Ne pas pouvoir mutualiser des informations sur les assurés pour examiner la cohérence de leurs différentes situations est en effet un élément de fragilité. Cela dit, la jurisprudence récente est très peu favorable à ce type de recoupements. Je ne sais pas quelle serait la position de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
Une solution intermédiaire est peut-être possible. Pendant notre mission, les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales étaient en train de mettre en place l'interlocuteur social unique (ISU) du Régime social des indépendants (RSI). Or, chaque rapprochement de deux systèmes d'information donne le sentiment qu'il impose de soulever des montagnes, donnant notamment lieu, presque toujours, à un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales ou de l'Inspection générale des finances, alors que ce type d'action ne semble pas poser problème dans d'autres pays européens. Si cette particularité française est pour moi un mystère, l'expérience de l'interlocuteur social unique me laisse penser que les rapprochements sont des périodes à risque : c'est parce qu'ils étaient mobilisés par cette tâche que le Régime social des indépendants et les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales se sont détournés de leurs missions de contrôle.
Sans doute conviendrait-il de sensibiliser les cadres dirigeants des organismes à la nécessité de procédures internes de lutte contre les fraudes et de politiques coordonnées destinées à détecter celles-ci. Il leur appartiendrait ensuite de prendre des initiatives, en liaison avec les directions des affaires juridiques et avec les services d'information. Si nos interlocuteurs déploraient les fraudes, et tentaient de se les expliquer, aucun ne s'en sentait véritablement responsable, alors même que le cabinet du ministre et les deux corps d'inspection s'étaient mobilisés, et que le ministre avait même pris le risque politique de constater la fraude.
Les trois circulaires de remise au point de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole sont plutôt curieuses. On y trouve des formulations du type : « il importera d'examiner attentivement les pièces », comme si une indication contraire était possible !
Quelles procédures instaurer ? Dans les années soixante-dix, le corps de direction de chaque caisse de sécurité sociale allait régulièrement réviser les dossiers pour apprécier le travail des agents. Les directions des caisses doivent se considérer comme responsables de l'instruction des dossiers et du contact avec l'assuré. Lorsque cinquante personnes arrivent le même jour de la même ville munies du même dossier pro forma, les agents doivent savoir que la direction attend qu'ils la préviennent. Elle aura vite compris la manoeuvre !
Deux ou trois fois par an, les inspecteurs expérimentés de l'Inspection générale des affaires sociales se mêlent aux plus jeunes dans une opération de contrôle. Suivant cet exemple, les directions des caisses devraient régulièrement instruire des dossiers. Chacun des membres de la haute direction du numéro un mondial de la distribution de la parfumerie tient un poste de vendeur en magasin deux semaines par an ! Il peut ainsi comprendre les modalités des vols. Imposer une période de présence sur le terrain améliorerait sans aucun doute la lutte contre la fraude.
Par ailleurs, il revient à la direction de la sécurité sociale d'élaborer chaque année un plan de lutte contre la fraude, de définir des priorités et, grâce à son corps de contrôle, d'en vérifier l'application.