Audition sur le thème de l'accès des femmes aux responsabilités sociales et professionnelles :
La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'audition de M. Jean-Christophe Baudouin, Président de l'Association des administrateurs territoriaux de France.
La séance est ouverte à dix-sept heures trente.
Nous accueillons M. Jean-Christophe Baudouin, président de l'Association des administrateurs territoriaux de France (AATF) pour nous parler de l'accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique territoriale.
Appelés à exercer leurs fonctions dans les collectivités locales importantes – villes de plus de 40 000 habitants, établissements publics de coopération communale, centres communaux d'action sociale, départements et régions –, les administrateurs territoriaux constituent le vivier des cadres supérieurs de la fonction publique territoriale.
Concernant l'approche statistique de la question de l'accès des femmes aux responsabilités dans les collectivités, nous ne disposons que de très peu d'outils.
D'abord, les outils statistiques disponibles sont élaborés par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), par l'intermédiaire de son Observatoire de l'emploi, des métiers et des compétences, puis repris par la Direction générale des collectivités locales (DGCL). D'ailleurs, le rapport 2005 du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, dont Mme Évelyne Boscheron était rapporteure, s'appuie sur des éléments quelque peu disparates.
Ensuite, il faut faire attention au fait que le périmètre d'étude peut varier d'une année sur l'autre ce qui rend les comparaisons dans le temps très délicates. C'est ainsi qu'à partir de l'Acte II de la décentralisation, 100 000 TOS – personnels techniciens, ouvriers et de service – ont été intégrés dans les départements et les régions, ce qui a eu une incidence forte en termes statistiques dans la mesure où ce personnel est essentiellement masculin.
De même, lorsque les départements ont eu à gérer la partie allocation du RMI, l'appareil statistique a également été déformé, car ce sont essentiellement des agents féminins qui ont intégré les collectivités.
Enfin, l'appareil statistique est également déformant en fonction des collectivités : il n'a quasiment pas bougé pour les communes et les intercommunalités, mais a énormément varié pour les départements et les régions. Aussi, certaines évolutions constatées dans le rapport devraient être précisées.
Le Comité de pilotage pour l'égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs des fonctions publiques, dit Comité Le Pors, avait d'ailleurs regretté à l'époque, de ne pas disposer d'un appareil statistique permettant de réaliser une évaluation précise, ce qui, à ma connaissance, est toujours le cas. Je tenais à appeler votre attention sur ce point de méthodologie, car il faut être très prudent sur les évolutions et, partant, sur les constats.
Le comportement des collectivités n'est pas plus exemplaire que celui d'autres employeurs. On constate que, a priori, une forme de féminisation métiers perdure certains, y compris pour les emplois à responsabilité. Ainsi, traditionnellement, les postes de directeur général adjoint (DGA) dans les collectivités sont plutôt féminins dans les domaines social et culturel, et masculins dans les domaines plus techniques. Cette division sexuée existe toujours.
Cela dit, je parle des agents aujourd'hui en poste mais il faut, là encore, être très prudent concernant la situation actuelle.
D'abord, pour le concours d'administrateur territorial – deuxième concours le plus présenté après celui de l'ENA à Sciences Po Paris et avant celui de l'École de santé de Rennes, la moyenne de l'ensemble des dernières promotions – Cervantès, Monod, Aubrac et Galilée – donne un pourcentage de 51 % d'hommes et donc de 49 % de femmes.
Ensuite, en termes de flux, commence à apparaître une génération de jeunes femmes accédant directement aux fonctions de direction générale des services, c'est-à-dire avant trente-cinq ou quarante ans, ce qui est nouveau.
C'est à la fois la marque d'une envie et d'un processus naturel.
En fait, les derniers postes de direction générale des services qui ont été ouverts au sein de la même promotion sont allés pratiquement autant à des jeunes femmes qu'à des jeunes hommes. Autrement dit aujourd'hui, le comportement en matière de recrutement est presque paritaire. Il ne l'est pas totalement, car davantage de jeunes hommes issus de la même promotion accèdent, et un peu plus rapidement, aux postes de direction générale, soit une moyenne non pas de 51 % – 49 %, mais plutôt de 60 % – 40 %.
Le taux des femmes accédant aux postes de direction générale est tout de même passé de 5 à 10 % il y a une quinzaine d'années, à 40 % aujourd'hui !
Concernant la parité, le rapport de Mme Boscheron avait pointé une difficulté.
Après un parcours classique – Sciences Po ou Master 2 –, ces étudiants suivent une formation pendant dix-huit mois. Agés de vingt-cinq ou vingt-six ans, ils doivent alors attendre six ou sept ans pour accéder à un premier poste de directeur général des services. Or l'âge de la maternité – même s'il a reculé – est de trente-deux à trente-cinq ans. C'est un point de blocage, mais sans outre mesure. Aujourd'hui les jeunes femmes DGS me semble se trouver dans cette posture.
Celles auxquelles je pense ont entre trente-deux et trente-cinq ans. L'approche des jeunes couples en matière d'organisation de vie consiste à se débrouiller pour concilier un ensemble d'« injonctions paradoxales ». Aujourd'hui, on saisit les opportunités, puis on fait avec. Cette modification dans les comportements est récente : elle date de cinq ou six ans. Le reste suit, y compris l'organisation collective du travail. Il ne me viendrait jamais à l'esprit d'organiser une réunion à dix-huit heures quarante-cinq sachant que le meilleur de mes cadres ne pourrait y assister. On s'organise autrement.
Il faut dire que le nomadisme en matière de travail a considérablement changé la donne. À notre époque, on peut travailler avec des moyens dont on ne disposait pas voilà simplement quinze ans : le télétravail, les messageries électroniques et autres outils ont donné un sérieux coup de vieux au bureau des temps, que nous avons expérimenté, comme moi à Nantes il y a quelques années.
L'individualisation du travail et au travail – qui rend précisément les choses possibles – donne aussi un coup de vieux aux propositions du Comité Le Pors et du rapport Boscheron. Désormais, la régulation du travail des femmes et des hommes jeunes va au-delà du cadre collectif. Toutes les jeunes femmes ayant accédé aux responsabilités que je connais sont en phase avec leur temps, notamment avec les nouveaux moyens de communication, et dans leur rapport au travail, en voulant tout, elles organisent non pas leur temps au travail, mais leur temps de vie.
De plus en plus de collectivités contractualisent aujourd'hui sur cette base. Une DGA m'a demandé au moment de son recrutement de pouvoir prendre un train à dix-huit heures dix, mais il faut savoir que le matin, elle arrive au bureau à sept heures quarante-cinq et que nous communiquons parfois le week-end par mails.
Les jeunes pères avec qui je travaille sont également en phase avec cette évolution, ce qui traduit un profond changement en termes d'approche du temps de vie par rapport aux générations précédentes. C'est important car si les chiffres en termes de stock semblent nous montrer une situation négative, elle ne l'est pas en réalité.
Une question se pose à nous aujourd'hui, celle de l'accompagnement du vieillissement au travail, notamment chez les éléments féminins ? Ce ne sont pas cependant les femmes cadres qui nous posent le plus de problèmes, même si celles qui ont entre cinquante-neuf ans et soixante-trois ans ont dû sacrément se battre pour arriver aux postes de direction générale.
Elles en ont tellement vu pour arriver où elles sont qu'elles sont inoxydables ! Elles ont en tout cas un mode de management totalement différent des éléments plus jeunes. Elles ont fait un choix de vie, parfois douloureux, mais assumé : les jeunes femmes d'aujourd'hui, elles, veulent tout.
Mais toutes ne sont pas cadres les femmes dont je parle sont plutôt les agents âgés de cinquante à soixante ans, usés par le travail. Les plus grosses pathologies osso-musculaires touchent les femmes, notamment les personnels d'entretien et de cantine dans les communes. En revanche, les pathologies anxio-dépressives, qui concernent les métiers sociaux, en particulier les travailleurs sociaux, métier fortement féminisé, apparaissent plus tôt : alors qu'elles touchaient les femmes de quarante-cinq à cinquante ans auparavant, elles frappent celles âgées de trente-huit à quarante ans aujourd'hui.
Un problème juridique, pas encore tranché, se pose : le statut de la fonction publique n'autorise pas ces agents, notamment les travailleurs sociaux, à évoluer vers un autre métier. Mme Boscheron parle d'une inégalité d'accès à la formation ce qui est très vrai, mais le problème majeur n'est pas là. Si des entreprises peuvent très facilement faire évoluer leurs salariés d'un métier à l'autre, la fonction publique ne le fait pratiquement pas, car le problème statutaire complique les choses et ne peut souvent être réglé que sous l'angle médical – ce qui est dommage car il faut attendre le déclenchement de la maladie.
Le travail réalisé en 2005 doit donc absolument être reconsidéré eu égard aux nouvelles donnes, comme le travail nomade ou le comportement des jeunes générations, notamment chez les administrateurs. Si certaines propositions telles que la demande d'éléments statistiques et d'évaluation et l'aménagement des temps étaient intéressantes, il faut reprendre l'ensemble des préconisations.
Au sein de l'Association, nous avons créé un groupe « égalité des chances », ce terme étant, je l'admets, un peu daté.
Ce terme recouvre en effet cette vieille idée un peu messianique, alors que les jeunes femmes ne demandent absolument pas cela : elles veulent contractualiser leur vie. Or le rapport Boscheron ne dit quasiment rien sur le contrat, et ses préconisations sont surtout d'ordre unilatéral. Les jeunes femmes, je le répète, n'en sont plus du tout là.
La contractualisation a plutôt été ouverte aux emplois d'encadrement. L'évolution en ce sens est très nette. Cela étant, cette nouveauté tend à s'étendre.
Les collectivités ont une chance par rapport à l'État : ce sont elles qui ont inventé le marché de l'emploi.
Pour autant, on ne va pas dans une collectivité sans le vouloir : autrement dit, on se choisit mutuellement. La contractualisation porte, dès le départ, sur un parcours de vie, et pas seulement un parcours de travail. Je suis toujours étonné que l'État ne s'approprie pas ce système extraordinaire.
Entre des assemblées politiques composées respectivement de neuf hommes et une femme, de six hommes et quatre femmes, de cinq hommes et cinq femmes, voire de six femmes et quatre hommes, les conséquences ne sont pas les mêmes. Mais si les femmes sont à présent plus nombreuses, les jeunes hommes d'aujourd'hui portent également d'autres valeurs. Certains élus vice-présidents m'ont ainsi demandé d'organiser des réunions de commission bien avant l'heure habituelle – les fameux vingt heures ou vingt et une heures – pour pouvoir être à la maison à vingt heures et s'occuper des enfants !
Certes, l'évolution observée dans les collectivités est encore minoritaire en raison de la différence de générations et d'emplois. En outre, toutes les collectivités n'en sont pas au même stade car si les établissements publics de coopération intercommunale, les communes et les régions sont en phase avec la société, je ne suis pas aussi sûr que les départements le soient.
C'est logique car la représentation des femmes élues dans les communes et les régions est bien supérieure à celle des départements. Dans les conseils généraux, les hommes ne sont pas confrontés aux réalités de leurs collègues élues femmes puisqu'elles sont très peu nombreuses et ont souvent l'âge d'être grand-mère ! La question de la parité ne se pose donc pas dans les mêmes termes pour eux.
Autre point important : le regard des hommes politiques sur les jeunes femmes qu'ils recrutent est également en train de changer. En effet, pour qu'elles accèdent aux postes de directrice générale, comme c'est le cas aujourd'hui, il faut bien que les hommes – encore majoritaires – les recrutent.
Des hommes politiques, des présidents recrutent aujourd'hui des femmes, ce qui était difficile pour d'autres il y a une dizaine d'années. C'est aussi une question de génération.
Il ne faut culpabiliser ni les collectivités ni les autres employeurs. Les choses doivent venir naturellement : encore une fois, sans doute par le contrat. Or dans les années 2000 notamment, on a pris le problème par le mauvais bout en posant la responsabilité sociale de l'employeur.
En 1991, j'avais proposé pour la première fois la création d'une crèche à un président de conseil général, en utilisant des arguments d'efficacité et de management, qui se sont d'ailleurs avérés. Tout ce qui est collectif, unilatéral et culpabilisant ne marche pas, il faut agir autrement : par le management, l'efficacité et le contrat. Comme le bureau des temps, le thème de la culpabilisation ne marche pas. De toute façon, les jeunes femmes cadres refusent tout simplement cette conception des choses.
À cet égard, la demande des personnels féminins de pouvoir poser leurs congés par rapport à ceux de leurs conjoints est un grand classique ! Comme si l'administration et les collectivités devaient toujours se plier aux contraintes du secteur privé, comme si les contraintes de l'efficacité n'y existaient pas !
Autre point irritant : la masculinisation des termes. Hier encore, je lisais dans le journal Le Monde : « recrutons directeur développement hommefemme » ! C'est symbolique !
À partir de là, d'autres habitudes vont se créer dans la vie au travail. C'est encourageant et positif.
Oui, car c'est prendre le travail pour ce qu'il est : un élément de la vie.
Seuls les bureaux des temps axés sur l'urbanité – la place des piétons, les établissements publics, etc. – et la société, comme en Italie, ont fonctionné. Des concepteurs de bureaux des temps ont mené une vraie réflexion, notamment en matière de crèches parentales, après s'être aperçus de la nécessité d'avoir à proximité des lieux de travail des structures de garde d'enfants. Aujourd'hui, les urbanités travaillent sur la mobilité durable. À Nantes par exemple, les équipements publics, notamment les bibliothèques, et les passages des tramways ont été examinés sous l'angle du trajet domicile-travail.
Quant au flux, l'évolution est rapide du fait du départ des babys boomers et de l'arrivée en masse des jeunes générations.
En tant que président de l'Association des directeurs administrateurs territoriaux, parlez-vous exclusivement des administrateurs ou des fonctionnaires territoriaux en général ?
Mon propos repose sur l'expérience de mes deux casquettes de directeur général de collectivité et d'ancien DRH pendant dix ans dans de grandes collectivités.
Autres Points : l'allongement de la durée de vie a un impact très important sur les comportements. Autrefois, les femmes cadres n'anticipaient pas leur parcours. Les jeunes femmes d'aujourd'hui sont conscientes de la nécessité de gérer leur temps car, en arrivant aux responsabilités à trente-deux ou trente-trois ans, elles devront « tenir » trente-cinq ans. C'est aussi un élément nouveau et donc une raison supplémentaire qui les fait ne pas choisir : travail, mari, enfants, autant avoir tout, car ce sera très long et elles ne peuvent pas préjuger l'avenir. C'est un discours que j'ai entendu de multiples fois.
Voilà pourquoi, encore une fois, la responsabilité sociale de l'employeur est révolue car il s'agit toujours d'une démarche unilatérale, d'un comportement descendant.
Ces jeunes femmes estiment que c'est à elles de s'organiser, pas à l'employeur de le faire. Mais si chacun doit trouver ses propres solutions, avec toutes les inégalités qui en découlent, on prend la marche inverse de l'évolution vers l'égalité ! Sans organisation sociale collective, c'est le chacun pour soi, l'individualisme le plus total.
Sur ce point, la marge de manoeuvre des syndicats est très étroite car, si le cadre est collectif, les jeunes aspirent à une contractualisation, à une régulation individuelle. C'est un des aspects de la crise de la représentation syndicale, notamment dans les collectivités.
La notion de cadre collectif mérite certainement d'être légitimée en elle-même. Mais je ne sais pas comment doit se faire la régulation.
Le chacun pour soi est producteur de frustrations, de difficultés, d'inégalités entre les individus, les personnes et les territoires. Des réflexions sont-elles engagées sur la question de la régulation collective ?
Bien entendu. C'est bien pour cette raison d‘ailleurs que je suis président d'association ! Nous sommes heureusement encore quelques-uns à croire au cadre collectif. Pour ma part, j'ai remplacé trois vice-présidents masculins par trois femmes – ce qui n'est pas allé de soi.
Mais le cadre collectif n'est plus le même aujourd'hui. La force des collectivités locales est d'avoir un cadre collectif suffisamment petit pour être gérable. Elles peuvent incarner un territoire donné, un cadre de vie immédiatement repérable. Elles sont donc bien plus souples que l'État, car les problèmes sont immédiatement identifiables. La contractualisation marche parce que nous pouvons identifier les choses.
Pour moi, la régulation ne peut être que collective. Si tout le monde réussit individuellement, c'est la fin du sens d'une société constituée.
La séance est levée à dix-huit heures trente.