Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a entendu Mme Anne Lauvergeon, présidente du directoire d'AREVA, sur les activités et la stratégie de l'entreprise.
Je suis très heureux, madame la présidente du directoire, de vous accueillir pour la première fois au sein de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Nous souhaiterions tout d'abord vous entendre sur les événements de Cadarache, où AREVA intervient en tant qu'opérateur industriel. Sur ce sujet, la commission a déjà auditionné Mme Marie Comets et M. Marc Sanson, commissaires de l'Autorité de sûreté nucléaire, Mme Marie-Claude Dupuis, directrice générale de l'ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), Mme Agnès Buzyn, présidente de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire et M. Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique (CEA).
Nous voudrions aussi savoir ce qu'il en est du développement international d'AREVA et surtout de son implication dans les énergies renouvelables, qui nous tiennent particulièrement à coeur.
Merci de votre invitation. Je me suis déjà rendue devant les commissions des affaires économiques et des finances en septembre et devant la commission des affaires étrangères en décembre, mais je suis particulièrement heureuse de pouvoir vous expliquer comment AREVA ancre sa politique dans le développement durable.
AREVA a fait le choix très clair du « sans CO2 », et organise toute son activité industrielle autour des problématiques du développement durable. Les choix pratiqués depuis cent cinquante ans, ne sont plus tous possibles. Les ressources fossiles sont clairement limitées, la croissance démographique reste considérable, l'accès à l'énergie est une problématique aiguë dans de nombreux pays émergents, qui aspirent légitimement au développement, et le changement climatique avéré nous impose de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Nous allons devoir trouver ensemble le moyen de répondre au doublement de la demande énergétique d'ici à 2050 en émettant deux fois moins de CO2. C'est tout l'enjeu de l'acte 2 du Grenelle de l'environnement, du paquet énergie-climat de l'Union européenne et du sommet de Copenhague.
AREVA a choisi, depuis 2003-2004 – bien avant qu'on en parle autant – d'offrir à ses clients des solutions pour produire de l'énergie décarbonée. C'est notre stratégie industrielle : fournir au maximum de gens l'énergie la moins chère et la plus accessible possible sans CO2. Nous sommes convaincus que le nucléaire et les énergies renouvelables sont complémentaires. Nous aurons dans l'avenir besoin d'un mix énergétique avec beaucoup moins de CO2. La solution ne peut passer que par un bon équilibre entre les pays qui pourront développer du nucléaire – ce n'est pas le cas de tous – et les énergies renouvelables. Sur ce sujet, il est temps de sortir des idéologies et de faire bouger les lignes, de part et d'autre. Il y a également d'énormes synergies entre le nucléaire et les renouvelables, qu'elles soient techniques – de ce point de vue, les très grosses éoliennes ressemblent beaucoup au nucléaire – ou commerciales : lorsque vous vendez du nucléaire à un électricien, il est très facile de lui vendre aussi du renouvelable. Il est important aujourd'hui d'admettre ces complémentarités.
Cette stratégie, qui peut paraître évidente aujourd'hui, n'a pas toujours été simple à défendre vis-à-vis de notre actionnaire majoritaire, l'État. Nous avons dû nous battre par exemple pour développer nos activités dans l'éolien, en choisissant par ailleurs l'éolien offshore, qui ne pose pas de problème d'acceptation. Ce positionnement n'est plus aussi original, puisque beaucoup des grands groupes du secteur l'ont adopté depuis. Pour ceux qui douteraient encore, je rappelle que la croissance du marché des renouvelables sera de 8,5 % par an pendant les vingt prochaines années, ce qui fait beaucoup d'opportunités industrielles à saisir.
Dans le domaine du nucléaire, notre stratégie s'est axée sur le modèle intégré, qui nous a fait gagner beaucoup de parts de marché et que nos concurrents copient aujourd'hui. Nous proposons une gamme de réacteurs de troisième génération : l'EPR, 1 650 mégawatts – quatre constructions aujourd'hui –, ATMEA, 1 100 mégawatts, dont le design se termine à la fin de ce trimestre et que nous développons avec Mitsubishi et, enfin, KERENA, développé avec E.ON, un réacteur à eau bouillante de 1 250 mégawatts. En plus d'être le numéro un mondial du nucléaire, nous voulons aussi devenir le leader du marché des renouvelables. Notre chiffre d'affaires dans ce secteur était de 31,6 millions d'euros en 2006, de 147,5 millions en 2008, et nous allons terminer cette année avec un carnet de commandes supérieur à 1 milliard.
Pour ce qui est de la biomasse, c'est-à-dire la transformation des débris végétaux en électricité, nous sommes numéro un au Brésil, nous nous lançons aux États-Unis, nous sommes très forts en Inde et en Afrique du Sud mais faibles en Europe. Nous comptons nous y développer. Nous travaillons aussi dans l'hydrogène et la pile à combustible – nous possédons une des deux start-ups françaises dans ce domaine, Hélion, à Aix-en-Provence. Quant à l'éolien offshore, nous avons installé six très grosses éoliennes de 5 mégawatts à 42 kilomètres des côtes allemandes et avons un très gros contrat pour 2010. En revanche, il nous faut nous développer dans le solaire thermique ; c'est un sujet que nous étudions activement.
Ces choix stratégiques ont fait leurs preuves. Notre carnet de commandes a doublé en cinq ans, ce qui n'est guère courant dans le paysage économique actuel. Notre visibilité est exceptionnelle : elle atteint cinq ans. Notre chiffre d'affaires est en croissance rapide et constante – 34 % sur les quatre dernières années, sans ralentissement en 2009 –, ce qui traduit par ailleurs notre capacité à honorer notre carnet de commandes. Nous recrutons beaucoup – 15 000 personnes en 2008, 12 000 en 2009 – et nous investissons massivement en France, ce qui est également assez atypique. La moitié de nos investissements industriels se font sur le territoire, et même 80 % hors uranium, qui par définition se trouve hors de France. Enfin, notre effort de recherche et développement a augmenté de 80 % sur les trois dernières années et représente 8 % de notre chiffre d'affaires.
Toute cette performance économique n'a de sens que si elle s'ancre dans le développement durable, c'est-à-dire avec une croissance rentable, socialement responsable et respectueuse de l'environnement. Cette conception est développée dans notre système interne de management, AREVA Way, qui constitue l'armature de toute la politique de management du groupe. Il y a une charte des valeurs partagées par tous les salariés, mais aussi dix engagements : respect de l'environnement, performance économique, innovation, satisfaction des clients, gouvernance, progrès continu, intégration dans les territoires, dialogue et concertation, implication sociale, prévention et maîtrise des risques technologiques. Chaque engagement s'accompagne d'indicateurs et de référentiels communs qui permettent une auto-évaluation régulière de tous les managers et un dialogue managérial interne au groupe. C'est la base du progrès continu. Nous avons en quelque sorte réinventé la méthode Toshiba, mise au goût écologique. Ainsi, nous avons diminué de 46 % la consommation de papier du groupe entre 2004 et 2008 et baissé, malgré la forte augmentation de notre chiffre d'affaires, de 30 à 40 % notre consommation d'eau et d'énergie et notre production de déchets.
Notre priorité absolue est d'assurer la sûreté de nos installations, la santé des personnes et la protection de l'environnement. Nous avons mis en place les outils adaptés. Une charte de sûreté nucléaire définit les principes du groupe. Elle couvre toute la vie des installations, du choix du site à son démantèlement et de ses employés aux populations environnantes. Un indicateur de performance a été élaboré. Chaque évaluation d'un salarié commence par la question de la sécurité. Notre organisation opérationnelle identifie clairement chacun des responsables en matière de sûreté. Une inspection générale indépendante, créée en 2001, contrôle l'organisation opérationnelle et partage son expertise technique avec l'ensemble des sites. Son rapport annuel est rendu public.
Quels sont les résultats de cette politique ? En matière de sécurité au travail, notre objectif est le zéro accident. En 2008, notre taux de gravité se montait à 0,10 et notre taux de fréquence à 3,19 : 3,19 accidents par million d'heures travaillées, contre une moyenne française de… 25,4 ! Ce taux était trois fois plus élevé en 2003. Et cette amélioration continue des conditions de travail ne se produit pas seulement en France : lorsque nous avons acheté Koblitz, au Brésil, début 2008, son taux de fréquence était de 10. Nous sommes passés à 2,5 au second semestre de la même année, avec 149 jours consécutifs sans accident. Les standards d'AREVA sont valables au Niger comme au Canada, quelles que soient les obligations nationales.
Sur le plan sanitaire, nous tenons notre objectif en matière de radioprotection. La norme la plus contraignante du monde est européenne : 20 millisieverts par an, alors que les Etats-Unis, par exemple, sont à 50. Nous avons imposé le plafond des 20 millisieverts dans toutes nos installations dans le monde – ce qui n'a pas été le plus simple, notamment aux États-Unis. Outre les installations, nous menons aussi une politique de suivi des personnes. Nous avons en particulier travaillé sur des études génériques autour de la Hague ou dans le Limousin et avons créé des observatoires de la santé pluralistes autour de nos sites miniers partout dans le monde. Leur mise en place n'est d'ailleurs pas toujours rapide, parce qu'il faut que chaque gouvernement accepte d'entrer dans le dispositif.
En matière d'environnement, nous tenons à limiter l'impact de nos activités. Nous avons élaboré des objectifs site par site et effectué 80 études environnementales ainsi que des études d'impact régulières sur la faune et la flore, sans compter le rapport annuel du groupe qui compile ces différentes données. Par ailleurs, nous avons fait certifier à la norme ISO 14001, 80% de l'ensemble de nos sites dits à "enjeux environnementaux singificatifs" (EES) dont la totalité des EES nucléaires."
Nous essayons d'avoir une attitude responsable dans les territoires où nous sommes implantés, ce qui implique de personnaliser notre accompagnement. AREVA DELFI est la structure qui nous le permet. Nous menons une activité très particulière dans la Meuse et la Haute-Marne autour du laboratoire de Bure, et conduisons des projets d'aide au développement dans les pays dans lesquels nous sommes implantés, notamment grâce à la Fondation AREVA. Nous faisons un effort très spécifique au Niger, un des pays les plus pauvres du monde.
Toutes ces actions s'inscrivent dans une démarche de progrès continu, fondée sur le principe du retour d'expérience. Ainsi, après l'incident du 7 juillet 2008 sur une cuve d'effluents de l'usine Socatri du Tricastin, nous avons mené une très large campagne de mesures sur l'environnement aux abords du site. Tous les résultats ont été présentés à l'ASN, aux préfectures de la Drôme et du Vaucluse, aux différentes parties prenantes – associations, élus – et à la commission locale d'information du Tricastin. Ils sont bons : aucun impact n'a été décelé pour aucune substance, sauf pour les PCB, dont la concentration dans la Gaffière atteint les niveaux du Rhône – héritage des années 1970 et 1980. Au titre du principe de précaution, nous avons bien sûr soutenu la décision de la préfecture de ne pas autoriser la consommation des poissons pêchés dans ce cours d'eau. Des actions concrètes ont par ailleurs été menées pour prévenir d'autres incidents : renfort des effectifs affectés à la sûreté et à l'environnement sur l'ensemble du site, poursuite de la modernisation des installations, financement du raccordement au réseau d'eau potable pour les particuliers si la concentration est supérieure aux valeurs de l'OMS.
Il faut prendre la mesure de la dimension émotionnelle de toutes ces situations – ce qu'on appelle maintenant, je crois, l' « infomotion ». C'est le prix du choix de la transparence, un défi qui a bouleversé les habitudes de l'industrie du nucléaire il y a dix ans. Je continue de croire à ce choix, même s'il est compliqué à gérer. Il n'y aura pas de demi mesure dans ce domaine : il faut communiquer davantage, même si cela nous expose encore plus. En revanche, il faut être très attentif à la polémique facile qui sape la confiance du public et renforce nos concurrents. C'est une spécialité franco-française que de critiquer ce qui marche ou ce qui est nouveau. Ainsi, à Cadarache, concernant une usine ancienne qui a fonctionné pendant quarante ans et qui est en cours de démantèlement, les procédures de sûreté ont été strictement respectées, le confinement n'a jamais été mis en cause et le CEA a communiqué immédiatement avec l'Autorité de sûreté nucléaire. Il en ressort pourtant curieusement un incident classé 2, une interruption des opérations de démantèlement et une information judiciaire. Si la transparence est nécessaire, la confiance l'est aussi et, si la défiance l'emporte, ce sera finalement au prix de la sûreté ! Il faut essayer de trouver ensemble une façon de remettre les choses à leur juste place.
AREVA investit durablement pour continuer à faire la course en tête, et creuser l'écart. Dans le contexte général de crise de ces deux dernières années, nous avons su préserver une véritable dynamique industrielle. Nous avons en particulier beaucoup recruté – et un emploi créé chez AREVA, c'est deux ou trois emplois créés dans des PME françaises. La complémentarité entre le nucléaire et les énergies renouvelables est indispensable pour assurer l'approvisionnement énergétique de notre pays avec le moins de CO2 possible. C'est le moyen de relever les défis énergétiques mondiaux, et vous pouvez compter sur notre détermination pour poursuivre cette formidable aventure industrielle au service de notre pays.
Quel est l'état de santé financière du groupe aujourd'hui ? Combien a rapporté la vente de la filiale T&D et où en sont les engagements d'Eramet et de ST Microelectronics ? Autrement dit, avez-vous atteint vos objectifs en matière de recapitalisation ?
Pour ce qui est de la stratégie, on connaît le contexte : relance du nucléaire – vous parlez même de troisième révolution énergétique –, lutte contre les émissions de CO2, besoins énergétiques grandissants, développement des pays émergents – 2 milliards de personnes n'ont pas accès à l'électricité –, sécurisation des approvisionnements – avec la crise du gaz russe –, et épuisement des ressources d'hydrocarbures et de charbon. Pour ce dernier, un bilan global s'impose, notamment en matière d'avantages comparatifs, qu'il s'agisse de ses émissions ou des investissements qui ont été nécessaires pour construire les centrales.
Comme vous l'avez souligné, la confiance de la population dans la filière nucléaire est aussi importante que la solidité de ses acteurs, ce qui impose d'être à la fois transparent et performant. La question des déchets est essentielle à cette confiance. Ce n'est pas la première fois qu'on en parle à l'Assemblée nationale mais il n'est pas inutile d'y revenir. La France a fait le choix du retraitement – c'est même une spécificité – et vous vous targuez de bons chiffres, mais nous savons tous qu'au final seule une petite quantité des déchets sont recyclés. Où en est-on vraiment ? Quelle est l'importance en France de ce qu'EDF appelle le « bas de laine », et quel est l'avenir de ces déchets ?
On sait que le plutonium sert à la fabrication d'un combustible, le MOX. Combien de réacteurs l'utilisent-ils déjà, et d'autres en ont-ils le projet – autrement dit, ce combustible a-t-il de l'avenir ? L'opération « MOX for Peace » semble également constituer un débouché intéressant. Reste le problème des déchets ultimes, et notamment l'obligation de trouver un site. S'agira-t-il de Bure, à côté du laboratoire ? L'échéance est fixée vers 2025, mais il faut de la visibilité sur cette question.
Pour ce qui est de l'EPR, les autorités de sûreté de France, de Grande-Bretagne et de Finlande ont récemment émis quelques réserves sur son système de contrôle. Sont-elles justifiées ou désormais levées ? Et quelles sont les raisons des retards sur les sites de Finlande et à Flamanville : des problèmes de conception, ou de fabrication – on parle de « surcharge » pour certaines entreprises ?
Il est important de pouvoir maîtriser l'ensemble de la filière. L'affaire d'Abou Dhabi a fait apparaître que l'EPR était bien placé en matière de sécurité, mais pas de coût. Faut-il arriver à des normes identiques partout dans le monde, ou alors accepter de jouer sur les coûts ?
Enfin, je voudrais quelques détails sur ITER, que vous n'avez pas évoqué, et sur vos problèmes de recrutement concernant, certes, des ingénieurs, mais aussi d'autres métiers comme celui de chaudronnier.
Ma région a la chance d'avoir deux sites AREVA, à Maubeuge et à Jeumont. Le centre d'essais dont nous avons posé la première pierre ensemble est un très bel investissement, dans une région totalement sinistrée au niveau industriel. Quand sera-t-il opérationnel et quels sont les matériels qui y seront testés ?
Je vous remercie d'avoir repris ThyssenKrupp : ce n'est pas tous les jours qu'un géant comme AREVA reprend une entreprise en difficulté. En revanche, et alors que vous étiez engagée sur huit cents embauches en dix ans, les dernières personnes sous CDD formées chez vous n'ont pas reçu le CDI qu'elles attendaient en fin d'année. Quelle en est la raison ? Enfin, quelle est la situation d'AREVA dans l'ensemble de la région Nord ?
Tout le monde ici semble se faire une gloire du greenwashing et croire que c'est bien sûr AREVA, numéro un du nucléaire, qui oeuvre le plus pour le développement durable. Ils réinventent même la méthode Toshiba, au goût écologique ! Tout cela est dit avec un aplomb admirable. Il y a des mensonges une fois sur deux, mais du point de vue rhétorique, c'est très fort. Ceux qui pensent différemment sont sans doute dans l' « idéologie » dont vous avez parlé, c'est-à-dire dans le rêve le plus pur. Mais, à ce compte-là, il faut compter dans leurs rangs plus de la moitié des pays d'Europe, qui ont renoncé au nucléaire.
Vous proposez trois types de réacteurs, pour répondre à ce que vous croyez être une renaissance du nucléaire – je crois que ce n'est qu'une mode. À ce propos, je remarque que, pour éviter de distinguer entre renouvelable et non renouvelable, vous parlez de « carboné » et de « décarboné », lequel inclut le nucléaire. Or, dans les listes positives des énergies renouvelables de l'ONU ou de l'Union européenne, il n'est pas question de « carboné » ou de « décarboné » : il n'y a qu'en France qu'on opère cette distinction !
L'EPR, votre joyau, n'est-il pas quelque peu surdimensionné ? Certains pays n'ont besoin que de réacteurs de 250 ou 500 mégawatts, pas de 1 650. C'est peut-être la raison pour laquelle certains marchés vous ont récemment échappé. Par ailleurs, quels étaient les coûts et les délais initiaux des chantiers finlandais et de Flamanville et quels sont-ils maintenant ?
Enfin, pour ce qui est de Cadarache, les autres instances concernées nous ont expliqué leur vision des choses. Quelle est la vôtre ? Comment un tel incident, assez grave pour que l'ASN s'en émeuve, a-t-il pu se produire ? Par ailleurs, vous avez dit que la communication avait été immédiate entre le CEA et l'ASN, mais la constatation a été faite en juin et les lettres datent d'octobre !
M. Bouillon a montré une connaissance du secteur qui m'impressionne. AREVA, qui vit sur les bases de sa création en 2001, a besoin d'une augmentation de capital comme toutes les grandes entreprises industrielles ou presque en ont mené dans les dix dernières années, et comme le demande son extraordinaire développement. Nous en avons donc recherché les moyens avec notre actionnaire majoritaire, qui nous a demandé de vendre T&D. Ce n'était pas notre choix initial. Nous l'avions achetée en 2004 pour 920 millions d'euros et l'avons vendue plus de 4 milliards. Entre-temps, T&D était passé de 3 à 5 milliards de chiffre d'affaires et avait arrêté de perdre de l'argent pour devenir très profitable. Sur le plan humain, cela a été difficile. Pour ce qui est de l'augmentation de capital, nous sommes en cours de discussion avec des investisseurs stratégiques qui sont convaincus de l'intérêt de l'entreprise et l'État est en train de réfléchir à la valorisation du groupe et aux conditions de leur entrée. Par ailleurs, Eramet et ST Microelectronics étant deux participations cotées, je ne ferai aucun commentaire public à leur sujet.
La troisième révolution énergétique, je persiste et je signe, se fera sur la base du nucléaire et des renouvelables. C'est le « sans CO2 » qui la commande. Il ne s'agit pas de greenwashing, mais d'une greenvision ! Nous n'avons pas plus l'impression de vivre une révolution que ceux qui ont vécu la première et la seconde révolution énergétique, mais tout change quand même. Notre stratégie industrielle est de prendre la vague le mieux possible.
L'Assemblée nationale s'est effectivement penchée à de nombreuses reprises sur la question des déchets et l'OPECST en a même fait un sujet majeur. Le recyclage complet de l'uranium de retraitement en France nécessite une usine de plus, que nous souhaitons construire dans le Tricastin. Il ne nous manque qu'un engagement fort d'EDF, que, j'espère, nous obtiendrons bientôt.
Le MOX est utilisé dans vingt réacteurs en France et de nombreux en Allemagne, ainsi qu'ailleurs en Europe. Notre usine MELOX produit à plein. Nous sommes notamment le grand fournisseur de MOX du Japon. « MOX for Peace » est une superbe opération qui permet de transformer en MOX, pour le brûler, du plutonium non plus de retraitement, mais militaire. C'est aujourd'hui la seule façon prouvée de faire disparaître du plutonium militaire de la planète. Nous avons participé aux États-Unis à l'opération START et sommes en train de construire une usine de MOX à Savannah River, qui permettra la destruction du plutonium militaire américain en excès. Dans la perspective du monde sans arme nucléaire voulu par le président Obama, les futures usines de MOX auront beaucoup de travail !
Pour ce qui concerne le site de Bure, vous avez reçu Mme Dupuis, qui est plus compétente que moi pour en parler. En tout état de cause, nous nous impliquions déjà beaucoup dans l'accompagnement régional et nous souhaitons faire davantage sur le plan industriel : qui connaît le maniement des résidus vitrifiés, sinon AREVA ? Nous allons donc proposer à l'ANDRA des solutions opérationnelles pour le développement du site.
Quant au contrôle commande, si l'on n'entend parler que de celui de l'EPR et pas de celui des autres réacteurs, c'est parce qu'ils ne sont pas du tout au même niveau de certification. Il serait très inquiétant d'entendre parler des problèmes d'I&C (instrumentation and control) de nos concurrents : cela voudrait dire qu'ils sont au même niveau de développement que nous ! Pour le reste, le fait que trois autorités de sûreté s'organisent pour travailler ensemble est une excellente nouvelle. Sinon, chacune fait sa propre homologation dans son pays, avec de fortes divergences. Nous souhaitons la standardisation pour le maximum d'autorités européennes. Ce qui est frappant, c'est que le même communiqué, qui n'a suscité aucune espèce de réaction en Grande-Bretagne et en Finlande, ait soulevé tant d'émotion en France. Sa sortie a en effet coïncidé avec la mise sur le web d'une lettre adressée plus trois mois auparavant par l'autorité de sûreté à EDF, une lettre assez violente qui donnait le sentiment d'un problème significatif sur le contrôle commande.
Pour faire simple, après avoir toujours fait des contrôles commandes analogiques, nous en arrivons au numérique. Les autorités de sûreté n'y sont pas habituées. Une commande numérique a été homologuée sur une génération 2 aux Etats-Unis, mais jamais en Europe. L'EPR est le premier à en proposer. Il est normal que cela soulève des questions. Les autorités de sûreté des différents pays s'acheminent vers des solutions différentes : un panneau de commande purement numérique, ou un gros bouton rouge analogique à pousser en cas de problème. Nous allons trouver une solution dans chaque pays. C'est en Grande-Bretagne qu'elle est la plus avancée. Sur le fond, je ne suis pas du tout inquiète. Ce qui est curieux, c'est l'énorme retentissement que cette problématique a eu en France et qui nous a clairement pénalisés à l'international. Cela nous ramène à la question de la confiance des acteurs et du ton de cette lettre, laquelle a été rendue publique, ce qui ne se serait pas produit dans beaucoup de pays. L'autorité de sûreté britannique a d'ailleurs réaffirmé le 28 novembre sa confiance en AREVA et dans la technologie de l'EPR. Il est étrange que ce soit elle qui le fasse…
Pour ce qui est d'OL3, c'est un premier de série. Nous avons toujours été très transparents : il n'y a jamais eu de révélation brutale, nous avons fait le bilan tous les six mois. Nous avons connu des difficultés liées au fait que c'est un premier de série, liées au client ou liées à certains fournisseurs, qui ont eu beaucoup de mal à se mettre au niveau exigé par les autorités de sûreté. Entre les générations 2 et 3, la différence est en effet colossale. Mais ces difficultés n'ont créé aucun trouble – pas de plan social, pas de problématique de stock-options ! Rien ! Nous avons posé le dôme l'été dernier et en sommes au piping. Les gros éléments sont sur place. Pour ce qui est de la maîtrise de la filière, nous sommes là aussi très atypiques : nous avons totalement intégré les gros composants. Nous sommes industriellement capables de faire tous les composants de centrales nucléaires, sauf les très grosses cuves et les très grosses pièces forgées de l'EPR : nous n'en avions pas les capacités en France. Nous avons passé un accord en 2008 avec ArcelorMittal pour développer la forge d'Industeel, au Creusot, et nous équiper d'une presse permettant de faire les forgés de l'EPR. Nous aurons donc deux sources, japonaise et française, et serons les seuls au monde à être dans ce cas. Et nous nous installons aux États-Unis, à Newport News, pour être implantés en zone dollar.
La décision d'Abou Dhabi pose la question de la sécurité et du coût. Une chose est sûre, c'est que la sécurité coûte ! La génération 3+ que nous vendons est la fille de Three Mile Island et du 11 septembre. Elle a intégré tous les accidents sévères. Il s'agit d'un cube d'acier et de béton : quoi qu'il arrive à l'extérieur – chute d'avions, gros porteurs ou militaires, bombe, missile – il n'y a pas d'impact à l'intérieur et, quoi qu'il arrive à l'intérieur, pas de fuite dans l'air ni dans le sol. Il faut donc mettre beaucoup plus d'acier et de béton que la génération 2, ce qui coûte beaucoup plus cher. D'ailleurs, même au sein des générations 2, les derniers réacteurs sont beaucoup plus chers que les premiers.
La sûreté a toujours un coût. Est-il trop important ? C'est une question légitime. A Abou Dhabi, on a comparé deux projets qui n'avaient ni le même niveau de sûreté, ni la même puissance électrique – une maison de 100 mètres carrés avec une serrure trois points avec une propriété entièrement sécurisée. Cela mène-t-il vers un nucléaire à deux vitesses, ou en resterons-nous au nucléaire le plus exigeant, celui qui a cours aujourd'hui aux États-Unis et en Europe ? En Europe, on ne pourrait pas construire un réacteur coréen tel qu'il a été vendu. Les normes américaines et européennes vont-elles devenir mondiales ? C'est une question commerciale très importante pour nous, même si qui peut le plus peut le moins : quand on sait faire un réacteur 3+, il est très facile de faire un 2+ plus simple, moins cher et moins sûr.
Un réacteur vendu aujourd'hui sera achevé en 2017 et fonctionnera pour soixante ans. La sécurité collective dans le monde de 2050 sera-t-elle grandement améliorée, ou dégradée ? Les générations 2 qui fonctionnent aujourd'hui seront toutes arrêtées en 2030-2035. Nous construisons aujourd'hui pour nos enfants et petits-enfants : c'est une question qui dépasse de loin le seul point de vue commercial. Chez AREVA, nous considérons que nous n'avons qu'une image et qu'une signature, et que ce que nous faisons nous engage pour le très long terme. Mais la réponse à la question dépendra des autorités de sûreté et de leur degré de prosélytisme, comme de la zone du globe concernée : certaines sont plus calmes que d'autres. De grands pays nucléaire comme l'Inde et la Chine font cohabiter aujourd'hui des constructions de générations 2+ et 3+. Que feront-ils dans les dix à quinze ans ? Leur évolution sera très intéressante à observer.
Je précise au passage que, quoi que les Chinois décident, nous serons partie prenante. J'ai été beaucoup critiquée à l'époque, avant d'être encensée, mais nous avons été jusqu'au bout de notre stratégie d'ancrage en Chine : nous développons des joint-ventures pour participer au développement nucléaire chinois, dans les pompes, dans les gros composants et maintenant dans l'ingénierie, les achats et les services. Nous détenons 45 % de la société qui va construire tous les réacteurs 2+ et 3+ de CGNPC, l'un des deux électriciens nucléaires chinois. Nous n'allons pas être « rejetés » à la fin de notre travail, ce qui est fondamental. On a beaucoup daubé sur la Chine, alors soyons prudents sur les sujets plus actuels !
Enfin, concernant la formation, nous rêverions effectivement de trouver des gens formés à l'extérieur, dans tous les nombreux métiers du nucléaire et du renouvelable. Les 40 000 personnes que nous avons recrutées en cinq ans ont coûté 1 milliard d'euros en formation. C'est un investissement colossal. Si la collectivité a envie de m'aider, qu'elle ne se gêne pas ! Et nous avons effectivement besoin de métiers bien particuliers. Nous manquons en particulier terriblement de soudeurs – et pas seulement nous, mais toutes les PME qui travaillent pour nous. Trouvez-nous des soudeurs de qualité !
Pour répondre à Mme Marin, je dirai que notre centre d'essais des groupes motopompes primaires est un événement régional fort, un signe d'espoir : tous les essais de motopompes primaires mondiaux seront faits dans la région. Nous nous sommes engagés à huit cents embauches en dix ans, mais tous nos CDD ne se transforment pas en CDI : notre activité est en effet sinusoïdale, et comme nous n'aimons pas les plans sociaux, nous sommes obligés d'avoir recours aux CDD. Nous assurons aux personnes concernées une formation de grande qualité et nous essayons, si elles ne sont pas reconduites, de les faire embaucher par nos sous-traitants. Jeumont connaîtra un pic d'activité en 2010, mais pas assez de visibilité pour augmenter le nombre de ses CDI actuels.
Enfin, pour ce qui est de la situation d'AREVA dans le Nord, Jeumont est un site très rentable. Les gens y ont un souci de la qualité formidable. Choisir Maubeuge pour notre centre d'essais était donc une évidence. D'une façon plus générale, lorsque nous sommes engagés quelque part, nous y restons.
M. Cochet déplore le greenwashing mais il devrait au contraire se réjouir de faire école et de voir triompher le « sans CO2 » dans une industrie ! Qu'il me permette de rectifier quelques-unes de ses affirmations un peu rapides, concernant notamment les pays qui ont « renoncé au nucléaire » en Europe. Sur les six pays qui avaient une politique antinucléaire marquée, l'Allemagne, l'Italie, la Suède, la Belgique, l'Autriche et l'Irlande, les quatre premiers ont radicalement changé d'avis en 2008 et 2009. Je ne pense pas que l'Irlande et l'Autriche puissent être considérées comme constituant « plus de la moitié » des pays de l'Europe. Et si l'ONU est antinucléaire, il faut lui demander pourquoi je siège au comité exécutif de Global Compact, leur structure pour l'environnement, et cela depuis cinq ans !
Faudrait-il proposer des centrales de 250 ou 500 mégawatts ? Ce sont de toutes petites unités, qu'on pourrait construire à partir des réacteurs de sous-marins nucléaires. Le problème est qu'il faudrait en mettre partout, ce qui est une curieuse suggestion de la part de M. Cochet. Par ailleurs, les exigences de sécurité étant les mêmes, elles reviendraient beaucoup plus cher au kilowattheure produit. Il y a donc une limite économique. En revanche, l'EPR est effectivement trop gros pour certains pays : c'est bien pour cela que nous proposons une gamme de réacteurs ! Il faut sortir de cette obsession franco-française de l'EPR : comme les constructeurs de voitures, nous proposons plusieurs modèles et certains peuvent plaire plus que d'autres. Nous verrons bien dans vingt ans combien nous aurons vendu d'EPR, d'ATMEA et de KERENA.
Cadarache est un centre CEA. Depuis 1991, AREVA en est l'opérateur industriel et le CEA l'exploitant. La définition des rôles est donc très claire. Cette vieille installation a été arrêtée car elle ne répondait plus aux normes anti-sismiques et nous sommes aussi l'opérateur de son démantèlement. L'ensemble des productions a été rapatrié sur le seul site de MELOX – sans plan social par ailleurs. Alors que nous étions en train d'enlever les « boîtes à gants », nous avons déclaré le 17 juin au haut fonctionnaire de défense et de sécurité, à Euratome et au CEA, que la quantité de matière récupérée dans certaines était supérieure à ce qui était attendu : 14,2 kilos au lieu de 7,5. Une réunion a eu lieu et le CEA a ensuite appelé l'Autorité de sûreté nucléaire – dans quelles conditions, je l'ignore : je sais seulement qu'AREVA a fait ce qu'elle avait à faire.
Ces matières ont été accumulées pendant les quarante années de fonctionnement de l'usine. Elles étaient inaccessibles pendant l'exploitation et correspondent à un dix millième du produit MOX qui a transité dans l'usine : rien d'extraordinaire donc, et il est sûr que nous n'avons pas perdu de matière. À aucun moment, les prescriptions de l'ASN pour les opérations de démantèlement n'ont été franchies. L'ASN estime que le CEA aurait dû s'adresser à elle par lettre ou par fax, et le CEA considère qu'il a bien transmis l'information au plus vite. L'instruction est en cours, et je ne peux donc pas faire de commentaires à ce sujet.
Par ailleurs, la différence de poids était-elle prévisible ? Il y a toujours eu des pesées à l'entrée et à la sortie des « boîtes à gants » – il s'agit de microgrammes qui se sont accumulés à chaque fois – et la précision des balances était de 0,05 %. Le plutonium étant un métal très lourd, la quantité de matière en cause reste faible. De toute façon, nous avons des marges considérables entre les limites d'exploitation et tout risque de criticité, des marges qui se retrouvent sur l'ensemble de nos installations. C'est d'ailleurs récurrent : au fil du temps, les obligations qui nous sont faites sont de plus en plus sévères et, puisque nous les remplissons, il faut à chaque fois faire mieux. Le jour où une norme est franchie, tout le monde trouve que c'est affreux, mais la transparence consiste aussi à expliquer que ces dépassements ne présentent aucun danger, ni pour les travailleurs ni pour les populations.
Allons-nous vers un épuisement des ressources en minerai d'uranium, comme pour les énergies fossiles ?
L'ASN a considéré que l'incident de Cadarache n'avait eu aucune conséquence, mais que la sous-estimation de la quantité de plutonium avait conduit AREVA à réduire fortement les marges de sécurité destinées à éviter un accident de criticité. Qu'avez-vous à nous dire à ce sujet ?
Concernant les bioénergies, avez-vous dans vos cartons des projets pour la France ? Si oui, de quelle puissance ?
Vous réfléchissez à l'industrialisation des solutions pour produire de l'hydrogène propre et travaillez sur des opportunités commerciales pour des générateurs à piles à combustibles. Y a-t-il un lien entre ces recherches et les voitures électriques ?
Je voudrais revenir sur l'occasion manquée dans les Émirats. On a mis en cause le pilotage du dossier, le coût de l'EPR, sa taille qui n'était pas adaptée à la demande des Émirats, certains retards à Flamanville ou en Finlande. Quelle est votre analyse de cet échec ?
Où en êtes-vous avec votre actionnaire Siemens, qui a bien du mal à sortir du capital ? L'affaire ne peut-elle être tranchée que par la justice ?
Vous avez décidé d'implanter un centre d'interprétation de la mine d'uranium en Limousin, à Bessines, l'un des derniers sites exploités en France, et je vous en remercie. Mais l'ennoyage des mines, au milieu des années 1990, s'est accompagné d'une baisse progressive de la diffusion de radionucléides dans les eaux. La limite administrative de 3 700 becquerels par kilo de matière sèche a toujours été à peu près respectée, mais on constate des fluctuations des apports en uranium. Même si les experts estiment que le risque radiologique est ténu, voire inexistant, l'opinion publique n'accepterait pas un retour en arrière. Confirmez-vous l'engagement d'AREVA de respecter les niveaux fixés ?
Par ailleurs, l'université de Limoges et un laboratoire privé viennent d'élaborer à partir de sous-produits de la filière bois des biorésines particulièrement performantes, semble-t-il, pour extraire l'uranium des eaux, un procédé parfaitement écocompatible. AREVA compte-t-elle utiliser cette technique ?
En tant que maire d'une collectivité chef de file de toute la coopération décentralisée au Niger, je voudrais savoir quelles sont vos relations avec les autorités politiques de ce pays compte tenu des événements de cet automne et des prises de position du président Tandja. Même si vous avez obtenu l'autorisation d'exploiter la nouvelle mine d'Imouraren, confirmez-vous une forte offensive chinoise en matière de prospection ?
Le Niger est le deuxième pays le plus pauvre du monde et celui qui reçoit le moins d'aides internationales. Pouvez-vous nous dire quelques mots des programmes d'aide aux populations que vous y menez ?
Le montage des dossiers d'aide est très important pour créer un effet de levier et déclencher d'autres aides européennes ou mondiales. Je vous transmets donc une demande officielle de rencontre avec votre société de la part des collectivités locales françaises jumelées avec des collectivités nigériennes.
Je rentre d'un voyage personnel au Niger et je n'ai pas eu le sentiment que la politique d'AREVA soit très connue des populations, ou en tout cas très appréciée, surtout du point de vue sanitaire. J'aimerais des informations précises à ce sujet.
Il s'agit d'un pays très pauvre dont la population explose. Quelles sont les perspectives d'aide, à moyen et long terme ? Comment montez-vous les dossiers, et avec qui ? Les besoins sont énormes et la population garde le sentiment d'être exploitée.
Vous avez parlé tout à l'heure de la cession de T&D sous l'angle financier, mais pour quelles raisons, d'un point de vue stratégique cette fois, souhaitiez-vous le conserver ?
Vous parlez d'une croissance de 8,5 % par an des énergies renouvelables. Votre chiffre d'affaires progressant quant à lui de 30 %, cela ne fait pas d'AREVA une entreprise très en pointe dans ce domaine. Quelle est votre stratégie ? À quel horizon ITER pourrait-il se substituer à la ressource uranium ?
En décembre 2009, Frédéric De Agostini, directeur du site d'AREVA au Tricastin, indiquait qu'EDF ne souhaitait pas renouveler son contrat de fourniture de combustible nucléaire, au profit du russe Tenex ou des groupes américain ou anglo-germano-néerlandais. Vous aviez prévu la fermeture de cette usine en 2012, remplacée par la toute nouvelle usine Georges-Besse II. Si la décision d'EDF, unique client du site de Tricastin, est maintenue, une fermeture anticipée serait inévitable, menaçant l'emploi de cinq cents personnes. M. De Agostini avait dit négocier avec EDF la reconduction du contrat. Quel est l'état du dossier ? Après tous les surcoûts qu'il a connus, à combien estimez-vous le montant final de l'EPR ?
Quel est le potentiel français en matière d'éolien offshore ?
Vous êtes déjà très présents aux États-Unis et avez annoncé un partenariat avec Fresno. De nombreuses autres tentatives n'ont pas abouti, notamment dans le domaine du retraitement des déchets. Comment comptez-vous surmonter les obstacles qui se posent inévitablement dans ce pays ?
Quels sont les projets d'éolien offshore qui existent en Europe, et surtout en France ? Quant à la biomasse, et au-delà de l'acquisition de Koblitz, le leader brésilien en la matière, quelle est votre analyse sur l'avenir de la filière ? Avez-vous dans ce secteur d'autres projets en Europe et en France ?
Une piste, pour valoriser au mieux la technologie nucléaire, pourrait être le stockage d'énergie, qui passe par l'hydrogène. Alors que d'autres pays ont fait des efforts importants en la matière, la France semble marquer le pas. Où en êtes-vous ? Avez-vous des projets d'expérimentation ?
n parle beaucoup de l'image brouillée d'AREVA à l'international : EPR de Finlande, panneau de commande numérique, que l'ASN pourtant ne découvrait pas puisqu'elle avait validé les étapes de la simulation – et même si le fait que trois autorités de sûreté parlent dans le même sens est tout de même assez rare – échec d'Abou Dhabi, avec quelques réussites il est vrai en Chine. Ce qui frappe, c'est la cacophonie des opérateurs du nucléaire en France au moment où il faudrait valoriser notre expertise, quel que soit le jugement de valeur qu'on peut porter sur le nucléaire au fond, au profit de l'emploi. Entre EDF, Alstom, l'ASN et AREVA, il y a plus de divergences que de convergences !
En outre, le fait que nous comptions treize centrales indisponibles fin décembre ne traduit-il pas un problème de maintenance et de formation ? N'aurait-on pas embauché à une époque trop de financiers et de commerciaux au détriment des techniciens, alors que toute la génération de l'expertise Framatome a disparu, laquelle va être suivie par toute une génération EDF ? Il semble urgent de remettre des formations en place. Quel rôle allez-vous y tenir ? Vous êtes allée récemment vendre des formations en Chine, notamment avec l'Institut national polytechnique de Grenoble, qui vient justement de supprimer des formations pour manque de demandes. Il y a donc bien un problème de compétences !
Quelles sont les perspectives en matière de fusion à neutrons rapides ? Cette filière a-t-elle été complètement abandonnée ?
Merci encore, madame, d'avoir fait en sorte que nous puissions réaliser une zone d'activités sur l'ancien site d'extraction d'uranium de la Cogema à Lodève. Mais un nouveau problème se présente aux portes de Montpellier, sur la commune de Fabrègues : à côté d'une usine AREVA, dont je salue l'efficacité et le rôle social et industriel, devrait se monter une unité de traitement des déchets. Tous les bruits courent. AREVA est-elle oui ou non menacée de fermeture si la Sita s'installe ?
Les sites de Jeumont et de Maubeuge se trouvent dans une région en pleine difficulté. Vous avez suggéré un partenariat avec l'université. Comment faire pour assurer des retombées locales, notamment pour conserver la matière grise sur notre territoire ?
On dit de vous, madame, que vous êtes une maîtresse femme. Quelle est donc votre définition de la maîtrise ? Par exemple, quel est votre niveau de maîtrise du modèle de l'énergie nucléaire, alors qu'on entend beaucoup de choses concernant votre influence sur les orientations de l'État, sur EDF ou sur votre fameuse « stratégie Nespresso » ? Quel est, alors que votre branche de transport et de distribution a été vendue pour dégager des moyens, votre niveau de maîtrise de l'approvisionnement en combustible nucléaire, notamment en termes d'exploration et d'exploitation des ressources minières ? Et quel est votre niveau de maîtrise de la sous-traitance, alors que vous parlez vous-même de maîtrise de la filière nucléaire ? Cela implique-t-il une intégration aussi complète que possible, ou conservez-vous une sous-traitance et avec quelle participation de l'État, pour assurer la maîtrise de la filière ?
L'uranium a fait pendant douze ou quinze ans l'objet d'un dumping très important des Russes, qui vendaient à bas prix leurs surplus militaires. Parmi les acteurs mondiaux, seuls Cameco et Cogema, devenue AREVA, ont continué à en produire. Le prix de l'uranium est monté jusqu'à 130 dollars la livre. Il a baissé à cause de la crise, mais tourne encore autour de 47 dollars, contre 7 en 2000. À 7 dollars, il va de soi que les réserves d'uranium dans le monde dureront beaucoup moins longtemps qu'à 50.
On estime les réserves prouvées aujourd'hui à environ soixante-dix ans, en tenant compte du fait que l'exploration a été stoppée pendant quinze ans. Si nous lançons la génération 4, à laquelle le grand emprunt devrait dédier 900 millions, nous monterons à 5 000 ans de réserves d'uranium. Il n'y a donc pas de problème de manque d'uranium pour le nucléaire. Notre problème, c'est de devenir un « grand de l'uranium » au niveau mondial, d'être bien placé dans la géopolitique des réserves. Or nous sommes devenus en 2009 le premier producteur mondial. Nous avons doublé notre production depuis le début de la décennie, grâce à un effort constant, et beaucoup élargi nos sources, qui étaient concentrées sur peu de pays, ce qui nous donne un équilibre géopolitique beaucoup plus fort.
Quand y aura-t-il des projets de bioénergie en France ? Je me pose moi-même la question. Nous menons des projets pour nos propres besoins, notamment à la Hague pour remplacer les centrales au fioul. Pour le reste, nous avons soumissionné à de nombreuses reprises, mais ce sont généralement les moins-disants qui sont retenus, mais dont le projet n'est souvent pas viable. Il y a donc un véritable problème de développement de la biomasse en France. Nous voulons améliorer les choses, mais nous n'arrivons pas à démarrer.
L'hydrogène est effectivement la façon moderne de parvenir à stocker de l'électricité, qui a des développements notamment dans les voitures électriques. Nous agissons dans ce domaine. Nous avons vendu des systèmes, par exemple à Saclay, qui fonctionnent très bien depuis deux ans et demi. Nous commençons donc à avoir des références industrielles. Nous nous intéressons aussi au domaine des transports urbains et travaillons notamment avec la ville de Lyon à une réduction globale de ses émissions de CO2.
La décision d'Abou Dhabi, pour répondre à M. Gonnot, n'est pas due à un problème de taille de l'EPR, ni de pilotage du dossier, qui a été assuré de façon remarquable par Claude Guéant. Le fait est que les Émirati exigeaient de ne traiter qu'avec un contracteur unique. Or, AREVA n'est pas capable de se lancer seule dans un pays qui fait du nouveau nucléaire sans opérateur : ce n'est pas notre métier, c'est celui de nos clients. Je suis donc allée voir le président d'EDF, très en amont, pour lui demander de se présenter. Il a refusé une première fois parce que selon lui le projet avait peu de chance de voir le jour, et une seconde fois parce que ce n'était pas un pays stratégique. Nous sommes donc partis dans l'aventure avec GDF-Suez, qui en avait très envie, et Total, le « local de l'étape », à raison de 45 % pour chacun d'eux et 10 % pour AREVA. Il est donc clair que nous n'avons jamais voulu être le leader de l'opération – d'ailleurs, nous ne pouvions pas l'être.
Dans le même temps, la France a confié un deuxième EPR à EDF. Les Émirati se sont donc interrogés, à bon droit, sur le point de savoir pourquoi on leur envoyait un opérateur qui n'avait pas d'expérience sur EPR et ont demandé qu'EDF soit présent dans le projet. Tout le problème a été de l'y inclure d'une manière harmonieuse. Nous avons tout fait, comme nous le faisons toujours, pour gagner, mais cela nous a gênés. Il faut bien comprendre que nous ne sommes chargés que de la construction : en aucune façon, nous ne pouvons être opérateur. Si certains ont parfois envie de faire notre métier, nous n'avons aucune envie de faire le leur.
Les retards d'OL3 ou de Flamanville ne nous ont absolument pas desservis : au contraire, ils accentuaient le fait que nous, nous construisions pour de vrai. Les Coréens n'étaient jamais sortis de leur pays et ont choisi de payer cher leur première référence internationale. Nous, nous n'étions pas là pour perdre de l'argent – je vous rappelle que, sans performance économique, il n'y a pas de développement durable. Mais ce qui est extraordinaire, c'est toute la réaction franco-française qu'a suscitée cette affaire. Au même moment, entre Noël et le Nouvel an, nous avons annoncé la vente de deux EPR en Californie – qui aurait pensé il y a quelques années que nous en serions capables ? –, mais personne n'en parle ! Vaut-il mieux signer un contrat qui fait rire un mois et pleurer quinze ans, ou savoir refuser un prix trop bas ? Nous sommes peut être déçus mais nous continuons à mener notre business, le tout en croissance constante.
Il y a deux sortes de pays qui font du nouveau nucléaire – même si les anciens nous suffiraient largement pour bien vivre. Pour 80 % des cas, ils ont déjà du nucléaire. Il y a donc déjà un client, un électricien nucléaire, avec lequel AREVA est en lien direct. Mais, pour les nouveaux pays, une organisation très spéciale est indispensable : il faut que l'ASN soit capable d'aller dans ces pays pour y former des équipes à la sûreté nucléaire, il faut que la nouvelle agence, l'AFNI, chargée de la promotion institutionnelle à l'international, s'améliore quelque peu par rapport au dossier des Émirats arabes unis, il faut décider de quel électricien prend la tête et dans quelles conditions, choisir un modèle – EPR, ATMEA… Tout cela doit être fait à l'avance. Nous connaissons très bien ces nouveaux pays, nous avons des contacts, nous avons commencé des formations à notre niveau. Il reste maintenant à prendre le taureau par les cornes.
Siemens a souhaité remonter au niveau du capital d'AREVA. Il n'a pas obtenu de réponse des gouvernements français successifs et a finalement décidé de sortir du processus, en suivant le processus contractuel de détermination de la valeur de ses parts à dire d'expert pour éviter, quel que soit le résultat, des discussions entre actionnaires, par exemple. Les choses se passent de manière très civilisée. Nous allons d'ailleurs continuer de collaborer avec Siemens un accord sur les dix prochaines années dans le contrôle commande : il ne s'agit donc pas d'un divorce où l'on compte les petites cuillers.
Je préciserai à Mme Pérol-Dumont que les fluctuations d'uranium sont naturelles. Le Limousin est bourré d'uranium et nous ne pouvons pas être comptables de la géologie locale. AREVA tiendra ses engagements. En tout, de 50 à 60 % des sites d'uranium en France ont été explorés ou exploités par le CEA ou la Cogema, mais AREVA a tellement le sens des responsabilités qu'elle les reprend tous en charge, sans discuter à l'infini pour savoir qui exploitait telle ou telle parcelle. Elle effectue un inventaire et un diagnostic de l'ensemble des sites français. Quant au nouveau procédé d'extraction de l'uranium, nous avons un contact avec l'équipe de Limoges et sommes en train d'étudier ce que nous allons faire avec eux.
Monsieur Saddier, une offensive chinoise est en cours sur le Niger comme dans toute l'Afrique. Mais nous ne nous débrouillons pas mal. Imouraren, la plus grosse mine d'uranium d'Afrique, est pour nous. C'est justice, parce que c'est nous qui l'avons trouvée, mais il y a eu des moments que je qualifierai de tangents.
Je suis extrêmement préoccupée que l'Union européenne ait suspendu son programme d'aides au Niger. J'ai rencontré à plusieurs reprises le Premier ministre de ce pays à ce sujet. Il faut absolument faire comprendre à la Commission européenne qu'une suspension durable serait absolument dramatique pour la population. Je suis tout à fait prête à recevoir les collectivités locales françaises qui s'impliquent dans ce domaine.
Madame Gaillard, vous n'avez certainement pas pu vous rendre dans la zone du Niger dans laquelle est située la mine en question, car elle est interdite à la visite en raison des risques d'enlèvement. Les gens qui vous ont parlé ne profitent donc pas de notre programme. Or il existe une véritable jalousie : jusqu'à une loi nouvelle, les fruits de notre présence – nous sommes la première source de revenus du Niger – n'étaient sensibles que localement, et à la rigueur à Niamey. La répartition a été améliorée.
Nos efforts au Niger sont importants. Nous avons d'abord payé l'uranium plus cher que les cours mondiaux pendant vingt ans. Nous avons révisé les contrats à la hausse de 100 % entre 2007 et 2008. Nous avons signé une convention minière extrêmement novatrice à Imouraren, qui prévoit un partage des richesses sur le long terme avec le Niger. Quelle que soit la valeur de l'uranium, nous partagerons. Je suis convaincue que, si nous voulons rester les quarante prochaines années au Niger, c'est la seule méthode. Nous ne devons pas être perçus comme des gens qui prennent et qui partent, mais comme des gens qui participent au développement de ce pays, lequel connaît une explosion démographique et se dessèche à vue d'oeil. C'est un engagement très fort de l'entreprise, qui ne variera pas. Notre transparence est totale. Nous travaillons avec Sherpa et avec Médecins du monde et avons signé un accord pour ce qui est des problématiques de santé. Il est surréaliste de voir des associations disserter, par militantisme antinucléaire, sur les problèmes de santé de nos salariés alors que leur espérance de vie est sans commune mesure avec, hélas, celle constatée au Niger. J'ai remis récemment des médailles du travail à des personnes qui avaient travaillé trente ans dans l'entreprise et dont beaucoup de Nigérians peuvent envier la santé.
Y avait-il des synergies entre T&D et le nucléaire, d'une part, et le renouvelable de l'autre ? Oui ! Lorsque vous installez un réacteur nucléaire à un endroit, il faut que le réseau puisse le supporter, et c'est encore plus vrai lorsque vous mettez du renouvelable : greffer des éoliennes sur un réseau est extrêmement compliqué. Nous avions développé dans T&D une spécialisation sur le branchement des renouvelables. Mais c'est l'actionnaire qui décide : la « maîtresse femme » sait qu'elle n'est pas propriétaire de cette entreprise – ce qui devrait par ailleurs être une opinion plus universelle chez les chefs d'entreprises.
Pour ce qui est des énergies renouvelables, nous avons une croissance très forte, avec un carnet de commandes de plus de 1 milliard d'euros, qui augmente plus vite que le marché. Par ailleurs, ITER est encore dans le domaine de la recherche. Les premiers résultats sont attendus vers 2025-2030 et l'industrialisation vers 2040 dans le meilleur des cas, plus probablement vers 2050 ou 2070. La moitié de la communauté scientifique considère que le projet est très intéressant, et l'autre moitié que c'est de l'argent « fichu en l'air ». C'est le propre de la recherche et développement.
(Mme Fabienne Labrette-Ménager remplace M. Christian Jacob à la présidence)
Mme Reynaud m'a interrogée sur Eurodif. Nous sommes très inquiets. Eurodif devait fermer à la fin de 2012. Certains chez EDF parlent de la fin de 2010. Peut-être dans cette entreprise le pouvoir a-t-il été pris par les seuls acheteurs, au détriment des techniciens et des politiques. Le résultat affecte des réacteurs qui ont été construits pour servir Eurodif et qui font partie d'un traité international. Il y a 500 emplois en cause, en plus d'une question structurelle : allons-nous dépendre des Russes pour notre enrichissement ? La déclaration de Corfou limite les importations russes à 20 %, pour éviter ce qui s'est passé avec l'uranium – que toute industrie s'arrête en Europe –. Si l'on stoppe Eurodif en 2010, c'est pour acheter des unités de travail de séparation (UTS) russes et faire sauter ce plafond. Mais si on n'a pas de perspectives suffisantes, on peut se poser la question de la pertinence d'investir 3 milliards d'euros dans la construction de l'usine Georges Besse II. Henri Proglio a appelé à ce qu'il y ait un chef de file, un capitaine de l'équipe nucléaire France. Le capitaine de l'équipe de France, c'est l'Etat, comme l'a tranché le Premier ministre. Il faut un chef de file. Je souhaite que ce soit EDF en France, mais qu'il retrouve le sens des intérêts communs de l'équipe, à commencer par ses investissements en France. Bref, Eurodif est aujourd'hui un véritable cas d'école.
Pour ce qui est de l'éolien offshore, le potentiel français est assez considérable, puisque nous avons les plus longues côtes d'Europe, et le procédé est moins polémique que l'éolien intérieur. Nous souhaitons le développer, mais nos capacités sont beaucoup plus engagées en Allemagne qu'en France. Des pays comme la Grande-Bretagne ou la Chine ont une politique très dynamique en la matière, mais j'aimerais bien y travailler en France.
Nous sommes en plein développement aux États-Unis et y sommes devenus numéro un sans aucune grosse acquisition – en procédant pas à pas, par une croissance organique. Nous y employons 7 000 personnes. Nous voulons continuer de développer le nucléaire américain et devenir l'acteur de référence du pays.
Je regrette beaucoup la cacophonie des acteurs français du nucléaire. Je n'y ajoute guère, même si tout le monde parle de moi. Je suis la seule à ne pas m'être exprimée publiquement sur Abou Dhabi jusqu'à ce matin. Si l'on veut une équipe France, il faut se serrer les coudes, et non passer son temps à critiquer les autres ! Il faut prendre de l'altitude.
Nous sommes dans une compétition mondiale, et nous avons des atouts formidables. AREVA a su voir avant les autres le redémarrage du nucléaire : nous avons embauché depuis 2004, ce qui n'est pas le cas de nos grands clients. Faire cet effort aujourd'hui est pour eux un enjeu considérable, je le comprends, mais ils doivent se rendre compte que nous avons dépassé ce stade. Nous avons un campus, à Aix-en-Provence, qui accueille tous nos employés d'Europe pour une semaine de formation. Nous ne faisons pas une publicité colossale à ce propos, mais cela fait longtemps que nous ne nous demandons plus s'il est vraiment opportun de s'engager dans la formation – et si nous ne l'avions pas fait, nous n'aurions jamais pu gérer notre croissance.
Mais chacun doit travailler dans son genre de beauté. Nous savons très bien qui nous sommes : des fournisseurs de solutions sans CO2 aux électriciens. Pas question de faire leur métier. Pourquoi viendraient-ils faire le nôtre ? Et, s'ils le faisaient, leurs concurrents ne viendraient plus s'approvisionner chez nous. Les électriciens sont en pleine compétition. Nous sommes le premier fournisseur d'EDF, mais aussi d'E.ON et de GDF. Nous devons savoir bâtir des murailles de Chine entre eux : partager leur stratégie sans la raconter au voisin. Il faut donc que chacun retrouve ses compétences et ses domaines d'excellence : la France a une chance formidable de pouvoir aligner EDF, GDF-Suez, Total, AREVA, Alstom et les grands du génie civil !
À Fabrègues, nous sommes très préoccupés par l'installation d'une décharge qui est certes une nécessité pour Montpellier, mais qui s'installerait à côté de l'endroit où nous fabriquons les maisonnettes qui abritent les postes à haute tension, lesquelles doivent être livrées sans aucun défaut. Sans compter que, si un rat grignotait les câbles à haute tension que nous livrons, ce serait une catastrophe. Nous demandons donc à Sita de nous assurer qu'il n'y aura ni rongeur, ni individu volant à projections multiples. Sinon, nous nous installerons ailleurs. En tout état de cause, il n'est pas possible de travailler sur des blocs à haute tension là où il y a des rongeurs.
Comment mobiliser un territoire autour de l'université ? C'est une question que nous nous posons dans beaucoup d'endroits de France. Nous sommes prêts à travailler non seulement avec l'université, mais aussi au niveau des qualifications des métiers à forte valeur ajoutée, comme celui de soudeur.
M. Chassaigne, c'est la première fois qu'on me dit que je suis une « maîtresse femme ». Ce qui est sûr, c'est que toutes vos questions m'apprennent beaucoup de choses. Cela va faire onze ans que je suis dans l'énergie, et onze ans que j'apprends. Vous pouvez être assurés que j'entends chacune de vos questions.
Il n'est pas question d'intégrer tous nos sous-traitants : en revanche, nous privilégions des partenariats de long terme. Nous avons défini le label AREVA, qui a été remis à cent vingt entreprises françaises que nous suivons particulièrement. Pour faire face à la crise, nous avons également mis en place un système d'accompagnement des entreprises en détresse qui travaillent pour nous. Nous avons pu nous faire leur intermédiaire auprès du FSI ou des banques, par exemple.
Quant à la maîtrise de notre modèle économique, je parle toujours du « modèle Nespresso » parce qu'il est très compliqué d'expliquer réellement notre activité. Nous faisons donc les cafetières, et le café qui va avec. Au début, les cafetières de nouvelle génération ne font pas gagner beaucoup d'argent : beaucoup moins en tout cas que les capsules. Dans un splendide magasin, on peut vous présenter des cafetières comme des objets de luxe : elles sont infiniment plus chères que celles d'un hypermarché, mais des clients les achètent, ce qui crée une dépendance. Il en est exactement de même pour nous : lorsqu'on vend un réacteur, on vend le cycle qui suit. La question est donc de savoir si nous voulons être uniquement une boutique de « haut de gamme » ou si nous continuons à produire une marque beaucoup plus grand public, pour laquelle nous serons en compétition avec des joueurs « plus bas de gamme ». La question n'est pas tranchée, mais qui peut le plus peut le moins, je le répète. En tout cas, c'est le sujet des prochains mois.
Enfin, pour ce qui est de la maîtrise à long terme de l'uranium, nous sommes devenus le premier producteur mondial. En obtenant le permis d'exploitation d'Imouraren, en démarrant la Namibie, la Centrafrique, la Mongolie, le Kazakshstan, en nous développant au Canada, nous travaillons pour l'avenir car la mine est un exercice de très long terme. Nous avons vingt ans d'excellente visibilité dans ce secteur, visibilité que nous avions perdue auparavant. Il serait possible de gérer AREVA différemment : si l'on ne réalisait pas tous les recrutements, cela ne se verrait pas immédiatement ; si l'on réduisait la formation, cela se sentirait à peine au début ; si l'on n'effectuait pas tous ces investissements, ce serait dramatique un jour, mais pas tout de suite. La profitabilité serait alors doublée à court terme, mais pas très durable. Notre investissement matériel et humain nous permet d'asseoir notre leadership futur, mais ce n'est pas quelque chose dont tout le monde vous sait gré à court terme.
Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
Réunion du mercredi 13 janvier 2010 à 9 h 30
Présents. - M. Yves Albarello, M. Jérôme Bignon, M. Philippe Boënnec, M. Maxime Bono, M. Christophe Bouillon, Mme Françoise Branget, M. Jean-Paul Chanteguet, M. André Chassaigne, M. Yves Cochet, Mme Claude Darciaux, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Stéphane Demilly, M. Philippe Duron, M. Albert Facon, M. Daniel Fidelin, Mme Geneviève Gaillard, M. Joël Giraud, M. François-Michel Gonnot, M. François Grosdidier, M. Serge Grouard, M. Michel Havard, M. Christian Jacob, M. Armand Jung, M. Jacques Kossowski, Mme Fabienne Labrette-Ménager, Mme Conchita Lacuey, M. Pierre Lang, M. Thierry Lazaro, M. Jean-Marc Lefranc, M. Jacques Le Nay, M. Gérard Lorgeoux, M. Jean-Pierre Marcon, Mme Christine Marin, M. Philippe Martin, M. Philippe Meunier, M. Bertrand Pancher, M. Yanick Paternotte, M. Christian Patria, M. Jean-Luc Pérat, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. Martial Saddier, M. Jean-Marie Sermier, M. Philippe Tourtelier, M. André Vézinhet
Excusés. - M. Lucien Degauchy, M. Yannick Favennec, Mme Annick Lepetit
Assistaient également à la réunion. - M. François Brottes, Mme Geneviève Fioraso