La Commission examine, en application de l'article 145 du Règlement, le rapport de la mission d'information sur les paradis fiscaux, sur le rapport de MM. Didier Migaud, Gilles Carrez, Jean-Pierre Brard, Henri Emmanuelli, Jean-François Mancel et Nicolas Perruchot.
Mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui réunis pour l'examen du rapport de la mission d'information mise en place en décembre dernier sur les paradis fiscaux, que j'ai présidée et dont est également membre notre collègue Gilles Carrez, Rapporteur général. Cette mission est en outre composée, dans le respect du pluralisme, par M. Jean-Pierre Brard pour le groupe GDR, M. Henri Emmanuelli pour le groupe SRC, M. Jean-François Mancel pour le groupe UMP et M. Nicolas Perruchot pour le groupe NC.
Ce rapport retrace l'historique des paradis fiscaux, en propose une définition, et fait état des tentatives passées et plus récentes dans le combat contre les paradis fiscaux. Les auditions que nous avons menées ont également permis de soulever des points problématiques. Si les initiatives récentes vont dans le bon sens, elles méritent toutefois d'être concrétisées. En effet, l'adoption de la liste grise de l'OCDE par le G20 en avril dernier est le fruit d'un compromis politique, ce qui suffit à montrer l'insuffisance des initiatives prises, qu'il faut en tout état de cause poursuivre, tant au plan international – je pense au très prochain sommet de Pittsburgh, qui réunira le G20 le 24 septembre prochain –, qu'au niveau européen, avec notamment la refonte de la directive épargne, et enfin, sur le plan interne.
Nous proposons ainsi un ensemble de mesures qui s'inscrivent dans le mouvement global de régulation financière et bancaire tout en préconisant un renforcement des moyens de l'administration fiscale pour lutter contre les paradis fiscaux.
Deux principes ont guidé notre démarche : d'une part, la transparence, qui nous a conduits à préconiser de nouvelles obligations déclaratives concernant l'ensemble des mouvements de fonds vers ces territoires non coopératifs, et d'autre part, l'efficacité de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales via les paradis fiscaux, qui nous a conduits notamment à proposer la mise en place d'un service fiscal judiciaire, composé d'agents dotés des pouvoirs d'officier de police judiciaire.
Ce rapport exprime les opinions de l'ensemble des membres de la mission.
Je signale également que le Rapporteur général et moi-même avons eu des rencontres régulières avec le ministre des comptes publics, notamment depuis l'affaire du Liechtenstein. Sur ce dernier point, des redressements sont en cours et trois dossiers ont été transmis à la justice, dossiers qui représentent 85 % des montants en jeu. Nous avons également pu consulter la liste des 3 000 personnes détentrices de comptes en Suisse, dont Bercy est en possession et sur laquelle des investigations sont en cours.
Parmi les propositions de la mission d'information, figure un ensemble de dispositions fiscales. L'arme fiscale a un effet dissuasif. Nous avons commencé à en user en loi de finances rectificative pour 2008 avec l'allongement des délais de reprise et la majoration des amendes en cas de non respect des obligations déclaratives. Je tiens à insister sur le fait que les propositions concernent également les personnes morales. On a pu lire ici et là des réflexions sur le fait que seuls les particuliers seraient concernés par la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, notamment suite à l'annonce de la possession d'une liste de 3 000 personnes détentrices de comptes en Suisse, alors que les entreprises organisant des fraudes à grande échelle seraient à l'abri. Le rapport propose de se doter d'un arsenal de mesures équilibrées.
S'agissant des personnes morales, il s'agit d'abord de mettre en oeuvre une fiscalité défavorable aux flux en provenance ou à destination des paradis fiscaux (exclusion des régimes favorables, limites de déductions, retenues à la source), complétée par le renforcement des dispositifs anti-abus. Une attention particulière est portée aux prix de transfert pratiqués par les entreprises, qu'elles devront documenter et déclarer. Ensuite, le rapport préconise d'instituer une obligation de déclaration des montages en lien avec les paradis fiscaux. Enfin, les établissements financiers doivent être astreints à des obligations déclaratives nouvelles permettant à l'administration de détecter la fraude et l'évasion fiscales.
Pour établir et réprimer la fraude, comme l'a souligné notre Président, il est aussi nécessaire de disposer d'un service d'enquêtes avec des agents des services fiscaux disposant de la compétence d'officier de police judiciaire, placés sous l'autorité d'un juge.
Je suis plus sceptique que vous. Les propositions de la mission d'information vont dans le bon sens, mais aucune avancée concrète n'a eu lieu pour l'instant. La dernière opération de communication du ministère du Budget, autour de la liste des 3 000 « évadés fiscaux », n'incite d'ailleurs pas à l'optimisme.
Le ton de notre rapport d'information est prudent. Il est excessif de dire qu'aucune avancée n'a été réalisée : nous avons par exemple pu le constater à propos de trois importants dossiers relatifs au Liechtenstein. Mais, bien évidemment, il appartiendra à notre Commission de régulièrement interpeller le Gouvernement afin de s'assurer que toutes nos propositions ne restent pas lettre morte.
La mission d'information suggère de créer, pour les professions juridiques et financières, une obligation de déclarer les montages réalisés pour leurs clients en lien avec les paradis fiscaux. Pourtant, le texte de la proposition de loi adoptée hier ne va guère dans ce sens s'agissant des experts comptables.
Un amendement est prêt pour revenir sur cette disposition. Il faudra que notre Commission l'adopte.
Concernant le Liechtenstein, un accord est en vue pour deux des trois dossiers, tandis qu'un seul nécessiterait une décision judiciaire. Les douanes sont en charge de ce dossier et disposent de pouvoirs judiciaires.
Le principe même de la transaction n'est pas condamnable. C'est au cas par cas qu'il faut déterminer s'il est préférable de saisir la justice.
La fraude et l'évasion fiscales posent un véritable problème de sanction. La transaction est souvent efficace, mais la discrétion de la procédure empêche tout effet de dissuasion. Une stigmatisation publique, au moyen d'une sanction pénale, est parfois préférable au « secret des services ». Encore faut-il que les magistrats se montrent suffisamment sévères, ce qui est rarement le cas.
Concernant les propositions de la mission d'information, l'optimisme est tempéré et la cohérence assurée avec les orientations suggérées dans le cadre de ce que la presse nomme le « G 24 », c'est-à-dire le groupe de travail Assemblée - Sénat sur la crise financière.
Quant aux décisions arrêtées au plan mondial dans le cadre du G 20, elles apparaissent pour l'instant purement symboliques, dès lors que ni le Delaware, ni Hong Kong et Macao ne figurent parmi les listes d'États non coopératifs. Le fait que Monaco y figure en revanche témoigne de la faible influence de la France au sein du G 20.
Les propositions de la mission d'information complètent utilement celles du rapport que j'ai présenté en juillet avec Mme Elizabeth Guigou au nom de la commission des affaires européennes, à propos notamment de la directive sur la fiscalité de l'épargne. Toutefois, nous n'en sommes encore qu'au début du processus de lutte contre les paradis fiscaux : le risque est que toutes ces bonnes intentions soient dénuées d'effet, comme cela avait été le cas au début des années 2000.
Il y a trois « batailles » distinctes à mener. La première doit être conduite au sein de l'OCDE, à propos de la constitution des listes d'États non coopératifs, ainsi que des modalités de sortie de ces listes. C'est un point très important puisque les propositions de modification de la législation fiscale formulées par la mission d'information renvoient à ces listes d'États. La deuxième bataille concerne l'Union européenne et, en particulier, la directive « épargne ». Avant les élections de juin, le Parlement européen avait proposé d'importants amendements à cette directive afin de lutter contre les paradis fiscaux et de développer des mécanismes de déclaration automatique de renseignements. Il n'est pas sûr que le nouveau Parlement européen reprenne ces amendements, ni qu'ils soient retenus par le Conseil Ecofin qui se réunira en octobre. Enfin, la troisième bataille est à mener au sein du G 20. Elle excède d'ailleurs la seule question des paradis fiscaux. Devront également être abordés les problèmes de blanchiment d'argent ainsi que les « paradis financiers », tels que les marchés de gré à gré de produits dérivés. Il conviendra également d'être particulièrement vigilant quant au devenir de la directive sur les fonds alternatifs (hedge funds) et aux propositions du commissaire Mac Creevy. La réunion du G 20 à Pittsburgh en septembre prochain sera donc décisive.
Les opinions exprimées sont partagées par la mission. On constate en effet des avancées mais elles restent fragiles et les conditions du succès de la démarche ne sont pas encore réunies. La clé sera notamment dans la mise en oeuvre et le suivi des décisions prises. Les trois défis évoqués par Daniel Garrigue se retrouvent dans le rapport. Dans le cas de la directive « épargne » par exemple, il faut que la France défende la suppression de la retenue à la source et force ses partenaires à échanger les informations. La mise en oeuvre sera donc primordiale et notamment l'interprétation des nouvelles conventions fiscales sera cruciale. Je rappelle que nous avons voté une disposition prévoyant la remise par le Gouvernement d'un bilan annuel de ces conventions. Nous proposons que les conventions soient dénoncées si l'interprétation qui en est faite est contraire à l'intention initiale exprimée par les parties.
Les travaux en cours vont dans le bon sens, mais je m'inquiète de l'absence d'avancées sur plusieurs dossiers. La question des bonus, par exemple, demeure. Seuls les Pays-Bas ont pris une décision efficace en les taxant à hauteur de 30 %. Le fait de les étaler sur trois ans ne règle pas le problème, et seule une disposition législative peut avoir une portée. De même, l'affaire de la liste des 3 000 personnes détenant un compte en Suisse a une portée limitée à la communication du Gouvernement.
Je partage les vues qui ont été exposées, notamment en ce qui concerne les bonus. Sur les paradis fiscaux, des dispositions législatives peuvent être adoptées et je crois que telle est la volonté du ministre des comptes publics. Le but de la mission est de concrétiser ses propositions, et non de se contenter de communiquer sur le sujet.
Les résultats du contrôle fiscal seront la preuve de la réussite ou de l'échec de la lutte contre les paradis fiscaux.
Je partage également les opinions qui ont été exprimées et je crois qu'il convient de rester prudent, le processus engagé n'en étant qu'à ses prémices. L'accent doit être porté sur le suivi. Au début des années 2000, les mesures proposées par l'OCDE n'avaient pas eu d'effet en raison de l'absence de suivi. Aujourd'hui en revanche, l'application des conventions fiscales doit être contrôlée et il devrait être possible de les dénoncer si elles ne sont pas appliquées correctement. Une grande vigilance est requise et une cellule de veille pourrait être mise en place au sein de la Commission, qui travaillerait en coopération avec les services de Bercy. Par ailleurs, en ce qui concerne les bonus, l'arme fiscale constitue également une solution. Enfin, il est nécessaire d'assurer une meilleure documentation sur les prix de transfert et une communication systématique sur les montages d'optimisation.
En ce qui concerne les stock-options, un texte est nécessaire. Le fait que les réunions des dirigeants des grandes banques se répètent périodiquement montre que le problème n'est pas réglé.
Comment la liste de 3 000 noms de personnes détenant un compte en Suisse a-t-elle été établie ? Quelle est la proportion de ces personnes relevant de la délinquance financière ? Comment mettre en place une police fiscale ? Je pense que ces précisions sont utiles car elles permettent de mieux expliquer notre démarche, d'assurer l'effectivité à long terme des mesures prises, de renforcer la confiance dans la justice fiscale et de participer au rééquilibrage de nos finances publiques.
La liste de 3 000 noms a été obtenue par des sources non anonymes et non rémunérées, ainsi que par les contrôles exercés par l'administration fiscale, notamment sur l'obligation de déclaration à laquelle les banques sont soumises. Tous ces comptes ne sont pas frauduleux. Ils peuvent par exemple concerner des personnes travaillant en Suisse. Des investigations doivent être menées pour déterminer le caractère délictueux des comptes.
Les mesures proposées qui concernent les établissements de crédit s'appliqueraient-elles également à leurs filiales ?
Je souhaiterais également soulever le problème du contrôle des sociétés de fiducie, installées au Luxembourg ou en Suisse, et qui offrent des produits ou des services en France.
Les sociétés de fiducie pourraient effectivement devenir des structures opaques. Il existe un risque d'affaiblissement de leur encadrement.
La question est pertinente et montre la nécessité d'un processus de suivi et de l'importance de l'obligation de déclaration et de transparence.
On constate un changement d'état d'esprit. Longtemps, il a semblé que le contrôle fiscal concernait les petits contribuables, sans que les gros patrimoines ne soient inquiétés, ce qui semble être en train de changer. Les propositions de la mission sont satisfaisantes mais l'essentiel se jouera dans le suivi.
Je serais moins optimiste car je crois que les changements constatés sont purement conjoncturels. Le fonctionnement des transactions financières reste un enjeu d'importance. A l'occasion de mon travail sur le projet de loi relatif aux jeux en ligne, j'ai appris que des transactions financières pouvaient être réalisées sans limites et de manière anonyme, ce qui posait de gros problèmes à Tracfin dans sa lutte contre le blanchiment. Ma question porte sur le calendrier et l'éventuelle implication de l'exécutif et de la Commission européenne dans la mise en oeuvre des recommandations de la mission.
J'aurais pour ma part une question pour Daniel Garrigue sur la directive « épargne ». Existe-t-il des chances d'aboutir à un résultat satisfaisant sur ce texte ? Il semble que le Parlement européen et la Commission aient une réelle volonté d'avancer.
Il est vrai que des éléments positifs sont prévus dans le projet de directive. Une question demeure néanmoins : le nouveau Parlement va-t-il reprendre les amendements qui avaient été déposés avant les élections ? Quoi qu'il en soit, le fond du problème reste l'attitude de la Belgique, de l'Autriche et surtout du Luxembourg. Pour qu'ils renoncent à la retenue à la source, il faut que soient signés des accords avec les paradis fiscaux européens et avec les Etats-Unis, puis que le Conseil européen se prononce à l'unanimité, ce qui laisse un droit de veto au Luxembourg. Une telle avancée pourrait toutefois constituer un premier pas vers une harmonisation fiscale.
Comme l'indique le rapport, il faut que les propositions de la mission soient défendues au niveau européen. Il existe le risque que le soufflé retombe. A cet égard, l'intérêt du G 20 est de permettre de mesurer le chemin parcouru entre deux sommets. Depuis Londres, peu d'avancées ont été constatées sur le sujet des paradis fiscaux. Une traduction législative paraît nécessaire et pourrait trouver place dans le prochain projet de loi de finances.
Attention à ne pas faire preuve de naïveté quant aux réactions des paradis fiscaux : ceux-ci ne vont pas se laisser faire ! Par exemple, l'ambassadeur du Luxembourg m'a récemment expliqué que son pays devait faire face à la « concurrence » d'autres États et que le niveau de vie du Luxembourg risquait d'être menacé par les mesures de lutte contre les paradis fiscaux. Une forte pression des autres États sera donc indispensable.
Nous avons également reçu différentes délégations tenant des discours similaires. Cela n'a pas empêché la mission d'information de leur opposer un langage de fermeté.
La Commission autorise la publication du rapport d'information.