COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Jeudi 27 janvier 2011
La séance est ouverte à neuf heures.
(Présidence de M. Jean Mallot, coprésident de la mission)
La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l'audition de Mme Geneviève Roy, vice-présidente chargée des affaires sociales à la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME), de M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales, de M. Franck Gambelli, représentant du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et président de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles, de Mme Émilie Martinez, chargée de mission sur le recouvrement des charges sociales à la direction de la protection sociale du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), de Mme Miriana Clerc, chargée de mission à la direction des affaires publiques du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), de M. Pierre Burban, secrétaire général de l'Union professionnelle artisanale (UPA) et de Mme Caroline Duc, chargée des relations avec le Parlement.
Nous sommes effectivement préoccupés par la fraude, qui crée une distorsion de concurrence entre les entreprises et affecte les comptes de la protection sociale. Il convient de la détecter et de la sanctionner, et nous sommes très vigilants à cet égard. Pour ma part, je traiterai plutôt du volet « prestations ».
Il nous semble important de poursuivre le travail de constitution des fichiers, notamment du Répertoire national commun de protection sociale, et de développer le croisement de données. C'est une question d'actualité puisqu'à l'occasion du débat lancé en début de semaine à propos du bilan de la lutte contre la fraude aux prestations sociales dressé par la Cour des comptes, la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) a préconisé le croisement des données relatives aux enfants scolarisés. Faute de fichier national des élèves, nous ne connaissons pas suffisamment le nombre d'enfants et d'adolescents en « décrochage scolaire » ni celui des enfants qui ne séjournent plus en France. C'est donc une voie à explorer. Dans la même optique, nous approuvons l'idée d'un croisement entre les fichiers relatifs au logement et celui de l'aide au logement : ce travail, programmé, devrait être accéléré afin de vérifier la réalité des baux.
Plus largement, pour l'ensemble des branches du régime général de sécurité sociale, il serait hautement souhaitable, comme le demande la Cour des comptes, de donner très rapidement une réalité au croisement envisagé depuis plus de dix ans entre les données du ministère de l'intérieur et celles des organismes de sécurité sociale, pour la vérification des identités. Le fichier AGDREF (application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France) du ministère de l'intérieur, qui centralise les données sur l'identité et la régularité du séjour des étrangers, pourrait être consulté par les caisses, par une voie intranet sécurisée, en cas de présomption de fraude à l'identité ou d'irrégularité du séjour. En cas d'absence dans le fichier, le demandeur devrait se rapprocher des services préfectoraux pour établir son droit éventuel.
En aucun cas, la constitution et le croisement de fichiers ne doivent être considérés comme une délation ni comme une mise en cause d'un individu. D'ailleurs, il conviendrait de distinguer entre la fraude intentionnelle et la fraude non intentionnelle, à l'égard de laquelle une attitude plus conciliante s'impose.
Au-delà de ce travail, il faudrait s'intéresser aux moyens humains consacrés à la lutte contre la fraude. Le rapport de la Cour des comptes constate en effet que nombre d'informations pertinentes sur les fraudes ou sur le risque de fraudes restent sans suite faute de moyens humains et d'une impulsion nationale suffisante.
La Caisse nationale des allocations familiales s'est engagée avec détermination dans cette action : 11 733 fraudes ont été détectées en 2009, contre 1 650 en 2004, pour un montant recouvré de 85,6 millions, contre 21,5 millions en 2004. Ses services ont répondu à 40 millions d'appels téléphoniques et à 67 millions de courriers, pour 72 milliards d'euros distribués. Mais elle ne dispose que de 629 contrôleurs. On voit bien que cet effectif est probablement insuffisant, et que le porter à un niveau un peu plus pertinent améliorerait le dépistage de la fraude.
Quant à l'impulsion nationale, elle pourrait venir de la Délégation nationale à la lutte contre les fraudes, constituée en 2008. La présentation d'un plan annuel détaillé de lutte contre les fraudes, tel que préconisé par la Cour des comptes dans son bilan, s'imposerait également.
Le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) partage le souci de voir amplifiée la lutte contre la fraude sociale, qui compromet la pérennité du système de protection sociale français. C'est un enjeu majeur du point de vue macroéconomique comme du point de vue éthique. La fraude sociale pénalise les salariés qui en sont victimes et constitue une inacceptable distorsion de compétition interne et un acte de concurrence déloyale entre entreprises nationales.
Notre première préoccupation concerne les dispositifs imposés aux entreprises pour limiter les fraudes. Je pense notamment aux règles relatives aux sous-traitants. Malgré les progrès apportés ces dernières années par les lois de financement de la sécurité sociale, ces dispositifs mériteraient d'être simplifiés : deux ou trois clics de souris devraient suffire. Songez que, dans une même branche industrielle, il arrive qu'il y ait six à sept rangs de sous-traitance !
Notre seconde préoccupation, qui est sans doute partagée par nos collègues des syndicats de salariés, concerne les systèmes complémentaires, ceux que nous mettons en place ensemble pour compléter les indemnisations de la sécurité sociale et qui, par ricochet, sont eux aussi affectés par les fraudes. Mais bien sûr, il faut savoir reconnaître la vraie fraude, laquelle suppose l'intention de frauder. Si l'on applique des critères un peu trop stricts, certaines situations pourraient, en effet, apparaître, à tort, comme relevant de la fraude.
Les régimes complémentaires d'assurance maladie ou de retraite gérés par l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (AGIRC) et l'Association générale des institutions de retraite des cadres (ARRCO).
Mon intervention portera plutôt sur la fraude aux prélèvements.
Comme le Mouvement des entreprises de France et la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises, l'Union professionnelle artisanale considère qu'il faut lutter contre la fraude sociale qui génère de la concurrence déloyale. Pour autant, il faut avoir une double démarche : la répression, indispensable, ne doit pas faire oublier la nécessité de la prévention et de l'accompagnement, en particulier auprès des très petites entreprises. Si on les néglige, on risque d'aboutir à des confusions elles-mêmes génératrices de fraudes.
Ainsi, les organismes de sécurité sociale, notamment ceux qui ont en charge le recouvrement, ont mis en place des dispositifs pour accompagner les entreprises. Par exemple, depuis 2002-2003, les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) n'engagent plus immédiatement de procédure à l'encontre des travailleurs indépendants qui n'auraient pas payé leurs cotisations personnelles de sécurité sociale ; elles commencent par leur téléphoner. Cette procédure – imaginée il y a quelques années par la Caisse nationale de compensation d'assurances vieillesse des artisans (CANCAVA), une caisse qui n'existe plus – a eu un grand succès. Pris par leur activité, de nombreux travailleurs indépendants oubliaient tout simplement de payer. Bien loin de les inciter, comme certains le craignaient, à attendre ce rappel à l'ordre pour verser leur dû, le fait de les appeler a largement réduit les contentieux, qui sont très coûteux, et a permis d'améliorer le recouvrement. J'ai donné cet exemple, mais on pourrait en donner d'autres. Nous devons donc faire en sorte que, malgré les exigences de la révision générale des politiques publiques (RGPP), les équipes chargées du recouvrement aient la taille suffisante pour répondre à ce besoin d'accompagnement.
L'accompagnement et la prévention ont un rôle pédagogique. Ils permettent d'expliquer à quoi servent les prélèvements, mais aussi d'aborder le sujet de la fraude. En 2009, une campagne de communication sur la fraude fiscale et sociale a été lancée. Le ministre de l'époque avait en effet considéré qu'il fallait, pour obtenir des résultats durables, beaucoup plus communiquer sur le sujet. Cela suppose un effort soutenu.
Il faut également, pour être efficace, associer tous les acteurs concernés, en particulier les organisations professionnelles. Or celles-ci ont été écartées, ces derniers temps, des nouveaux comités départementaux de lutte contre la fraude (CODAF). Il s'agit pourtant d'une entreprise citoyenne à laquelle nous sommes tous prêts à participer.
Il faut enfin réduire la complexité des réglementations, qui est une source d'anomalies et d'erreurs, lesquelles ne relèvent pas nécessairement de la fraude. J'en veux pour preuve qu'un tiers des montants issus des redressements effectués par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales est reversé aux entreprises. Pour autant, je vous mets en garde : à trop simplifier, on risque de favoriser la fraude. Je pense en particulier au régime de l'auto-entrepreneur…
S'agissant de la fraude aux prélèvements, je souhaiterais qu'on évoque le travail dissimulé qui entraîne, selon le Conseil des prélèvements obligatoires, un manque à gagner de 9 à 15 milliards d'euros par an. C'est une source de distorsion de concurrence évidente, mais aussi une source de précarité pour les travailleurs. Nous avons récemment durci la législation le concernant. Ces dispositions sont-elles suffisantes et les moyens consacrés à leur application donnent-ils ou non des résultats convaincants ?
Quant au statut de l'auto-entrepreneur, évoqué à l'instant par M. Pierre Burban, avez-vous le sentiment que les limitations que nous y avons apportées aient amélioré la situation ?
Il est vrai que l'on a apporté ces derniers mois au régime de l'auto-entrepreneur, non pas des limitations, mais un encadrement un peu plus important, ce que nous souhaitions. Pour autant, les éléments dont nous disposons montrent que le dispositif a été source de dérives.
La fraude est d'abord un problème de comportement et de culture : en France, des figures telles que Jacquou le croquant sont plutôt valorisées ! D'ailleurs, le Conseil des prélèvements obligatoires relève que de tous les délinquants, celui qui fraude le fisc ou la sécurité sociale est certainement celui qui bénéficie de la plus grande mansuétude de la part du grand public. C'est pourquoi j'insiste sur la nécessité de campagnes de communication régulièrement renouvelées.
Ensuite, on a laissé penser que le statut de l'auto-entrepreneur permettait de faire tout et n'importe quoi. Les rares contrôles ont montré que les auto-entrepreneurs s'arrangeaient pour ne pas dépasser les seuils. Nous nous félicitons donc que, dans le plan de lutte contre les fraudes annoncées par le ministre du budget, figure un volet dédié à ce régime.
Loin de moi l'idée de vouloir tuer ce statut ou tuer l'initiative. Mais il se trouve que, sur le terrain, les artisans vivent la présence des auto-entrepreneurs comme une concurrence déloyale. Il faut donc que nous travaillions collectivement à ce que ce régime soit utilisé à bon escient, en endiguant les dérives.
L'objectif était de permettre la régularisation du travail illégal. On peut néanmoins s'interroger sur le rapport coût-bénéfice du régime de l'auto-entrepreneur. Il est vrai qu'il peut être utilisé de façon frauduleuse – avec une véritable intention de contourner la loi – et je remarque à cet égard que les artisans ne sont pas les seuls à être affectés. Des entreprises de grande taille ou de taille moyenne s'en sont servi pour « externaliser » certains de leurs salariés qui, en adoptant ce régime, devenaient leurs prestataires de service. Je ne connais pas l'ampleur du phénomène qui ne relève pas vraiment de la fraude, mais s'apparente pour le moins à un détournement du dispositif. Qu'en pensez-vous ?
Mon expérience vient de l'industrie. Or je ne connais pas beaucoup d'entreprises de ce secteur qui aient installé des salariés comme auto-entrepreneurs, comme cela se fait en Italie. De toute façon, l'arsenal répressif du code du travail – notamment les dispositions réprimant le délit de marchandage – limite ce type de pratiques. L'externalisation, quand elle a lieu, se fait en recourant à une véritable entreprise sous-traitante, et le juge peut requalifier en contrat de travail le contrat de « louage d'ouvrage et d'industrie » passé entre le donneur d'ordre et le sous-traitant, s'il l'estime nécessaire. Il existe une jurisprudence très claire en la matière.
Je ne pense pas que l'on puisse parler de fraude en la matière. J'y vois plutôt un effet pervers de la création du statut d'auto-entrepreneur, qui s'ajoute au manque à gagner pour les organismes sociaux. Il est clair qu'une entreprise a maintenant le choix entre passer un contrat de travail qui la lie durablement au salarié, s'il s'agit d'un contrat à durée indéterminée, avec toutes les complications que l'on connaît en cas de rupture, et utiliser le statut d'auto-entrepreneur.
Parler d'utilisation abusive impliquerait une sanction. Or je ne suis pas sûre que le juge pourrait sanctionner le fait qu'une entreprise ait choisi le statut d'auto-entrepreneur pour faire travailler quelqu'un. L'effet pervers n'est pas négligeable mais, pour moi, cela ne relève pas de la fraude.
À ceci près qu'une entreprise pourrait contraindre un salarié à s'installer en tant qu'auto-entrepreneur, pour effectuer à peu près le même travail pour ne pas avoir à payer de charges sociales. Le statut de salarié s'en trouve fragilisé. L'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) se penche d'ailleurs sur le sujet.
Il nous faut appliquer un texte destiné à développer l'esprit d'entreprise mais, dans certains cas, notamment lorsque l'auto-entrepreneur est un ancien salarié, il peut y avoir un lien de subordination évident.
Parmi les auto-entrepreneurs, il y a aussi des fonctionnaires qui trouvent là un complément de revenus. La situation est très complexe. Au-delà même de la concurrence que certains peuvent ressentir comme déloyale, c'est toute la question de la « philosophie » du statut d'auto-entrepreneur qui est posée.
Avec le recul dont nous disposons maintenant, on s'aperçoit que la situation des auto-entrepreneurs est extrêmement diverse. Comme vient de le remarquer Mme Geneviève Roy, tous n'interviennent pas dans un champ concurrentiel et leur nombre est extrêmement important. Il faudrait peut-être affiner nos analyses les concernant.
Leur nombre est important, mais pas leur chiffre d'affaires. D'ailleurs, moins de 40 % d'entre eux en déclarent un.
Le problème est qu'on a laissé penser que l'on pouvait faire n'importe quoi, alors que ce n'est pas le cas. Mais nous ne vous demandons pas d'arsenal juridique supplémentaire pour éviter les dérives, puisque les textes existent pour les contrer. En particulier, le juge peut requalifier la relation de travail lorsque l'entreprise utilise en fait l'auto-entrepreneur comme un salarié. Cela s'est déjà produit à Paris, et l'entreprise concernée a tout de suite réintégré l'intéressé comme salarié. Encore faut-il qu'il y ait des contrôles. Or, au début, il n'y en a pas eu, ce qui a été encore plus mal vécu par certains artisans.
M. François Baroin, ministre du budget, a annoncé qu'on procéderait à des contrôles. Ils seraient tout à fait normaux mais il faudrait aussi faire de la pédagogie. Nous pourrions nous-mêmes conseiller nos adhérents tentés de travailler avec des auto-entrepreneurs. Ils doivent savoir par exemple que le droit du travail est très clair : un auto-entrepreneur travaillant à 100 % pour un seul donneur d'ordre est considéré comme étant un salarié.
Pour en revenir au travail dissimulé, cette notion recouvre des situations totalement différentes : celle de l'entrepreneur qui ne déclare pas l'embauche d'un salarié qu'il paie en dessous du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) ; celle de l'employeur qui ne déclare pas l'intégralité des heures supplémentaires ou qui les paie sous forme de primes, etc. La première constitue une terrible distorsion de concurrence, justifiant une sanction et un renforcement des contrôles.
Je remarque tout de même que l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales visite les entreprises à peu près tous les cinq ans. Comme le contrôle porte sur les trois années précédentes et l'année en cours, toutes les années sont quasiment contrôlées. De plus, les sommes dues sont recouvrées à 95 %, sachant que, pour un tiers, il y a ensuite remboursement, comme l'a rappelé M. Gambelli qui a raison d'appeler à une simplification des règles. Celles-ci sont si complexes que, pour ne pas s'exposer à un redressement, les entreprises ont tendance à payer plus qu'elles ne doivent et à attendre le contrôle pour obtenir le remboursement.
Il faut en effet mettre au point un système de contrôle et de sanctions qui soit à peu près compréhensible pour la majorité des entreprises. L'arsenal juridique, tel que complété par les dispositions qui figurent dans le projet présenté par M. Eric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, devrait être considérable, même si tout dépendra ensuite de son application concrète.
Ce projet de loi va jusqu'à prévoir la fermeture de l'entreprise.
On reproche aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de contrôler surtout ce qui est « visible », et d'oublier ce qui ne l'est pas, c'est-à-dire le travail illégal, plus compliqué à dépister. Avez-vous l'impression que les pouvoirs publics font leur travail contre le travail illégal ?
Nous avons le sentiment qu'il y a des progrès. Les pouvoirs publics ont renforcé leur politique de contrôle, ce qui donne paradoxalement l'impression d'une amplification du travail au noir : les redressements ont atteint 130 millions en 2009, soit 20 % de plus que l'année précédente. En fait, c'est simplement qu'on appréhende mieux le phénomène.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 a prévu une procédure qui impose aux donneurs d'ordre d'obtenir la preuve du paiement des cotisations sociales par les sous-traitants. Je ne connais pas exactement les modalités techniques de cette mesure, mais il faudrait que le donneur d'ordre n'ait qu'une seule démarche à faire pour obtenir la certitude de la déclaration et la certitude du paiement. La Sécurité sociale ne pourrait-elle mettre à sa disposition une information consolidée pour éviter la multiplication des demandes de certificats ? Quand une entreprise a recours à de nombreux sous-traitants, rassembler tous ces certificats peut prendre du temps. Or, on peut comprendre que le sous-traitant aussi ait besoin d'un certificat de paiement pour s'adresser à ses différents clients. Ces éléments pratiques peuvent singulièrement augmenter l'efficacité de la lutte contre la fraude.
Mme Geneviève Roy a regretté l'insuffisance des moyens humains, en particulier celle du nombre des contrôleurs de la Caisse nationale des allocations familiales. De la même façon, considérez-vous que les effectifs de l'inspection du travail sont insuffisants ? Si oui, seriez-vous d'accord pour que nous préconisions de les accroître ?
Comme mes collègues de l'Union professionnelle artisanale, nous ne pouvons que soutenir une optimisation des moyens de la puissance publique, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques. Les moyens de l'inspection du travail étant limités, la lutte contre le travail dissimulé ne peut pas reposer sur elle seule. Il faut favoriser des synergies et une approche croisée des différents acteurs : services fiscaux, Sécurité sociale, régimes complémentaires, entreprises, etc. Cette approche ne peut qu'aider à mieux cerner la réalité du travail dissimulé.
Depuis 2007, les heures supplémentaires sont exonérées de cotisations sociales et défiscalisées. Il ressort d'études que leur augmentation peut s'expliquer par le fait que certaines heures sont maintenant déclarées en heures supplémentaires, alors qu'auparavant elles ne l'étaient pas. On ne peut pas parler de fraude, mais au moins d'une optimisation, au détriment des finances publiques. Qu'en pensez-vous ?
La loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite « loi TEPA » ne concerne pas que les heures supplémentaires au-delà de la durée légale, mais aussi les heures supplémentaires allant de la durée légale à la durée conventionnelle. La durée conventionnelle du travail dans certaines branches est de 39 heures. Ces heures ont toujours été déclarées mais, maintenant, elles sont bien répertoriées comme heures supplémentaires par rapport à la durée légale et sont donc défiscalisées. Je ne connais pas la répartition entre ces heures et les heures considérées comme supplémentaires, c'est-à-dire dépassant la durée conventionnelle. Quoi qu'il en soit, c'est plutôt un avantage pour le salarié.
L'avantage est plus important pour les salariés, qui bénéficient d'une exonération totale, alors que les entreprises ne bénéficient que d'une déduction forfaitaire.
En outre, depuis la loi du 21 août 2007, les heures supplémentaires dans les entreprises de moins de vingt salariés sont payées 125 %, et non plus 110 %.
Sauf que l'exonération des charges patronales est plus importante pour les petites entreprises que pour les grandes.
Les partenaires sociaux sont gestionnaires de chaque union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales et souhaitent le rester. Mais il convient d'agir avec discernement. Voilà pourquoi nous sommes très attachés aux dispositifs de prévention et aux commissions de recours amiable. Nous espérons qu'un dispositif de proximité sera maintenu après la régionalisation des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales.
Quoi qu'il en soit, je tiens à faire remarquer que les dernières conventions d'objectifs et de gestion qui ont été signées entre l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale et l'État ont porté sur le renforcement du contrôle. C'est même le seul secteur qui n'ait pas été touché par les réductions d'effectifs auxquelles les branches ont procédé. Ainsi des postes de contrôleurs ont été créés alors qu'il n'y avait auparavant que des inspecteurs. Ces contrôleurs ont précisément été chargés d'aller regarder du côté de ce que l'on ne voit pas habituellement. Une telle tâche nécessite obligatoirement un partenariat entre l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales, l'inspection du travail, la gendarmerie et la police. Des efforts importants ont été faits pour renforcer leurs relations.
De fait, la partie « invisible » du travail au noir semble insuffisamment sanctionnée. Mais nous irons vérifier sur place.
Vous occupez des fonctions au sein des conseils d'administration des organismes sociaux, notamment de l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNÉDIC). Je vous avais d'ailleurs rencontrés à ce titre lorsque nous avions engagé la lutte contre les « kits ASSEDIC » (associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce). Avez-vous une influence sur la politique de l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, et donc de Pôle emploi, en matière de fraudes ?
Par ailleurs, depuis deux jours, un sujet occupe les médias. Que Choisir, France Soir et TF1 se sont fait l'écho d'une enquête menée sur les arrêts de travail. On peut consulter un médecin pour un simple mal de gorge et obtenir presque automatiquement un arrêt maladie. N'avez-vous pas vous-mêmes une part de responsabilité dans cet abus, en tant que gestionnaires des organismes sociaux ? Les organismes eux-mêmes sont-ils suffisamment motivés pour lutter contre le phénomène ?
La situation de l'assurance chômage est particulière. Comme le rappelle la Cour des comptes, Pôle emploi et les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales sont maintenant en première ligne. On ne peut donc plus parler de la responsabilité de l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce qui garde malgré tout, dans le cadre de la convention tripartite, un pouvoir d'orientation en matière de contrôle – pouvoir que nous entendons bien exercer !
Je sais, par expérience, que les fichiers et les croisements de fichiers sont essentiels. Il y a vingt ou vingt-cinq ans, aucun croisement de fichiers n'était effectué par exemple entre les différentes associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, ou entre les associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce et l'intérim.
Précisément, on a depuis assisté à une petite révolution culturelle, à laquelle les gestionnaires représentant les organisations de salariés ont d'ailleurs beaucoup oeuvré. Quoi qu'il en soit, les résultats sont là : la constitution et le croisement de fichiers constituent l'arme absolue.
S'agissant de l'assurance-chômage, le directeur de Pôle emploi, M. Christian Charpy, a annoncé que des efforts seraient faits et qu'il disposerait bientôt de 130 contrôleurs. Mais c'est un nombre ridicule au regard des personnes à contrôler ! Il faut absolument renforcer les moyens humains du contrôle, comme le remarquait Mme Geneviève Roy pour la Caisse nationale des allocations familiales.
Je ne suis pas sûre que l'article de France Soir sur les arrêts maladie ait grandi la presse, la journaliste concernée ayant « piégé » des médecins par des mensonges. Reste que les arrêts maladie ont deux effets négatifs. En premier lieu, ils désorganisent l'entreprise, perturbent la gestion du personnel, retardent la livraison des commandes et se traduisent par une perte de chiffre d'affaires à une époque où les chefs d'entreprise cherchent désespérément à maintenir leur part de marché. En second lieu, ils génèrent des indemnités journalières et contribuent à l'augmentation des déficits, ce qui incite aux déremboursements. Il faudrait donc faire en sorte que chaque citoyen prenne conscience de sa responsabilité lorsqu'il abuse de ces arrêts maladie, et comprenne qu'un tel comportement peut se retourner contre lui.
Il faut le rappeler : il y a quelques années, un chef d'entreprise qui soupçonnait un arrêt de complaisance se faisait éconduire quand il appelait pour demander un contrôle : car c'était considéré comme de la délation ! Aujourd'hui, les attitudes ont heureusement changé et l'on a admis que ces contrôles, confiés pour certains à des officines privées, étaient le moyen de protéger les salariés de bonne foi.
Le dispositif est très encadré. Il s'agit d'entreprises privées qui, à l'appel des chefs d'entreprise, envoient un médecin contrôleur.
Ces contrôles sont-ils suivis d'effets, c'est-à-dire de mesures adéquates de la part de la sécurité sociale ?
Après 2005, le nombre d'arrêts maladie a diminué, ainsi que celui des indemnités journalières. Depuis trois ans, tous deux remontent. Les explications que l'on nous donne – comme par exemple le stress dû à la crise – sont discutables. Selon moi, abstraction faite de l'insuffisance des moyens de contrôle de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, la première est dans le comportement des médecins qui prescrivent des arrêts de travail sans fondement.
En outre, comme l'a remarqué la Cour des comptes dans son rapport, les sanctions prononcées en cas de fraude sont absolument dérisoires, même lorsqu'elles viennent de l'ordre. On ne peut pas continuer ainsi, d'autant que l'on dispose maintenant des moyens techniques d'établir les profils des médecins. On peut s'apercevoir, par exemple, que moins de 10 % d'entre eux sont à l'origine de plus de la moitié des prescriptions. Ce qui manque, c'est la sanction et l'application de la sanction.
Si les arrêts de travail sont contrôlés par une entreprise privée, sur quels textes appuyer les sanctions prononcées ? D'ailleurs, sur quelle base juridique s'appuie le contrôle d'une entreprise privée ?
Ce genre de contrôle s'appuie sur les dispositifs adoptés dans le cadre de la dernière loi de financement de la sécurité sociale, qui a généralisé la possibilité de contre-visites patronales.
Normalement, la caisse devrait automatiquement demander à l'assuré le reversement intégral des sommes indûment perçues.
Parce qu'il y a trop d'arrêts de travail, du fait d'une minorité de médecins.
J'ai l'impression que les députés font plutôt bien leur travail, notamment en renforçant les possibilités de contre-visite. Pourtant, je le répète, on assiste à une explosion des indemnités journalières. Alors, que font les patrons ? Quelle influence ont-ils sur la politique des organismes sociaux ? Quelle est la politique de sanctions de la Sécurité sociale et celles-ci servent-elles à quelque chose ?
Oui, mais il n'y en a pas assez.
Puisque vous nous interpellez, je vous rappellerai que les employeurs sont minoritaires dans le conseil de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, qui n'est d'ailleurs plus un conseil d'administration, mais un conseil de surveillance. Les vrais responsables appartiennent donc à l'administration de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés. Ceux-ci nous opposent l'insuffisance des moyens et les réticences du monde médical. Cela nous ramène à ce qui a été dit précédemment : les progrès du contrôle sont réels, la volonté est là, mais des obstacles culturels demeurent ; en France, on a du mal à sanctionner, que ce soient les bénéficiaires des prestations ou les prescripteurs.
Je suis plutôt optimiste à propos du contrôle des fraudes aux prestations. La situation s'est nettement améliorée. Comme M. Georges Tissié l'a dit, on sait aujourd'hui procéder à des recoupements de fichiers. Les organisations syndicales de salariés ne sont plus aussi réticentes qu'elles l'étaient naguère, pour des raisons culturelles. Les caisses nationales ont engagé un vrai travail en ce domaine, même s'il est évident qu'il y a encore un problème de moyens. Il faudra malgré tout y aller progressivement, car les moyens ne sont pas extensibles et l'attitude du corps médical pose effectivement un réel problème.
Mais il ne faut évidemment pas porter le même jugement sur l'ensemble des médecins : le problème concerne moins de 10 % des médecins, ce qui signifie que l'immense majorité d'entre eux fait bien son travail.
Je préside la plus petite branche de la sécurité sociale, celle des accidents du travail et des maladies professionnelles (ATMP). Celle-ci est administrée paritairement, ce qui signifie que notre politique est absolument partagée entre les employeurs et les salariés.
La non-déclaration d'accident du travail est pénalement réprimée, mais c'est un phénomène marginal, sans doute lié au souci d'économiser sur la cotisation accidents du travail et maladies professionnelles.
Nous disposons d'une jurisprudence et des procès-verbaux dressés pour absence de déclaration. Si celle-ci n'est pas une pratique massive, c'est parce que les entreprises, les petites notamment, n'y ont aucun intérêt, leur cotisation étant quasiment forfaitaire.
Nous sommes en train de démanteler des fraudes organisées aux prestations, du type du « kit ASSEDIC ». À Marseille, par exemple, 165 personnes ont créé de fausses entreprises, imaginé de faux salariés, déclaré de faux accidents du travail, mais bénéficient de vraies prestations. Le procès est en cours. À l'échelle de la branche, ce phénomène est cependant marginal.
Il faut savoir que la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés a mis au point des programmes nationaux qui visent à peser sur le comportement des médecins-conseils de la sécurité sociale et définissent avec précision le travail, lourd et difficile, des caisses primaires. Celles-ci constituent le premier filtre du contrôle. C'est grâce à elles que la fraude peut être éradiquée à la source.
Il conviendrait d'améliorer les procédures juridiques, car nous sommes là dans un droit très procédurier. Nous l'avons fait en 2009 pour les accidents du travail et maladies professionnelles. Il conviendrait aussi de croiser les fichiers internes à la sécurité sociale. Si étrange que cela paraisse, les dispositifs informatiques des branches Vieillesse et Maladie ne communiquent pas entre eux toujours de manière fluide.
L'informatisation et la modernisation interne de la Sécurité sociale sont absolument décisives. Le travail accompli n'est pas très visible de l'extérieur, mais je pense qu'il serait intéressant d'interroger M. Frédéric Van Roekeghem et les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) à ce propos.
Selon la Cour des comptes, la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés ne manifesterait pas une grande volonté de renforcer l'action des caisses départementales. La situation ne serait donc pas aussi satisfaisante que vous nous le dites.
Je ne parle que de la branche que je connais.
Le Mouvement des entreprises de France est représenté au niveau le plus important des caisses de sécurité sociale, pas uniquement au sein de la seule branche Accidents du travail.
Pourrait-on revenir sur l'affaire qui se déroule dans une grande ville du sud de la France ?
Comme elle est en cours d'instruction, il faut être prudent. D'après le directeur des risques professionnels, il s'agit d'une escroquerie consistant à monter des dossiers de victimes de l'amiante sur la base de faux documents. Une telle affaire doit ressembler à celle des « kits ASSEDIC » que vous mentionniez tout à l'heure : avant que la Sécurité sociale ne prenne conscience d'avoir affaire à des fictions, il s'est écoulé un certain temps. Cela montre l'importance de bien croiser l'ensemble des informations venant d'autres administrations.
Les fausses reconstitutions de carrière concernaient plusieurs milliers de personnes. En tant que membres du conseil d'administration, avez-vous, dès le début, attiré l'attention sur les risques que comportent les déclarations sur l'honneur ? A-t-il fallu que cette importante escroquerie soit révélée pour que les organisations patronales s'en inquiètent ?
Vous laissez à penser que nous serions laxistes. Je peux témoigner que ce n'est pas le cas, s'agissant de l'ensemble de l'action de nos organisations en matière de recouvrement. De la même manière, nous avons été très vigilants s'agissant des reconstitutions de carrière. D'ailleurs – mais peut-être suis-je un incorrigible optimiste –, je pense que nos systèmes de détection et de contrôle sont bien meilleurs qu'auparavant. Par exemple, en matière de fraude au recouvrement, nous disposons aujourd'hui d'indicateurs fiables. Le travail effectué sur les reconstitutions de carrière a permis de redresser des situations anormales.
Il faut mettre en exergue le fait que certaines prestations font l'objet d'un taux de fraude très élevé. Même avec davantage de moyens et d'instruments techniques, on ne peut agir tous azimuts. Il faudrait donc que la mission de contrôle se concentre sur ces prestations : les aides au logement, le revenu de solidarité active (RSA) et l'allocation de parent isolé (API).
Nous en sommes tout à fait conscients : il y a quelques années, un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) avait soulevé ce problème de fraudes à l'allocation de parent isolé, et la Cour des comptes vient de renouveler le constat. Le législateur a-t-il bien fait son travail ? Nous avons indiqué qu'il était absurde de prévenir les bénéficiaires d'une visite à leur domicile, par lettre, quelques jours à l'avance. Faut-il aller plus loin et croiser les fichiers ? En l'occurrence, je ne vois pas lesquels. Le mieux serait de faire des visites de façon aléatoire, ce qui est plus une question de volonté que de moyens.
Sur les reconstitutions de carrières longues, vous êtes très optimiste, monsieur Pierre Burban. La Cour des comptes l'est un peu moins puisqu'elle évoque 10 000 cas de fraude, pour un coût de 45 millions d'euros. Heureusement que le système était contrôlé ! Le problème venait essentiellement de la déclaration sur l'honneur. Un certain nombre de salariés des caisses d'allocations familiales et des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales ont été révoqués pour avoir été mêlés à une fraude organisée, car on était là bien au-delà de la simple négligence ou des effets d'une impréparation.
Vous venez de dire que des sanctions ont été prises. Mais dans toute organisation humaine, il peut malheureusement y avoir des gens malintentionnés. L'important est de prendre des mesures pour endiguer les dérives. En l'occurrence, cela a été fait et les conseils d'administration des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales ont assumé leurs responsabilités.
J'aimerais que l'on aborde la question des fraudes à l'identité commises à partir de la carte Vitale. Personnellement, je suis très réservé sur l'utilité d'apposer sur celle-ci une photographie. Qu'en pensez-vous ? Avez-vous d'autres suggestions ?
Convient-il de rendre le dossier médical personnel (DMP) obligatoire ? Nous avons rencontré la semaine dernière des médecins qui y étaient défavorables mais d'aucuns pensent qu'un dossier médical personnel qui ne serait pas obligatoire ne servirait pas à grand-chose.
Nous sommes plutôt favorables au dossier médical personnel obligatoire et à la photographie sur la carte Vitale. Je ne comprends pas votre réticence sur ce dernier point, monsieur Jean Mallot.
Je suis défavorable à cette photographie dans la mesure où personne ne contrôle l'identité du porteur de la carte. Jusqu'à preuve du contraire, aucun médecin ni aucun pharmacien n'est officier de police judiciaire. Par ailleurs, le bénéfice que son apposition a pu entraîner en termes de réduction de la fraude est loin de compenser le coût de la mesure !
Quoi qu'il en soit, il faut distinguer l'utilisation éventuellement abusive d'une carte Vitale de la question du dossier médical personnel, dont l'objet premier est d'améliorer les soins prodigués au patient. Le dossier médical personnel peut conduire à des économies en évitant la répétition inutile d'examens, mais ce ne peut pas être un instrument de lutte contre la fraude. En revanche, l'utilisation abusive d'une carte Vitale relève de la fraude, et je suis de ceux qui pensent que la photographie n'est pas un bon moyen d'y parer. Cela étant, vos avis nous intéressent.
Que les choses soient claires : la mission n'est pas unanime sur cette question de la photographie !
Nous sommes bien d'accord que dossier médical personnel et carte Vitale sont deux sujets bien distincts. Mais, puisque vous souhaitez que nous parlions franchement, je vous soumets notre impression : quelle que soit la couleur du Gouvernement, les ministres chargés de la santé et leur cabinet manifestent une extrême réticence à s'engager réellement et à dialoguer avec les organisations patronales que nous sommes sur les moyens de mieux contrôler et de mieux sanctionner. C'est un sujet tabou ! Le sujet n'est pas considéré comme capital, à moins qu'il ne soit regardé comme trop sérieux pour être discuté avec les partenaires sociaux. Par exemple, sur la carte Vitale, nous n'avons cessé de dire, dès la première mouture, qu'il fallait y mettre une photographie. Or, à l'époque, les cabinets et les ministres compétents, sans doute influencés par leur cabinet, ne voulaient pas en entendre parler et affichaient un mépris à la limite du supportable à l'égard de ceux qui évoquaient la question.
On observe, il est vrai, une prise de conscience, notamment dans le domaine de la santé. Mais il faut encore progresser et les hauts fonctionnaires qui nous gouvernent doivent comprendre que la lutte contre la fraude, le contrôle et les sanctions ne sont pas des questions mineures. Je ne mets pas en cause la représentation parlementaire, mais l'exécutif.
À l'évidence, la photographie est nécessaire sur la carte Vitale même si nous avons, par ailleurs, des moyens techniques de sécurisation bien plus élaborés qu'auparavant.
La mission s'est rendue en Belgique, et il nous est apparu que le système belge était beaucoup plus sécurisé et fonctionnait de manière de manière plus efficace que le nôtre. Depuis une quinzaine d'années, les problèmes d'identification des personnes ne s'y posent plus. En France, visiblement, on n'a pas beaucoup avancé en ce domaine. Mais quelle est la position du Mouvement des entreprises de France sur la sécurisation de la carte Vitale et sur la question de l'identification ?
Je ne connais pas la position officielle du Mouvement des entreprises de France. Mais, a priori, si la finalité de la photographie sur la carte Vitale est l'identification de la personne, la réponse va de soi. Y a-t-il une photographie dans le dossier médical personnel ?
J'entends bien, mais l'objectif est que le médecin sache à qui il a affaire.
S'agissant du dossier médical personnel, c'est un peu compliqué dans la mesure où la dernière version de la loi permet de présenter un dossier masqué. Dans ces conditions, il est évident que ce ne peut être le meilleur moyen de combattre la fraude, d'autant qu'il n'est pas obligatoire.
L'Union professionnelle artisanale considère-t-elle qu'il faudrait davantage sécuriser la carte Vitale, même si la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés juge le système plutôt satisfaisant puisque, à l'en croire, il n'y aurait ni vols ni contrefaçon ?
La photographie est-elle suffisante ? Nous n'en sommes pas sûrs. Doit-on se lancer dans des techniques d'identification biométrique ? Il est évident que tout ce qui permettra de sécuriser la carte Vitale ira dans le bon sens.
Je maintiens que la photographie n'est pas un bon moyen de combattre la fraude. C'est de l'argent public que l'on pourrait utiliser plus utilement, notamment en mettant au point d'autres méthodes de contrôle plus efficaces.
Cela dit, merci d'avoir participé franchement à cet échange. Naturellement, vous pouvez encore nous faire part de suggestions pour nous aider à formuler les préconisations les plus aptes à servir l'intérêt général.
La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède ensuite à l'audition de M. Michel Bergue, directeur de projet sur la lutte contre la fraude documentaire et à l'identité au ministère de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, de M. le Colonel Daniel Hestault, chef du bureau de la lutte contre le travail illégal et les fraudes à l'identité à la direction de l'immigration, de M. le Commandant Hubert Gattet, chef de bureau par intérim de la fraude documentaire à la direction centrale de la police aux frontières et de M. le Préfet Raphaël Bartolt, directeur de l'Agence nationale des titres sécurisés.
La fraude documentaire et à l'identité constitue une des composantes de la fraude sociale dans la mesure où elle permet, à côté de l'exercice illégal d'une profession ou de l'obtention irrégulière de la nationalité française, la perception de prestations sociales indues. Elle recouvre diverses infractions punies par le code pénal qu'on a donc regroupées sous deux rubriques : la fraude documentaire, qui consiste à falsifier des titres d'identité établis par l'État ou à les contrefaire, éventuellement à partir de documents vierges volés, et la fraude à l'identité – qui peut être matérielle – lorsqu'on fournit de fausses pièces justificatives pour obtenir un document d'identité authentique – ou intellectuelle. C'est le cas, en particulier, de l'usurpation d'identité.
Cette fraude existe depuis longtemps mais tend à nettement se développer, avec une particularité : environ 80 % des fraudes détectées sont le fait de ressortissants étrangers souhaitant se maintenir irrégulièrement sur notre territoire. Ces faux titres, de séjour notamment, peuvent ensuite servir de supports à d'autres fraudes : à la législation du travail comme aux législations sociale et fiscale, – ou servir à mettre en place des escroqueries pures et simples.
Ce constat statistique explique que le comité interministériel de contrôle de l'immigration ait été à l'origine d'actions nouvelles. Dès sa création, en décembre 2006, il a lancé un plan national de lutte contre la fraude à l'identité commise par des ressortissants étrangers, comprenant la constitution d'un réseau national d'experts et, pour la détection, un programme d'équipement et un programme triennal de formation en direction de multiples catégories de personnels. La fraude étant rarement éclatante et faisant d'ailleurs l'objet de peu de plaintes, il faut en effet affiner les méthodes de détection.
Mais les ressortissants étrangers n'étant pas seuls en cause, il a été décidé, après le regroupement des ministères de l'intérieur et de l'immigration, de lancer le projet de lutte contre la fraude documentaire et à l'identité dont j'ai la charge depuis quelques semaines. L'objectif est de coordonner l'action des services de sécurité – police et gendarmerie – et celle des administrations délivrant des documents d'identité – préfectures, mairies ou consulats. Parallèlement, les « référents fraudes » ont vu leurs missions s'élargir au-delà des questions de fraude au séjour irrégulier. Dans le cadre de la mission de préfiguration qui m'est confiée, je dois rendre d'ici à l'été un rapport définissant une stratégie globale de lutte contre la fraude documentaire et suggérant les structures qu'il serait souhaitable de mettre en place à cet effet.
Pendant longtemps, la falsification et la contrefaçon de documents ont constitué le principal type de fraude : l'État a donc d'abord cherché à sécuriser les titres. Cette mission incombe aujourd'hui à l'Agence nationale des titres sécurisés. Plus on sécurise les titres, moins on a de contrefaçons, mais plus il convient aussi de veiller aux autres maillons de la chaîne, sur lesquels la fraude se reporte. L'obtention indue de vrais documents tend ainsi à devenir notre première préoccupation, et nous entendons donc la combattre sans pour autant renoncer à parfaire en permanence la sécurisation, car l'imagination des fraudeurs n'a pas de bornes !
Créée en 2007 au moment où se mettait en place le passeport biométrique, l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) est placée sous la tutelle du ministère de l'intérieur mais sa vocation est interministérielle et son conseil d'administration comporte donc des secrétaires généraux de divers ministères tels que celui des affaires sociales, de la justice, des finances et de l'équipement notamment, ainsi que trois directeurs du ministère des affaires étrangères et trois du ministère des finances.
Sa mission est de gérer la nouvelle génération de titres ayant pris la succession, notamment, de la carte d'identité de 1955 qui était sur papier avec une photographie agrafée et qui pouvait facilement faire l'objet de fraudes. Nous avons parallèlement développé un système informatique capable de retracer un historique, couvrant toutes les préfectures et les consulats et permettant aux agents chargés de l'instruction des demandes et de la délivrance des titres de faire des recherches instantanées ainsi que de vérifier, grâce à la biométrie, l'authenticité des documents.
L'agence conduit une réflexion à la fois globale et systématique ; elle explore également de nouveaux domaines. Nous étudions ainsi l'usage de puces électroniques aux normes européennes pour qu'elles soient interopérables et permettent de reconnaître un citoyen français quel que soit le pays où il se trouve : c'est le cas pour le passeport biométrique, dont les normes EAC (extended access control, contrôle d'accès étendu) sont définies par l'Union européenne, ou pour le titre de séjour européen, qui devrait être disponible cette année. La nouvelle carte nationale d'identité s'inspire des mêmes principes, la Commission européenne recommandant la constitution d'un système homogène. Quant au nouveau permis de conduire, prévu pour le début de l'année 2013, il ne contiendra pas d'empreinte, mais une puce électronique y sera intégrée. Cette étape de la réforme de l'État bénéficiera aussi au citoyen, qui pourra savoir à tout moment combien il lui reste de points.
La mise en circulation de nouvelles générations de titres s'accompagne de l'apparition de nouvelles procédures. Ainsi les mairies sont raccordées à un réseau télématique fonctionnant en temps réel et sécurisé conformément aux préconisations de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – qui exerce en la matière un large contrôle –, avec cryptage et traçabilité des transmissions et possibilité de contrôle par les services chargés de l'administration du système d'information. De leur côté, la police et la gendarmerie sont à même de contrôler les titres en tout point du territoire grâce à 10 000 lecteurs « quatre en un » à leur disposition dans leurs véhicules, capables de lire les puces, que ce soit « en contact » – dans le cas de la carte d'identité – ou sans contact – cas du passeport notamment –, ainsi que de vérifier les empreintes et de lire les bandes MRZ (machine readable zone), c'est-à-dire une zone de données lisible automatiquement par une machine. Pour l'instant, la France est le seul pays à disposer d'un tel système qui vient cependant d'être acquis par la Hongrie auprès de la société française qui le fabrique. Le futur permis de conduire pourra être contrôlé dans les mêmes conditions.
Qu'en est-il de la carte d'identité électronique, qui était prévue par la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) mais à laquelle on a ensuite renoncé ?
La disposition a été reprise par le sénateur Jean-René Lecerf dans une proposition de loi déposée le 27 juillet dernier, pour laquelle un rapporteur vient d'être désigné en la personne de M. François Pillet. Ce texte devrait être examiné à la faveur d'une prochaine « niche » parlementaire.
Je ne saurais trop insister sur l'urgence qu'il y a à disposer d'une telle carte d'identité.
La bande MRZ qui figure sur chaque passeport, est le seul élément actuellement contrôlé dans tous les aéroports du monde. La codification en a d'ailleurs été arrêtée par l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI). Cette bande a donc été reportée au bas des nouveaux documents où elle permet d'« ouvrir » la puce, mais elle assure un niveau de protection peu élevé. La PKD (service de répertoire de clés publiques) de l'Organisation de l'aviation civile internationale, qui regroupe douze pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne, l'Australie et la Chine, est donc en train de concevoir de nouveaux modes de contrôle.
Cependant, la nouvelle carte grise, qui n'est pas un titre d'identité mais de police, comporte aussi cette bande MRZ. La France est le premier pays d'Europe à avoir fait ce choix : il permet d'accélérer les contrôles opérés à partir des terminaux informatiques embarqués de la gendarmerie ou de la police, et de gagner ainsi en productivité tout en réduisant la gêne pour les automobilistes, dont la plupart sont fort heureusement sans reproche.
Ce coût a été pris en compte en même temps que celui du passeport biométrique : le projet de loi annoncé lors du conseil des ministres du 27 août 2007 prévoyait la création de ces deux documents, reprenant en cela le texte présenté par le gouvernement de M. Dominique de Villepin ; les stations situées dans les mairies sont d'ailleurs conçues pour le traitement de l'un et l'autre, de même que le formulaire CERFA (Centre d'enregistrement et de révision des formulaires administratifs), ce qui fera là aussi gagner en productivité.
La carte comportera une signature électronique, support de services nouveaux en ce qu'elle permettra à l'usager de communiquer avec sa banque, avec son notaire ou avec sa société d'assurance. Sept pays en Europe ont déjà pris une telle disposition, la Belgique parmi les premiers. En revanche, nous ferons exception sur le continent dans la mesure où ce titre sera gratuit : la décision prise en 1999 a été reconduite en 2009.
Le coût de fabrication de la carte est fonction du nombre d'exemplaires réalisés : celui-ci a été de 6,2 millions en 2009 et 2010, mais pourrait être plus important avec la nouvelle carte. Dans la mesure où elle est très sécurisée, où elle comporte deux puces – une pour la signature électronique que l'on peut enregistrer sur son ordinateur ; l'autre permettant un contrôle sans contact – et où elle est fabriquée avec du polycarbonate par l'Imprimerie nationale – qui dispose d'un monopole –, ce coût unitaire pourrait varier entre 8 et 11 euros. Cela étant, plus on produira de titres de même génération, comme les titres de séjour – actuellement 850 par an – ou les permis de conduire – 2 millions par an –, plus il sera appelé à diminuer.
À titre de comparaison, le prix de revient de la carte Vitale est de 4 euros pièce : compte tenu de son caractère très sécurisé, la carte d'identité présente un coût raisonnable.
Pouvez-vous nous parler de la carte de sécurité sociale belge, qui est sécurisée et sert également de carte d'identité ?
Cette carte existe depuis 2006 et comporte une signature électronique, qui a permis de développer des services à distance. Certaines régions italiennes, comme la Lombardie, ont adopté un dispositif similaire. L'Autriche est également pionnière en Europe pour l'utilisation des nouvelles technologies, comme l'Estonie qui utilise même ce mode de reconnaissance pour les élections législatives.
Les usages de ce type de document divergent selon les pays : c'est la Belgique qui les a le plus développés, au point de concevoir des cartes permettant de limiter l'accès des mineurs à internet. Mais l'approche française n'est pas celle-là.
S'agissant de la carte Vitale, je pense qu'elle peut être sécurisée à un coût bien moindre que la carte d'identité.
Lors de la visite que nous rendrons à votre agence le 11 mars prochain, à Charleville-Mézières, nous écouterons volontiers vos propositions, mais je dois avouer que le système belge est assez séduisant, en raison de son caractère évolutif.
Quels effets ce travail de sécurisation des documents a-t-il eus sur la fraude à l'identité ?
Nous ne disposons pas de statistiques précises en ce domaine. D'une part, il n'existe pas de définition précise de l'identité ; d'autre part, nous ne connaissons que le nombre des faux documents détectés, ce qui laisse de côté tous ceux qui ne le sont pas, ainsi que la part de titres perdus ou volés qui peuvent faire l'objet d'utilisations indélicates. Selon un rapport des inspections générales de novembre 2009, il y aurait entre un million et un million et demi de faux titres en circulation – cartes d'identité, passeports et titres de séjour –, dont une partie non utilisée.
Le nombre de faux documents détectés par la police aux frontières (PAF) – permis, cartes d'identité, visas, titres de séjour, etc. – a été d'un peu plus de 12 000 en 2010, contre 14 000 à 15 000 les années précédentes.
Le nombre de 5 millions de faux permis de conduire avancé par la presse n'est-il pas alors exagéré ?
Les statistiques de la police aux frontières sont loin de ce nombre, qui me paraît un peu aberrant. En 2010, elles font état de 1 595 faux permis en métropole. Mais il faudrait y ajouter ceux qui ont été détectés par les autres forces de police et par la gendarmerie.
Le nombre de 5 millions recouvre sans doute une définition large, englobant par exemple l'utilisation de permis alors qu'on a perdu tous ses points…
… et probablement la conduite sans permis.
Le permis de conduire actuel est peu sécurisé. Pourtant, et alors même qu'il ne constitue pas un titre d'identité, il sert assez souvent à attester de celle-ci. Or la police aux frontières constate que beaucoup de permis de conduire étrangers échangés contre des permis français sont des faux.
Quant à l'estimation d'un million à un million et demi de faux titres en circulation, elle englobe ceux qui, perdus ou volés, sont utilisés par d'autres que leur propriétaire.
Cela tient au fait que la non-déclaration de perte ou de vol d'un document n'est pas sanctionnée : en général, ceux qui perdent une carte d'identité ne le déclarent que s'ils en redemandent une nouvelle. Il faut tenir compte de ces non-déclarations.
On peut avoir une carte d'identité et un passeport, puis perdre l'un des deux et s'en passer sans difficulté pendant des années.
Les personnes qui perdent un titre d'identité ne sont souvent pas conscientes du préjudice auquel elles s'exposent en ne le déclarant pas. Si ce document est utilisé par d'autres, il peut l'être à leur détriment, avec parfois des conséquences très graves, comme dans les cas d'usurpation d'identité.
Dans une affaire de fraudes à l'aide de « kits ASSEDIC », en région parisienne, le juge a convoqué 1 200 personnes dont l'identité était improbable : généralement, les fraudes massives sont fondées sur des usurpations ou falsifications d'identité. Avez-vous des éléments statistiques à ce sujet ?
La police aux frontières utilise un outil statistique très précis, appelé PAFISA (programme d'analyse des flux et indicateurs statistiques d'activité) : il comptabilise les documents découverts par type de fraude, par nationalité, etc. Il permet de constater une augmentation, depuis quelques années, du nombre des titres obtenus frauduleusement, à partir de dossiers fictifs ou à partir d'une identité réelle : le phénomène a concerné 421 titres de séjour et 269 cartes nationales d'identité en 2010, soit une augmentation de 113 % et de 140 %, respectivement, depuis 2006 ; les chiffres pour les passeports sont un peu plus faibles. Ces infractions sont généralement le fait d'étrangers en situation irrégulière qui souhaitent ainsi se maintenir sur le territoire national et peuvent ensuite essayer d'obtenir frauduleusement des prestations sociales.
Dans le domaine des fraudes au détriment des associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (ASSEDIC), les faux papiers se comptaient par centaines, voire par milliers. Dans chaque affaire, lorsqu'on a mis en place des détecteurs dans les bureaux de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE), ce sont des dizaines de faux papiers qu'on détectait chaque semaine !
Les documents permettant d'obtenir des titres français, le numéro INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) ou le numéro d'inscription au répertoire (NIR) sont-ils suffisamment sécurisés ? Des personnes que nous avons auditionnées récemment nous ont fait part de leur inquiétude sur les conditions de délivrance du numéro d'inscription au répertoire provisoire, sur la base de documents en langue étrangère dont on peut penser, sans pouvoir le prouver, qu'ils sont faux. Or ce numéro provisoire finit par ne plus l'être tout à fait…
Il existe effectivement une fraude sur les documents étrangers pouvant servir en France, sachant qu'il convient de distinguer entre les documents internes à l'Union européenne – permettant dans le cadre de l'espace Schengen de rester sur le territoire national – dont certains sont insuffisamment sécurisés, et ceux émanant de pays tiers, qui le sont encore moins.
S'agissant des statistiques, en dehors de « l'état 4001 » qui recense les crimes et délits constatés, les estimations peuvent être plus ou moins floues.
Nos « référents fraudes » au sein des préfectures nous indiquent que, lorsqu'ils sont confrontés à des documents en langue étrangère, ils demandent aux consulats ou ambassades des pays concernés des informations qu'ils n'obtiennent pas toujours dans les délais, sachant qu'ils sont soumis à une certaine pression pour délivrer les titres assez rapidement. Avec la police aux frontières et le bureau de la fraude documentaire, nous organisons des formations et nous élaborons des « fiches réflexes » pour inciter les agents de guichet à prendre contact, en cas de doute, avec les « référents fraudes » de la police ou de la gendarmerie.
Concernant le numéro d'inscription au répertoire, le problème est que le numéro provisoire tend à devenir définitif, ce qui est pire que la falsification car, une fois la certification acquise, la fraude devient indétectable : c'est un vrai sujet d'inquiétude.
Alors que le faux document peut toujours être détecté à l'occasion de tel ou tel contrôle, le vrai document obtenu de façon indue ne peut en effet l'être que si l'on remonte à la source, ce qui est très compliqué. C'est d'ailleurs ce qui explique la faiblesse des chiffres que nous enregistrons en la matière. Nous essayons donc, en collaboration avec l'Agence nationale des titres sécurisés, de sécuriser les conditions d'obtention, notamment en réduisant le spectre des justificatifs de domicile pouvant être fournis à l'appui des demandes.
La Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés nous fait valoir qu'après huit ou neuf mois de versement de prestations sur la base du numéro provisoire, il est difficile de ne pas rendre celui-ci définitif. Cela pose un problème d'équité et constitue une brèche où peuvent s'engouffrer les fraudeurs. Le système vous paraît-il suffisamment sécurisé, ou faut-il refuser d'accorder un numéro d'inscription au répertoire en cas de doute ?
Le numéro d'inscription au répertoire ne relève pas du domaine de compétence de mon bureau mais, dans le cadre du projet AGDREF (application de gestion des ressortissants étrangers en France), certains agents des organismes sociaux nous ont dit en effet que, lorsqu'ils avaient un doute sur la validité d'un titre, ils préféraient accorder des droits plutôt que de prendre le risque de les refuser. Aussi, dans le cadre du groupe interministériel d'expertise de la lutte contre la fraude à l'identité (GIELFI), des actions de formation ont été proposées à ces organismes et on réfléchit à des « fiches réflexes » permettant d'indiquer aux agents ce qu'il convient de faire. Se pose d'ailleurs au passage la question de savoir si l'on peut interpeller un demandeur au guichet de tels organismes.
Il faut distinguer les documents d'identité français, dont la délivrance relève de notre responsabilité, et les documents étrangers qui peuvent servir à les obtenir. Cependant, dans le cas des titres de séjour, l'identité est souvent établie sur une base quasiment déclarative – ainsi les demandeurs d'asile ayant obtenu le statut de réfugié sont pour beaucoup incapables de produire leur état civil. Or, les services préfectoraux sont bien obligés de délivrer ces titres lorsque les conditions requises sont remplies, quand bien même ils ne sont pas certains de l'identité des intéressés.
Les fraudes aux prestations sociales pouvant passer par des fraudes documentaires ou à l'identité. Votre action de sécurisation peut contribuer à les limiter, mais faut-il sécuriser d'autres titres, tels que la carte Vitale, ou utiliser ceux que vous délivrez pour sécuriser « par ricochet » les documents permettant d'obtenir des prestations sociales ? Dans cette dernière hypothèse se poserait la question des capacités matérielles et juridiques des personnes délivrant ces prestations. Faudrait-il qu'elles aient le statut d'officiers de police judiciaire ?
Les titres sociaux ne sont pas pour l'instant de la compétence de l'Agence nationale des titres sécurisés, qui ne s'occupe que des titres avec puce, mais le processus de délivrance de la carte Vitale me paraît présenter une faille : il suffit de l'envoi d'un formulaire, d'une photographie et de la photocopie plus ou moins nette d'une carte d'identité, sans qu'il y ait de face-à-face avec le demandeur.
Lorsque l'Agence nationale des titres sécurisés lui a soumis le décret portant constitution du système d'information, en 2008, la Commission nationale de l'informatique et des libertés a reconnu que nos titres étaient sécurisés. Rappelons que seules trois tentatives de fraude ont été enregistrées pour le passeport biométrique en Europe au cours du premier semestre 2010. Mais la commission a observé que les fraudes s'étaient reportées sur l'acte de naissance, qui, comme la carte Vitale, est aisé à obtenir par correspondance puisqu'il suffit de fournir la date de naissance.
L'effort doit donc porter maintenant sur deux points : sur la quittance permettant de prouver son identité et sur l'acte de naissance. S'agissant de la quittance, nous avons conçu un système consistant à introduire dans un code barres des éléments figurant sur le justificatif et d'autres que nous sommes seuls à connaître : cela permet de déterminer à distance – grâce à un scanner ou à une cybercaméra (webcam), donc pratiquement sans coût – s'il s'agit d'une quittance authentique ou si elle a subi des modifications – et, dans ce cas, lesquelles. Le procédé est déjà appliqué, d'ailleurs, pour déceler des fraudes sur les produits de luxe, sur le vin par exemple.
Nous progressons également, sous l'autorité du ministère de la justice, en ce qui concerne l'acte de naissance : pour éviter la fraude, il faudrait qu'il ne se trouve jamais entre les mains de l'usager, qu'il circule seulement de mairie à mairie. Mais jusqu'ici, le maire, officier d'état civil, n'avait pas la possibilité de recourir à la signature électronique, contrairement aux notaires et aux huissiers qui le peuvent en vertu d'un décret de 2006. L'obstacle va être levé dans les tout prochains jours par un décret, qui fait l'objet, de la part de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, d'un avis d'autant plus positif qu'il répond à son observation. Tout en étant hautement sécurisé, ce nouveau dispositif de dématérialisation des échanges de données d'état civil, qui se greffera sur celui qui a déjà été mis en place pour le passeport biométrique, offrira une grande souplesse : il admettra la délégation par le maire des fonctions d'officier d'état civil ; il pourra s'étendre aux mentions marginales, relatives au mariage et au décès, ce qui permettra d'importants gains de productivité ; il pourra s'ouvrir aux caisses d'allocations familiales (CAF), aux organismes sociaux et aux notaires, qui maîtrisent bien la signature électronique et y recourent souvent. Il a fait l'objet pendant un an d'une concertation avec l'Association des maires de France (AMF), qui a donné lieu à un compte rendu le 15 décembre : 36 communes se sont portées volontaires, dont Marseille et Lyon, et une expérimentation commencera, dès que le décret sera paru, dans certaines villes comme Melun.
Lorsqu'elles ne seront pas prises en même temps que les empreintes, les photographies fournies par le demandeur seront vérifiées en mairie dans le cadre d'un face-à-face.
J'ajoute enfin que nous nous préoccupons d'organiser la traçabilité des opérations un peu atypiques des professionnels, en rapport avec l'immatriculation des véhicules, ou de certaines opérations sensibles au sein des préfectures – car la fraude peut aussi être interne.
On parle de fraude interne lorsqu'il y a complicité d'un agent chargé de délivrer des titres.
Oui, et ils sont malheureusement en augmentation. Ils peuvent être découverts de l'intérieur des services ou de l'extérieur, en remontant une filière. Plusieurs dizaines de dossiers disciplinaires concernant des fonctionnaires de l'État sont actuellement en instance au ministère de l'intérieur.
Est-il raisonnable de confier à un fonctionnaire de l'État tout pouvoir de délivrer un titre alors même que les justificatifs présentés sont douteux ?
Il faut relativiser : le nombre de dossiers disciplinaires doit être rapporté à celui des fonctionnaires chargés de délivrer des titres, qui se comptent par milliers ! Si les préfectures ont traditionnellement une culture de suspicion, la situation est variable selon les communes. Quoi qu'il en soit, le face-à-face avec un fonctionnaire réduit fortement le risque de fraude, celle-ci pouvant être détectée à partir du comportement du demandeur.
S'agissant des associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, le fait d'exiger un face-à-face et de signaler à trois reprises qu'il y aurait vérification des pièces d'identité a été dissuasif.
Pensez-vous que, dans les nouvelles missions que l'on va confier aux municipalités, on pourrait leur demander d'organiser des face-à-face pour la carte Vitale sécurisée ?
Dans la phase de développement du passeport biométrique, les communes n'étaient pas enthousiasmées par la nouvelle procédure. Dans les réunions publiques que j'ai tenues dans toute la France, les maires s'interrogeaient souvent sur leur responsabilité en cas de fraude. Nous leur répondions que cette responsabilité pesait sur le préfet, à qui incombaient les vérifications. Cela étant, il est possible d'introduire un dispositif d'alerte dans le logiciel utilisé pour les communications entre les mairies, l'Agence nationale des titres sécurisés et la préfecture.
Aujourd'hui, l'attitude à l'égard des liaisons télématiques avec les préfectures a bien changé et la moitié des communes, y compris en Île-de-France, souhaitent participer à la lutte contre la fraude et être dotées de petits équipements tels que des détecteurs ultraviolets. Avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), nous réfléchissons aux moyens de répondre à cette demande, notamment par le biais de formations destinées aux agents municipaux qui se portent volontaires.
Les procédures de traçabilité sont essentielles et il est important que tout le réseau soit informé des fraudes constatées. Par ailleurs, il est utile de pouvoir détecter certains comportements atypiques, comme celui d'un professionnel de l'automobile qui fait brusquement une grande quantité de réceptions nationales ou celui d'un agent de préfecture qui multiplie les déductions de taxe environnementale.
Enfin, on part souvent du principe que la fraude est pour ainsi dire définitivement consommée après le passage au guichet, se privant du coup de la combattre a posteriori, comme le font par exemple le Royaume-Uni ou la Belgique au moyen d'une analyse automatisée approfondie. Il nous semble au contraire que les services chargés de l'intendance du système d'information pourraient prendre le temps d'identifier la fraude et, quand celle-ci est avérée, saisir le parquet. Dès que le demandeur ou l'agent savent qu'existe un tel contrôle, la fraude diminue considérablement, d'autant qu'ils ignorent sur quoi il va porter exactement. Ce procédé est approuvé par la Commission nationale de l'informatique et des libertés, qui n'a jamais élevé d'objections contre les contrôles aléatoires.
La crainte est parfois le début de la sagesse…
À combien estimez-vous le surcoût de la sécurisation ?
Il faut distinguer trois types de documents : la carte bancaire sécurisée, qui ne permet de faire qu'une opération et fait l'objet d'un contrôle interne des banques, et pour laquelle le surcoût de la sécurisation peut être évalué à trois euros ; la carte Vitale, plus sécurisée ; et la carte d'identité, qui l'est encore davantage et dont le prix de revient est de l'ordre de huit euros. Mais le surcoût principal est constitué par le face-à-face qui, comme on l'a vu, est très dissuasif.
Cela dit, si le titre donne accès à des prestations d'un montant important, l'investissement initial dans la sécurité peut être facilement amorti par la réduction des fraudes, d'autant que ce type de titres dure en général dix ans, voire davantage, comme la carte Vitale 1.
Dans mes fonctions de chef d'état-major du commandement de la gendarmerie de Mayotte, mon principal souci était plutôt la lutte contre l'immigration clandestine. Le problème des faux documents ne se posait d'ailleurs guère, les 120 ou 130 clandestins débarquant certaines nuits sur les plages étant le plus souvent dépourvus de papiers. La situation est similaire en Guyane.
Le passeport biométrique est étendu à Mayotte, de même que le sera la nouvelle carte d'identité. Cependant, ce futur département a encore à établir son état civil alors même que la forte humidité ambiante provoque une détérioration rapide des documents. Cela devrait conduire à y privilégier l'archivage électronique. Mais celui-ci devrait être développé en métropole aussi, sous le contrôle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés : cela permettrait de retrouver instantanément une donnée, de la mettre à disposition de plusieurs services et de mener des recherches « expertes » aux fins de combattre la fraude.
Par ailleurs, si l'on veut conduire une action efficace au niveau international, il faut sans doute une bibliothèque de modèles de documents, permettant par exemple de savoir comment se présente tel titre ou tel acte dans tel pays. La diffusion du code barres constitue à cet égard un atout, dans la mesure où il permet un contrôle à distance des documents dans de brefs délais.
Dans le domaine social, la carte européenne d'assurance maladie (CEAM) est peu sûre puisqu'elle comporte une bande uniquement à piste : il conviendrait de la sécuriser afin de faciliter les remboursements aussi bien que les échanges et compensations entre hôpitaux de l'Union européenne. Nous participons d'ailleurs activement à cet effet au programme STORK sur l'interopérabilité des identifiants électroniques.
Peut-être serait-il bon que vous vous joigniez à nous lorsque nous nous rendrons à Tours, avec des magistrats de la Cour des comptes, pour visiter le service national d'identification des assurés (SANDIA). Quelles sont vos relations avec celui-ci ? La liaison entre les préfectures et les services sociaux semble faible : il n'est pas rare que les caisses de sécurité sociale ne soient pas informées du retour de ressortissants étrangers dans leur pays, après expiration de leur titre de séjour.
Ces relations sont en train de se développer, notamment depuis la création des comités opérationnels départementaux antifraude (CODAF), qui réunissent les organismes sociaux, mais cela prendra du temps en raison de différences de culture entre les services ; en tout cas, le ministère de l'intérieur est tout disposé à fournir toutes les informations souhaitées par ces organismes et à organiser des échanges réguliers sur ces questions.
Nous nous sommes déjà rendus voici quelques mois dans les locaux du service national d'identification des assurés avec des représentants de tous les organes engagés dans la lutte contre la fraude, y compris le groupe interministériel d'expertise de la lutte contre la fraude à l'identité et la délégation interministérielle. Cette dernière a relayé nos observations, sous forme de propositions au Gouvernement.
Nous en avons néanmoins eu connaissance, et cela n'enlève rien à la nécessité de régler ces problèmes.
Je dispose de deux conseillers « sécurité » suivant les questions de fraude avec M. Michel Bergue : un colonel de gendarmerie et un commissaire de police. Nous travaillons en étroite relation avec l'inspection générale de l'administration, qui a fait l'an passé trente-six rapports sur les titres d'identité, et nous analysons toutes les observations pour voir comment améliorer le dispositif existant. L'Agence nationale des titres sécurisés a également passé une convention avec la direction générale de la modernisation de l'État (DGME), avec laquelle nous nous efforçons de définir des procédures cohérentes, applicables à l'ensemble des administrations de l'État. J'ajoute que tout notre environnement de travail – comme par exemple le logiciel reconnaissant les documents d'identité, qui fonctionne à la fois sur Microsoft, sur les logiciels libres et sur Apple – a fait l'objet d'une certification par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), ce qui a demandé des mois de travail.
La séance est levée à douze heures vingt.