La séance est ouverte à 11 heures 30.
Présidence de M. Guy Geoffroy, vice-président.
La Commission examine, sur le rapport de M. Pierre Morel-A-L'Huissier, la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à proroger le mandat du Médiateur de la République (n° 2391).
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit dans la Constitution un nouveau titre XI bis, composé d'un article unique, l'article 71-1, consacré au Défenseur des droits. Le Gouvernement a déposé sur le bureau du Sénat, le 9 septembre 2009, un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire qui prévoient que le Défenseur des droits regroupera les fonctions aujourd'hui exercées par le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants et la Commission nationale de déontologie de la sécurité et qu'il se substituera à ces trois institutions.
Mais si le Défenseur des enfants ne doit être renouvelé qu'en juin 2012 et le président de la Commission nationale de déontologie de la sécurité en décembre 2012, en revanche le mandat de l'actuel Médiateur de la République, M. Jean-Paul Delevoye, va arriver à échéance le 12 avril 2010. Le sénateur Patrice Gélard a donc déposé le 5 février dernier une proposition de loi visant à le proroger, « afin de préserver de façon transitoire le fonctionnement et l'activité du Médiateur de la République ».
Le fait que le mandat de M. Jean-Paul Delevoye vienne à échéance alors que l'examen des projets de loi organique et ordinaire relatifs au Défenseur des droits n'a pas encore débuté au Parlement pose la question de l'articulation entre la suppression du Médiateur de la République et la création du Défenseur des droits. Deux solutions sont envisageables.
La première est de nommer un nouveau Médiateur de la République, pour un mandat théoriquement fixé à six ans, non renouvelable, à compter du 13 avril 2010, mais appelé à être interrompu par l'entrée en vigueur du projet de loi organique relatif au Défenseur des droits. La seconde est de prolonger de quelques mois le mandat de l'actuel Médiateur, afin de permettre, pendant ce laps de temps, l'adoption définitive des projets de loi organique et ordinaire relatifs au Défenseur des droits ; c'est celle qui a été proposée par le sénateur Patrice Gélard et retenue par le Sénat.
C'est la voie qui avait été choisie pour assurer la transition dans deux autres institutions que la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 prévoyait de réformer : le Conseil économique et social, dont les membres ont vu leur mandat prorogé d'au plus un an, par une loi organique du 3 août 2009 ; le Conseil supérieur de la magistrature, dont les membres devraient voir leur mandat prorogé au plus tard jusqu'au 31 janvier 2011 – le projet de loi organique a déjà été adopté en première lecture à l'Assemblée nationale.
L'article unique de la proposition de loi adoptée par le Sénat tend à proroger le mandat de l'actuel Médiateur de la République jusqu'à la date d'entrée en vigueur de la loi organique relative au Défenseur des droits et, au plus tard, jusqu'au 31 mars 2011.
Une limite impérative à la prorogation est fixée, afin de respecter les exigences constitutionnelles relatives au caractère limité, exceptionnel et transitoire des prorogations de fonctions ou mandats. Alors que le texte initial de la proposition de loi fixait la date butoir au 31 décembre 2010, le rapporteur du Sénat a proposé de la repousser au 31 mars 2011.
Cet allongement, destiné à éviter que le Parlement ait à intervenir à nouveau, a été motivé par le fait que les projets de loi organique et ordinaire relatifs au Défenseur des droits n'ont pas encore été examinés en première lecture, qu'ils ne devraient pas faire l'objet d'un examen selon la procédure accélérée et qu'en tout état de cause, un contrôle de constitutionnalité devra être exercé sur la loi organique définitivement adoptée par le Parlement. Il permet néanmoins de limiter à une année la durée maximale de la prorogation du mandat de l'actuel Médiateur. Je vous invite donc à adopter sans modification l'article unique de cette proposition de loi.
Cette proposition de loi, nous dites-vous, résulte du retard pris par le Gouvernement dans la présentation de projets qui doivent faire suite à la révision constitutionnelle. Constatons, en la matière, la propension du Gouvernement à servir ses intérêts ou ceux de la majorité avant de se préoccuper des droits des citoyens, élément pourtant essentiel des propositions du comité Balladur.
Ainsi, deux mois après la révision constitutionnelle, le 17 septembre 2008, le premier projet de loi organique qui a été déposé visait à appliquer l'article 25 de la Constitution, et donc avant tout à permettre à un député ou sénateur devenu ministre de retrouver son siège après avoir quitté ses fonctions gouvernementales. Le texte a été promulgué le 13 janvier 2009. Deux jours après – c'est un constat –, M. Xavier Bertrand perdait sa fonction de ministre et pouvait redevenir député.
Le deuxième projet a été déposé le 10 décembre 2008. La loi organique a été promulguée le 15 avril 2009. Il s'agissait des modalités d'application de l'article 44 de la Constitution ; le résultat a été le « temps guillotine » qui a été imposé aux députés.
À l'inverse, nous attendons encore les lois organiques susceptibles de donner des droits supplémentaires à nos concitoyens, à l'exception de celle, certes importante, qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité. Ainsi, à ma connaissance, aucun texte n'a été examiné en Conseil de ministres sur la mise en application des nouvelles dispositions de l'article 11, relatives au référendum d'initiative partagée. Pourtant il y a quelques mois, le 17 décembre 2009, M. Estrosi, interrogé sur le projet de loi sur La Poste, avait déclaré ceci : « Je vous informe que début janvier, le Gouvernement déposera un texte de loi organique pour rendre applicable la réforme de la Constitution permettant le référendum d'initiative partagée ». Il est vrai qu'il n'avait pas précisé de quelle année il parlait. Peut-être s'agissait-il de janvier 2011…
De la même manière, l'article 69 de la Constitution tel qu'il a été modifié permettra demain aux citoyens de saisir le Conseil économique, social et environnemental mais, là encore, le Gouvernement n'a pas manifesté d'empressement pour proposer la législation organique nécessaire. Il a préféré nous demander de proroger, par la loi organique du 3 août 2009, le mandat des membres du CESE jusqu'au 30 septembre 2010.
Bientôt deux ans après la réforme constitutionnelle, donc, beaucoup de textes nécessaires à son application sont encore manquants. En comparaison, on peut admirer la célérité avec laquelle le même exercice avait été conduit lors de la fondation de la Cinquième République : il n'avait alors fallu que quatre mois pour que toutes les dispositions organiques soient prises.
S'agissant du texte qui nous est soumis, le rapporteur a rappelé que le sénateur Patrice Gélard avait initialement proposé de proroger le mandat du Médiateur de la République jusqu'au 31 décembre 2010. Mais lors du débat, on a vu avec surprise le rapporteur, le sénateur Jean-Pierre Vial, déposer un amendement pour repousser l'échéance au 31 décembre 2011, au motif que « rien ne garantit que les lois organiques seront promulguées à temps pour permettre au Président de la République de nommer le Défenseur avant le 31 décembre ». Cela en dit long sur l'intérêt que porte la majorité à cette nouvelle institution.
Il n'en demeure pas moins que, sur le plan de la méthode, nous ne sommes pas hostiles au fait que le mandat de l'actuel Médiateur soit prorogé.
Comme on dit dans un pays voisin et de plus en plus sympathique, chi va piano, va sano. Il faut, sur ces questions, prendre du temps. Non seulement il convient de proroger le mandat de l'actuel Médiateur, mais il serait bon, à mon avis, de ne pas se précipiter pour voter la loi organique relative au Défenseur des droits.
Le Comité d'évaluation et de contrôle qui a été créé à l'Assemblée nationale a constitué une mission, dont les rapporteurs sont M. René Dosière et moi-même, sur la quarantaine d'autorités administratives indépendantes qui existent aujourd'hui. Il n'est pas interdit que l'un des axes de réflexion soit l'élargissement du champ de compétences de certaines des autorités actuelles, peut-être en allant au-delà de ce que beaucoup ont à l'esprit. Il serait un peu absurde d'adopter la loi organique sur le Défenseur des droits avant que notre mission ait terminé ses travaux et remette son rapport.
Je conteste la comparaison faite par M. Urvoas avec les débuts de la Cinquième République : nous n'avons pas changé de République ! Certes les modifications constitutionnelles apportées par la révision de 2008 sont importantes, mais il n'y a pas aujourd'hui de vide juridique… Évitons donc de confondre vitesse et précipitation, et prenons le temps, comme le dit notre collègue Vanneste, de mieux cerner le périmètre d'action que nous voulons donner au Défenseur des droits. Il me paraît sage de se donner un an pour parvenir à une solution susceptible d'être acceptée par tous.
Le groupe du Nouveau Centre considère lui aussi qu'il serait absurde de ne pas prolonger d'un an le mandat de l'actuel Médiateur, qu'on sait efficace, attentif et utile, alors que nous ne sommes pas encore en mesure de mettre en place le nouvel outil. Nous voterons donc ce texte.
La Commission en vient à l'article unique.
Article unique : Prorogation du mandat du Médiateur de la République en fonction depuis le 13 avril 2004.
La Commission adopte l'article unique sans modification, la proposition de loi étant ainsi adoptée sans modification.
La séance est levée à 11 heures 45.