Commission des affaires économiques
La commission a examiné le rapport sur l'application de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement (M. Gérard Hamel, rapporteur, et M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur-adjoint).
Mes chers collègues, nous allons examiner aujourd'hui le rapport d'application de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement. Je laisse le soin à MM. Gérard Hamel, rapporteur et Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur-adjoint, d'organiser leur présentation.
Adoptée sous la précédente législature, la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement se fixait un objectif majeur : lutter contre la crise du logement en complétant les dispositions du plan de cohésion sociale.
En effet, alors qu'en 1970, le logement représentait 15 % des dépenses des ménages, ceux-ci ont vu leur pouvoir d'achat affecté par la hausse des prix de l'immobilier : le logement représente désormais 25 % de leurs dépenses.
C'est dans ce contexte que le projet de loi portant engagement national pour le logement a été déposé au Parlement le 27 octobre 2005, constituant la traduction législative du « pacte national pour le logement » présenté par le Premier ministre en septembre 2005, dans la continuité du programme national pour la rénovation urbaine et du plan de cohésion sociale mis en oeuvre par le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale, et du logement, M. Jean-Louis Borloo.
Ne comprenant à l'origine qu'onze articles, le texte a été considérablement enrichi au cours des deux lectures dans chaque assemblée, comportant, au terme de la navette, 112 articles.
Adoptée définitivement par le Parlement le 30 juin 2006, la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement est fondée sur une logique incitative, que traduisent les nombreuses mesures fiscales du texte, et ce, avec le souci de répondre à la crise du logement que traverse notre pays. La loi s'articule autour de trois volets : un volet urbanisme, un volet logement, et un volet consacré aux règles de construction.
Le présent rapport se veut un bilan de son application réglementaire, plus de trois ans après l'adoption de la loi. Nous avons eu l'occasion, dans ce cadre, de nous déplacer sur le terrain et d'entendre les acteurs concernés par les dispositions du texte.
De nos travaux, il ressort quatre constats majeurs :
– très dense, la loi « ENL » est fort ambitieuse, tant dans les objectifs qu'elle définit que dans les moyens qu'elle met en place ;
– cependant, son application réglementaire a été relativement lente et demeure inachevée ;
– certains de ses mécanismes, parfois complexes, sont souvent méconnus ;
– enfin, les nombreuses modifications apportées à la loi depuis juillet 2006 illustrent le décalage entre rythme d'adoption et rythme d'application de la loi.
Premier point : la loi ENL constituait à l'origine une loi ambitieuse dont je souhaite rappeler brièvement ici les principaux objets.
Le volet urbanisme de la loi regroupe des dispositions visant à faciliter la réalisation de logements sur les terrains publics, à assurer la sécurité juridique des autorisations d'urbanisme et des constructions existantes, à améliorer les outils d'acquisition foncière, à accroître la transparence du marché foncier et à aider les maires bâtisseurs à libérer du foncier pour construire des logements.
S'agissant du volet logement, la loi prévoit des dispositions pour favoriser l'accession sociale à la propriété, développer, dans le sillage de la loi de programmation pour la cohésion sociale, l'offre de logements locatifs privés à loyer modéré, lutter contre l'insalubrité et la vacance des logements, étendre les compétences des bailleurs sociaux tout en réformant le statut de certains d'entre eux – les offices d'HLM –, renforcer la mixité sociale de l'habitat, aider les personnes les plus défavorisées à trouver un logement, et à améliorer les relations locatives, ainsi que le statut de la copropriété.
S'agissant du volet construction, la loi « ENL » ratifie l'ordonnance du 8 juin 2005 relative au logement et à la construction, qui comporte quatre volets distincts, visant à simplifier la législation relative aux aides au logement, à réformer les procédures de conventionnement avec l'agence nationale de l'habitat (ANAH), à unifier les états et diagnostics techniques requis en cas de mutation immobilière, et à réformer la procédure d'autorisation de changement d'usage des locaux. Elle améliore également les dispositifs de prévention des risques sismiques ou cycloniques. Par ailleurs, la loi encadre le régime juridique de la vente d'immeubles à rénover, afin de mieux protéger l'acquéreur. Enfin, la loi instaure un taux de TVA réduit en faveur des abonnements aux réseaux de chaleur et de fourniture de chaleur produite à 60 % au moins à partir d'énergies renouvelables provenant de la biomasse.
Deuxième point : si l'on ne fait qu'observer le calendrier de mise en oeuvre et sans s'intéresser pour l'instant au fond des choses, on constate que l'application de la loi est relativement lente.
Plus de trois ans après sa publication, plusieurs textes réglementaires d'application n'ont toujours pas été publiés. On ne peut que déplorer une telle situation, alors que plusieurs lois, en particulier la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, apportent des modifications importantes à la loi ENL. Nous reviendrons plus en détail sur ce point, mais on peut déjà fournir quelques chiffres.
La loi ENL prévoyait l'adoption de trente-six textes de nature réglementaire :
– trois ordonnances ;
– vingt-quatre décrets en Conseil d'État ;
– et neuf décrets simples.
Au terme de plus de quarante mois après l'adoption de la loi, le bilan de son application est mitigé :
– ainsi, les trois ordonnances, dont le délai de publication est encadré par le pouvoir législatif, ont-elles été publiées dans les six mois, de même que huit décrets, dont deux d'application de dispositions législatives d'origine gouvernementale ;
– cinq décrets ont été adoptés dans les douze mois ;
– sept décrets ont été publiés dans les dix-huit mois (dont un vise à appliquer une disposition d'origine gouvernementale) ;
– deux décrets ont été publiés dans les vingt-quatre mois ;
– cinq décrets ont été publiés dans les trente mois ;
– s'agissant de l'article 5, la loi ENL prolonge la durée d'un dispositif fiscal ; c'est la raison pour laquelle la rédaction du décret d'application, datant de 2005, n'a pas été modifiée.
Cela signifie, en d'autres termes, que cinq décrets n'ont toujours pas été publiés, plus de quarante mois après l'adoption de la loi.
On constate par ailleurs que le lien entre non publication des textes réglementaires d'application et consultation obligatoire d'instances telles que le Conseil national de l'habitat, la CNIL, ou le Comité des finances locales, par exemple, n'est pas automatique. Ainsi, de nombreux textes ont été publiés alors qu'ils nécessitaient la consultation de ces instances, tandis que d'autres ne l'ont toujours pas été, alors qu'ils ne supposent aucune consultation obligatoire.
Pour la suite, je cède, la parole à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.
Troisième point, la loi contient des dispositions parfois complexes, et souvent méconnues.
Ainsi, pour citer quelques exemples, le dispositif de conventionnement ANAH sans travaux a peu de succès, à la différence du conventionnement avec travaux, et ce, pour plusieurs raisons : le dispositif tel que prévu par la loi ENL était, selon nous, insuffisamment attractif pour les propriétaires, insuffisamment promu auprès du grand public, les dossiers sont relativement complexes à monter (la loi de mobilisation pour le logement a d'ailleurs réformé cet aspect).
Autre dispositif fort intéressant, mais insuffisamment utilisé à nos yeux : la dissociation de l'usufruit locatif et de la nue-propriété. Ce dispositif de co-financement qui associe investisseurs privés et bailleurs HLM, n'est aujourd'hui ouvert qu'aux logements de type PLS, alors qu'il pourrait être utilisé pour réaliser des logements de type PLUS ou PLA-I.
Nous nous sommes par ailleurs intéressés à un élément majeur du pacte national pour le logement, qui ne figurait pas explicitement dans la loi, mais bien dans ce pacte défini par le Premier ministre M. Dominique de Villepin en 2005 : la mobilisation des terrains de l'État au profit de la construction de logements sociaux, sous la responsabilité du Délégué interministériel au développement de l'offre de logement, le DIDOL.
Le bilan de ce programme est mitigé :
Selon le Délégué interministériel au développement de l'offre de logement (DIDOL), le programme a été mis en oeuvre dans des conditions relativement satisfaisantes en 2006-2007. Sur les 30 000 logements prévus sur 330 terrains identifiés, 13 329 logements avaient été mis en chantier à la fin de l'année 2007, dont un peu plus de 6 500 logements locatifs sociaux, soit près de la moitié.
Le DIDOL a en outre indiqué qu' « il y avait lieu de reconnaître que la mise en oeuvre de ce premier programme n'avait pas été un modèle d'efficacité parfaite des services de l'État et des procédures qu'il a mises en oeuvre. »
C'est pourquoi, pour la période 2008-2012, le DIDOL a proposé la mise en place de nouvelles procédures. Sur cette période, il est prévu de céder plus de 850 hectares de terrains appartenant à l'État et près de 300 hectares de terrains appartenant aux établissements ferroviaires (RFF et SNCF).
Sur les 70 100 logements du programme, près de 27 000 doivent être des logements sociaux, soit 38 %, et 60 % d'entre eux seront situés en Île-de-France.
Pour réaliser ce programme, le DIDOL a fixé trois objectifs :
– valoriser au mieux le patrimoine public ;
– ne pas accroître les difficultés qui freinent la réalisation des logements sociaux ;
– encourager la réalisation d'opérations de qualité, notamment au regard du critère de développement durable.
Quant aux dispositifs d'investissement locatif, réformés par la loi ENL, ils ont permis une véritable relance du marché, mais ont été sujets à controverse, s'agissant tant :
– de leur zonage géographique ;
– que du type de produit fiscal proposé.
Ils ont en conséquence été profondément réformés.
Enfin, quatrième et dernier point du rapport d'application : les nombreuses modifications apportées à la loi illustrent le décalage entre rythme d'adoption et rythme d'application des textes législatifs.
Si nous reconnaissons l'utilité de « rectifier le tir » lorsqu'un dispositif montre ses limites, nous nous interrogeons néanmoins quant à la pertinence d'adopter des mesures, au terme de deux lectures devant chacune des deux assemblées, pour ensuite les modifier avant même leur mise en oeuvre effective. Nous souhaitons à cet égard rappeler que la sécurité juridique constitue un objectif majeur que le législateur devrait toujours garder à l'esprit lors du vote de la loi.
Ainsi, dès mars 2007, la loi DALO a apporté les modifications suivantes :
– la liste des communes concernées par l'article 55 de la loi SRU a été complétée ;
– l'interdiction des coupures d'eau mise en place par la loi ENL a été étendue à toute l'année.
La loi de finances rectificative pour 2008 a profondément réformé les dispositifs fiscaux d'investissement locatif en substituant à l'amortissement Robien, la réduction d'impôt Scellier.
Enfin, à peine plus de deux ans après l'entrée en vigueur de la loi ENL, et alors que l'ensemble des textes réglementaires d'application ne sont pas encore sortis, la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion apporte des modifications substantielles à la loi ENL.
Comme le débat sur la loi de mars 2009 est relativement frais dans les esprits, nous nous contenterons ainsi d'en rappeler les principaux points de réforme de la loi ENL :
– cela concerne tout d'abord l'ANAH, profondément réformée par la loi ENL, qui a à nouveau vu modifié le champ de ses missions ;
– l'amélioration de la clause anti-spéculative en cas de vente HLM bénéficiant d'une décote ;
– un certain nombre de modifications du volet urbanisme de la loi ENL (droit de délaissement, renforcement du PLH, assouplissement du régime des sociétés publiques locales de l'habitat, droit de préemption urbain sur les parts de SCI, modification de l'assiette de la taxe sur les cessions de terrains rendus constructibles, majoration du coefficient d'occupation des sols pour la construction de logements sociaux, et les opérations d'intérêt national).
Enfin la mise en oeuvre du supplément de loyer de solidarité, déjà profondément réformé par la loi ENL a de nouveau connu des évolutions profondes avec la loi du 25 mars 2009, qui a minoré de 10,3 % les plafonds de loyer des logements sociaux, et a mis en place un dispositif de mobilité des locataires dont les revenus doublent les plafonds de ressources.
En conclusion, nous saluons ces efforts d'amélioration de la loi ENL dans leur ensemble, car nous estimons qu'ils relèvent d'une réflexion collective qui a donné lieu à de riches débats. En revanche, nous ne pouvons que déplorer :
– la lenteur avec laquelle certains textes d'application sont adoptés ;
– et l'instabilité du droit.
Le contrôle de l'application des lois constitue un exercice important, cette pratique doit entrer dans les moeurs parlementaires et elle est insuffisante aujourd'hui. C'est la quatrième fois que nous nous livrons à cet exercice sous cette forme : le contrôle doit être efficace, transparent et suivi d'effets.
En ce qui concerne le présent texte, les choses se sont compliquées avec l'intervention des lois « DALO » et de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion (MLLE). Nous devons aller plus loin et ne pas nous borner à communiquer au Gouvernement un rapport de plus. Quand pensez-vous pouvoir établir un questionnaire à l'intention du ministre afin qu'il vienne devant la commission ? Nous devons obtenir de l'Exécutif la publication des décrets et l'application du dispositif.
Les lois DALO et MLLE ont été publiées après la publication la loi ENL. Par conséquent, il ne serait pas inutile de faire le point sur la publication des décrets d'application de ces trois textes qui se chevauchent. Dans ces conditions, il pourrait être utile de se rapprocher des rapporteurs concernés avant d'entendre le ministre.
C'est une excellente idée, je vous invite à vous rapprocher de vos collègues pour faire ensemble le point sur ces trois textes, à la suite de quoi, nous pourrons rencontrer le ministre.
J'ajoute qu'un décret important sur les conventions sociales d'utilité sociale n'a toujours pas été publié. Or, il est très attendu sur les territoires. Cependant, il semble que le Gouvernement rencontre des difficultés dans sa rédaction. Il conviendrait donc aussi de demander à M. Michel Piron, rapporteur de la loi MLLE, s'il a des informations à ce sujet.
Je vous suggère donc de vous rapprocher de M. Michel Piron et de m'indiquer quand nous pourrons interpeller fermement le ministre afin de lui demander ce qu'il compte faire. Malgré l'encombrement de l'ordre du jour, il serait bon que cela soit faisable avant la fin du mois de janvier prochain. Je vais prendre contact avec le Gouvernement pour l'en avertir.
Ce rapport fait partie des rapports importants de notre commission. J'ai une question principale à poser à nos deux rapporteurs : au départ, le texte comportait peu d'articles ; il en comporte beaucoup plus à l'arrivée, du fait de l'adoption de nombreux amendements, et du travail important que les parlementaires ont fourni sur ce sujet. A-t-on pour autant évalué toutes nos nouvelles propositions ? Il s'agit en effet du type même de loi dont les dispositions sont essentiellement d'origine parlementaire : il importe, de ce fait, d'en évaluer les apports.
Par ailleurs, dans la loi Grenelle 2, de nombreuses dispositions auront trait à l'urbanisme et au logement : de ce fait, il me paraît indispensable de faire le point sur les trois lois existantes avant que le texte du Grenelle ne soit discuté en commission. C'est nécessaire si l'on veut déposer des amendements qui soient utiles et constructifs.
Vous avez raison : je constate en effet que nous sommes passés d'11 articles dans le projet de loi initial à 112 à la fin des débats !
Il faut en effet revoir l'ensemble de ce dispositif : dans ce foisonnement législatif et réglementaire, nous devons disposer d'un bilan de l'application de la loi, pour pouvoir nous y retrouver. Dans le même temps, on ne peut demander au citoyen de ne pas ignorer la loi, compte tenu de sa complexité. Par ailleurs, j'insiste pour que le Gouvernement fasse rapidement publier le décret sur les conventions d'utilité sociale car il revêt une importance fondamentale.
Je suis tout à fait d'accord : il faut inciter le Gouvernement à publier tous les décrets prévus par la loi, faute de quoi le travail que nous faisons n'aura aucune utilité. Ce rapport de synthèse doit être publié rapidement. Quant à la publication du rapport, que souhaitez-vous Messieurs les rapporteurs ?
Je suis plutôt partisan d'en autoriser la publication immédiate, quitte à la compléter par un deuxième rapport.
Je constate que personne ne s'oppose à la publication de ce rapport : il en est ainsi décidé. Je vous remercie.
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