Je remercie M. Christophe Fornes, président de la commission Recherche et innovation de l'association Croissance Plus, et M. Hugues Souparis, membre du comité directeur de Croissance Plus et membre de cette même commission, d'avoir répondu à notre invitation.
Messieurs, la Mission d'évaluation et de contrôle a retenu parmi ses thèmes de travail pour l'année 2010 le crédit d'impôt recherche. Nos trois rapporteurs, MM. Claeys, Gorges et Lasbordes, qui représentent des commissions et des sensibilités politiques différentes et qui ont déjà travaillé ensemble sur les pôles de compétitivité, rédigeront un rapport qui sera versé au débat par ailleurs alimenté par la Cour des comptes, dont je salue ici les représentants, MM. Jean-Pierre Cossin, conseiller-maître et Philippe Rousselot, conseiller référendaire. Notre collègue Michel Lejeune, membre de la commission des Affaires économiques, qui n'est pas membre de la MEC, est également parmi nous pour participer à notre réflexion.
Nous vous laissons présenter votre association, puis nous vous poserons des questions.
Croissance Plus est une association d'entrepreneurs qui ont créé et dirigent des entreprises de croissance. Elle existe depuis 1997 et compte environ 300 membres. Au sein de la commission Recherche et innovation, nous réfléchissons à tout ce qui peut favoriser l'innovation dans les PME et TPE, les très petites entreprises.
Quel diagnostic portez-vous sur la modification du dispositif du crédit d'impôt recherche intervenue en 2008 ? Le nombre de bénéficiaires est passé de 2 700 en 2007 à 12 500 en 2008 ; s'agit-il réellement d'entreprises qui font de la recherche-développement ? Pensez-vous que le mécanisme ait pu être détourné de ses objectifs ?
D'après notre enquête interne, sur nos 223 membres susceptibles de faire de la recherche et de l'innovation, 67 bénéficient du crédit d'impôt recherche, soit 30 % – mais nous ne sommes pas forcément représentatifs de l'ensemble des entreprises françaises. Le classement par secteur et par taille auquel nous avons procédé montre que les principaux bénéficiaires sont les éditeurs de logiciels et les SSII, et en grande majorité des sociétés employant entre 50 et 100 personnes.
La réforme de 2008 a simplifié les procédures, en les rendant plus lisibles et plus claires. Le déplafonnement du CIR et sa fixation à 30 % des dépenses procurent de la visibilité aux entreprises et permettent d'assurer un niveau de recherche et d'innovation pérenne.
J'ai fondé et je dirige une entreprise dénommée Hologram Industries, qui emploie 220 personnes et qui fait beaucoup de R & D puisqu'elle y a consacré l'année dernière 13,5 % de son chiffre d'affaires – supérieur à 33 millions d'euros.
Les membres de notre association ont créé plus de 50 000 emplois au cours des cinq dernières années. Ce sont majoritairement des jeunes entreprises, ce qui explique le poids relatif des services, et en particulier du secteur des technologies de l'information et de la communication (TIC), dans lequel il est aujourd'hui beaucoup plus facile de créer une entreprise que dans le secteur industriel – auquel appartient néanmoins la mienne. Ces précisions me paraissent importantes pour analyser les chiffres que nous vous avons transmis sur les bénéficiaires du CIR.
Je confirme ce que vient de dire Christophe Fornes quant à la simplification apportée par la réforme. Même si mon entreprise, qui a vingt-cinq ans, bénéficiait précédemment du CIR, il est clair que le nouveau dispositif nous facilite beaucoup les choses car il nous permet de prévoir. Par ailleurs, le calcul sur le volume permet de disposer d'une aide beaucoup plus importante.
Ce changement n'a-t-il pas justement créé un effet d'aubaine pour les grandes entreprises ?
Pour tout le monde, cela a produit un effet d'entraînement. Si les grandes entreprises rapatrient leurs centres de R & D en France, on pourra parler d'effet d'aubaine ; mais s'agit-il d'aubaine pour elles ou pour le pays ? Les grandes entreprises ne décident pas de faire plus de R & D à cause du crédit d'impôt recherche, mais peut-être décident-elles d'en faire plus en France.
Nous sommes venus vous parler des PME. Cependant je pense pouvoir vous dire que les grandes entreprises n'implanteront ou ne réimplanteront des centres de R & D en France que si la pérennité du dispositif est assurée. Le fait même que nos élus s'interrogent sur le CIR est un très mauvais signal adressé aux entreprises. S'agissant de prendre des décisions qui les engagent pour une dizaine d'années, elles ont besoin d'être assurées de la stabilité du système.
Il ne s'agit pas pour nous de remettre en cause le dispositif du CIR, mais de l'évaluer, en vérifiant que les mesures que nous avons prises en 2008 sont profitables.
À ce propos, CroissancePlus souhaite le maintien du CIR et réclame instamment une étude précise par taille d'entreprise, les chiffres étant en général globaux. D'après ce que nous constatons, le CIR a un impact très fort sur les petites et très petites entreprises, mais il serait nécessaire de disposer d'analyses fines.
Vous êtes-vous intéressés aux motivations de ceux de vos membres – les trois quarts – qui ne sont pas entrés dans le dispositif du CIR ?
Ne disposant que des moyens d'une petite association, nous n'avons pas enquêté sur ce point. Nous savons néanmoins que de nombreux entrepreneurs objectent la complexité du CIR, la crainte d'un contrôle fiscal, la difficulté de constituer un dossier… Nous essayons de lutter contre ces a priori, mais il reste que les démarches prennent un peu de temps et que les chefs d'entreprise ont souvent d'autres priorités. Par ailleurs, toutes les entreprises ne font pas de la recherche au sens du crédit d'impôt recherche.
Une partie seulement de nos adhérents ont des projets éligibles au CIR, mais je pense que parmi eux la plupart en tirent effectivement parti car c'est une aide très importante. Si le dispositif était étendu à l'innovation, les entreprises concernées seraient beaucoup plus nombreuses.
Cette année, deux de nos membres ont fait appel au crédit d'impôt recherche pour la première fois. À notre échelle, c'est assez significatif.
Le CIR a-t-il permis de resserrer les liens entre recherche publique et recherche privée ? Avez-vous connaissance de coopérations ?
Oui, dans mon entreprise qui fabrique des hologrammes destinés aux passeports biométriques ou aux billets de banque. Jusqu'à très récemment, toute notre R & D se faisait en interne. J'ai poussé mes chercheurs à s'ouvrir au monde des laboratoires universitaires, sans grand succès au début mais, depuis deux ou trois ans, le mouvement est sensible. Je ne saurais pas faire la part entre les réformes internes à l'université, encourageant ses laboratoires à travailler avec des entreprises, et le fait que le CIR apporte des financements à l'université. Pour notre part, nous sommes incités à cette coopération puisque le taux de crédit d'impôt passe de 30 % à 50 % sur tout ce que nous sous-traitons à des laboratoires universitaires – où le crédit d'impôt recherche contribue certainement à faire évoluer les mentalités : j'y rencontre des chercheurs qui écoutent les entreprises, s'intéressent à leurs problématiques et ont envie de travailler avec elles.
Le but est-il de faire plus de recherche fondamentale ou d'avoir plus de produits innovants à vendre ? En fonction de la réponse, il faut soit conserver l'assiette actuelle du CIR, soit l'élargir à l'innovation.
Au sein de celle-ci, il faut aussi distinguer l'innovation dans les méthodes de vente et l'innovation dans les produits eux-mêmes. Le CIR va certes un tout petit peu au-delà de la recherche fondamentale, mais il ne couvre pas les prototypes et préséries ; c'est certainement un problème si l'on veut toucher plus d'entreprises industrielles, dont la situation est bien différente de celle des fabricants de logiciels – pour lesquels la totalité de la chaîne, de la conception au produit, est considérée comme de la recherche. Pour fabriquer un produit industriel, ou un produit hybride comme l'iPhone ou l'iPad, la recherche ne suffit pas ; il faut beaucoup de prototypes et de préséries, permettant tests et corrections jusqu'à obtenir un produit satisfaisant. L'élargissement du CIR à cette partie de l'innovation permettrait aux PME industrielles d'y recourir davantage, et contribuerait ainsi à soutenir l'industrie de demain.
Faut-il en conclure que vous êtes favorable à une modulation des critères d'attribution en fonction des secteurs ?
Je ne propose pas de modulation ; il s'agirait seulement d'élargir un peu l'assiette, ce qui ne changerait rien pour les fabricants de logiciels mais bénéficierait aux entreprises industrielles et aux fabricants de produits hybrides.
Jugez-vous préférable de faire entrer la phase de maturation dans l'assiette du CIR plutôt que de la faire bénéficier d'une subvention ?
Le crédit d'impôt recherche est à mes yeux un excellent outil. Nous ne demandons pas des aides, mais une réduction de nos charges.
C'est un allègement de l'impôt, mais une entreprise innovante qui en bénéficie supporte encore une pression fiscale supérieure à la moyenne européenne.
Ne faudrait-il pas moduler le CIR en fonction des secteurs d'activité, en cohérence avec les grandes priorités du ministère de la Recherche ?
Notre commission Recherche et innovation n'en a pas discuté mais, personnellement, je suis totalement contre. On ne va pas revenir au temps du Commissariat au Plan… Quand on fait de la recherche ou de l'innovation dans une direction, les applications et le succès commercial apparaissent souvent ailleurs. Le minitel, par exemple, n'a pas du tout été créé pour ce qui lui a valu son succès.
Ce que vous dites est vrai pour la recherche fondamentale. Mais je prends l'exemple des biotechnologies : chacun convient que c'est une priorité, notre pays ayant du retard dans ce domaine ; faut-il qu'elles bénéficient d'un effort particulier dans le cadre du CIR ?
Je ne pense pas que ce soit le bon instrument. Mieux vaut donner des moyens aux universités et aux chercheurs.
Le CIR ne doit-il pas aider les toutes petites entreprises de biotech ? Faut-il traiter de la même façon un grand groupe pharmaceutique et une start-up qui met au point une nouvelle molécule ?
Votre question nous ramène au débat général sur les grandes et petites entreprises, mais la question n'est peut-être pas là. Notre association regroupe des petites entreprises, mais parmi nos principaux clients, il y en a des grosses.
Les chiffres montrent que la réforme du CIR a certes profité aux PME mais, en volume, surtout aux grandes entreprises. Or, toute politique publique ayant un coût, il arrive qu'il faille arbitrer.
Si c'était le cas, il ne faudrait pas qu'il y ait de changement pour les PME. Les grandes entreprises n'ont sans doute pas les mêmes problèmes de financement. Mais il est souhaitable de favoriser le développement des laboratoires de recherche ; cela fait aussi progresser les petites entreprises sous-traitantes des grandes. Dans le domaine des biotech, il ne doit pas y avoir beaucoup de start-ups car il faut des moyens énormes, sans commune mesure avec ce qu'il faut, par exemple, pour développer des logiciels.
D'une part, les grandes entreprises sous-traitent aux petites, et d'autre part, la création par elles de centres de recherche provoque nécessairement un essaimage des talents. Les petites entreprises ont tout intérêt à embaucher des chercheurs qui ont une expérience autre qu'universitaire.
Nous nous attendions à votre question sur la modulation. Si le budget de l'État ne permet pas de conserver le système actuel et si l'on veut privilégier les entreprises de plus petite taille, il est un critère qui pourrait être utilisé, parce qu'il différencie beaucoup les grands groupes des PME, c'est le taux moyen d'imposition. Les grands groupes paient moins d'impôts – parce qu'ils ont des filiales dans le monde entier et une stratégie d'optimisation fiscale. On pourrait par exemple réserver le plein bénéfice du dispositif aux entreprises qui paient plus de 25 % d'impôt en France, et établir un système de prorata pour celles qui se situent entre 15 et 25 %. Ce serait une mesure juste, qui permettrait, tout en faisant des économies, de favoriser d'une part les PME, et d'autre part les grandes entreprises « citoyennes » qui paient leurs impôts en France.
Il ne faudrait pas que cela pousse les grandes entreprises à délocaliser encore davantage leur recherche à l'étranger.
Elles pourraient être à l'inverse incitées à payer leurs impôts en France.
La question dépasse mes compétences mais, si le CIR est « eurocompatible », je ne vois pas pourquoi sa modulation ne le serait pas.
On ne peut pas le dire comme cela, mais le fait est que le CIR est entré dans le paysage. Il y a deux jours, on m'a présenté en réunion un budget « après CIR »...
Notre enquête ne dit rien sur ce point. Je ne suis pas sûr qu'il y ait dans les esprits un lien direct entre CIR et brevets, mais c'est l'un des problèmes sous-jacents lorsqu'on cherche à rapprocher recherche publique et recherche privée.
Mécaniquement, plus on fait de R & D, plus on se pose la question de la propriété intellectuelle. Dans le domaine des logiciels, il n'est pas toujours facile de déposer un brevet, et les entreprises se contentent souvent d'un copyright. Par ailleurs les universités, qui s'ouvrent de plus en plus à la collaboration avec les entreprises, sont très sensibles au thème de la propriété intellectuelle.
Votre relation avec les laboratoires des universités ou des grands organismes s'inscrit-elle dans un cadre institutionnel ? Est-ce une relation commerciale directe, ou trouve-t-elle sa place dans les réseaux techniques de recherche avancée (RTRA), les pôles de compétitivité ou une autre formule destinée à faciliter les relations entre le public et le privé dans le domaine de la recherche ?
En ce qui concerne mon entreprise, il s'agit de relations directes car notre activité porte sur des créneaux étroits de l'optique, ce qui nous conduit à approcher directement les laboratoires qui travaillent sur ces thèmes. Nous avons conclu différents types de contrat – convention industrielle de formation par la recherche (CIFRE), contrat de sous-traitance, contrat de développement partenaire.
Si j'y touchais, ce ne serait qu'à la marge car il faut que les entreprises françaises et étrangères soient assurées de son caractère pérenne. S'il y avait sur ce point un consensus politique, ce serait parfait.
Concernant son champ, il conviendrait d'aller au-delà de la recherche fondamentale.
Vous souhaitez couvrir la modélisation, donc. Nous avions constaté ce besoin à l'occasion de nos travaux sur les pôles de compétitivité : il y a une zone grise qui n'est couverte ni par la recherche publique, ni par la recherche privée.
En fait, il ne s'agit plus de recherche. Entre ce qui est fait au laboratoire et ce qui est vendu au client, il y a le travail sur les prototypes et préséries, qu'il conviendrait de couvrir.
Nos entreprises adhérentes font de la recherche dans le but de répondre aux besoins du marché ; il s'agit de recherche appliquée plus que de recherche fondamentale. L'idée d'un crédit d'impôt innovation avait été évoquée lors des états généraux de l'industrie, mais nous penchons plutôt en faveur d'un élargissement du CIR. Plus on étendra son champ en se rapprochant de la mise sur le marché, plus on dynamisera l'économie.
Votre association constate-t-elle des progrès dans les relations entre l'université et les entreprises ? Les pôles de compétitivité, notamment, ont-ils permis de développer les liens entre recherche publique et recherche privée ?
Ce type de dispositif favorise le rapprochement, qui se fait petit à petit depuis quelques années. Une évolution des mentalités de toutes les parties est aussi nécessaire. Dans mon entreprise, ce rapprochement passe d'abord par une collaboration humaine, avec l'embauche de stagiaires et de personnes en formation alternée. Il me semble que les pôles s'adressent surtout aux entreprises plus importantes. M. Souparis et moi n'avons sans doute pas la même approche puisqu'il emploie 220 personnes, et moi 17.
Mon entreprise fait partie du pôle Cap Digital pour une partie de son activité. Les pôles ont de grands avantages du point de vue des rencontres et de l'animation, mais présentent l'inconvénient de ne retenir que des projets collaboratifs. Dans le cadre d'un programme Eureka, alors que nous étions leader sur le projet, nous avons été obligés d'avoir pour partenaires deux entreprises qui, incontestablement, auraient été beaucoup plus efficaces comme sous-traitantes. Nous avons notamment dû conclure un contrat commercial qui est aujourd'hui un boulet au pied… Il reste que les pôles de compétitivité contribuent à faire évoluer les esprits, ce qui est essentiel.
Quel regard portez-vous sur l'ensemble des dispositifs qui existent aujourd'hui pour aider la recherche et l'innovation – CIR, Agence nationale de la recherche, Oséo… ? Que faudrait-il faire pour que le système soit plus performant ?
Croissance Plus défend l'idée d'une porte d'entrée unique vers les dispositifs existants car le plus gênant aujourd'hui, c'est la multiplicité des aides et des acteurs qui restent trop opaques. Oséo, qui commence à être très connu des entreprises et dont l'aide est très importante pour les TPE-PME, pourrait jouer ce rôle. Il s'agit de rassembler les informations et d'aiguiller les chefs d'entreprise, qui n'ont pas beaucoup de temps à consacrer à ces démarches. Plus on simplifie, mieux c'est.
Je voudrais aussi souligner le fait qu'aujourd'hui, si les TPE ont plus besoin de subventions que d'avances remboursables, en revanche les entreprises moyennes sont plus intéressées par l'assurance que procure l'avance remboursable. Dans le cadre du CIR, il faudrait considérer l'avance remboursable comme un prêt et non comme une subvention – quitte, en cas de constat d'échec, à considérer les fonds définitivement acquis à l'entreprise comme une subvention. Je suis favorable à ce qu'Oséo devienne le « partenaire gouvernemental unique » – ne parlons pas de « guichet unique » – des entreprises, ayant pour mission de fédérer les mécanismes d'assistance.
Nous vous ferons parvenir une note synthétique.