La séance est ouverte à 17 h 30.
La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'Audition M. Didier Horus, secrétaire national de la Fédération syndicale unitaire (FSU) et représentant FSU au Conseil d'orientation des retraites (COR).
Nous vous remercions d'avoir accepté l'invitation de la Délégation. Nous souhaitons connaître votre avis sur l'avant-projet de réforme des retraites pour ce qui concerne, dans la fonction publique, la situation des femmes retraitées par rapport aux hommes. Le texte contient en effet des dispositions qui ont un impact sur la retraite des femmes fonctionnaires. Il s'agit d'une part de la fin du départ anticipé après quinze ans de services pour ceux – et surtout celles – qui ont eu trois enfants, d'autre part de l'introduction de nouvelles conditions pour bénéficier du minimum garanti : désormais, les fonctionnaires devront non seulement avoir atteint l'âge légal mais aussi, comme les salariés du secteur privé, avoir le nombre d'annuités total, ou bien attendre l'âge du taux plein, porté de 65 à 67 ans. Qu'en pensez-vous ?
Nous croulons sous les appels de nos collègues mères de trois enfants et nous ne sommes pas les seuls : il en va de même dans les rectorats, les services des impôts, de la santé et d'autres administrations encore. Tous sont submergés d'appels de femmes qui se demandent si elles doivent partir en sacrifiant la fin de leur carrière sans l'avoir choisi, ou rester et se trouver alors dans une situation dramatique. Nous n'avons jamais connu une telle indignation.
En quelques jours, sans avoir le temps de réfléchir, ces femmes doivent prendre une décision très lourde de conséquences : pour bénéficier d'une pension déterminée selon les anciennes modalités, celles en vigueur jusqu'à la date du dépôt du projet de loi, elles doivent déposer leur dossier de demande de mise à la retraite avant le 13 juillet ! Nous sommes extrêmement choqués. Les réformes précédentes avaient déjà ciblé les femmes – la loi Fillon en particulier, qui a supprimé la bonification pour enfants nés à partir de 2004, une bonification dont nous continuons d'exiger le rétablissement. En effet, on parle beaucoup d'« équité » entre fonction publique et secteur privé, mais on oublie de dire que la majoration de durée d'assurance supprimée dans la fonction publique a été maintenue, la première année, dans le secteur privé !
De plus, de manière générale, malgré les bonifications, la pension des femmes est inférieure à celle des hommes. Dans la fonction publique, elle s'établit à 77 % de celle des hommes. C'est mieux que dans le secteur privé car femmes et hommes ont passé les mêmes concours, mais si les traitements de départ sont identiques, les discriminations apparaissent ensuite, si bien que les carrières des femmes sont moins bonnes que celles des hommes. Ce matin même, au cours d'une réunion sur la régime additionnel de la fonction publique il a été indiqué que dans la fonction publique d'Etat, les hommes ont 22 % de points de plus que les femmes. On sait très bien pourquoi : meilleures carrières, plus d'heures supplémentaire, davantage d'indemnités diverses… La FSU juge ces graves inégalités scandaleuses, et les femmes tout autant.
Le dispositif contenu dans l'avant-projet est profondément injuste. Alors qu'il y a tant d'inégalités et de richesses dans notre pays, le Gouvernement, qui se glorifie de la natalité française, donc de tous ces enfants que portent les femmes, ne trouve rien de mieux à faire que de supprimer un droit dont bénéficient chaque année 15 000 femmes dont le plus grand nombre a eu un petit salaire, une petite carrière, et dont la pension sera affectée par une décote. Cette politique est indigne. Le Gouvernement n'aime pas les femmes ! La loi Balladur n'était pas une bonne loi, mais au moins prévoyait-elle un dispositif progressif, prévu pour s'étaler sur une vingtaine d'années. Cette fois, rien de ce genre. Nous comptons sur les députés pour réagir ? Il existe d'autres inégalités à corriger avant de s'en prendre – au nom de l'équité ! – à ces femmes.
Certains paieront très cher cette mesure inique et brutale, qui est, de plus, incohérente, puisque l'on nous répète à l'envi qu'il faudra travailler plus longtemps : en effet, cela va avoir pour résultat une marée de départs précipités à la retraite pour éviter le durcissement des règles qui a été annoncé. A l'Education nationale, le 1er janvier prochain, des milliers d'enseignantes et de chefs d'établissement manqueront à l'appel, et des milliers d'autres dans d'autres ministères ; comment M. Chatel et ses collègues les remplaceront-ils ? On comprend qu'ils supprimeront ces postes, mais alors, qui assurera le service public ?
M. Luc Chatel ne nous a jamais reçus pour traiter de ce sujet mais nous avons saisi ses prédécesseurs. Nous avons aussi évoqué cette question avec le directeur de cabinet de M. Eric Woerth, qui avait avancé des propositions dont l'une consistait à relever progressivement l'âge de départ à la retraite. Dans l'optique du Gouvernement, on peut considérer que les fonctionnaires mères de trois enfants âgées d'une quarantaine d'années peuvent encore envisager un cumul emploi-retraite, mais il paraissait censé de ménager au moins les femmes déjà cinquantenaires. Nous en avions précédemment parlé avec un membre du cabinet de M. Xavier Bertrand, alors ministre du travail, et je me rappelle avec précision l'avoir entendu nous dire que si des mesures de ce type étaient prises, elles seraient très progressives ! Nous nous attendions à ce que des discussions permettent de prendre en compte les dernières années de carrière des femmes. Au lieu de quoi, on leur lance un ultimatum, et on leur donne huit jours pour se déterminer ! Cette manière de procéder est inconcevable.
Pour notre part, nous avons diffusé cette information par tous les canaux possibles, et la nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre. Les rectorats commencent à envoyer des courriels à ce sujet, indiquant une liste de numéros de téléphone permettant que les collègues concernées puissent se renseigner. En tant que femmes, en tant que citoyens, il faut réagir. Une retraite, c'est un projet de vie ; il ne se prépare pas en étant contraint de déposer un dossier avant le 13 juillet pour être sans doute rayé des cadres le 31 décembre prochain !
La question est d'autant plus compliquée que l'on demande à ces femmes de prendre une décision grave, de manière précipitée, sans même savoir à la lecture de l'avant-projet de loi, à quelle date elles peuvent demander leur mise à la retraite ! Personne ne le sait, car le texte est suffisamment flou, avec effet le 31 décembre 2010 ou le 13 janvier 2011 ou le 30 juin 2011… Or, chaque date a un impact différent sur le fonctionnement des établissements.
Cela laisse augurer de multiples contentieux, qui coûteront très cher à l'Etat. On peut aussi s'interroger sur la compatibilité avec le droit communautaire d'une mesure prise dans de telles conditions.
Nous ne sommes pas les seuls à la trouver floue ! On impose à ces femmes un choix qui implique de renoncer à un métier, à une possibilité de promotion, à un traitement de fonctionnaire en activité, sans qu'elles puissent déterminer le montant de leur pension, ni même qu'elles sachent à quelle date demander cette mise à la retraite.
Le bruit court que ce serait au 31 décembre 2010 ; or les dossiers de mise à la retraite anticipée doivent être déposés le 13 juillet au plus tard, et un décret prévoit pourtant que six mois sont nécessaires entre la date de dépôt d'un tel dossier et celle du départ effectif. De plus, à l'Éducation nationale, pour éviter que les enfants ne changent d'enseignants en cours d'année, ces départs à la retraite se font le plus souvent le 30 juin mais on semble vouloir leur imposer de partir le 31 décembre. Cela ne s'est jamais vu.
Il serait bon de rappeler que 20 % des enseignantes ont trois enfants.
Un départ à la retraite après quinze années de service, même en tenant compte des bonifications pour enfants, entraîne une très faible pension, n'est-ce pas ?
Très peu de mères de trois enfants usent de leur droit à une retraite anticipée après quinze ans de service seulement. Elles le font plus tard. A titre personnel, j'ai 56 ans et trois enfants, mais je n'ai pas envie de partir maintenant car j'ai encore des projets à mener à bien avec les lycéens. Mais, ce texte signifie que j'aurai, à terme, une pension avec une petite décote. Pour beaucoup, c'est un crève-coeur de devoir partir maintenant, mais rester signifie pour elles un départ en retraite à 62 ans au minimum.
De ce que rapportait la presse j'avais conclu que le dispositif se mettrait en place en six mois et que les femmes concernées disposeraient de ce délai pour se déterminer. Qui a imposé ce changement de règle ?
Avec une brutalité qui nous a surpris, le ministre a arrêté la date du 13 juillet, celle de la présentation du texte en conseil des ministres – avant même, donc, que la disposition ne soit votée et la loi adoptée.
Les députés doivent entendre que les mères, quel que soit leur bord politique, prennent très mal cette disposition.
Le cas s'est déjà produit en 2003 : alors que la loi n'a été votée que le 21 août, c'est la date de présentation du projet au conseil des ministres, le 28 mai, qui a été retenue comme date butoir pour bénéficier des anciennes modalités de la bonification - et cette date a été validée par le Conseil constitutionnel. La loi peut avoir un effet rétroactif. Mais la question n'est pas juridique, elle est politique.
Ne peut-on concevoir que le Conseil supérieur de la fonction publique rende un avis appelant à amender cet article ?
J'ignore la position de FO et de la CGC à ce sujet, mais les autres organisations syndicales ne sont pas dans l'esprit de proposer des amendements à un texte qu'elles estiment inamendable. Mais, en l'état, aucun service des pensions d'un ministère n'est capable de traiter cette disposition.
Sur le fond, la mesure est scandaleuse ; dans la forme, elle est d'une grande brutalité ; il n'y aura pas suffisamment d'agents pour traiter correctement ces dossiers, ce qui laisse entrevoir de sérieux risques d'erreurs graves. Enfin, on devra gérer une fonction publique vidée de ce personnel, sans qu'il soit prévu de le remplacer, après avoir mis à la retraite par ce biais des femmes qui ne le souhaitaient pas toutes, au moment où on les enjoint de travailler plus longtemps.
C'est en effet une mesure d'un cynisme absolu. Plus généralement, depuis la réforme de 2003, on ne vise pas l'accroissement de la participation des femmes au marché du travail.
En effet, car la bonification a été remplacée par la validation du congé parental dans la durée d'assurance, ce qui n'est pas même chose : on valorise davantage les femmes qui se sont arrêtées de travailler pour élever leurs enfants que celles qui ont continué de travailler.
Dans ses projections, le COR considère que le taux de participation des femmes à l'emploi total est le même jusqu'en 2050 ; il est bien d'avoir des objectifs ambitieux en termes d'emploi des seniors, mais si on ne fixe pas le même objectif pour les femmes et pour les hommes, on se trouve face à un problème de société. Nous considérons qu'une partie du problème de financement des retraites se traite par la masse salariale ; cela signifie que l'emploi des femmes est un élément déterminant. Dans ce contexte, il est singulier de prendre des mesures qui poussent les femmes à se retirer de la vie professionnelle – outre que ces mesures ne sont pas favorables à leurs droits.
La FSU n'a eu de cesse de souligner que la réforme de 2003 a particulièrement pénalisé les femmes, comme toute réforme jouant sur l'allongement de la durée d'assurance pénalise les carrières interrompues ou accidentées. Dans la fonction publique, la décote concerne essentiellement les femmes – par exemple, 30 % des enseignants du premier degré, dont 85 % sont des femmes. Outre cela, le taux de liquidation des pensions des femmes de la fonction publique diminue beaucoup plus vite depuis la réforme de 2003. Or l'effet maximal de la décote prévu par cette réforme ne sera atteint qu'en 2020. Cela signifie que les femmes fonctionnaires prendront de plein fouet les conséquences de deux réformes : celle de 2003 et celle qu'annonce l'avant-projet. Je ne connais pas un seul autre pays européen dans lequel la régression soit telle.
Il y a autre chose : le minimum garanti. Dans la fonction publique territoriale, une femme sur deux partant à la retraite est concernée, et seulement un homme sur trois.
Nous contestons l'exposé des motifs de l'avant-projet. Comment prétendre comparer le minimum garanti – conçu pour assurer un minimum de pension aux personnels de la fonction publique qui ont une carrière courte – et le minimum contributif spécifique au régime général, prévu pour relever les pensions de gens qui ont eu une carrière complète mais de faibles revenus ? En partant du principe qu'il faut harmoniser les règles, on en vient à traiter de manière identique des situations qui n'ont rien de commun. Ce faisant, on crée forcément des inégalités, plutôt au détriment des femmes – alors même que la réforme de 2003, nous l'avons dit, n'a pas atteint ses pleins effets.
La réforme creuse les inégalités entre hommes et femmes, entre les métiers… Même avec le minimum contributif, on arrive à moins de 1 000 euros mensuels. Les choix qui sont faits sont honteux. Pour bénéficier du minimum garanti, il faudra avoir toutes ses annuités, alors que le dispositif a précisément été conçu pour ceux et celles qui ne pourront jamais les avoir ! Dire que le minimum garanti est désormais subordonné à une carrière complète, c'est dire que celles et ceux pour qui il a été conçu ne l'auront jamais. Or, dans la fonction publique territoriale, 50 % de la catégorie C part dans ces conditions ! On parle de femmes qui auront eu de petits salaires toute leur vie. Comment ne pas comprendre que l'on ne peut pas proposer une réforme des retraites à ce point inique ? Il faut faire pression pour obtenir que ces dispositions soient modifiées.
Puis elle a procédé à l'audition de Mme Brigitte Grésy, membre de l'IGAS, auteur du rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Madame, nous vous remercions d'avoir répondu à l'invitation que vous a faite la Délégation dans le cadre de ses travaux sur la réforme des retraites. Dans l'avant-projet qui a été soumis à la concertation avec les partenaires sociaux figure en effet un article visant à sanctionner les entreprises qui n'élaboreraient pas le rapport de situation comparée. Cette disposition, quelque peu surprenante dans ce projet, vise à remédier aux inégalités dans la vie professionnelle qui affectent ensuite les pensions de retraite des femmes. Mais, applicable au 1erjanvier 2012, elle ne vise que les entreprises de plus de 300 salariés - qui sont tenues d'élaborer ce rapport - et ne sanctionne que le défaut d'élaboration du rapport, sans que l'existence ou l'absence de mesures visant à réduire les inégalités professionnelles ne soit véritablement prise en compte.
Vous êtes l'auteur du rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, rapport que vous avez rédigé à la demande du ministre du travail. Quel dispositif aviez vous préconisé pour mettre un terme aux inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes ?
En décembre 2009, le ministre du travail a invité les partenaires sociaux à négocier sur quatre sujets : le temps partiel, notamment le temps partiel familial ; un entretien de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale ; les conditions de la négociation collective ;et la place des femmes dans les institutions représentatives du personnel. Il leur était demandé de réagir avant la fin avril 2010 et le ministre avait annoncé que, faute d'accord, il présenterait un projet de loi sur l'égalité professionnelle au second semestre 2010. Apparemment, le ministre n'a pas reçu des partenaires sociaux une réponse conjointe sur ces quatre points. Mais la séquence prévue par le droit du travail – invitation à la négociation en vue d'un accord, projet de loi uniquement si l'accord ne s'est pas fait – a été respectée.
Apparaît maintenant dans l'avant-projet de loi portant réforme de retraites un article 13 tendant à sanctionner les entreprises qui n'élaboreraient pas le rapport de situation comparée. La question se pose de savoir si cet article tiendra lieu de loi sur l'égalité professionnelle ou si un projet en ce sens sera présenté ultérieurement. Cet article semble dicté par l'impératif juridique fixé par la loi du 23 mars 2006, selon lequel les entreprises doivent avoir annulé l'écart de rémunération entre les femmes et les hommes avant le 31 décembre 2010, sous peine d'une sanction financière qui serait fixée par la loi. Nous sommes donc arrêté en quelque sorte au milieu du gué.
Les conditions de l'égalité professionnelle effective, telles que je les ai exposées dans mon rapport, supposent trois piliers que je définirai dans un instant. Si ces piliers ne fondent pas, ensemble, la démarche, on passe à côté des trois conclusions importantes du rapport, que je rappelle : en équivalent temps plein, l'emploi des femmes ne progresse plus ; il existe une bipolarisation croissante, très dangereuse, des emplois féminins, entre des emplois peu qualifiés et des emplois qualifiés, avec une précarité grandissante de l'emploi des femmes ; la parentalité est toujours très bancale.
Les trois piliers de l'égalité professionnelle effective sont la simplification et le cadrage de la négociation collective sur l'égalité professionnelle ; la correction de la précarité du travail des femmes induite notamment par le temps partiel ; le renforcement de la place des femmes dans les conseils d'administration des entreprises et dans les institutions représentatives du personnel.
A ce jour, la question de la place des femmes dans les conseils d'administration a été traitée par la proposition de loi de M.Jean-françois Copé et de vous-même, Madame la Présidente mais celle de leur place au sein des institutions représentatives du personnel est laissée de côté. La précarité n'est pas traitée pour l'instant et la négociation collective le serait par cet article 13 de l'avant-projet de loi portant réforme des retraites.
Les services de l'Etat et les chercheurs étaient tous d'accord pour recommander en premier lieu de simplifier le code du travail en fusionnant les deux mécanismes de négociation sur l'égalité professionnelle que sont le dispositif spécifique prévu par la loi Génisson de 2001 d'une part, et d'autre part la négociation relative à l'égalité salariale qui dit prendre place dans la négociation annuelle obligatoire prévue par la loi de mars 2006. Outre que ces deux négociations se font à des rythmes différents, le contrôle de leur application est très difficile en l'état : pour l'une, il est fait ex post à la fois par la DARES et les directions du travail. Comme on ne sait jamais clairement s'il s'agit de la négociation spécifique sur l'égalité ou de l'égalité salariale, le contrôle et l'évaluation sont délicats et il devient impossible de sanctionner. La première chose à faire devrait donc être de simplifier le code du travail, en prévoyant une seule négociation obligatoire sur l'égalité professionnelle réintégrant l'égalité salariale.
Encore faut-il, dans le même temps, travailler sur les leviers d'action, en s'inspirant du décret concernant l'emploi des seniors. A ce jour, en matière d'emploi, il existe trois manières de sanctionner : pour ce qui concerne l'emploi des handicapés, soit il y a versement d'une amende, soit on embauche ; pour ce qui est des seniors, on paye, sauf si l'on démontre qu'on emploie des seniors ; pour ce qui est de l'égalité professionnelle, on fait ce que l'on doit, et si on ne le fait pas, on est sanctionné.
Or, quelle est la réalité ? Sur 1089 accords de branche signés en 2008, à peine 5 % ont intégré l'égalité professionnelle, et seules 7,5 % des entreprises aptes à négocier – celles qui ont déclaré un délégué syndical – ont signé un accord d'égalité professionnelle. Si l'on se réfère aux sanctions prévues dans la loi de mars 2006, on lit que s'il n'y a pas d'accord sur l'égalité professionnelle dans un accord de branche, la direction générale du travail refuse d'étendre cet accord. Or, pas un seul refus d'extension d'un accord de branche n'a été prononcé depuis mars 2006.
D'autre part, la campagne de contrôle lancée en août 2008 prévoyait que les inspecteurs du travail devaient contrôler mille entreprises ; un an plus tard, ils n'en avaient contrôlé que 415, soit moins de la moitié. Quand les contrôles portent sur la sécurité qui est un contrôle plus facile, les objectifs sont réalisés à 200 %, et parfois à 300 %. En d'autres termes, la loi de mars 2006 n'a pas pris corps, ni sur le plan quantitatif comme on l'a vu, ni sur le fond. En effet, la plupart des accords de branche se limitent à renvoyer à ce sujet aux accords d'entreprise, dont la teneur, sauf dans les très grandes entreprises, est bien souvent : « Nous ferons nos meilleurs efforts pour »…
Aussi faut-il travailler sur des leviers d'action, qui devront être assortis d'objectifs chiffrés de progression et d'indicateurs de suivi. Il convient en même temps de préciser la teneur du rapport de situation comparée, le RSC. Il a actuellement un statut hybride – à la fois outil de diagnostic, de comptage et de plan. Il doit être défini comme un outil de diagnostic des écarts salariaux et d'indicateur d'objectifs chiffrés. La fonction « plan » devrait en être dissociée.
C'est vrai, mais on continue de ne pas appréhender sa nature exacte. Pour l'instant, c'est trop souvent un immense fourre-tout qu'une accumulation de chiffres rend incompréhensible. Il faut donner une vocation précise : le suivi de l'accord pour les années N, N+1 et N+2.
Je considère qu'il faut définir des leviers d'action. J'en avais déterminé une dizaine, étant entendu qu'il faudra évidemment faire une différence entre les PME et les grosses entreprises, celles-ci pouvant mobiliser de plus nombreux leviers que celles-là. Ces leviers, définis par décret, devraient obligatoirement figurer dans l'accord sur l'égalité ou, à défaut, dans le plan unilatéral proposé par l'employeur si aucun accord n'est intervenu ou en l'absence de délégué syndical. Nous avons retenu quatre leviers de mixité, purement quantitatifs : l'embauche de femmes, leur accès à la formation qualifiante, leur accès aux promotions et leur accès aux postes de direction ; un levier relatif au temps partiel et des leviers liés à la parentalité : l'offre de services aux familles et la gestion du temps, mais aussi le travail sur les process de ressources humaines. En effet, l'évaluation des compétences des femmes, censée être neutre, se fait en réalité sous le prisme de critères masculins, puisqu'elle est fondée sur la présence permanente, sur une carrière linéaire, sur la détection des hauts potentiels entre 25 et 35 ans alors que c'est l'âge où les femmes font les enfants et sur les rôles modèles dans l'entreprise, où l'on organise l'invisibilité des femmes aux postes de direction… Il faut donc revoir l'évaluation des performances et des compétences en tenant compte de ce que l'effectif salarié est mixte et que la présence au travail des hommes et des femmes n'est pas la même parce que leurs rôles sociaux ne sont pas les mêmes. Enfin, les autres domaines où les choses doivent changer sont les rémunérations, la politique de communication et la différence de valorisation des métiers majoritairement féminins et majoritairement masculins.
Leviers, objectifs chiffrés et indicateurs de suivi sont indispensables, car il n'est pas de politique d'égalité efficace sans convaincre et sans contraindre, et pour contraindre il faut des chiffres, qui seuls font preuve. L'analyse des politiques d'égalité professionnelle suivies en Europe montre que leur succès dépend de quatre conditions : la prise en compte de cette politique au plus haut de l'organisation ; le comptage par des objectifs chiffrés et des indicateurs ; l'évaluation périodique et systématique de ces objectifs et de ces indicateurs ; en cas de manquement, la sanction de la personne responsable de l'inapplication de cette politique, et de l'organisation elle-même si ce n'est pas fait. Autant dire que la définition dans les accords de leviers de changement assortis d'objectifs chiffrés a une importance cruciale.
L'article 13 (IV) se lit ainsi : « Dans les entreprises de plus de 300 salariés, l'employeur organise, après consultation du comité d'entreprise, la publicité d'indicateurs et d'objectifs de progression, fixés par décret, permettant d'analyser la situation comparée des femmes et des hommes dans l'entreprise et son évolution. L'employeur qui, au plus tard le 31 décembre 2011, n'a pas respecté les dispositions du précédent alinéa, communique à toute personne qui en fait la demande les indicateurs et objectifs mentionnés à l'alinéa précédent. »
Sont fixés ici l'embryon de la définition de leviers et une obligation de publicité, mais sans sanction.
Outre la simplification du code du travail et la définition de leviers d'action, j'avais proposé deux types de sanction : la conditionnalité des allègements de charge, système un peu compliqué, ou une sanction de 1 % de la masse salariale.
Le I de l'article 13, fait porter la sanction sur le défaut d'élaboration du RSC. L'écart avec ma proposition tient à ce que j'avais proposé une sanction en deux temps : une sanction en cas de défaut de production du RSC la première année après la promulgation de la loi ; une autre l'année suivante en cas de non négociation d'un accord ou en l'absence de plan unilatéral fourni par l'employeur portant sur des mesures relevant des dix leviers de l'égalité et assortis d'objectifs chiffrés et d'indicateurs, en fonction de la taille de l'entreprise.
Par ailleurs, l'article 13 n'est applicable qu'aux entreprises de plus de 300 salariés. Jusqu'à présent, les exigences concernant les entreprises employant de 50 à 300 salariés sont moindres, mais elles sont néanmoins tenues de présenter un rapport sur l'égalité professionnelle. On peut donc craindre qu'elles ne s'exonèrent de cette obligation, qui doit être rappelée.
La simplification du code du travail quant à la négociation relative à l'égalité professionnelle avait fait l'unanimité. Elle permettrait l'exercice d'un contrôle véritable – à condition, bien sûr, que des leviers aient été définis. Actuellement, faute de disposer d'éléments chiffrés, un inspecteur du travail doit s'investir considérablement pour parvenir à démontrer qu'une salariée a été victime d'une discrimination sexiste. Si des leviers d'action sont fixés par décret et assortis d'objectifs chiffrés, le contrôleur pourra déterminer en un coup d'oeil, comme pour les seniors, sans juger du fond, si un accord existe bien et si les objectifs fixés ont ou n'ont pas été remplis les années N, N+1 et N+2. Que l'on sanctionne dix entreprises et que l'on donne une forte publicité médiatique à ces sanctions, et les résultats seront là.
De fait, dans un autre domaine, la progression du nombre de femmes au sein des conseils d'administration, en six mois, a été spectaculaire !
A-t-on intérêt à enrichir cet article ? On s'exonère ainsi de l'obligation prévue par la loi de mars 2006, qui était de parvenir à l'égalité salariale fin 2010 ! Ne faut-il pas plutôt demander la suppression de ce cavalier introduit dans le projet de réforme des retraites ? Qu'adviendra-t-il de la conférence tripartite de bilan annoncée par M. Xavier Bertrand et dont la tenue a été confirmée par le Président de la République ?
Je ne puis évidemment me prononcer sur la procédure parlementaire qui vous semble la meilleure, mais si l'article vient à être voté, mieux vaudrait qu'il ait été enrichi par des amendements.
Des amendements seront de toute façon nécessaires, car il faut aussi déterminer où aboutira le produit des sanctions, afin qu'ils ne servent pas à combler le déficit de la sécurité sociale.
J'avais proposé que ce produit soit versé à un fonds spécifique de solidarité pour la formation des partenaires sociaux à l'égalité.
Il n'y aura jamais un inspecteur dans chaque entreprise, mais je crois à l'exemplarité. La menace de la sanction suffira si l'on fait des exemples, comme l'a montré l'interdiction du tabac dans les lieux affectés à un usage collectif.
En réalité il n'y a pas de pilote dans l'avion. On nous parle d'un projet, mais nul ne sait qui en a la charge.
L'égalité professionnelle fait partie des attributions de M. Eric Woerth. C'est son cabinet qui a préparé cet article avec la direction du travail, aidé par le service des droits des femmes et de l'égalité, qui réunira le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle la semaine prochaine.
Je souhaitais que le projet de réforme des retraites contienne une partie spécifiquement relative aux femmes. Je m'en suis ouverte, à l'époque, à M. Darcos ; mais, comme son successeur, il considérait que la question de la retraite des femmes avait été réglée par la réforme des majorations de durée d'assurance.
Une idée communément admise veut que l'on réglera le problème de la retraite des femmes en renforçant l'égalité professionnelle. Or, les projections du COR montrent, en 2040 encore, une différence de niveau irréductible de 30 % entre les pensions des femmes et celles des hommes.
En matière de retraite, certains pays de l'Union, tels l'Italie ou la Grande-Bretagne, continuent de traiter différemment les hommes et les femmes. Si, en réformant, on ne veut pas faire cette distinction en France par crainte de la jurisprudence communautaire – mais, à mon sens, il convenait d'en faire établir une nouvelle – pourquoi ne pas prévoir un traitement spécifique pour les hommes et, en grande majorité, les femmes, éligibles au minimum contributif ? Ce sont de petites pensions, et beaucoup attendent d'avoir 65 ans avant de prendre leur retraite pour avoir une pension à taux plein. On pourrait, pour eux, maintenir à 65 ans l'âge de la retraite à taux plein ; rien n'oblige à lier le report de l'âge de la retraite et le recul de l'âge de la retraite à taux plein.
Quant au minimum contributif majoré, instauré par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 uniquement pour les carrières longues, c'est un dispositif extrêmement défavorable aux femmes, qui ont pour beaucoup une carrière discontinue. Cette mesure n'a pas fait l'objet d'une étude d'impact.
Mais le problème de fond que pose aux femmes le projet de réforme, c'est le recul de l'âge de la retraite à taux plein à 67 ans. Il faut reconnaître que, les enfants étant un bien social, la solidarité doit jouer pour les femmes qui les portent et les élèvent.
D'autant que le Gouvernement se félicite des bienfaits de sa politique sur le taux de natalité et le taux d'activité des femmes en France… Quelle politique à courte vue !
Comme les femmes travailleront difficilement jusqu'à 67 ans, leur pension subira une décote considérable. Le moyen de remédier à cette situation pourrait être de maintenir à 65 ans l'âge de la retraite à taux plein pour toutes celles et tous ceux qui sont éligibles au minimum contributif.
La séance est levée à 19h15.