.

Une autre voie possible est celle de la liquidation provisoire ; le droit est servi, mais, compte tenu de la qualité jugée insuffisante des pièces, pour une durée limitée à la fin de laquelle, s'il n'y a pas été remédié, le service n'est pas prolongé. Cette procédure ne concernerait évidemment qu'une petite partie des dossiers, c'est-à-dire ceux qui présentent des risques.

Comment les déterminer ? Un graphique publié dans le rapport devrait être sur le bureau de chaque directeur de caisse : le croisement de la productivité et de la complexité de la fraude permet d'identifier dans chaque organisme quatre ou cinq dispositifs à risque, et donc les dossiers les plus sensibles.

Même si un membre du Conseil d'État nous a confié ses réticences pour des raisons juridiques, instaurer une période de liquidation provisoire a l'avantage de ne pas refuser les droits.

Qui prendra la décision de cette liquidation provisoire ? Quel sera le champ de contentieux ouvert ? Dans le cadre de la mission de sécurisation des procédures juridiques dont j'ai été chargé, j'ai examiné pendant deux mois avec les avocats de la place de Paris les conditions dans lesquelles les procédures sociales pouvaient être attaquées. Les « entrepreneurs du droit » étant ce qu'ils sont, des champs contentieux très complexes risquent d'être ouverts, portant notamment sur les relations entre la liquidation provisoire et le patrimoine de la personne. Il reste que le fraudeur ne doit pas éprouver le sentiment d'impunité que nous avons rencontré. L'avertissement, figurant sur les formulaires, relatif aux risques auxquels expose toute déclaration frauduleuse n'est pris au sérieux par personne aujourd'hui.

Il nous faudrait pouvoir amener les intéressés à accepter que leur situation puisse faire l'objet d'un examen, en vue d'une liquidation définitive, en allant au-delà de la production de pièces dont on a vu que certaines peuvent être fausses. À Marseille, on a découvert une entreprise spécialisée dans la constitution de faux dossiers en kit.

PermalienPhoto de Dominique Tian

Une affaire est en effet actuellement traitée par la justice dans cette ville – dont je suis l'élu. Il s'agirait d'une fraude aux carrières longues qui concernerait des centaines de personnes et aurait été réalisée grâce à de nombreuses complicités internes. J'ai aussi découvert, dans le cadre d'une mission sur les associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (ASSEDIC), des milliers de kits constitués à partir de fausses attestations revêtues d'un tampon très officiel, et vendus 1 500 euros pièce à l'entrée des agences.

L'éparpillement du système social français n'est-il pas une des causes de la fraude ? Le regroupement des informations, à l'instar de ce que pratique par exemple la Belgique, ne permettrait-il pas de mieux combattre celle-ci ? En France, la multiplicité des entrées, la constitution de dossiers parallèles, l'absence de regroupement des informations sur les personnes, l'identification très difficile de leurs ressources ne constituent-elles pas autant de portes d'entrée très facile pour la fraude ?

PermalienFrançois Schechter, inspecteur général des affaires sociales

Ne pas pouvoir mutualiser des informations sur les assurés pour examiner la cohérence de leurs différentes situations est en effet un élément de fragilité. Cela dit, la jurisprudence récente est très peu favorable à ce type de recoupements. Je ne sais pas quelle serait la position de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

Une solution intermédiaire est peut-être possible. Pendant notre mission, les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales étaient en train de mettre en place l'interlocuteur social unique (ISU) du Régime social des indépendants (RSI). Or, chaque rapprochement de deux systèmes d'information donne le sentiment qu'il impose de soulever des montagnes, donnant notamment lieu, presque toujours, à un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales ou de l'Inspection générale des finances, alors que ce type d'action ne semble pas poser problème dans d'autres pays européens. Si cette particularité française est pour moi un mystère, l'expérience de l'interlocuteur social unique me laisse penser que les rapprochements sont des périodes à risque : c'est parce qu'ils étaient mobilisés par cette tâche que le Régime social des indépendants et les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales se sont détournés de leurs missions de contrôle.

Sans doute conviendrait-il de sensibiliser les cadres dirigeants des organismes à la nécessité de procédures internes de lutte contre les fraudes et de politiques coordonnées destinées à détecter celles-ci. Il leur appartiendrait ensuite de prendre des initiatives, en liaison avec les directions des affaires juridiques et avec les services d'information. Si nos interlocuteurs déploraient les fraudes, et tentaient de se les expliquer, aucun ne s'en sentait véritablement responsable, alors même que le cabinet du ministre et les deux corps d'inspection s'étaient mobilisés, et que le ministre avait même pris le risque politique de constater la fraude.

Les trois circulaires de remise au point de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole sont plutôt curieuses. On y trouve des formulations du type : « il importera d'examiner attentivement les pièces », comme si une indication contraire était possible !

Quelles procédures instaurer ? Dans les années soixante-dix, le corps de direction de chaque caisse de sécurité sociale allait régulièrement réviser les dossiers pour apprécier le travail des agents. Les directions des caisses doivent se considérer comme responsables de l'instruction des dossiers et du contact avec l'assuré. Lorsque cinquante personnes arrivent le même jour de la même ville munies du même dossier pro forma, les agents doivent savoir que la direction attend qu'ils la préviennent. Elle aura vite compris la manoeuvre !

Deux ou trois fois par an, les inspecteurs expérimentés de l'Inspection générale des affaires sociales se mêlent aux plus jeunes dans une opération de contrôle. Suivant cet exemple, les directions des caisses devraient régulièrement instruire des dossiers. Chacun des membres de la haute direction du numéro un mondial de la distribution de la parfumerie tient un poste de vendeur en magasin deux semaines par an ! Il peut ainsi comprendre les modalités des vols. Imposer une période de présence sur le terrain améliorerait sans aucun doute la lutte contre la fraude.

Par ailleurs, il revient à la direction de la sécurité sociale d'élaborer chaque année un plan de lutte contre la fraude, de définir des priorités et, grâce à son corps de contrôle, d'en vérifier l'application.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Monsieur l'inspecteur général, merci de ces informations.

La séance est levée à onze heures cinquante.