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Intervention de Michèle Alliot-Marie

Réunion du 1er septembre 2010 à 19h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Michèle Alliot-Marie, ministre d'état, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés :

Je suis très heureuse d'être ici aujourd'hui, pour un exercice auquel j'étais déjà particulièrement favorable en tant que parlementaire : l'évaluation de l'application de la loi, qui est non seulement un élément important de la démocratie, mais aussi l'occasion pour les ministres de percevoir l'écart entre les textes qu'ils avaient souhaités et leurs effets sur le terrain. C'est d'autant plus important en l'occurrence que la question prioritaire de constitutionnalité marque une avancée historique dans la protection des droits et des libertés. Le constituant a voulu que les citoyens puissent, au cours d'une instance, obtenir l'abrogation d'une disposition législative, quelle qu'elle soit, dès lors qu'elle porte atteinte aux droits et aux libertés garantis par la Constitution. Les débats parlementaires, particulièrement riches et constructifs, ont abouti à un texte d'équilibre.

Le Conseil constitutionnel a été saisi à ce jour de 142 questions prioritaires de constitutionnalité : 43 en provenance du Conseil d'État et 99 de la Cour de cassation. Il a déjà statué sur 35 de ces questions, par le biais de 22 décisions. Il apparaît que le délai de trois mois fixé à la Cour de cassation et au Conseil d'État, sur lequel nous nous étions longuement interrogés, ne fait pas de difficulté puisque qu'il a été parfaitement respecté. Par ailleurs, ces chiffres montrent que tant les justiciables que l'institution judiciaire se sont déjà approprié la procédure. Toutefois, cela reste encore neuf : une transformation du contrôle de constitutionnalité s'amorce, qui mènera peut-être à des ajustements. Lorsque le mécanisme sera bien rôdé, il sera possible de distinguer ce qui relève des tâtonnements de la mise en oeuvre, et les améliorations réellement nécessaires.

La question prioritaire transforme en effet le contrôle de constitutionnalité. Alors que, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi, celui-ci s'effectuait in abstracto, en-dehors de tout litige porté devant les juridictions, il s'effectue aussi désormais in concreto. En outre, alors qu'il ne s'effectuait qu'a priori, avant la promulgation de la loi, il porte aussi maintenant sur des lois déjà en vigueur, parfois depuis de longues années.

Il en résulte d'abord des effets sur le fond du droit : certaines décisions du Conseil constitutionnel ont déjà entraîné l'abrogation ou la modification de lois en vigueur, notamment en matière de procédure pénale. Ainsi, la disposition du code de procédure pénale selon laquelle une partie civile ne pouvait se pourvoir en cassation en l'absence de pourvoi du ministère public a été jugée contraire au principe d'égalité des armes. Le Conseil a également constaté que l'on recourait trop à la garde à vue pour des faits qui ne le justifient pas, et insisté sur la nécessité de renforcer la présence de l'avocat et de mieux respecter la dignité de la personne gardée à vue. Il a par ailleurs demandé une modification de la loi concernant les pensions de retraite des anciens combattants en réaffirmant le principe d'égalité, y compris à l'égard des étrangers.

Il en résulte également que le législateur est de plus en plus tenu de se conformer aux exigences posées par le Conseil constitutionnel. Avant l'entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité, l'amélioration de la législation s'effectuait essentiellement par ajout ou soustraction de dispositions législatives, mais toujours par la volonté du législateur. Désormais, une décision du Conseil peut entraîner l'abrogation d'une loi votée par le Parlement, ou lui indiquer les principes et le calendrier d'une loi qu'il lui appartient de voter. En matière de garde à vue par exemple, le Conseil a fixé une échéance, le 1er juillet 2011, pour l'adoption de nouvelles dispositions.

Nous n'en sommes donc qu'au début d'un changement qui sera d'une ampleur considérable. Au bout de six mois, cette procédure n'est pas encore totalement fondue dans notre paysage procédural et institutionnel. Des ajustements devront être envisagés le moment venu. La nouvelle procédure implique notamment une participation résolue de chacun des acteurs concernés, et des évolutions sont certainement nécessaires sur ce point. Mais au bout de quatre mois d'application effective, il serait prématuré de modifier la loi organique.

Un certain nombre d'équilibres doivent d'abord être trouvés dans son application. Pour ce qui est de l'articulation des juridictions tout d'abord : si le mécanisme repose sur une collaboration de bonne foi entre la Cour de cassation, le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel, il est évident aussi, et cela a été répété à maintes reprises, que les cours souveraines demeurent seules compétentes pour le fond des litiges juridictionnels et pour le contrôle de conventionalité, le Conseil constitutionnel conservant, lui, le monopole du contrôle de constitutionnalité. Il faut réaffirmer ces principes et veiller à leur bonne application.

Deuxième équilibre à trouver : dans la mise en oeuvre du filtre. Pour éviter des procédures redondantes, fantaisistes ou dilatoires, un filtrage par les cours souveraines des questions prioritaire de constitutionnalité a été prévu, mais il est bien entendu que sa mise en oeuvre ne doit pas aboutir à priver le dispositif de tout effet. Je considère que globalement ce n'est pas le cas – le nombre de questions transmises au Conseil constitutionnel, tant par le Conseil d'État que par la Cour de cassation, le prouve. Pour autant, j'ai conscience des interrogations qui se sont exprimées sur ce sujet.

Faut-il y répondre par une intervention immédiate du législateur ? Je voudrais d'abord rappeler que le dispositif a déjà connu une modification : la loi organique du 22 juillet 2010 relative au Conseil supérieur de la magistrature a réorganisé le traitement des questions prioritaires par la Cour de cassation, en répartissant le filtrage entre ses différentes chambres. Le législateur a ainsi souhaité rendre la procédure plus spécialisée et plus fluide. C'est une modification importante, qui n'a pas encore produit tous ses effets. Il faut prendre le temps d'en évaluer l'efficacité.

Par ailleurs, la question prioritaire de constitutionnalité bouscule nos procédures et nos habitudes. Son assimilation totale exige un certain temps. Cambacérès observait à juste titre que les institutions sont l'oeuvre du temps… Six mois, dont quatre d'application effective, c'est un peu court pour tirer des conséquences définitives !

Je suis tout à fait disposée à venir devant cette commission aussi souvent que vous le voudrez afin de mesurer la mise en oeuvre progressive du dispositif et de réfléchir ensemble à ce qu'il faut faire. Et je suis consciente que cette réflexion partagée doit être vigilante : à mon sens, la volonté du législateur est incontestablement première. Elle doit être respectée. En créant la question prioritaire de constitutionnalité, le législateur a voulu donner à nos concitoyens un droit nouveau qu'il ne saurait être question de limiter, d'amputer ou de déséquilibrer.

En matière d'application de la loi, j'ai tendance à faire d'abord confiance aux acteurs, tout en restant lucide : quand cela ne suffit pas, il faut prendre des dispositions, telles qu'une modification législative. Pour aujourd'hui, il me semble que nous devrions essayer de mesurer les difficultés réelles, de faire la part de ce qui tient au temps qu'il faut pour s'habituer à la nouveauté. Nous pourrions alors identifier les lacunes qu'il nous reviendrait de combler, ensemble, dans un souci d'amélioration des droits apportés à nos concitoyens, de maintien des équilibres fondamentaux de nos institutions et finalement de bon fonctionnement de la justice.

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