Mme Reynaud m'a interrogée sur Eurodif. Nous sommes très inquiets. Eurodif devait fermer à la fin de 2012. Certains chez EDF parlent de la fin de 2010. Peut-être dans cette entreprise le pouvoir a-t-il été pris par les seuls acheteurs, au détriment des techniciens et des politiques. Le résultat affecte des réacteurs qui ont été construits pour servir Eurodif et qui font partie d'un traité international. Il y a 500 emplois en cause, en plus d'une question structurelle : allons-nous dépendre des Russes pour notre enrichissement ? La déclaration de Corfou limite les importations russes à 20 %, pour éviter ce qui s'est passé avec l'uranium – que toute industrie s'arrête en Europe –. Si l'on stoppe Eurodif en 2010, c'est pour acheter des unités de travail de séparation (UTS) russes et faire sauter ce plafond. Mais si on n'a pas de perspectives suffisantes, on peut se poser la question de la pertinence d'investir 3 milliards d'euros dans la construction de l'usine Georges Besse II. Henri Proglio a appelé à ce qu'il y ait un chef de file, un capitaine de l'équipe nucléaire France. Le capitaine de l'équipe de France, c'est l'Etat, comme l'a tranché le Premier ministre. Il faut un chef de file. Je souhaite que ce soit EDF en France, mais qu'il retrouve le sens des intérêts communs de l'équipe, à commencer par ses investissements en France. Bref, Eurodif est aujourd'hui un véritable cas d'école.
Pour ce qui est de l'éolien offshore, le potentiel français est assez considérable, puisque nous avons les plus longues côtes d'Europe, et le procédé est moins polémique que l'éolien intérieur. Nous souhaitons le développer, mais nos capacités sont beaucoup plus engagées en Allemagne qu'en France. Des pays comme la Grande-Bretagne ou la Chine ont une politique très dynamique en la matière, mais j'aimerais bien y travailler en France.
Nous sommes en plein développement aux États-Unis et y sommes devenus numéro un sans aucune grosse acquisition – en procédant pas à pas, par une croissance organique. Nous y employons 7 000 personnes. Nous voulons continuer de développer le nucléaire américain et devenir l'acteur de référence du pays.
Je regrette beaucoup la cacophonie des acteurs français du nucléaire. Je n'y ajoute guère, même si tout le monde parle de moi. Je suis la seule à ne pas m'être exprimée publiquement sur Abou Dhabi jusqu'à ce matin. Si l'on veut une équipe France, il faut se serrer les coudes, et non passer son temps à critiquer les autres ! Il faut prendre de l'altitude.
Nous sommes dans une compétition mondiale, et nous avons des atouts formidables. AREVA a su voir avant les autres le redémarrage du nucléaire : nous avons embauché depuis 2004, ce qui n'est pas le cas de nos grands clients. Faire cet effort aujourd'hui est pour eux un enjeu considérable, je le comprends, mais ils doivent se rendre compte que nous avons dépassé ce stade. Nous avons un campus, à Aix-en-Provence, qui accueille tous nos employés d'Europe pour une semaine de formation. Nous ne faisons pas une publicité colossale à ce propos, mais cela fait longtemps que nous ne nous demandons plus s'il est vraiment opportun de s'engager dans la formation – et si nous ne l'avions pas fait, nous n'aurions jamais pu gérer notre croissance.
Mais chacun doit travailler dans son genre de beauté. Nous savons très bien qui nous sommes : des fournisseurs de solutions sans CO2 aux électriciens. Pas question de faire leur métier. Pourquoi viendraient-ils faire le nôtre ? Et, s'ils le faisaient, leurs concurrents ne viendraient plus s'approvisionner chez nous. Les électriciens sont en pleine compétition. Nous sommes le premier fournisseur d'EDF, mais aussi d'E.ON et de GDF. Nous devons savoir bâtir des murailles de Chine entre eux : partager leur stratégie sans la raconter au voisin. Il faut donc que chacun retrouve ses compétences et ses domaines d'excellence : la France a une chance formidable de pouvoir aligner EDF, GDF-Suez, Total, AREVA, Alstom et les grands du génie civil !
À Fabrègues, nous sommes très préoccupés par l'installation d'une décharge qui est certes une nécessité pour Montpellier, mais qui s'installerait à côté de l'endroit où nous fabriquons les maisonnettes qui abritent les postes à haute tension, lesquelles doivent être livrées sans aucun défaut. Sans compter que, si un rat grignotait les câbles à haute tension que nous livrons, ce serait une catastrophe. Nous demandons donc à Sita de nous assurer qu'il n'y aura ni rongeur, ni individu volant à projections multiples. Sinon, nous nous installerons ailleurs. En tout état de cause, il n'est pas possible de travailler sur des blocs à haute tension là où il y a des rongeurs.
Comment mobiliser un territoire autour de l'université ? C'est une question que nous nous posons dans beaucoup d'endroits de France. Nous sommes prêts à travailler non seulement avec l'université, mais aussi au niveau des qualifications des métiers à forte valeur ajoutée, comme celui de soudeur.
M. Chassaigne, c'est la première fois qu'on me dit que je suis une « maîtresse femme ». Ce qui est sûr, c'est que toutes vos questions m'apprennent beaucoup de choses. Cela va faire onze ans que je suis dans l'énergie, et onze ans que j'apprends. Vous pouvez être assurés que j'entends chacune de vos questions.
Il n'est pas question d'intégrer tous nos sous-traitants : en revanche, nous privilégions des partenariats de long terme. Nous avons défini le label AREVA, qui a été remis à cent vingt entreprises françaises que nous suivons particulièrement. Pour faire face à la crise, nous avons également mis en place un système d'accompagnement des entreprises en détresse qui travaillent pour nous. Nous avons pu nous faire leur intermédiaire auprès du FSI ou des banques, par exemple.
Quant à la maîtrise de notre modèle économique, je parle toujours du « modèle Nespresso » parce qu'il est très compliqué d'expliquer réellement notre activité. Nous faisons donc les cafetières, et le café qui va avec. Au début, les cafetières de nouvelle génération ne font pas gagner beaucoup d'argent : beaucoup moins en tout cas que les capsules. Dans un splendide magasin, on peut vous présenter des cafetières comme des objets de luxe : elles sont infiniment plus chères que celles d'un hypermarché, mais des clients les achètent, ce qui crée une dépendance. Il en est exactement de même pour nous : lorsqu'on vend un réacteur, on vend le cycle qui suit. La question est donc de savoir si nous voulons être uniquement une boutique de « haut de gamme » ou si nous continuons à produire une marque beaucoup plus grand public, pour laquelle nous serons en compétition avec des joueurs « plus bas de gamme ». La question n'est pas tranchée, mais qui peut le plus peut le moins, je le répète. En tout cas, c'est le sujet des prochains mois.
Enfin, pour ce qui est de la maîtrise à long terme de l'uranium, nous sommes devenus le premier producteur mondial. En obtenant le permis d'exploitation d'Imouraren, en démarrant la Namibie, la Centrafrique, la Mongolie, le Kazakshstan, en nous développant au Canada, nous travaillons pour l'avenir car la mine est un exercice de très long terme. Nous avons vingt ans d'excellente visibilité dans ce secteur, visibilité que nous avions perdue auparavant. Il serait possible de gérer AREVA différemment : si l'on ne réalisait pas tous les recrutements, cela ne se verrait pas immédiatement ; si l'on réduisait la formation, cela se sentirait à peine au début ; si l'on n'effectuait pas tous ces investissements, ce serait dramatique un jour, mais pas tout de suite. La profitabilité serait alors doublée à court terme, mais pas très durable. Notre investissement matériel et humain nous permet d'asseoir notre leadership futur, mais ce n'est pas quelque chose dont tout le monde vous sait gré à court terme.