Rapport d'information sur les enjeux géostratégiques de la prolifération – MM. Jean-Michel Boucheron et Jacques Myard, rapporteurs.
La séance est ouverte à neuf heures trente.
La commission des affaires étrangères examine le rapport d'information sur les enjeux géostratégiques de la prolifération, présenté par MM. Jean-Michel Boucheron et Jacques Myard, rapporteurs.
Nous présentons aujourd'hui, Jacques Myard et moi-même, le résultat d'une étude à laquelle nous avons consacré près de dix huit mois.
Nous avons voulu établir un état des lieux et répondre aux questions suivantes :
– Vivons-nous des temps nouveaux qui appellent des réponses nouvelles en matière de prolifération ? Cela fait l'objet du chapitre I.
– Pourquoi les Etats veulent-ils disposer d'armes de destruction massive. Quel est le sens de cette recherche ? Cette question est traitée dans le chapitre II.
– Vivons-nous des temps plus dangereux qu'avant, avec la dissémination des technologies proliférantes, en raison de la libéralisation du commerce international ? Le risque d'un attentat terroriste nucléaire, chimique ou biologique est-il réel ou est-ce un fantasme ? Nous avons abordé cette question au chapitre III.
– Enfin, la diplomatie peut-elle apporter une solution au risque de prolifération ? Le droit international peut-il prévenir ou contenir ce phénomène ? Ceci est traité au chapitre IV.
Notre rapport conclut – cela ne surprendra pas – à la validité du concept de la dissuasion, qui demeure la pierre angulaire de la défense française. Il rappelle également l'importance des armes nucléaires lorsqu'une nation veut accéder au rang de puissance globale et souligne parallèlement le déclin des armes biologiques et chimiques. En revanche, il met en lumière la montée des menaces cybernétiques, contre lesquelles notre pays a récemment réagi par la création d'une agence nationale, l'ANSI. L'effort de la France est toutefois d'une moindre ampleur que celui qu'accomplissent les Etats-Unis et la Chine dans le même domaine.
L'un des principaux points du rapport porte évidemment sur l'Iran, au coeur de l'actualité. Nous ne savons pas si l'Iran veut la bombe. Nous avons en revanche la certitude qu'il maîtrise l'ensemble du cycle qui va de l'enrichissement jusqu'à l'explosion d'un engin à fission et les moyens balistiques, avec maîtrise de la balistique. Si l'Iran a la bombe, nous considérons que cela ne change rien à la stratégie de défense des pays occidentaux qui disposent, ainsi qu'Israël, d'une capacité de dissuasion. Le langage guerrier que tient le Président Ahmadinejad à l'égard d'Israël a pour fonction de rassurer les Etats sunnites du Moyen-Orient. Bien évidemment, il faudra observer à la loupe les réactions des deux alliés des Etats-Unis, l'Arabie saoudite et la Turquie. Ryiadh et Ankara sont très discrètes sur la question. Dans les deux cas, il faudra observer l'attitude des Etats-Unis car les diplomaties de ces deux pays s'alignent de moins en moins sur Washington.
Le fait que l'Iran soit probablement en possession de tous les éléments constitutifs d'une arme nucléaire à fission n'est pas une menace sécuritaire pour l'Europe ou les Etats-Unis, ni même pour Israël. Ceux-ci disposent de moyens de rétorsion nucléaire suffisants. Aucun Etat, quel que soit son régime, n'est candidat au suicide, et l'Iran ne risquera pas sa survie.
Ce que change la bombe iranienne est tout autre : en devenant une puissance globale, Téhéran accentuera la tendance de ces dernières années, à savoir contester l'hégémonie politique de Washington au Moyen-Orient.
D'une certaine manière, les Etats-Unis tirent un parti diplomatique de la menace iranienne en cherchant à persuader leurs alliés européens de recourir au bouclier antimissile. Le projet auquel le Président Obama vient de renoncer rencontrait l'hostilité de la Russie car il permettait techniquement aux radars américains de couvrir tout l'Ouest de la Russie, jusqu'à l'Oural. L'abandon de ce schéma ne signifie pas la renonciation à un projet antimissile. Les radars comme les lanceurs seront positionnés dans d'autres pays. Comme l'ont montré les propos de M. Rasmussen, secrétaire général de l'OTAN, qui appelle à une défense antimissile à l'échelle de l'Alliance atlantique (otanisation de la défense antimissile), les Etats-Unis mettent désormais en route une stratégie consistant à faire payer aux Européens un système dont ils conserveraient la clé. Outre que la fiabilité d'un système anti missile est largement sujette à caution et affaiblit le concept de dissuasion, il concentrerait les efforts de recherche et de développement des alliés européens sur ce seul système (comme dans le passé pour l'avion de combat F 35) au détriment d'autres programmes technologiques. Les pays européens trouveraient plutôt avantage à coordonner leur recherche sur les programmes de détection avancée. Derrière cette bataille doctrinale qui s'annonce, se profile un enjeu économique très important pour les principales entreprises aéronautiques et spatiales américaines.
J'en arrive à la Corée du Nord. Les moyens nucléaires militaires nord-coréens servent à prolonger la survie d'un régime prêt à toutes les provocations pour négocier en position d'égalité avec les grandes puissances. Ils ne représentent pas réellement une menace pour notre sécurité. En revanche, il s'agit du pays le plus proliférant, tant en matière nucléaire que balistique. Quant à l'Inde et au Pakistan, au coeur d'une région traversée de plusieurs conflits (Cachemire, Afghanistan), le caractère limité des conflits qui les ont mis aux prises depuis 1998, année de l'explosion de leur bombe, démontre que la détention de l'arme nucléaire évite toute escalade dans les conflits.
La menace d'un attentat utilisant des moyens de destruction massive est possible, mais il faut faire la part des choses. L'utilisation par un groupe terroriste d'une bombe nucléaire relève de l'illusion. En revanche, le recours à des armes radiologiques est possible. La surveillance des éléments de fabrication de telles armes doit être renforcée, notamment pour les éléments radioactifs présents dans des lieux civils.
Dans le domaine nucléaire, la situation actuelle est marquée par le déséquilibre entre les cinq Etats dotés d'armes nucléaires et ceux qui ne sont pas autorisés à détenir de telles armes. Il faut rappeler cependant que 90 % des armes, déployées ou stockées, sont détenues par les Etats-Unis et la Russie. La réduction des arsenaux nucléaires de ces deux pays est donc un préalable indispensable à toute poursuite de discussions sur le niveau des arsenaux dans le monde. Parallèlement, la Chine augmente ses capacités.
Dès lors, il faut saluer le choix du Président de la République de maintenir une capacité de dissuasion nucléaire suffisante pour notre pays, et d'en avoir préservé l'indépendance en refusant, contrairement au Royaume-Uni, d'adhérer au groupe des plans nucléaires de l'OTAN.
Les vraies questions diplomatiques, politiques et militaires se posent au sujet des « nouveaux acteurs » comme l'Inde, le Pakistan, Israël, l'Iran ou la Corée du Nord. La Syrie ne semble pas devoir jouer un rôle majeur à l'avenir, bien qu'elle ait essayé de développer des capacités nucléaires clandestines.
Quelles sont les problématiques diplomatiques et politiques à moins d'un an de la tenue d'une conférence de révision du TNP, traité inégalitaire puisqu'il autorise certains Etats à détenir des instruments de puissance qu'il interdit à tous les autres ? Le traité fixe des obligations en matière de non-prolifération, obligations que l'Iran, partie au TNP, a violé du fait de sa poursuite d'activités nucléaires clandestines sur son territoire.
Le désarmement nucléaire est-il la solution pour la planète ? Alors que beaucoup souscrivent à cette vision, il faut être plus précautionneux. Un désarmement nucléaire mondial conférerait un avantage rédhibitoire aux Etats disposant des plus importantes puissances conventionnelles, aujourd'hui les Etats-Unis, mais demain la Chine, peuplée par plus d'un milliard d'habitants et investissant massivement dans les équipements militaires.
La France n'a donc pas à baisser la garde dans ce domaine. Que les Russes et les Américains commencent par réduire leurs arsenaux, qui, eux, sont totalement disproportionnés par rapport à l'état de la menace !
L'autre question qui se pose concernant les armes nucléaires, c'est celle de la dissémination des technologies. La caractéristique principale de la mondialisation actuelle, c'est de faciliter la diffusion des connaissances. A partir du moment où un Etat dispose d'une ressource humaine et industrielle suffisante, il peut maîtriser la technologie nucléaire. Les échanges scientifiques suivent depuis longtemps une autre logique que celle des rapports entre Etats, mais la libéralisation actuelle des échanges accélère encore le rapprochement de la communauté scientifique.
Or, malgré la multiplication des règles de contrôle des transferts de technologies, à travers les groupes d'exportateurs notamment, les résultats obtenus restent faibles. En renforçant les liens entre les Etats proliférants à travers des réseaux de prolifération dits de second cercle, les mesures actuelles tendraient plutôt à avoir des effets inverses à ceux recherchés. Quoi qu'il en soit, la dissémination de technologies fonctionne aujourd'hui entre les Etats, y compris à travers des réseaux d'apparence privés mais en réalité très proches des autorités étatiques comme le réseau Khan au Pakistan.
Cette dissémination a fait craindre l'émergence d'un terrorisme nucléaire. Certains documents recueillis par les services de renseignement américains ont montré qu'Al Qaïda s'intéressait aux méthodes de fabrication d'une arme nucléaire. Cette hypothèse relève toutefois du fantasme. L'importance des ressources humaines et industrielles, la maîtrise des technologies dans le domaine des explosifs et de la transformation des matières fissiles, nécessitent des infrastructures qu'un groupe terroriste ne peut mettre en place sans éveiller les soupçons.
Cela ne suffit pas à exclure l'utilisation d'armes de destruction massive par les terroristes. Les attaques chimique et biologique dans le métro de Tokyo, par gaz sarin, et aux Etats-Unis, en utilisant le bacille du charbon, ont montré que les risques encourus étaient sérieux, mais que les conséquences les plus dramatiques pouvaient être évitées. En revanche, l'utilisation de matières radioactives, dont certaines, comme le cobalt, sont notamment présentes dans les hôpitaux, permet de fabriquer des armes radiologiques qui obligent, si elles sont utilisées, à maintenir des zones entières inaccessibles pendant de nombreuses années. Bien que d'un maniement difficile, les produits les plus sensibles devraient être mieux surveillés.
Enfin, le recours à des attaques cybernétiques est une arme de choix pour désorganiser les sociétés. Des offensives ont été menées contre des Etats, dont la France, mais également l'Allemagne ou l'Estonie. La menace informatique est réelle, et nous devons trouver les réponses appropriées.
Face à cette situation, que faire ? La grande échéance en matière de lutte contre la prolifération, c'est la conférence d'examen du TNP en 2010. Ce traité n'a pas été si inefficace qu'on le dit, mais il faut le réformer en profondeur pour le rendre plus efficace. Nous devons ouvrir pour mieux contrôler, c'est-à-dire intégrer les nouveaux Etats disposant des moyens de fabriquer une arme nucléaire.
Personne n'empêchera l'Iran de se doter de ces éléments, mais il ne faut pas en déduire pour autant qu'une nouvelle menace est apparue. J'ai été marqué par la défense farouche des monarchistes iraniens, présents notamment en France, du programme nucléaire iranien et de la volonté de doter l'Iran d'une arme nucléaire. Malgré leur totale opposition au régime actuel, ceux-ci soutiennent sans réserve le droit de l'Iran à posséder un élément de puissance qu'ils estiment indispensable à leur pays.
L'arme iranienne est avant tout un outil de puissance, au Moyen-Orient mais aussi face au Pakistan, aux Etats-Unis, à l'Inde, à la Chine, voire à la Russie. Il n'y a aucun risque d'utilisation de la bombe iranienne au Moyen-Orient, car les Etats n'ont pas le goût du suicide.
Dès lors, la légitimité, et donc la survie, du TNP passent par l'intégration au traité, lors de sa rénovation, de tous les Etats nucléaires militaires, en tant que tels, leur conférant par ce statut les devoirs liés aux responsabilités internationales qu'ils recherchent. En permettant à ces Etats de rejoindre le « club » du TNP, il sera alors possible de les obliger à s'engager à lutter contre la prolifération. De la même manière, les autres Etats pourront légitimement demander à ce que ces pays se soumettent au protocole additionnel « 93+2 » de l'AIEA, seul moyen de garantir des inspections efficaces car couvrant tout le territoire de l'Etat concerné, et pouvant être organisée sans avertissement préalable. Ce nouvel équilibre est la seule solution pour permettre de faire survivre un système qui est aujourd'hui considéré comme parfaitement inéquitable.
Parallèlement aux réformes du TNP, des avancées doivent être obtenues dans d'autres domaines. Ainsi, le traité d'interdiction des essais nucléaires doit être ratifié par tous les Etats dont l'adhésion est nécessaire à l'entrée en vigueur du texte, notamment les Etats-Unis. L'organisation actuelle, provisoire, permet déjà de disposer de certaines capacités de détection des essais nucléaires, mais la mise en place du système final est une nécessité.
En revanche, je ne crois pas aux initiatives de type « banque du combustible ». L'Iran a déjà été victime de la rupture, par la France, de ses engagements en matière de fourniture de matière première pour des centrales nucléaires. On a alors parlé de « l'affaire Eurodif », du nom de l'usine d'enrichissement française que les Iraniens avaient partiellement financé. On peut donc comprendre que les Etats souhaitent maîtriser le processus d'enrichissement afin de ne pas être le jouet d'engagements internationaux considérés comme trop fluctuants.
Enfin, il est absolument nécessaire pour que soit mis en place un système de contrôle des stipulations de la convention sur les armes biologiques et les toxines, comparable à celui existant dans le cadre de la convention d'interdiction des armes chimiques. Des agents pathogènes aux effets redoutables existent aujourd'hui, et doivent être contrôlés, sinon détruits.
Je remercie les rapporteurs pour le sérieux de leur travail très détaillé, et la qualité des réflexions qu'ils ont menées. Je partage votre appréciation sur le risque de prolifération appliqué à l'Iran : quand bien même cet État en arrivait à détenir l'arme nucléaire, les mesures de rétorsion à son encontre en cas d'emploi seraient très destructrices. En revanche, ne sous-estimez vous pas le risque induit de prolifération, à commencer par les États sunnites du Golfe ? Sur ce point, j'arrive à une conclusion inverse de la vôtre : si rien n'est fait, le danger est grand d'une prolifération immédiate en Arabie Saoudite, mais aussi en Égypte et en Turquie. Par ailleurs, j'adhère entièrement à vos propositions concernant la révision du TNP, en particulier pour inclure les États dotés du nucléaire militaire. Sans cette novation, le TNP déjà de peu d'influence disparaîtra complètement. J'y insiste : c'est l'une des propositions les plus importantes de ce rapport.
Je veux à mon tour féliciter les rapporteurs. Pendant très longtemps on a connu un sentiment de crainte à l'égard de l'arme nucléaire, d'où la lutte contre la prolifération. L'arme biologique a également suscité de grandes inquiétudes. Quelles menaces voyez-vous à l'avenir ? Verra-t-on se multiplier des guérillas très sophistiquées utilisant les nouvelles technologies ? Assistera-t-on à des « guerres virtuelles », des guerres cybernétiques ? Comment s'en prémunir ? Des recherches sont-elles en cours dans ce domaine ?
Ce rapport est un document de référence, digne d'éloges. Je souhaiterais interroger les rapporteurs sur l'appréhension de ce sujet au sein de l'OTAN, à la lumière de la place nouvelle que la France y occupe. Quelles implications ce retour de la France emporte-t-il en termes de dissuasion ? Alors que nombre d'États de l'UE se placent sous la protection américaine, comment promouvoir une vision européenne de la dissuasion ?
J'analyserai avec la plus grande attention les présupposés du rapport car je crains d'y trouver un biais. Aujourd'hui, il n'est pas de réflexion sur les sujets d'importance mondiale qui ne souligne la prédominance de la Chine ; l'économie a pris le pas sur le politique. Or le rapport continue à s'inscrire dans une logique dépassée, celle de l'équilibre de la terreur. Je suis en profond désaccord avec une telle vision, qui oublie de s'intéresser aux causes du comportement belliqueux d'un État envers un autre. Ces causes sont à rechercher dans l'économie, dans la situation de misère où vivent les populations. Mais nous préférons agiter des menaces : celle des prétendues armes de destruction massives qui ont justifié la guerre en Irak, ou celle du virus H1N1 qui n'a d'autre but que de préparer la France à une éventuelle attaque biologique, contrairement à ce que l'on fait croire à nos concitoyens. Enfin, je récuse l'attitude consistant à récompenser les délinquants en adaptant le droit international – le TNP en l'espèce – aux États qui ne respectent pas les règles existantes, comme Israël par exemple.
J'adresse moi aussi mes félicitations aux rapporteurs pour les nombreux éclaircissements fournis. Comment voyez-vous la sécurité mondiale évoluer dans un proche avenir ? Quelles tendances pour le nombre de têtes nucléaires ? Quel risque majeur ? Et que peut faire la France face à cette situation ?
Ce rapport est extrêmement intéressant. Je vous suis notamment reconnaissante de nous mettre en garde contre les chimères du bouclier anti-missiles. Pouvez-vous nous dire quels sont les États qui refusent les contrôles de l'AIEA, hormis l'Iran ?
Félicitations pour ce travail. M. Myard a écarté la possibilité pour des groupes terroristes de fabriquer des armes nucléaires et je souscris à cette analyse. Mais quid de la capacité de tels groupes à se procurer des armes nucléaires en profitant de la faiblesse de tel ou tel État en détenant ? Que se passerait-il par exemple si un régime islamiste plus ou moins inféodé à Al Qaida s'emparait du pouvoir au Pakistan ?
Comment mesurez-vous le risque proliférant au Moyen-Orient à partir du cas iranien ? En particulier, pouvez-vous préciser ce qui vous amène à minimiser ce risque pour la Turquie et l'Arabie Saoudite ? Que penser des recherches réactivées en Égypte ? Je comprends votre analyse sur l'effet mécanique de l'élévation du niveau culturel mais ce raisonnement apaisant tient-il toujours dans un contexte d'accélération du processus d'accession à l'arme nucléaire en Iran ? La prolifération dans un grand État sunnite aura-t-elle un effet plutôt stabilisateur ou déstabilisateur ?
Ce rapport est passionnant mais inquiétant. On peut se demander s'il existe vraiment un droit international dans le domaine de la prolifération. Chaque fois qu'un sujet délicat se présente, on nous explique qu'aucun droit n'est applicable, qu'il s'agisse de l'intervention militaire des États-Unis en Irak, de la reconnaissance du Kosovo ou du régime de contrôle des armes biologiques. En définitive, le seul élément de stabilité semble être la dissuasion nucléaire. Hommage soit donc rendu au Général de Gaulle ! Mais n'y a-t-il d'autre rempart aujourd'hui que la dissuasion ?
Je suis reconnaissant aux rapporteurs de la qualité de leurs propos, clairs et nets. Je veux souligner le caractère fondamentalement inégalitaire du TNP. D'une part il n'incluait à l'origine que les États détenteurs et gelait ce fait accompli. D'autre part il n'empêche pas que l'on ratifie à présent un accord avec l'Inde, récompensant un comportement que l'on reproche justement à l'Iran… L'hypocrisie est manifeste : souvenons-nous que les premiers essais nucléaires indiens étaient justifiés par de prétendus travaux de canalisation au Rajasthan ! Quant au Pakistan, il est dans la dénégation. Le problème est que le TNP est en contradiction avec la nature même de l'arme nucléaire : comment la réserver aux grands États alors que le pouvoir égalisateur de l'atome donne à cette arme un intérêt considérable pour les petits et moyens États ? Et prétendre endiguer le phénomène par une sorte de confinement technologique est illusoire, tant les systèmes électroniques les plus sophistiqués ou les capacités de puissance de calcul nécessaires se répandent à travers le monde à l'heure actuelle. J'observe que le mécanisme du TNP consiste à s'en remettre entièrement à l'AIEA. Or son action – notamment celle de la direction générale actuelle finissante – ne me semble pas très convaincante, même lorsque l'agence a accès aux informations qu'elle demande. Certaines pratiques sont même choquantes de la part d'un directeur général que l'on a trop tendance à porter aux nues, dans les choix de diffusion ou de non-diffusion de certains rapports. Monsieur le Président, la commission ne pourrait-elle, à partir de ce rapport d'information, porter une contribution propre sur la position française à l'égard du futur TNP ?
J'adresse mes compliments aux rapporteurs, qui décrivent un monde dangereux, immaîtrisable en apparence. Les risques de nature biologique et cybernétique sont patents. Que pouvez-vous nous dire du rôle de l'OTAN à l'égard du TNP ? L'organisation a-t-elle une doctrine en la matière ? Enfin, je souhaiterais savoir si la dissémination de l'arme nucléaire peut se trouver mécaniquement favorisée par les liens que les chercheurs spécialisés dans ce domaine entretiennent, par-delà les États. Quels sont les principaux bénéficiaires de la dissémination ?
Je veux féliciter à mon tour les rapporteurs pour la qualité de leur travail. Je voudrais aborder un domaine qui est à la marge de ce rapport. Jean-Michel Boucheron et Jacques Myard ont tous deux insisté sur la question de la dissémination et sur les menaces pour la planète, mais se pose aussi la question des dégâts environnementaux considérables qui ont été causés entre les années 1940 et 1960, voire plus, lors des campagnes d'essais nucléaires. La France a été exemplaire ici, en témoigne la situation aujourd'hui au Sahara ou en Polynésie. En revanche, la situation est terrifiante en Russie, que ce soit au Kazakhstan ou en Arctique ; c'est la même chose du côté américain, dans le Pacifique, sur l'atoll de Bikini ou dans le désert du Nevada, du Nouveau-Mexique où, encore aujourd'hui, de larges zones sont restent interdites d'accès. De leur côté, les Britanniques, toujours prompts à nous donner des leçons dans le Pacifique, n'ont pas hésité à polluer le sud australien, plus précisément le désert de Matalinga. En d'autres termes, tout autour de la planète, les dégâts environnementaux dus aux essais nucléaires militaires sont considérables, et je ne parle pas de la Chine sur laquelle on ne sait toujours rien. Y a-t-il une autorité internationale chargée de faire l'inventaire qui serait nécessaire, ou d'intervenir pour la dépollution de ces zones contaminées depuis les années 1940 ou 1960 ?
Le droit international est imparfait et la société internationale n'a pas tout résolu. On ne peut pas dire pour autant qu'il est inefficace. A preuve, le fait que sur la question du contrôle des armes chimiques, la dissuasion a effectivement joué entre 1939 et 1945, même si on ne peut oublier que Saddam Hussein en ait ensuite utilisé contre les Kurdes et les Iraniens. C'est un problème réel. Cela dit, je ne partage pas l'avis de Jean-Paul Lecoq : il y a des pays qui n'ont pas signé le TNP, sans être pour autant dans l'illégalité. Israël et le Pakistan y échappent car ils n'y ont pas adhéré, tout comme la France d'ailleurs pendant longtemps. En ce qui concerne l'Iran, c'est différent : il a signé et a caché des informations à l'AIEA ; il a de même signé l'article 92-3 sans le ratifier. L'important est qu'il faut continuer de développer le système, et prendre en compte la réalité : le système risque effectivement d'imploser mais quand il fonctionne, il le fait bien et il a toute son utilité. C'est un socle dans lequel il y a des imperfections mais sur lequel il faut continuer de bâtir malgré ses défauts.
Quant à la dissuasion européenne, c'est très clairement une utopie ; la dissuasion de la France ne peut pas servir à tout le monde. Il n'y aura pas de dissuasion européenne, c'est une position que tous les présidents de la République ont partagée.
Pour répondre à Michel Terrot, si les talibans prennent le pouvoir au Pakistan, la dissuasion jouera entre Etats et les choses se calmeront. Le nucléaire a cet avantage d'être un réducteur d'intensité des conflits. Pour reprendre une formule du général Gallois, l'atome rend sage ; c'est même un des éléments de l'enjeu. Les contrôles peuvent être améliorés, mais cela reste un domaine sur lequel les certitudes n'existent pas. Le monde est dangereux, c'est la seule réalité et toute faiblesse est coupable. Il faut donc avoir la capacité de maintenir nos forces.
Quant à la question de la dépollution, je n'ai pas d'élément particulier, sauf le fait que la France participe à des programmes sur l'ancienne flotte de sous-marins de Mourmansk. En ce qui concerne le Kazakhstan, c'est une tout autre histoire.
En termes de sécurité, les conclusions de notre rapport sont rassurantes : la dissuasion relève des Etats et les terroristes n'ont pas accès aux armes de destruction massive.
Sur ces dernières, une lecture approfondie fait apparaître que cette problématique est d'abord une lutte politique et stratégique. Dans le monde multipolaire actuel, les Etats cherchent à s'affirmer comme des puissances régionales. C'est cette perspective de leadership régional qui justifie éventuellement la possession de ces armes.
Sur l'évolution de la prolifération au Moyen-Orient, nous n'avons pas de certitudes. Cependant, l'Arabie Saoudite ne semble pas redouter une attaque nucléaire iranienne et s'estime sous la protection des Etats-Unis grâce à ses ressources pétrolières. Quant à la Turquie, elle ne se sent pas menacée par l'Iran mais aspire à dominer la région : cette volonté stratégique pourrait éventuellement amener la Turquie à développer ses capacités.
La France est insuffisamment préparée à la guerre cybernétique. A titre de comparaison, la Chine est sur le point de construire « une grande muraille numérique » pour se protéger contre ce type d'attaques tandis que le Président Obama a nommé 1000 spécialistes pour travailler sur cette question et commander un rapport sur ce qu'il appelle le « cinquième espace stratégique » (après la terre, l'air, la mer et l'espace). Notre pays vient de créer l'agence nationale de sécurité des systèmes d'information mais il faut la doter des moyens nécessaires.
La dissuasion ne peut être entre les mains que d'un pouvoir centralisé à l'image du Président de la République sous la Vème République. Or, l'Europe est loin de satisfaire ce critère aujourd'hui.
Ma question ne portait pas sur la capacité de dissuasion de l'Europe mais sur le point de savoir comment renforcer l'influence française dans la définition du nouveau concept stratégique de l'OTAN.
Je suis un des rares députés à avoir une photo du général de Gaulle dans mon bureau.
Le nouveau concept de l'OTAN est en cours d'élaboration. La véritable préoccupation concerne la défense européenne mais il faudrait plus de temps pour développer ce sujet.
Je ne crois pas à la doctrine du « soft power » qui ne semble pas la réponse adaptée aux problèmes futurs, posés notamment par la pénurie des ressources et d'énergie. A cet égard, la politique chinoise est instructive : son budget militaire explose de même que ses capacités nucléaires. Je suis convaincu que ce n'est pas parce que le rapport de forces existe qu'on utilise la force.
Pour conclure, il me semble que le monde d'aujourd'hui est plus rassurant que celui d'hier car la question des armes de destruction massive relève d'un rapport entre les puissances rationnelles que sont les Etats.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
Etats-Unis : avenant à la convention en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu (n° 1850 rectifié).
La commission examine, sur le rapport de Mme Marie-Louise Fort, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d'Amérique en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (n° 1850 rectifié).
Après son adoption par le Sénat le 20 juillet dernier, l'Assemblée nationale est saisie du projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre la France et les États-Unis en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune.
Signé le 13 janvier dernier, cet avenant à la convention fiscale du 31 août 1994 améliore le texte en vigueur en offrant un cadre plus simple et plus favorable aux échanges et aux investissements entre les deux États.
Les nouvelles dispositions concernent au premier chef les entreprises françaises implantées aux Etats-Unis, soit environ 2 600 filiales dont le chiffre d'affaires représente près de 170 milliards de dollars.
En raison de la complexité du sujet, je vous présenterai d'abord succinctement la fiscalité américaine visée par l'avenant avant d'évoquer les principales modifications qu'il apporte.
Les impôts fédéraux visés par l'avenant sont l'impôt sur les sociétés et l'impôt sur le revenu des personnes physiques.
Les sociétés constituées aux Etats-Unis sont passibles de l'impôt fédéral sur les sociétés à raison de l'ensemble de leurs bénéfices de source américaine et de source étrangère. Les plus-values sont soumises à l'impôt dans les conditions de droit commun.
Les sociétés étrangères qui n'ont pas d'activité aux Etats-Unis ne sont imposables aux Etats-Unis que sur leurs revenus de source américaine. Ces derniers sont généralement soumis à une retenue à la source de 30 %.
Les sociétés étrangères qui exercent une activité aux Etats-Unis sont imposables au taux de droit commun de l'impôt sur les sociétés sur les revenus nets qui sont liés à cette activité. Les revenus qui ne sont pas liés à cette activité sont également soumis à la retenue à la source précitée.
Le barème d'imposition est un barème progressif dont les taux varient de 15 % à 35 % (15 % jusqu'à 50.000 $, 25 % de 50.001 à 75.000, 34 % de 75.001 à 10 millions et 35 % au-delà de 10 millions $). Le taux marginal de 35 % est porté à 38 % sur la part de bénéfices comprise entre 15 millions de dollars et 18,33 millions de dollars.
Par ailleurs, il existe un impôt de distribution (branch tax) sur les revenus réputés distribués par les succursales américaines à leurs sièges étrangers. Le taux de cet impôt est de 30 %.
Afin d'éviter une double imposition des dividendes de source américaine perçus par les sociétés résidentes des Etats-Unis, ces dernières bénéficient d'une exonération d'impôt sur les distributions de leurs filiales dont le quantum varie en fonction du niveau de participation de la société bénéficiaire dans la société distributrice.
Concernant l'impôt sur le revenu, les personnes physiques résidentes des Etats-Unis et les citoyens américains, quel que soit leur Etat de résidence, sont imposables sur l'ensemble de leurs revenus de source américaine et étrangère.
Sont considérés comme résidents au sens de la loi américaine : les titulaires d'une carte de séjour permanent dénommée « carte verte » ; les personnes qui ont séjourné 31 jours ou plus aux Etats-Unis au cours de la dernière année civile et dont la présence aux Etats-Unis au cours de ladite année et au cours des deux précédentes a atteint 183 jours.
Le barème d'imposition est progressif. Les taux sont compris entre 10 % et 35 %. Les tranches d'imposition varient selon la situation personnelle du contribuable. Par exception, le taux maximum applicable aux dividendes et aux plus-values de cession est de 15 %.
Les personnes physiques non résidentes et ne possédant pas la nationalité américaine ne sont imposables aux Etats-Unis que sur leurs revenus de source américaine. Les bénéfices des activités indépendantes réalisés aux Etats-Unis sont imposés selon les règles de droit commun applicables aux résidents. Les autres revenus sont soumis à une retenue à la source en application du droit interne américain.
La France et les Etats-Unis sont liés par une convention fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée à Paris le 31 août 1994 et modifiée par un avenant signé à Washington le 8 décembre 2004.
Respectueux des principes de l'OCDE, l'avenant, signé à Paris le 13 janvier 2009, comporte néanmoins des particularités tenant à la nature des relations franco-américaines et aux spécificités du droit fiscal américain.
Les principales modifications apportées par l'avenant sont les suivantes :
– La réécriture de l'article 4 de la convention, qui définit la résidence, permet de simplifier les modalités de taxation de nombreuses structures d'investissements : sociétés de personnes françaises et partnerships américains, fonds d'investissement et structures immobilières françaises de création récente : sociétés d'investissements immobiliers cotées (SIIC) et sociétés de placement à prépondérance immobilière à capital variable (SPPICAV).
L'avenant introduit également dans l'article 4 une définition des sociétés de personnes françaises « translucides », consacrant ainsi ce concept français même si ces sociétés demeurent en pratique traitées fiscalement comme des structures transparentes.
L'avenant clarifie ensuite le traitement fiscal des revenus qui transitent par des entités fiscalement transparentes, partnerships et sociétés de personnes.
Enfin, l'avenant permet à la France de préserver son droit d'imposer les sociétés de personnes en France, quelle que soit la qualification que leur donne les Etats-Unis.
– L'avenant supprime la retenue à la source applicable aux redevances et, sous certaines conditions, aux dividendes intra-groupe. L'exonération de la retenue à la source sur les dividendes intra-groupe est de nature à favoriser le rapatriement en France des dividendes des filiales américaines des groupes français.
– L'article VI modifie l'article 18 de la convention qui détermine les modalités d'imposition des pensions afin d'inclure les citoyens américains parmi les bénéficiaires des pensions exclusivement imposables dans l'Etat débiteur des revenus.
– L'article X introduit une clause d'arbitrage obligatoire, inspirée du dernier modèle de l'OCDE, qui garantit aux contribuables l'élimination de toutes les doubles impositions que les autorités compétentes n'auraient pu éliminer par voie amiable dans un délai de trois ans. Les modalités pratiques de la mise en oeuvre de cette procédure sont précisées dans le protocole d'accord prévu par l'avenant.
– L'article XIII simplifie la situation des personnels binationaux ou titulaires de la carte verte qui sont employés par le Gouvernement français aux Etats-Unis. Il prévoit désormais l'imposition exclusive aux Etats-Unis des rémunérations des recrutés locaux en poste aux Etats-Unis qui ont la nationalité américaine ou sont titulaires de la carte verte (article 29 de la convention). Cette nouvelle disposition permet de régler définitivement le problème des doubles impositions supportées par les employés de l'Ambassade de France et de nos consulats (75 agents recrutés localement en 2007) en raison du refus américain d'autoriser l'imputation de la CSG et de la CRDS payées en France sur l'impôt américain.
– L'article XIV réécrit l'article 30 de la convention qui porte sur la limitation des avantages de la convention ou LOB (limitation of benefits). Cette clause a pour objet de subordonner l'octroi, à certaines personnes morales, des avantages conventionnels au respect de certaines conditions afin d'éviter le « treaty shopping ».
En conclusion, la France s'est vue accorder de nombreuses contreparties dans le cadre de la négociation de cet avenant. Outre le bénéfice de l'exonération de retenue à la source qu'elle sollicitait sur les dividendes et sur les redevances, qui contribuera aux transactions franco-américaines, la France a également obtenu l'octroi des avantages conventionnels au profit des structures d'investissements immobiliers françaises qui en étaient jusqu'alors exclues ainsi que ainsi que l'insertion d'une clause d'arbitrage obligatoire qui sécurisera juridiquement les entreprises sur l'issue des procédures qu'elles auront engagées auprès des Etats lorsqu'elles auront eu à subir une double imposition..
Plus généralement, l'actualisation des clauses relatives à l'échange de renseignements et à la limitation des avantages de la convention participe au renforcement de la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales pour préserver au mieux nos intérêts financiers.
Pour toutes ces raisons, je vous recommande l'adoption du présent projet de loi.
Conformément aux conclusions de la rapporteure, la commission adopte le projet de loi (n° 1850 rectifié).
Environnement : approbation de l'accord international de 2006 sur les bois tropicaux (n° 1888).
La commission examine, sur le rapport de M. Jean-Paul Dupré, le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord international de 2006 sur les bois tropicaux (n° 1888).
Je voudrais tout d'abord vous donner quelques éléments qui permettront d'illustrer l'actualité de ce texte, à quelques semaines de l'ouverture du sommet de Copenhague, car les forêts tropicales jouent un rôle considérable dans la stabilisation du climat en retenant de 300 à 400 milliards de tonnes de carbone. Selon les Nations Unies, un milliard et demi d'habitants dépendent de la forêt pour leur survie. Pourtant, chaque année, 13 millions d'hectares de forêts sont détruits, soit l'équivalent de la superficie de 36 terrains de football chaque minute, ce qui intervient aussi pour 20 % des émissions de gaz à effet de serre.
La prise de conscience sur la protection nécessaire des forêts n'est cependant pas une nouveauté. Le texte qui nous est proposé est le troisième du genre, après le premier accord international sur les bois tropicaux, signé en 1983, puis un deuxième, en 1994. Le texte de 2006, qui met l'accent sur un aspect nouveau et complémentaire à ses deux prédécesseurs, permet d'arriver à un dispositif protecteur assez complet.
Ce sont des accords qui sont négociés sous l'égide de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement, la CNUCED, et qui, à la base, portent essentiellement sur des aspect économiques. En 1983, il s'agissait de mettre en place un cadre de coopération et de consultation entre pays producteurs et pays consommateurs de bois tropicaux, pour favoriser l'expansion et la diversification du commerce international, améliorer les conditions du marché, en tenant compte des perspectives de consommation, de la continuité des approvisionnements et de la rémunération équitable des producteurs. Il s'agissait aussi de soutenir la recherche et le développement, pour améliorer la gestion forestière et encourager le reboisement ainsi que pour développer des politiques nationales en faveur de l'utilisation durable, de la conservation des forêts tropicales et de la préservation de l'équilibre écologique. L'accord de 1994 vise à promouvoir une économie forestière respectueuse du développement durable dans le but que les Etats producteurs aient, en l'an 2000, les capacités de mener à bien des stratégies d'exportation de bois tropicaux et de produits dérivés basées sur des ressources provenant d'une gestion durable. L'accord de 2006 qui nous occupe aujourd'hui a été négocié pour mettre en place en place une coopération internationale entre pays producteurs et pays consommateurs, afin de lutter contre le commerce illégal des bois tropicaux.
Il faut en effet savoir que, sur les quelque 140 millions de m3 de bois tropicaux qui sont produits chaque année, la part due à l'exploitation illégale des forêts est considérable, elle peut atteindre jusqu'à 80 % de la production, et on estime qu'elle est en expansion. : Au niveau européen, par exemple, la proportion de bois tropicaux illégaux dans les importations de l'UE est estimée à 20 %. Ce nouvel accord insiste donc sur la promotion du commerce international de bois tropicaux afin qu'il fasse l'objet non seulement d'une gestion durable, mais aussi d'une exploitation légale, notamment en renforçant la capacité des pays producteurs à améliorer l'application de leur droit forestier, leur gouvernance et à lutter contre l'abattage illégal des bois tropicaux et leur commercialisation.
L'architecture de l'accord est classique. L'Organisation internationale des bois tropicaux, dont le siège est au Japon, à Yokohama, a été créée dans le cadre du premier accord. Elle regroupe aujourd'hui 80 % des forêts tropicales et 90 % du commerce mondial de bois tropicaux. Elle instaure une parité rigoureuse entre les 33 pays producteurs de bois tropicaux et les 26 pays consommateurs, parmi lesquels dominent fortement les pays européens, dont 15 membres de l'UE. Son organe exécutif est le Conseil international des bois tropicaux, qui se réunit au moins une fois l'an. Les pays membres y sont répartis en deux groupes, producteurs et consommateurs, qui disposent chacun 1000 voix au sein de l'organisation. Chacun des pays consommateurs dispose d'un minimum de 10 voix, augmenté d'une part proportionnelle, relative à son importance dans la consommation. Compte tenu de son rang dans le commerce international des bois tropicaux, la France détient, avec le Royaume Uni, le plus grand nombre de voix des membres de l'UE, avec 33 voix : elle est le cinquième importateur mondial de grumes tropicales et le cinquième exportateur de contreplaqués tropicaux que l'on fabrique à partir de nos importations de bois.
L'OIBT élabore des textes d'orientation générale, pour favoriser la gestion durable des forêts tropicales et la conservation des forêts ; elle aide aussi les pays producteurs à mettre en oeuvre des projets concrets et le secteur industriel à se développer. C'est une organisation internationale de taille modeste, financée par des contributions obligatoires des Etats membres et des contributions volontaires.
Comme je le disais, l'accord que nous examinons complète les mécanismes mis en place antérieurement, en 1983 et 1994, mais le caractère non contraignant des mesures prises au sein de l'OIBT en limite fortement l'efficacité pour réellement traiter le problème. C'est pour cette raison précise que l'Union européenne a commencé à développer en complément, ses propres instruments, notamment le Plan FLEGT (« Application des réglementations forestières, gouvernance et échanges commerciaux »), qui essaie de mettre en place des mécanismes de certification, pour garantir l'origine des produits importés, moyennant des accords bilatéraux de partenariats volontaires entre producteurs et consommateurs. Une réglementation européenne est aussi à l'étude pour la mise en place de mécanismes de vérification préalable, qui permettrait de s'assurer que les mesures nécessaires pour éliminer les achats de bois illégaux sont prises.
En d'autres termes, les choses avancent, sans doute plus rapidement dans un cadre régional qu'international. L'ensemble des efforts qui sont faits y contribue et je crois à cet égard qu'il est important que la France ratifie sans tarder cet Accord.
Le rapport de M. Dupré est très éclairant, mais il me semble que l'objectif de cet accord est contradictoire avec la politique menée dans notre pays. En effet, les collectivités territoriales sont tenues de respecter des critères de développement durable dans la conclusion des marchés publics, lesquels imposent notamment de limiter l'utilisation des bois tropicaux. Or le rapport parle de perspectives d'augmentation de l'utilisation de tels bois. Faut-il en déduire que ces critères ne sont pas respectés ?
Par ailleurs, si l'objectif est de limiter l'utilisation de ces matériaux, afin d'améliorer les conditions d'exploitation des forêts et de réduire la « facture carbone » résultant de leur transport sur de longues distances, est-il prévu des mesures en faveur des exploitants actuels de ces forêts, qui devront être dirigés vers d'autres activités ?
Il me semble que toutes les forêts sont destinées à être exploitées dans des conditions qui permettent leur régénération. Le plus important est que les pays qui importent les bois tropicaux exigent que leur origine légale soit certifiée, cette certification garantissant la préservation des forêts sur le long terme.
Parmi les 33 Etats producteurs et les 26 Etats consommateurs qui ont signé cet accord, combien l'ont déjà ratifié ?
En matière de protection des forêts, comme de lutte contre le changement climatique, c'est l'Union européenne et le Japon qui jouent un rôle essentiel. Dans ces domaines, l'Union a un message clair et une véritablement capacité d'action. Je considère moi aussi que la certification est le point clé pour résoudre la question de la surexploitation des forêts tropicales.
Le problème, c'est que certains Etats gros consommateurs de bois, au premier rang desquels se trouve la Chine, se soucient peu de ces questions. Peut-on espérer une évolution de leur part ?
Enfin, comment éviter que, dans les pays en guerre civile, se développe un commerce illégal de bois tropicaux à destination des pays peu regardants sur la provenance des matériaux ?
La Chine fait partie de 33 Etats consommateurs qui ont signé l'accord. Elle est donc censée respecter les règles qu'il pose. Il appartient au conseil d'administration de l'Organisation internationale des bois tropicaux d'y veiller.
Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (n° 1888).
Belgique : avenant à la convention tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance réciproque en matière d'impôts sur les revenus (n° 1851 rectifié).
La commission examine, sur le rapport de M. Henri Plagnol, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre la France et la Belgique tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur les revenus (n° 1851 rectifié).
Le projet de loi qui nous est soumis ce matin vise à autoriser l'approbation de l'avenant à la convention fiscale entre la France et la Belgique, signé à Bruxelles le 12 décembre 2008. Il s'agit de la troisième modification de cette convention tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur les revenus, signée à Bruxelles le 10 mars 1964. La question précise qui fait l'objet de l'avenant concerne plus de 34 000 frontaliers venant de France qui travaillent en Belgique, dont plus de 19 000 dans le Hainaut et plus de 6 000 en Flandre-Occidentale. Ces frontaliers résident pour la grande majorité dans le Nord-Pas-de-Calais, et de façon subsidiaire en Lorraine ou en Champagne-Ardenne.
Nous évoquons périodiquement en France le cas d'assujettis à l'impôt de solidarité sur la fortune qui chercheraient refuge en Belgique… tel n'est pas du tout l'objet de l'avenant à la convention fiscale. Les populations directement visées sont composées d'ouvriers à plus de 60 %, qui veulent être imposés en France, là où ils résident, bien qu'ils travaillent en Belgique. Cette règle permise par la convention franco-belge déroge au principe général posé dans les conventions fiscales du modèle de l'OCDE, destinées à éviter les doubles impositions. Si ces travailleurs souhaitent être imposés en France, c'est en raison du faible poids de l'impôt français sur le revenu comparé à l'impôt belge sur les personnes physiques. Je détaille dans mon rapport écrit les éléments chiffrés de ce déséquilibre. Le désavantage est même aggravé pour les frontaliers résidents de Belgique. En effet, ceux-ci sont soumis à l'impôt sur le revenu en Belgique conformément aux dispositions de la convention fiscale de 1964. En revanche, ils paient leurs cotisations sociales en France en vertu des dispositions du règlement communautaire qui régit l'application des régimes de sécurité sociale au sein de l'Union européenne. Le niveau des impôts étant plus élevé en Belgique qu'en France et celui des cotisations sociales plus élevé en France qu'en Belgique, les frontaliers belges subissent donc un double désavantage.
Dès lors, le régime fiscal dérogatoire applicable en vertu de la convention franco-belge de 1964 est devenu de moins en moins acceptable par l'administration belge. La négociation d'un avenant pour corriger la situation n'a pas été facile. Elle s'est déroulée sur fond de contrôles fiscaux renforcés de la part des autorités belges, qui avaient pris des circulaires très restrictives ayant pour effet de fragiliser la situation des travailleurs frontaliers. Or il était important, pour les résidents français et pour leurs employeurs, de préserver le régime dérogatoire. Le compromis trouvé, formalisé dans le présent avenant, est le suivant : le régime existant est pérennisé, pour les résidents français, pendant une période de 25 ans mais il n'y aura plus de nouveaux entrants à compter de 2011. Les autres stipulations visent à régler des questions connexes ; elles tendent en particulier à clarifier la situation juridique des salariés perdant leur emploi et celle des travailleurs saisonniers. Un élément, surtout, a retardé l'aboutissement de la négociation : le montant de la compensation financière devant être versée annuellement par la France à la Belgique pour le manque à gagner fiscal résultant du maintien en vigueur du régime dérogatoire. La Partie belge l'estimait initialement à plus de 200 millions d'euros ; c'est finalement un montant de 25 millions d'euros qui est inscrit dans l'avenant. Le compromis est honorable.
J'ai reçu les représentants des travailleurs frontaliers qui ont insisté sur la nécessité d'une ratification de cet avenant avant la fin de l'année. Je souscris à leur point de vue et vous invite donc à voter en faveur du projet de loi, ce que le Sénat a fait le 20 juillet dernier.
Je dois dire que j'ai été surpris de recevoir autant de lettres de personnes directement concernées par un sujet de cet ordre. Toutes espéraient la rapide approbation de l'avenant.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 1851 rectifié).
La séance est levée à onze heures trente.