Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a reçu une délégation de la commission des transports et des communications du Parlement de Norvège.
Je suis très heureux de souhaiter la bienvenue, au nom de toute la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, et au nom du président Christian Jacob, retenu par ailleurs et qui vous prie de bien vouloir l'excuser, à la délégation de la commission des transports et des communications du Parlement de Norvège, le Storting, et à son président, M. Knut Arild Hareide.
J'associe à ces voeux de cordiale bienvenue Mme Françoise Branget, secrétaire de la commission du développement durable, qui a bien voulu représenter avec moi le bureau de notre commission au cours de cette réunion un peu exceptionnelle. Je salue la présence également d'un des spécialistes de la question des transports dans notre commission, M. Yanick Paternotte, élu du département du Val d'Oise qui abrite l'un des principaux aéroports européens, celui de Roissy-Charles-de-Gaulle.
Je souhaiterais tout d'abord dresser un rapide tableau de l'histoire et du fonctionnement de notre commission qui est née d'une ancienne revendication des députés visant à scinder deux commissions permanentes, aux compétences trop larges, selon eux, pour permettre un travail parlementaire de la meilleure qualité, à savoir la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, et la commission des affaires économiques, de l'environnement et de l'aménagement du territoire. Cette revendication, a été, à l'initiative du Président de la République, satisfaite par une révision de la Constitution qui a abouti au vote de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, dont l'une des dispositions a permis d'augmenter, pour la première fois depuis 1958, le nombre de commissions permanentes à l'Assemblée nationale de six à huit.
La nouvelle commission du développement durable et de l'aménagement du territoire s'est réunie pour la première fois le 9 juillet 2009. Elle a désormais compétence, en vertu de l'article 36 du Règlement de notre assemblée, pour les domaines de l'aménagement du territoire, de la construction, des transports, des infrastructures et des travaux publics, de l'environnement et de la chasse. Ses travaux ont accompagné un mouvement, également initié dès son élection au mois de mai 2007 par le chef de l'État, dit du Grenelle de l'environnement. Avec un fonctionnement inédit - cinq collèges représentant l'ensemble des forces sociales et économiques du pays -, un calendrier précis et une méthode basée sur la recherche d'un consensus, cette démarche a été couronnée de succès et a su aller au-delà des approches binaires traditionnelles. J'en veux pour preuve le vote à la quasi-unanimité de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement dite « Grenelle I ».
La commission du développement durable étudie à l'heure actuelle la déclinaison de cette loi, que nous appelons « Grenelle II » et qui en constitue en quelque sorte le texte d'application. Le projet de loi « portant engagement national pour l'environnement » a déjà été adopté par nos collègues sénateurs en première lecture et sera examiné à partir de la semaine prochaine en commission et, après les élections régionales de mars, en séance publique. Cette discussion va s'engager parallèlement au « Grenelle de la mer », qui vise à décliner la démarche initiée par le « Grenelle I » dans le domaine maritime, en tentant de dégager des solutions originales et efficaces pour que notre pays tire partie du formidable atout que constituent les 11 millions de km² de sa zone économique exclusive dans les océans atlantique, pacifique et indien.
Le bilan de cette méthode dite de « Grenelle » - en référence à la Conférence qui a permis en mai 1968 de sortir notre pays d'une grave crise sociale - reste très positif, même si, en tant qu'élus au suffrage universel, nous avons dû accepter, avec un peu de frustration, de partager avec la société civile une partie de notre pouvoir de législateurs. Nous avons expérimenté un système intermédiaire entre la démocratie directe de l'Athènes du Ve siècle avant notre ère, la fameuse Agora, et la démocratie représentative traditionnelle. Ce nouveau système correspond certainement à l'évolution de notre société, puisqu'en tant qu'élus locaux, nous sommes sollicités par nos concitoyens pour l'adapter localement dans nos départements et dans nos régions.
– Monsieur le président, je vous remercie, en mon nom et en celui de tous les membres de notre délégation, de vos souhaits de cordiale bienvenue et de la chaleur de votre accueil.
Si votre commission est de création récente, la nôtre l'est plus encore : les dernières élections législatives en Norvège, qui ont permis d'élire les 169 membres qui composent notre assemblée, ont eu lieu le 12 septembre 2009 ! A l'issue de ses trois premiers mois d'activité, la commission des transports et des communications a décidé d'effectuer son premier voyage d'études à Bruxelles et dans votre pays, afin de mieux connaître l'action de la France et des institutions européennes dans trois domaines : les transports - et notamment le TGV, les tramways et la sécurité routière-, la libéralisation des services postaux et les nouvelles technologies, en particulier la conservation des données informatiques et la neutralité des réseaux.
S'agissant du domaine des transports, qui est de la compétence de votre commission, je voudrais d'abord témoigner de notre sentiment d'admiration devant le développement et la maturité de votre réseau routier, et notamment autoroutier, dont nous souhaiterions connaître le détail du financement ainsi que les modes de collaboration mis en place avec le secteur privé. Ensuite, et, en tant qu'ancien ministre de l'environnement, vous comprendrez ma sensibilité à ce problème, je souhaiterais savoir comment vous intégrez le respect de l'environnement et de la biodiversité dans votre réflexion sur l'évolution de votre système de transports.
S'agissant spécifiquement du transport ferroviaire, vous savez sans doute que la Norvège étudie actuellement un projet de construction d'un réseau de TGV. La décision finale, qui sera prise par notre commission, interviendra en 2013. Nous avons rendu visite à Alstom Transport à Saint-Ouen, et cette société a répondu à nos interrogations sur le plan technique. Mais notre délégation souhaiterait connaître votre expertise sur le plan politique des avantages et des inconvénients d'un réseau de lignes à grande vitesse.
Plus généralement, quelle appréciation portez-vous sur le transport ferroviaire en France et en Europe ? Par ailleurs, quelles sont les priorités que vous assignez aux transports en 2010 ? Enfin, en tant qu'ancien Secrétaire d'État aux finances, je ne peux pas m'empêcher de vous demander si la crise économique et financière, qui a également touché notre pays, n'a pas eu des conséquences sur les partenariats entre le secteur public et le secteur privé dont nous avons noté l'importance dans le financement du secteur des transports en France?
Le Parlement a inscrit le vote de la loi dite « Grenelle I » dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique et la promotion d'un développement durable. 13 des émissions de gaz à effet de serre sont dus au secteur des transports, le seul mode routier représentant 90 % de ces émissions. Le « Grenelle I » a donc prévu une augmentation de 25 % de la part modale du fret non routier et non aérien d'ici à 2012, limité l'augmentation des capacités routières et autoroutières au traitement des points de congestion, des problèmes de sécurité et des besoins d'intérêt local, et prévu un développement des formules d'autoroutes de la mer ou ferroviaires comme du transport combiné. En matière de transport de voyageurs, un programme de construction de 2 000 kilomètres de lignes ferroviaires à grande vitesse a été défini pour l'échéance 2020 complété par la mise à l'étude d'un programme supplémentaire de 2 500 kilomètres.
Nous sommes ainsi passés d'une politique tournée prioritairement vers les infrastructures routières, à une action globale ambitieuse tenant compte des émissions de gaz à effet de serre dans le respect des objectifs des accords de Kyoto. Le Parlement a renversé dès lors ses priorités au bénéfice du transport par fer ou par eau, cherchant, par exemple, à améliorer la desserte ferroviaire ou fluviale de nos ports maritimes (Le Havre, Nantes, Marseille, Dunkerque) par la création d'« hinterlands » pour ces derniers, ou à développer le secteur du transport fluvial avec l'encouragement donné au projet de canal Seine-Nord-Europe et aux études portant sur une liaison Saône-Moselle.
Le projet de loi portant engagement national pour l'environnement (« Grenelle II »), actuellement en discussion au Parlement, a pour objet de traduire les orientations retenues, en prévoyant des mesures concrètes telles que le développement des transports collectifs urbains et périurbains, le renouvellement du parc automobile avec des systèmes de bonus malus, la possibilité de créer des péages urbains, de moduler les péages autoroutiers ou de développer des véhicules hybrides. Les mesures retenues doivent d'ailleurs être rapprochées de celles qui figurent dans l'« engagement national pour le fret » récemment décidé, qui prévoit des actions à hauteur de 7 milliards d'euros sur dix ans.
En matière de transport, nous avons assisté récemment en France à une révolution, tant sur les objectifs que sur la méthode conduite, qui concerne le développement durable. Nous avons ainsi procédé, ce qui ne se faisait pas auparavant, à une évaluation précise du coût des différents modes de transport en matière d'émissions de gaz à effet de serre. Désormais, il existe une vraie volonté de faire du report modal, principalement par un transfert, en matière de transport de marchandises vers le secteur ferroviaire qui bénéficie d'une véritable priorité, au moment où ce secteur connaît de multiples difficultés en Europe. Pour le transport de personnes, quatre lignes à grande vitesse sont actuellement en construction en parallèle en France à partir de formules de partenariats, que ceux-ci soient entre États ou, à l'intérieur de notre pays, entre les secteurs public et privé. Il faut noter toutefois, que le projet de loi « Grenelle I » a été adopté dans un contexte de croissance, alors que nous sommes confrontés aujourd'hui à un véritable défi lié à la situation de notre économie.
Beaucoup d'enjeux sont, par ailleurs, frontaliers et nous devons convaincre nos partenaires, le processus étant particulièrement lent, par exemple, pour la liaison Lyon–Turin, mais non pour Perpignan-Figueras.
Le réseau des trains à grande vitesse a un bilan carbone très positif en France, le « temps de retour » pour les émissions de carbone étant ainsi de 10 à 12 ans. Le mode ferré, la grande vitesse, en particulier, est incontestablement robuste en matière d'émissions de carbone. Son bilan en la matière est divisé par 35 par rapport aux autres modes de transport. Une différence existe sur ce point entre la France et la Norvège, les contraintes météorologiques liées au froid pouvant créer des problèmes aux motrices. Par ailleurs, nous sommes unanimement opposés en France aux expérimentations sur certains poids lourds, les « méga trucks » : il faut tenir compte, en effet, du fait que les véhicules de plus de 44 tonnes rencontrent de vives oppositions en France, ceux-ci devant utiliser longtemps encore des énergies fossiles et qu'on ne peut, en matière de politique des transports, agir dans tous les domaines dans le même temps.
Il faut souligner l'importance de l'action menée par les pouvoirs publics en France en matière de transport : l'engagement national pour le fret, qui doit se traduire par des investissements ferroviaires à hauteur de 7 milliards d'euros sur dix ans, mais aussi les initiatives principalement contenues dans la loi « Grenelle I » : la création à l'étude d'un fonds de capitalisation, pour rechercher des financements innovants en matière de transports alternatifs, la mise en place de prêts à long terme pour l'achat de matériels pour les autoroutes ferroviaires, et enfin la création d'une taxe sur les poids lourds permettant de financer des infrastructures dans les secteurs autres que le routier.
Nous venons de dresser un panorama très complet de la situation et sommes prêts à répondre à vos questions.
Je remercie les orateurs pour ces informations très intéressantes. Je retiens de ces propos une volonté de changement affirmée en ce qui concerne la préservation de l'environnement et la gestion du secteur routier : c'est une orientation tout à fait positive. J'aimerais savoir si une mesure fiscale est envisagée pour le soutien des politiques qui nous ont été décrites.
Je remercie moi aussi les orateurs. Ce n'est pas la première fois que je me rends en France et je suis à chaque fois frappé par les embouteillages massifs sur le périphérique parisien. Quelle action l'État envisage-t-il pour les supprimer ? Envisagez-vous une action sur le modèle de Londres ou de Stockholm, une voie nouvelle ou un péage urbain, ou rencontrez-vous des obstacles qui empêchent de mettre un terme à cette situation ? La Norvège a initié une politique dans ce domaine, mais sa mise en oeuvre s'est avérée particulièrement difficile.
Par ailleurs, je m'interroge sur les modalités de financement de vos infrastructures.
Je souhaiterais savoir quelle part les péages représentent dans le financement des infrastructures routières et ferroviaires.
J'ai la même interrogation. Le financement des autoroutes françaises à travers le système des concessions nous semble un réel succès. Ce modèle sera-t-il également appliqué au développement du rail ou s'orientera-t-on plutôt vers une contribution des usagers à travers le mécanisme des directives communautaires ?
Notre collègue Yves Albarello, qui a été le rapporteur de notre commission sur le projet de loi relatif au « Grand Paris », a dû quitter la réunion avant de pouvoir vous apporter un éclairage. Mais M. Yanick Paternotte, qui a beaucoup travaillé sur ces questions, est en mesure de vous donner des réponses précises.
Le problème des encombrements en région parisienne résulte essentiellement du retard accumulé pendant les trente dernières années au cours desquelles aucune infrastructure majeure n'a vu le jour. Certaines autoroutes sont de plus demeurées inachevées par défaut de financement car, historiquement, il n'y a pas eu de péages en Ile-de-France qui ne connaît donc pas le recours aux concessions.
La vision stratégique qui manquait est désormais inscrite dans le projet du « Grand Paris ». Un métro automatique devrait connecter les pôles de compétitivité économique de la région - les « clusters » -, les quartiers d'affaires comme celui de la Défense ainsi que les trois aéroports d'Orly, de Roissy et du Bourget. Nous engageons des volumes financiers importants : vingt et un milliards d'euros d'investissement et quatorze milliards d'euros de fonctionnement d'ici 2020, date de la mise en service de la nouvelle infrastructure de transport. L'enjeu est réellement déterminant.
L'institution d'un péage routier francilien est très difficile car la France abrite traditionnellement d'importants constructeurs automobiles et la liberté de circulation fait l'objet d'un attachement profond. La majorité des livraisons en zone urbaine est en outre réalisée par voie routière. C'est la raison pour laquelle celui qui évoque dans les médias l'hypothèse d'un péage à l'entrée des agglomérations rencontre une opposition immédiate – et j'en ai fait moi-même l'expérience. Or je suis convaincu que le vent de l'histoire souffle dans cette direction et dans celle du développement des modes de transport doux. La généralisation des péages urbains sur le continent européen conforte mon sentiment.
Le péage ferroviaire se heurte au processus de libéralisation impulsé par l'Union européenne, achevé pour le fret, initié pour le transport de passagers. L'accroissement de son montant équivaudrait à une forme de protectionnisme. Je crois qu'il faudrait au contraire le diminuer sur les corridors stratégiques comme la liaison hispano-allemande.
Enfin, le financement des routes était autrefois assuré par des établissements publics. Les contraintes financières ont conduit à généraliser un financement par des opérateurs privés concessionnaires. Un rôle essentiel est dévolu aux collectivités territoriales dans la construction et l'entretien des infrastructures routières de moindre importance.
Je comprends qu'il faille assurer des débouchés à l'industrie automobile. Envisagez-vous néanmoins des péages différentiels en fonction du moment d'utilisation de l'infrastructure ? En Norvège, nous réfléchissons à instaurer un prix réduit pendant les heures creuses et un prix plus important aux heures de pointe. La France pourrait-elle se diriger vers une solution similaire ?
Faire financer les infrastructures par une taxe sur les automobilistes aurait par ailleurs un impact positif dans la lutte contre les émissions de dioxyde de carbone.
Je tiens à rappeler que notre délégation comprend des parlementaires de plusieurs partis. Notre système électoral a permis aux dernières élections qu'une minorité de voix permette de détenir une majorité de sièges.
En Norvège, nous bénéficions de la rente pétrolière. Toutefois, nos infrastructures sont surannées et en mauvais état. J'aimerais en savoir plus sur la gestion courante en France dans ce domaine. J'ai bien compris qu'il existait de grands projets avec des financements spécifiques, mais existe-t-il un budget annuel pour les ouvrages les plus courants ?
Il n'existe de péages en France que sur les autoroutes et quelques ouvrages d'art. Dans le Nord, des tarifs rouge et vert permettent d'appliquer une facturation différente en fonction de l'horaire de passage. En région parisienne, un péage différentiel original existe sur l'autoroute A14, puisque la somme demandée tient compte de l'heure de passage mais aussi du nombre de personnes transportées : c'est un encouragement à la pratique du « covoiturage ».
Le péage urbain n'existe pas dans notre pays. Toutefois, une forme de dissuasion alternative à l'emploi de l'automobile s'est imposée à Paris à travers la rareté et la cherté des places de stationnement.
Par ses ressources naturelles, la France ne peut rivaliser avec la Norvège. Il n'y a jamais eu beaucoup de pétrole sur le territoire national, hormis peut-être le gisement de Lacq. L'État finance donc très peu les infrastructures non payantes, dont la charge repose presque intégralement sur les collectivités territoriales. C'est d'ailleurs une vraie difficulté. Nous envisageons d'instaurer une taxation dédiée, notamment une fiscalité sur le carbone. Nous observons également avec intérêt les expériences étrangères. Enfin, la reprise économique nous permettra de relancer les constructions à travers des partenariats public-privé.
Le « Grand Paris » est notre principal projet d'envergure. Son métro automatique souterrain devrait permettre de résoudre les problèmes récurrents posés par les embouteillages et par les mouvements sociaux dans le secteur des transports.
La situation française en matière ferroviaire est assez paradoxale. Notre réseau historique, hérité du XIXe siècle, était tout à fait remarquable et irriguait tous les territoires. Les lignes secondaires ont été marginalisées ces dernières décennies au profit des infrastructures routières ; leur entretien n'a pas été suffisant : maintenant que nous souhaitons les réactiver, nous sommes quelquefois contraints de limiter la vitesse des trains pour des raisons de sécurité.
Je suis convaincu de l'importance du développement des transports combinés, auxquels j'ai d'ailleurs consacré un rapport, pour régénérer le réseau ferré. Ce dernier présente l'avantage de moins polluer, mais il est aussi moins flexible. La solution réside dans des plateformes innovantes. Or nous avons privilégié le développement du transport de passagers au détriment du fret. Je crois qu'il faut revenir à la mixité des rames et des usages, comme, par le passé, quand la même motrice entraînait des wagons de passagers, de marchandises et de courrier.
Je crois qu'il est important d'appréhender l'instrument fiscal comme un moyen de modifier les comportements. J'aurais une dernière question à vous poser, relative à la politique française en matière de sécurité routière.
En effet, si le débat sur les infrastructures et l'impact écologique est important, celui de la sécurité des personnes ne l'est pas moins. Y a-t-il une volonté française forte pour agir en faveur de la sécurité routière ?
– C'est un sujet qui nous touche tous, à la fois en tant qu'hommes et en tant que responsables politiques. Il suffit d'avoir eu par le passé, dans une fonction d'élu, à annoncer à une famille la nouvelle d'une tragédie routière, pour être durablement animé d'une volonté intangible de voir changer les choses.
Cette volonté politique existe désormais, mais force est de constater que cela n'a pas toujours été le cas. La France, qui s'enorgueillit de sa viticulture, a par exemple longtemps fait preuve, et ce pendant très longtemps, d'une tolérance à l'égard de l'alcool au volant. La France a connu de ce point de vue un virage majeur au cours de la seconde présidence de Jacques Chirac, qui a fixé des objectifs ambitieux dans la lutte contre la violence routière par une action sur tous les terrains. La lutte contre l'insécurité routière a alors pris un aspect multiple : les pouvoirs publics ont agi sur la répression, avec la qualification pénale de certaines infractions au code de la route et l'installation de radars ; les infrastructures les plus dangereuses – je pense notamment aux carrefours et aux passages à niveau – ont été repensées et aménagées ; le dialogue engagé avec les constructeurs automobiles a permis de parvenir à de meilleures performances en matière de sécurité, avec des véhicules qui absorbent mieux les chocs et protègent avant tout la vie de leurs occupants ; les vitesses autorisées ont également été réduites, ce qui par ailleurs rejoint notre volonté de limiter les émissions de gaz à effet de serre des véhicules automobiles. Surtout, le comportement social a évolué grâce à une campagne nationale mêlant pédagogie et répression. Le permis à points conduit à sanctionner toutes les infractions, même les plus légères. Véritable révolution dans les mentalités, les délits routiers sont désormais passibles d'une peine d'emprisonnement. Un combat a été lancé contre la vitesse et l'alcool au volant, contre l'idée fallacieuse selon laquelle la route serait un espace de liberté absolue au détriment de la sécurité d'autrui. A cet égard, il faut relever que les interventions des élus en faveur de leurs concitoyens afin de les soustraire à l'application de contraventions et de solliciter l'indulgence des autorités judiciaires appartiennent définitivement au passé, alors que la pratique était courante jusqu'aux années 1990.
Il résulte de tout cela une diminution drastique des décès survenus dans les accidents de la route. Nous étions à plus de 16 500 tués en 1972, à quelque 8 000 en 2001 et nous déplorons 4 262 décès en 2009. Les chiffres nous montrent que le rythme de progression diminue, nous atteignons une sorte de « point dur ». Néanmoins, la politique de « tolérance zéro » a clairement fait ses preuves.
– C'est effectivement une politique qui a donné des résultats. Les radars routiers sont une franche réussite, même si leur apparition avait été initialement mal acceptée par la population. Tout le monde s'en est accommodé aujourd'hui. Nous envisageons d'ailleurs d'installer une nouvelle génération d'appareils, dits « radars tronçon », qui permettent de calculer la vitesse automobile non plus instantanément, mais par un calcul de moyenne sur une distance donnée. La recette collectée cette année atteint une centaine de millions d'euros, ce qui n'est pas négligeable.
– Précision utile : la présence de ces radars est toujours signalée au préalable aux automobilistes. La répression n'est jamais séparée de la pédagogie.
– Effectivement, il existe désormais un consensus autour de la lutte pour une meilleure sécurité routière et une réduction du nombre de tués. Il nous reste tout de même certains problèmes à résoudre. Nous avons fait reculer la mortalité dans les voitures, mais celle des « deux-roues » se maintient à un niveau élevé, notamment en Ile-de-France. Je compléterai les propos de Jérôme Bignon en indiquant qu'un sort particulier a été réservé au traitement des « points noirs », notamment les passages à niveaux, et qu'en Île-de-France l'interdiction de circulation des poids lourds sur les autoroutes en fin de semaine a permis de fluidifier le trafic et donc d'améliorer la sécurité routière.
D'autres mesures sont à l'étude. Dans le cadre du Grenelle de l'environnement, il est envisagé de coupler des éthylotests sur les démarreurs des véhicules, ce qui empêcherait le fonctionnement d'un véhicule, dès lors que son conducteur serait alcoolisé à l'excès. Des tests cellulaires sont aussi à l'étude pour dépister chez les conducteurs la consommation de drogue, dont les effets au volant sont une cause majeure d'insécurité routière. Contrairement à l'Allemagne, nous refusons de lever les limitations de vitesse sur les autoroutes. Enfin, la diffusion à la télévision de messages de prévention parfois brutaux et explicites, comme ceux diffusés en Grande-Bretagne a permis une prise de conscience de la population.
– Je crois qu'il faut souligner le dispositif tout à fait satisfaisant de la conduite accompagnée des jeunes, qui paient un lourd tribut à la route chaque année. Celui-ci permet aux jeunes de parcourir, accompagnés de leurs parents, 3 000 kilomètres, avant de se présenter à l'examen du permis de conduire. Les conducteurs passés par ce système sont mieux formés et plus responsables ; les statistiques montrent qu'ils sont moins susceptibles d'être impliqués dans des accidents que ceux ayant suivi la voie d'apprentissage traditionnelle.
Comme je le disais en préambule, nous agissons dans tous les domaines contre la violence routière et avec le soutien des Français. Nous sommes cependant confrontés à un nouveau phénomène lié à la sévérité accrue dans la répression : la recrudescence du nombre d'automobilistes circulant sans permis de conduire, du fait de l'annulation de ces permis, donc sans assurance, avec toutes les conséquences sociales que cela implique lorsque des accidents se produisent.
– Notre échange touche à sa fin. Il a été particulièrement instructif et constructif. Je remercie les députés français pour la qualité et la précision des informations qu'ils nous ont apportées.
– Je vous remercie moi aussi pour ce dialogue. Il est toujours intéressant de confronter une expérience à celle d'un pays partenaire.
Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
Réunion du mercredi 27 janvier 2010 à 16 h 15
Présents. - M. Yves Albarello, M. Jérôme Bignon, M. Jean-Claude Bouchet, Mme Françoise Branget, M. Daniel Fidelin, M. Bertrand Pancher, M. Yanick Paternotte, M. Martial Saddier
Excusés. - M. Maxime Bono, M. Joël Giraud, M. Christian Jacob, Mme Fabienne Labrette-Ménager, M. Pierre Lang, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont