Point d'étape sur la mission d'information sur la mise en oeuvre et le suivi de la réorganisation du ministère de la défense (MM. Bernard Cazeneuve et François Cornut-Gentille, rapporteurs)
La séance est ouverte à seize heures quarante-cinq.
Nous débutons la séance de cet après-midi par un nouveau point d'étape de la mission d'information sur la mise en oeuvre et le suivi de la réorganisation du ministère de la défense.
Un premier rapport a été publié en février de cette année, les rapporteurs avaient fait à cette occasion un certain nombre de propositions. Nous allons voir si elles ont été suivies d'effet et nous saurons si la réforme respecte les délais qu'elle s'était fixés.
Je pense que la communication d'aujourd'hui est l'occasion de faire état des difficultés que nous rencontrons pour disposer de tous les éléments nécessaires à notre mission. Comme je l'avais déjà évoqué l'année dernière, il nous est difficile d'apprécier la réforme puisque le ministère rechigne à nous adresser régulièrement des informations précises et complètes. En 2008, nous n'avions reçu des informations chiffrées que la veille de la présentation de notre point d'étape ; cette année nous nous trouvons dans la même situation puisque nous n'avons eu communication qu'hier d'éléments concernant les bases de défense. J'indique d'ailleurs que ce qui nous a été transmis reste à un niveau très général et ne permet aucune analyse contradictoire ni aucun recoupement.
Cette situation est d'autant plus insatisfaisante que j'ai demandé de façon informelle dès le mois de septembre à avoir ces données et que nous avons formellement adressé un questionnaire en ce sens à la direction des affaires financières dès le 16 septembre dernier. Au final nous n'avons que des éléments de langage, comme si notre mission visait à contrôler et à suivre la communication du ministère et non la réforme elle-même !
Face à cette difficulté structurelle, je souhaite que nous bénéficiions du soutien de la commission. L'état des relations avec le ministère est d'autant plus dommageable que l'appréciation globale que je porte sur la réforme est positive et qu'il me semble que notre travail est l'occasion pour le ministère de montrer qu'il remplit effectivement ses objectifs.
Le ministère ne peut se satisfaire d'un fonctionnement endogamique et doit accepter les analyses extérieures, qu'il s'agisse du Parlement, du ministère du budget ou de la Cour des comptes. Il me semble primordial que ces échanges soient organisés et qu'ils se fassent en toute transparence. J'ai en effet le sentiment que les informations qui nous sont transmises sont trop retravaillées, comme si le ministère ne voulait pas assumer la réalité des chiffres.
Dans ce cadre renouvelé, je souhaite que nous puissions examiner en détail quatre aspects. Il faut tout d'abord nous assurer de la réalité financière de la réforme : les économies sont-elles au rendez-vous ? Il convient ensuite de veiller à la « manoeuvre RH » sur le plan quantitatif mais aussi et surtout sur le plan qualitatif. Les bases de défense constituent un autre point essentiel de la réforme : quel en est le bilan précis ? Le ministre déclare vouloir accélérer la généralisation du modèle, mais sur quel fondement ? S'agit-il d'une simple mesure d'affichage ou cette décision correspond-elle à un véritable besoin opérationnel ?
Enfin, nous devons travailler sur le projet de regroupement des administrations centrales à Balard. Ce projet est emblématique et nécessaire à la réforme ; nous devons donc nous assurer de sa viabilité et de sa solidité. Il faut pour cela que le ministère nous fournisse toutes les données.
Je ressens une certaine amertume dans les propos du rapporteur, notamment en ce qui concerne sa relation avec le ministère.
Alors que nous engageons la discussion budgétaire, il me semble nécessaire de revenir sur l'équation globale de la réforme. Faute de disposer d'éléments précis, nous sommes contraints de continuer à nous interroger sur son économie. La réduction de 54 000 emplois doit permettre de générer près de 4 milliards d'euros d'économies entièrement reversées au profit des équipements. Pour y parvenir, le ministère devra engager quelque 1,2 milliard d'euros pour les infrastructures, ces dépenses devant néanmoins être couvertes par la baisse équivalente des dépenses de fonctionnement. En outre, le ministère pourra compter sur 3,7 milliards d'euros de recettes exceptionnelles tirées de la vente d'emprises et de fréquences. Au final, ce schéma devrait permettre de réduire définitivement le décalage persistant entre les prévisions de la programmation et sa réalisation.
Face à ce montage, j'ai toujours des doutes mais désormais, j'ai aussi des certitudes inquiétantes. J'observe tout d'abord que les ressources exceptionnelles présentées comme imminentes en 2009 tardent à arriver au point que le chef d'état-major des armées a manifesté un certain scepticisme en la matière à l'occasion de sont audition devant notre commission. Je partage sa réserve puisque ni Matignon ni l'ARCEP n'ont autorisé la vente des fréquences. Le plan de relance permet certes de faire face aux besoins de trésorerie, mais il ne règle pas le problème au fond.
En ce qui concerne les bases de défense, je comprends que la mutualisation du soutien permettra de réaliser des économies d'échelle et ainsi de réduire les dépenses de fonctionnement. Mais justement, si ce modèle fonctionnait aussi bien que le ministre le prétend, comment se fait-il qu'il ne soit pas en mesure de nous le démontrer, chiffres à l'appui ? Il serait normal que nous ayons, pour chaque base, les économies réalisées et en regard les dépenses qui ont dû être faites. Nous avons adressé un questionnaire à la direction des affaires financières sur ce point le 16 septembre dernier et nous n'avons obtenu de retour qu'après un courrier de relance adressé au ministre le 29 septembre. Les éléments apportés me semblent d'ailleurs très sibyllins puisque le directeur adjoint du cabinet se contente d'expliquer que « les économies attendues de la réforme du ministère sont bien au rendez-vous, comme en témoigne le modèle financier actualisé dont vous disposez, en réponse au questionnaire que vous avez adressé au directeur des affaires financières du ministère. Toutefois, il m'est impossible pour le moment d'isoler et de chiffrer la part de ces économies qui revient aux seules bases de défense expérimentales puisque les réductions d'effectifs obtenues grâce à cette action sont ventilées dans les projets fonctionnels relevant du soutien […]. De même, les économies générées grâce à la rationalisation des achats qui passe notamment par la réduction du nombre des acheteurs, sont comptabilisées et centralisées au titre de la fonction achat ».
Je ne peux que constater que le ministère est dans l'incapacité d'isoler les économies générées par les bases de défense. Cela signifie-t-il qu'aucun indicateur de suivi n'existe, contrairement à ce qui nous est annoncé ?
Cela peut aussi vouloir dire que le ministre dispose des données mais ne souhaite pas nous les transmettre car elles ne sont pas conformes aux résultats attendus. Je ne comprendrais pas en effet qu'il se refuse à prouver qu'il atteint ses objectifs ! L'autre hypothèse possible est plus grave : le ministère ne dispose peut-être d'aucun élément, c'est-à-dire qu'il n'est pas en mesure d'assurer le suivi de la réforme.
Cet argument n'est pas recevable dès lors que le ministre considère que les bases fonctionnent tellement bien qu'il peut accélérer leur mise en oeuvre. Nous ne voulons pas instruire a priori un quelconque procès contre la réforme mais bien nous assurer qu'elle remplit les objectifs qu'elle s'est elle-même assignés. Il y a clairement un décalage entre ce que le ministre annonce et la réalité du suivi interne des restructurations.
Je tiens également à souligner que nous faisons face à une multiplication des structures que ce soit la mission de coordination de la réforme confiée au général Thierry Cambournac, le comité financier interministériel ou encore le comité ministériel d'investissement. De même, des indicateurs extrêmement sophistiqués semblent être créés. Les réponses transmises par la direction des affaires financières font par exemple état de « la mise en place de la trajectoire réévaluée des besoins (TRB) […] qui retrace, dans le cadre pluriannuel de la planification ministérielle, les évolutions des dépenses d'investissement relatives au périmètre physique arrêté par la version actualisée du référentiel de programmation ». Mais plus il y a de structures et plus il y a d'indicateurs, plus le ministère est muet. On peut légitimement se demander si la réforme est contrôlée, d'autant que ni la direction générale de la modernisation de l'État, ni l'inspection des finances, ni la Cour des comptes ne participent pour l'heure à cet exercice de contrôle.
Finalement, le schéma financier actualisé montre que la réforme va coûter 35 millions d'euros en 2010 alors qu'elle devait permettre d'en économiser 26. Le ministère prévoit une inversion de la tendance et un rattrapage final mais sans que nous sachions pourquoi ni comment il s'opérera. L'éclatement de la fonction financière me semble très clairement montrer que le ministère n'est pas en mesure de piloter sa réforme de façon aussi efficace que nécessaire.
Dans ce contexte, je crois qu'il faut que le Parlement joue pleinement son rôle et exerce l'ensemble de ses pouvoirs de contrôle face à un ministère par trop récalcitrant, en affirmant clairement sa volonté d'exercer ses prérogatives.
Je vous félicite pour ce travail prospectif. Il vous place à l'avant-garde de la mission de contrôle que nous confie la Constitution et qui est au coeur de la réforme des institutions. J'aurais cependant un regret : pourquoi n'avez-vous pas abordé cette question lors de l'audition du ministre ?
Face aux difficultés que vous rencontrez, je vous propose que nous rédigions une lettre conjointe au ministre pour que vous obteniez effectivement les renseignements indispensables au bon déroulement de votre mission.
Sans rien excuser, j'observerai toutefois que ce phénomène n'est pas nouveau, il est à mon avis culturel et ces difficultés sont amplifiées par la complexité du budget de la défense.
En ce qui concerne les bases de défense, vous êtes-vous rendus sur l'une d'entre elles ?
Avant de nous rendre sur le terrain, nous souhaitions disposer de l'analyse globale de l'expérimentation. Ce n'est qu'une fois munis de ces données que nous pourrons utilement vérifier si elles correspondent à la réalité.
Je pense que les deux logiques peuvent se justifier, les informations recueillies auprès des services centraux et dans les bases de défense devant, en toute logique, concorder.
Le ministre nous a indiqué que malgré le peu de recul, il semble que certains critères doivent d'ores et déjà être corrigés. Je pense notamment à l'approche géographique, la règle des 30 kilomètres semblant trop rigide. Par exemple, la mise en oeuvre de la base expérimentale de Marseille fait aujourd'hui l'objet d'ajustements : dans les projets initiaux, le premier régiment étranger de la légion étrangère installé à Aubagne devait constituer sa propre base de défense, ce qui n'était pas forcément justifié. Il est désormais prévu de l'intégrer dans la base de Marseille.
Concernant les difficultés que vous rencontrez pour obtenir des informations, je constate que le phénomène tend à se généraliser. Je les ai moi-même connues au cours de mes travaux relatifs au contrôle des crédits ou à la révision générale des politiques publiques (RGPP). J'ai par exemple peiné à faire entendre au ministère qu'il n'était pas pertinent d'empêcher le mouvement de certains civils volontaires sous prétexte qu'ils n'appartenaient pas à une unité restructurée. L'approche doit être plus souple, prendre en compte les réalités locales et essayer de respecter, autant que possible, les souhaits des personnels.
J'ai choisi de ne pas interroger directement le ministre car cela ne correspond pas à l'esprit qui anime notre commission ni à l'esprit de courtoisie auquel nous sommes ensemble attachés, d'autant que le délai imparti aux services pour répondre venait tout juste de s'écouler.
Par ailleurs, je me félicite de votre proposition et je signerai très volontiers le courrier que vous évoquez.
Nous pourrons procéder en deux temps : adresser un courrier au ministre et, si nous n'avons pas obtenu satisfaction, nous pourrons l'inviter à venir s'exprimer devant la commission sur ce sujet spécifique.
Pour que les membres de la commission comprennent la situation dans laquelle nous nous trouvons, je souhaiterais vous lire un extrait de la lettre que nous a fait parvenir le ministère au sujet du projet de Balard. « S'agissant du projet de regroupement des administrations centrales sur le site de Balard, je suis au regret de ne pouvoir donner suite à votre demande de transmission de l'étude préalable au contrat de partenariat. Ce document contient en effet de nombreuses informations dont la publication, totale ou partielle, nuirait gravement aux intérêts de l'État ».
Je tiens pourtant à souligner le caractère exemplaire de notre commission, aucune des informations classifiées qui ont pu nous être transmises n'a jamais été communiquée à l'extérieur de cette enceinte.
Je vous remercie de votre soutien. Pour ma part, je n'ai pas interpellé le ministre car j'avais reçu des assurances de la part de ses services sur le fait que nous aurions des données, certes tardives, mais complètes. Je constate malheureusement que le contenu n'a pas été à la hauteur de ce qui nous avait été promis. Je ne peux que me sentir profondément agacé de ce jeu de dupes !
Pour nuancer ce qui vient d'être dit, je souhaite souligner qu'au niveau local, d'importants efforts de communication ont été entrepris. Dans ma circonscription, le modèle de base de défense est expérimenté au sein de la base de La Valbonne. Un inspecteur général des armées est venu en visite d'inspection et a invité les élus locaux concernés à faire le point sur les modalités d'accueil et sur l'organisation de la base.
Je soutiens le projet de démarche solennelle du président. Je tiens également à souligner ma satisfaction par rapport au travail de nos collègues qui a le mérite d'une grande franchise.
Il me semble assez grave de voir que bien que nous soyons la commission de référence en matière de défense, nous avons les plus grandes peines à obtenir des informations précises.
Mais je pense que si les rapporteurs se rendent sur une base de défense, ils risquent fort de se heurter au poids de la hiérarchie. Nous voulons un contrôle global et non local, or le ministère pourrait trouver plus confortable que nous nous engagions dans des démarches sans fin sur le terrain. Nous devons au contraire exiger d'avoir accès aux éléments dont les échelons centraux ont connaissance.
Par ailleurs, je profite de cette intervention pour vous signaler ma préoccupation au sujet des externalisations devenues le « prêt à penser » du ministère de la défense. Il faut engager une réflexion sur ce sujet.
Il me paraît difficile d'évaluer les résultats d'une réorganisation aussi récente. Par ailleurs, la réforme étant un objet nouveau, il n'est pas illogique que les indicateurs qui doivent la mesurer soient en train d'être créés.
S'agissant des bases de défense, vous avez évoqué une possible augmentation de leur nombre. Cela ne consiste-t-il pas à nommer « bases de défense » des bases qui n'en sont pas ?
Au contraire, le nombre de bases de défense devrait baisser. Le ministre a annoncé que 70 bases de défense devraient finalement suffire à couvrir le territoire.
Je suis très mécontent des difficultés que vous rencontrez dans ce travail de contrôle. Nous assistons finalement à une sorte de discours à deux volets : d'une part un échelon local et un ministre qui font montre d'une grande transparence, et, d'autre part, des échelons intermédiaires faisant preuve d'opacité. Je m'associe à la proposition du président Teissier de saisir le ministre en notre nom à tous ! Il est de notre responsabilité de dire combien l'attitude que prennent certains généraux envers la représentation nationale n'est pas acceptable.
Je suis déçu de ne pas pouvoir disposer d'informations précises sur le coût des restructurations. Cela me déçoit d'autant plus que je pensais que les rapporteurs auraient pu obtenir toutes les données dont ils ont besoin. Il est anormal que vous ne puissiez pas mener à bien votre mission ! Comme mon collègue Christophe Guilloteau, je soutiens sans réserve la proposition du président Teissier.
Quelles sont les conditions de réemploi des biens fonciers libérés lorsque les structures ferment ? Les cessions d'actifs pour un euro symbolique sont-elles systématiquement accompagnées de projets sérieux de reconversion ?
C'est normalement la règle : le repreneur doit présenter un projet d'aménagement de la zone.
Jeudi dernier, lors de la réunion du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale, MM. Claude Goasguen et Jean Malot, rapporteurs, ont indiqué que les ministères avaient fait preuve dans l'ensemble d'un bon esprit de coopération mais qu'une certaine obstruction avait été constatée de la part du ministère de la défense. Pour approfondir ce sujet, il serait bon que nos collègues François Cornut-Gentille et Bernard Cazeneuve soient associés de ce comité.
Je souhaite vraiment que notre mission soit l'occasion de moderniser les relations entre notre commission et le ministère, à l'instar des initiatives prises par le président Teissier.
Je voudrais par ailleurs indiquer qu'en tant que rapporteur budgétaire, je dois faire face à une classification abusive des documents qui me sont transmis. Si toutes les informations sont classifiées « confidentiel défense », il m'est impossible de publier le moindre élément alors même que certains se retrouvent dans la presse !
J'observe le même phénomène et il me semble qu'il faudrait opérer une sélection plus fine de façon à ce que les informations figurant sur internet ne soient pas inutilement classifiées.
La séance est levée à dix-sept heures trente.