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Intervention de François Schechter

Réunion du 10 février 2011 à 9h00
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

François Schechter, inspecteur général des affaires sociales :

Nous avons été saisis avant l'été 2008, à la suite d'une demande du directeur de la sécurité sociale, lui-même alerté à deux reprises depuis décembre par la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, qui s'inquiétait d'une augmentation des flux d'examen des dossiers de complétion pour carrières longues.

Nous avons donc d'abord rencontré les trois têtes de réseau, la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA), l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale et la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés. L'Inspection générale des finances ayant organisé une « suite » de brigades, nous pouvions avoir recours à l'ensemble de ses jeunes inspecteurs : de ce fait, nous avons pu visiter de nombreux sites et intervenir sur l'ensemble des réseaux sous une forme qui s'apparentait à des opérations « coups de poing ».

Après avoir conduit des tests dans des caisses, choisies au hasard, dépendant de chacun des trois opérateurs, M. David Lubek, de l'Inspection générale des finances, et moi-même avons concentré nos efforts sur la Mutualité sociale agricole (MSA), où nous avions identifié des éléments de fragilité, confirmés par des informations reçues par ailleurs.

À la mi-juillet, nous avons élaboré à l'attention du ministre du budget de l'époque, M. Éric Woerth, une note d'étape. Sur cette base, il a pris plusieurs décisions. Cependant, nos constats n'avaient déjà plus qu'une valeur historique : depuis janvier 2008, une circulaire de la direction de la sécurité sociale avait, fort heureusement, modifié le régime que nous avions contrôlé. Il était réellement « fraudogène », c'est-à-dire si fragile, si peu contraignant et si incitatif à la fraude que c'est un miracle que les fraudeurs n'aient pas été plus nombreux. Ce qui nous a frappés, c'est qu'aucun des trois réseaux n'avait songé à développer une approche commune aux régimes ou aux caisses, alors même qu'il avait été décidé, dans le cadre de la réforme des retraites, de favoriser les complétions de carrières longues. En outre, les décisions prises ne pouvaient être que très difficilement corrigées.

Nous avons débusqué des situations préoccupantes, voire cocasses. Aucune des trois têtes de réseau ne s'était rendu compte de l'extraordinaire hétérogénéité des conditions d'instruction des dossiers. Tandis qu'une union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) pouvait avoir organisé un examen des dossiers sur pièces, la réception des demandeurs et le recoupement des informations, sa voisine, à quelques dizaines de kilomètres, ne convoquait même pas les bénéficiaires et calculait les retraites, non pas sur des bases forfaitaires, mais sur les salaires déclarés.

J'ai découvert qu'au lieu d'instruire les dossiers, un agent solitaire de la Mutualité sociale agricole de la région d'Île-de-France aidait les demandeurs à les améliorer. Le « festival » de témoignages douteux, d'invraisemblances, d'homonymies non vérifiées que nous avons découvert dans certains dossiers nous a parfois bien fait rire.

Malgré trois circulaires de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, personne n'a traité le problème. L'actuel directeur général de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole est d'ailleurs convenu du caractère surprenant de cette absence de réaction.

En fait, l'attention des pouvoirs publics a été attirée par un afflux de demandes que personne n'avait vu venir. C'est pourquoi nul ne saurait en faire grief à la seule Mutualité sociale agricole. Nous avons parfaitement pu expliquer cette augmentation du flux : la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés avait commis une erreur d'appréciation en ce qui concerne la validation des périodes d'apprentissage. Mais cette erreur, qui pouvait être corrigée sans difficulté, nous a fait découvrir d'autres pratiques et lors de la commission des suites qui s'est tenue à l'Inspection générale des affaires sociales l'an dernier, il a fallu adopter des correctifs importants. Pour parler pudiquement, l'affaire a montré que si la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole était bien une caisse centrale, elle n'était pas encore une vraie tête de réseau. Seules une ou deux caisses avaient évoqué la situation, de façon cursive et lacunaire, dans certains de leurs conseils.

Si, dans la chaîne de services à l'assuré, la culture de la réglementation, de la prestation, de l'instruction, du conseil étaient bien présentes, aucune approche n'y permettait de discerner les comportements déviants. Les agents n'étaient pas formés à ce travail. Le seul outil d'analyse du risque est celui que nous avons très modestement proposé dans notre rapport. Aujourd'hui, seule la réglementation fait écran à la fraude. Or, ne répondre aux risques de fraude que par un supplément de réglementation peut aboutir à des lourdeurs ainsi qu'à des pénalisations injustes.

À ce propos précisément, dernier paradoxe, ce dossier a fait apparaître la forte pénalisation par le système des fils d'agriculteurs passés par des maisons familiales rurales. Ils n'ont en effet pas pu faire valider leurs périodes d'apprentissage, les maisons familiales rurales n'ayant pas été reconnues par la loi de 1972 comme centres de formation d'apprentis alors qu'elles fonctionnaient effectivement comme telles. Dans le même temps, d'autres abusaient du système en faisant valider des périodes de travaux aux champs relevant de la pure poésie ! Cette injustice m'a laissé une certaine amertume.

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