Consultez notre étude 2010 — 2011 sur les sanctions relatives à la présence des députés !

Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Séance du 1er septembre 2010 à 19h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • constitutionnalité
  • législateur
  • organique
  • prioritaire
  • prioritaire de constitutionnalité

La séance

Source

La séance est ouverte à 19 heures.

Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

Aux fins d'évaluer la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, la Commission procède à l'audition de Mme Michèle Alliot-Marie, Ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la Justice et des libertés.

PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

Pour conclure cette journée d'auditions sur l'évaluation de la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, nous avons l'honneur d'accueillir madame la ministre d'État, garde des Sceaux.

PermalienMichèle Alliot-Marie, ministre d'état, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés

Je suis très heureuse d'être ici aujourd'hui, pour un exercice auquel j'étais déjà particulièrement favorable en tant que parlementaire : l'évaluation de l'application de la loi, qui est non seulement un élément important de la démocratie, mais aussi l'occasion pour les ministres de percevoir l'écart entre les textes qu'ils avaient souhaités et leurs effets sur le terrain. C'est d'autant plus important en l'occurrence que la question prioritaire de constitutionnalité marque une avancée historique dans la protection des droits et des libertés. Le constituant a voulu que les citoyens puissent, au cours d'une instance, obtenir l'abrogation d'une disposition législative, quelle qu'elle soit, dès lors qu'elle porte atteinte aux droits et aux libertés garantis par la Constitution. Les débats parlementaires, particulièrement riches et constructifs, ont abouti à un texte d'équilibre.

Le Conseil constitutionnel a été saisi à ce jour de 142 questions prioritaires de constitutionnalité : 43 en provenance du Conseil d'État et 99 de la Cour de cassation. Il a déjà statué sur 35 de ces questions, par le biais de 22 décisions. Il apparaît que le délai de trois mois fixé à la Cour de cassation et au Conseil d'État, sur lequel nous nous étions longuement interrogés, ne fait pas de difficulté puisque qu'il a été parfaitement respecté. Par ailleurs, ces chiffres montrent que tant les justiciables que l'institution judiciaire se sont déjà approprié la procédure. Toutefois, cela reste encore neuf : une transformation du contrôle de constitutionnalité s'amorce, qui mènera peut-être à des ajustements. Lorsque le mécanisme sera bien rôdé, il sera possible de distinguer ce qui relève des tâtonnements de la mise en oeuvre, et les améliorations réellement nécessaires.

La question prioritaire transforme en effet le contrôle de constitutionnalité. Alors que, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi, celui-ci s'effectuait in abstracto, en-dehors de tout litige porté devant les juridictions, il s'effectue aussi désormais in concreto. En outre, alors qu'il ne s'effectuait qu'a priori, avant la promulgation de la loi, il porte aussi maintenant sur des lois déjà en vigueur, parfois depuis de longues années.

Il en résulte d'abord des effets sur le fond du droit : certaines décisions du Conseil constitutionnel ont déjà entraîné l'abrogation ou la modification de lois en vigueur, notamment en matière de procédure pénale. Ainsi, la disposition du code de procédure pénale selon laquelle une partie civile ne pouvait se pourvoir en cassation en l'absence de pourvoi du ministère public a été jugée contraire au principe d'égalité des armes. Le Conseil a également constaté que l'on recourait trop à la garde à vue pour des faits qui ne le justifient pas, et insisté sur la nécessité de renforcer la présence de l'avocat et de mieux respecter la dignité de la personne gardée à vue. Il a par ailleurs demandé une modification de la loi concernant les pensions de retraite des anciens combattants en réaffirmant le principe d'égalité, y compris à l'égard des étrangers.

Il en résulte également que le législateur est de plus en plus tenu de se conformer aux exigences posées par le Conseil constitutionnel. Avant l'entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité, l'amélioration de la législation s'effectuait essentiellement par ajout ou soustraction de dispositions législatives, mais toujours par la volonté du législateur. Désormais, une décision du Conseil peut entraîner l'abrogation d'une loi votée par le Parlement, ou lui indiquer les principes et le calendrier d'une loi qu'il lui appartient de voter. En matière de garde à vue par exemple, le Conseil a fixé une échéance, le 1er juillet 2011, pour l'adoption de nouvelles dispositions.

Nous n'en sommes donc qu'au début d'un changement qui sera d'une ampleur considérable. Au bout de six mois, cette procédure n'est pas encore totalement fondue dans notre paysage procédural et institutionnel. Des ajustements devront être envisagés le moment venu. La nouvelle procédure implique notamment une participation résolue de chacun des acteurs concernés, et des évolutions sont certainement nécessaires sur ce point. Mais au bout de quatre mois d'application effective, il serait prématuré de modifier la loi organique.

Un certain nombre d'équilibres doivent d'abord être trouvés dans son application. Pour ce qui est de l'articulation des juridictions tout d'abord : si le mécanisme repose sur une collaboration de bonne foi entre la Cour de cassation, le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel, il est évident aussi, et cela a été répété à maintes reprises, que les cours souveraines demeurent seules compétentes pour le fond des litiges juridictionnels et pour le contrôle de conventionalité, le Conseil constitutionnel conservant, lui, le monopole du contrôle de constitutionnalité. Il faut réaffirmer ces principes et veiller à leur bonne application.

Deuxième équilibre à trouver : dans la mise en oeuvre du filtre. Pour éviter des procédures redondantes, fantaisistes ou dilatoires, un filtrage par les cours souveraines des questions prioritaire de constitutionnalité a été prévu, mais il est bien entendu que sa mise en oeuvre ne doit pas aboutir à priver le dispositif de tout effet. Je considère que globalement ce n'est pas le cas – le nombre de questions transmises au Conseil constitutionnel, tant par le Conseil d'État que par la Cour de cassation, le prouve. Pour autant, j'ai conscience des interrogations qui se sont exprimées sur ce sujet.

Faut-il y répondre par une intervention immédiate du législateur ? Je voudrais d'abord rappeler que le dispositif a déjà connu une modification : la loi organique du 22 juillet 2010 relative au Conseil supérieur de la magistrature a réorganisé le traitement des questions prioritaires par la Cour de cassation, en répartissant le filtrage entre ses différentes chambres. Le législateur a ainsi souhaité rendre la procédure plus spécialisée et plus fluide. C'est une modification importante, qui n'a pas encore produit tous ses effets. Il faut prendre le temps d'en évaluer l'efficacité.

Par ailleurs, la question prioritaire de constitutionnalité bouscule nos procédures et nos habitudes. Son assimilation totale exige un certain temps. Cambacérès observait à juste titre que les institutions sont l'oeuvre du temps… Six mois, dont quatre d'application effective, c'est un peu court pour tirer des conséquences définitives !

Je suis tout à fait disposée à venir devant cette commission aussi souvent que vous le voudrez afin de mesurer la mise en oeuvre progressive du dispositif et de réfléchir ensemble à ce qu'il faut faire. Et je suis consciente que cette réflexion partagée doit être vigilante : à mon sens, la volonté du législateur est incontestablement première. Elle doit être respectée. En créant la question prioritaire de constitutionnalité, le législateur a voulu donner à nos concitoyens un droit nouveau qu'il ne saurait être question de limiter, d'amputer ou de déséquilibrer.

En matière d'application de la loi, j'ai tendance à faire d'abord confiance aux acteurs, tout en restant lucide : quand cela ne suffit pas, il faut prendre des dispositions, telles qu'une modification législative. Pour aujourd'hui, il me semble que nous devrions essayer de mesurer les difficultés réelles, de faire la part de ce qui tient au temps qu'il faut pour s'habituer à la nouveauté. Nous pourrions alors identifier les lacunes qu'il nous reviendrait de combler, ensemble, dans un souci d'amélioration des droits apportés à nos concitoyens, de maintien des équilibres fondamentaux de nos institutions et finalement de bon fonctionnement de la justice.

PermalienPhoto de Dominique Perben

Merci, madame la garde des Sceaux, de nous avoir ainsi éclairés. Il apparaît qu'un certain nombre des questions prioritaires de constitutionnalité qui ne sont pas transmises portent sur l'équilibre entre libertés publiques et pouvoirs des institutions. Si cela devait perdurer, nous manquerions l'occasion de nous réapproprier un certain nombre de débats importants. Si des questions telles que la motivation des décisions d'assises par exemple ne sont pas tranchées, si le Conseil constitutionnel n'est pas amené à dire qu'il y a un problème, c'est la CEDH qui le dira. Et la France sera condamnée, au lieu d'avoir réglé la difficulté grâce à un débat national. Or, la perception qu'ont nos concitoyens de l'ordre juridique qui s'impose à eux constitue un véritable enjeu. Ils acceptent plus facilement ce qui leur semble résulter du fonctionnement régulier de nos institutions que des décisions imposées de l'extérieur, qui leur paraissent parfois remettre en cause la souveraineté nationale. Nous avons une occasion de faire avancer ce débat sur la souveraineté nationale et l'influence du droit européen, il serait dommage de passer à côté.

PermalienMichèle Alliot-Marie, ministre d'état, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés

Je partage votre analyse, mais je rappelle que le législateur peut intervenir à tout moment : il n'a aucun besoin que le Conseil constitutionnel se saisisse d'une question pour la soulever lui-même. Ainsi, la motivation des décisions d'assises est un des thèmes sur lesquels nous travaillons dans le cadre de la réforme de la procédure pénale. Soyons attentifs aux sujets soulevés, y compris dans les questions qui sont écartées : cela peut être une base de travail pour la commission des lois. Mais il n'y a aucun risque qu'on ne puisse pas traiter le problème que l'on a identifié et que l'on soit obligé d'attendre une intervention extérieure faute de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité.

PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

Cette journée d'auditions aura permis de rappeler à tous les acteurs de la question prioritaire de constitutionnalité combien le législateur organique est attaché à ce que ses décisions soient mises en oeuvre. Sans vouloir reconstruire des raisonnements a posteriori, j'observe que lors des auditions du comité Balladur, certaines des personnes interrogées, dont l'une est aujourd'hui un des acteurs de la QPC, avaient établi des liens avec d'autres textes, concernant notamment la composition du Conseil supérieur de la magistrature, au sein duquel les magistrats devraient rester majoritaires, sauf à ce que ce soit incompris du corps. Je ne voudrais pas que l'on en tire des conclusions hâtives sur la volonté du législateur. L'unité qui s'était faite à l'Assemblée sur la question prioritaire de constitutionnalité perdurera jusqu'à ce qu'il soit certain qu'elle soit concrétisée par les acteurs, puisque pour l'instant il semble que l'une des deux cours joue mieux le jeu que l'autre.

PermalienMichèle Alliot-Marie, ministre d'état, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés

La Cour de cassation a été à l'origine de deux problèmes essentiels, mais les chiffres sont parlants : elle a transmis plus de questions prioritaires au Conseil constitutionnel que le Conseil d'État. Il est trop tôt pour juger. Revenons-y dans six mois : nous pourrons alors tirer un bilan beaucoup plus clair.

PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

Cette journée a été très riche. Une synthèse sera établie sur les questions, au nombre de huit, qui ont été soulevées, et je vous présenterai un rapport prochainement. Le texte que le législateur organique sera sans doute amené à voter d'ici la fin de l'année à l'Assemblée nous donnera l'occasion, si une disposition législative nous paraissait importante, d'en débattre concrètement. Cela nous laisse plusieurs semaines pour approfondir la réflexion. En tout état de cause, chacun aura pu mesurer aujourd'hui combien le Gouvernement et l'Assemblée sont attentifs à ce que cette disposition fonctionne. La discussion d'aujourd'hui ne relève d'aucun complot, simplement de la volonté que les acteurs chargés de l'application d'une loi organique s'en acquittent le mieux possible, dans l'intérêt de nos concitoyens.

La séance est levée à 19 heures 30.