Après l'audition de M. Bernard Laporte, secrétaire d'État chargé des Sports, de la jeunesse et de la vie associative sur les crédits de la mission Sport, jeunesse et vie associative et sur les articles 77 et 78, rattachés (voir compte rendu analytique officiel de la réunion du 30 octobre 2008), lors de la commission élargie, la commission des Finances adopte les crédits de cette mission, contre l'avis défavorable de M. Henri Nayrou, rapporteur spécial.
Puis la Commission adopte sans modification l'article 77, rattaché, avec l'avis favorable du rapporteur spécial, ainsi que l'article 78, rattaché, après que le rapporteur spécial, exprimant une position d'attente, s'en soit remis à sa sagesse sur cet article.
Le 29 avril dernier, la commission des Finances a confié à nos collègues Dominique Baert et Gaël Yanno une mission d'information sur les enjeux des nouvelles normes comptables. Dès le mois de mai, nos rapporteurs ont conduit un grand nombre d'auditions sur ce sujet d'une haute technicité, mais aussi d'une grande portée pour les entreprises françaises. Puis, après l'été, la crise financière a montré toute l'actualité de la problématique des normes comptables. Je pense en particulier à l'application dans l'Union européenne du référentiel IFRS (International Financial Reporting Standards – normes internationales d'informations financières). La responsabilité de ce référentiel comptable dans la crise internationale a été mise en cause pour son effet procyclique, c'est-à-dire pour sa tendance à aggraver les déséquilibres.
Comme le sujet, je l'ai dit, est très technique, sans attendre la présentation de leur rapport, le bureau de la Commission a demandé à nos rapporteurs une communication orale pour nous faire partager leurs premières conclusions.
Je les remercie d'avoir bien voulu se prêter à cette sorte de rapport d'étape, sur un aspect particulier de leurs travaux. Messieurs les rapporteurs, vous avez la parole.
La mission d'information sur les enjeux des nouvelles normes comptables a entrepris un large travail d'analyse des conséquences de celles-ci (normes nationales et normes internationales) sur les entreprises et, au-delà, sur l'économie tout entière. Si le champ de ses travaux est donc plus large que la seule analyse de leur rôle dans la crise financière actuelle, les 25 auditions qu'elle a organisées entre mai et juillet 2008 lui ont permis d'aborder à de nombreuses reprises ce thème, d'en comprendre les enjeux et de formuler, dans le rapport qu'elle prépare pour le début de l'année prochaine, plusieurs propositions en vue d'aménager les normes IFRS (« normes internationales d'information financière ») comme leurs modalités d'élaboration.
Depuis août 2007 s'est déclenché ce qu'on compare désormais à un « tsunami financier » (Jacques Attali) ou à « la plus grave crise économique depuis 1929 » (Alan Greenspan). Le mécanisme de la crise est désormais bien connu. La crise trouve sa source au début des années 2000 aux États-Unis lorsque, pour lutter contre la récession générée par l'éclatement de la bulle Internet puis les attentats du 11 septembre 2001, les taux d'intérêt américains ont été ramenés à des niveaux historiquement bas, générant une abondance de liquidités et des primes de risque très faibles. Une bulle du crédit s'est donc formée qui s'est traduite par une distribution souvent agressive de prêts immobiliers à taux variable aux ménages américains, en particulier les plus modestes (prêts « subprimes »).
Le deuxième acte de la crise a pour nom « titrisation ». Afin de poursuivre plus encore leur activité de prêts hypothécaires que les normes prudentielles bridaient par leurs exigences d'un ratio de fonds propres, les institutions financières ont cédé des portefeuilles de prêts à des investisseurs qui les transformaient par des techniques de titrisation en produits structurés de crédit et les cédaient ensuite sur le marché. Certains des prêts subprimes se sont ainsi retrouvés mélangés à d'autres prêts, noyés dans des produits « exotiques » bien notés par les agences de notation et achetés par les investisseurs du monde entier. Entre 2000 et 2007, porté par une hausse continue des prix de l'immobilier américain et un laxisme grandissant dans les conditions d'octroi des prêts, le marché des produits structurés de crédit a connu un développement spectaculaire, passant de 640 à plus de 2 000 milliards de dollars. Sur ce total, la part des crédits subprimes est elle-même passée durant la même période de 8% à plus de 20%.
Le troisième acte de la crise intervient à la fin de l'année 2005, lorsque la FED, la banque centrale américaine, a commencé à relever fortement ses taux d'intérêt. Les ménages américains les plus fragiles ne furent alors plus en mesure d'assumer la charge de leur emprunt dont le taux était variable. Le taux de défaut de paiement sur les prêts hypothécaires des ménages, qui atteignait à peine 4% en 2005, a alors subitement augmenté pour atteindre 10% en septembre 2007 puis 20% à la fin de cette même année. L'effondrement de la valeur des prêts subprimes et des titres adossés aux prêts hypothécaires dans leur ensemble – comme une pomme pourrie dans un panier contamine tous les fruits – a obligé les institutions financières qui les détenaient – banques, compagnies d'assurances, FCP, aux États-Unis mais également dans le monde entier, car le monde entier avait acheté ces produits – à inscrire dans leurs comptes des dépréciations considérables et à afficher des pertes dont le montant, à la fin du premier semestre 2008 – donc avant l'aggravation récente de la crise, s'élevait déjà à 400 milliards d'euros.
Les normes comptables interviennent devront ce troisième acte de la crise, en contraignant les institutions financières à afficher des pertes considérables sur leur portefeuille d'instruments financiers, pertes qui, pour certaines, les ont menées à la faillite.
En effet, la norme « IAS 39 » – International Financial Standard n° 39 –, applicable dans l'Union européenne, impose que les actifs et passifs négociables soient évalués à leur « juste valeur », c'est-à-dire à leur valeur telle qu'elle est fixée par le marché. L'introduction de la « juste valeur » dans l'évaluation des actifs et des passifs constitue un indéniable progrès par rapport à l'évaluation traditionnelle au coût historique ; cette dernière figeait en effet dans le bilan des entreprises une valeur parfois très éloignée de leur valeur réelle. La « juste valeur » améliore donc l'information des investisseurs qui disposent ainsi, trimestre après trimestre, d'une évaluation fine de leurs plus ou moins-values potentielles, ainsi que du profil de risque des entreprises concernées, permettant ainsi une meilleure allocation des investissements.
La contrepartie est cependant une forte volatilité de la valeur des actifs et des passifs. Parce que celle-ci est fixée par des marchés financiers qui peuvent connaître aléas, passions médiatiques ou « bulles », le résultat et le bilan des entreprises – et en particulier celui des institutions financières qui sont gorgées d'instruments financiers – découlent plus de la bonne ou mauvaise orientation de ceux-ci que des résultats de la gestion ordinaire de leur activité.
Ce qui est déjà un problème en soi peut devenir encore plus grave lorsque les marchés ne fonctionnent plus correctement, comme actuellement. En effet, l'application de la « juste valeur » suppose un marché fonctionnant dans des conditions normales, c'est-à-dire suffisamment liquide pour fixer un prix à l'actif ou au passif concerné. Or, l'une des caractéristiques de la crise actuelle est la contraction du marché des produits structurés de crédit et de la titrisation en général. Revenus à la raison et conscients de l'effondrement du sous-jacent de ces produits dérivés (l'immobilier américain), les investisseurs refusent désormais d'acheter ces produits. Leur valeur de marché est donc théoriquement nulle, obligeant ainsi leurs détenteurs, en application des normes comptables, à les déprécier massivement dans leur bilan.
Certes, la valeur intrinsèque de ces produits n'est pas nulle, et les normes IFRS comme les normes américaines « généralement acceptées » US GAAP – United States generally accepted accounting principles – ont prévu le cas où la « juste valeur » ne peut être fixée, en l'absence de valeur de marché. Dans ces conditions, elle est déterminée grâce à des modèles mathématiques de valorisation qui recréent, théoriquement, le prix auquel aurait abouti une opération équilibrée dans un marché liquide.
Mais le problème n'est pas pour autant résolu. Non seulement la « juste valeur » ainsi établie par la modélisation mathématique des conditions de marché des produits structurés de crédits n'a pas empêché leur dépréciation massive dans le bilan des banques mais elle a aussi jeté la suspicion sur les montants de dépréciation ainsi annoncés. En effet, personne ne sait réellement, en dehors des directions financières des établissements concernés, quelles équations et hypothèses ont été utilisées pour créer ces modèles. L'asymétrie d'information ainsi créée entre les banques et les investisseurs a renforcé la méfiance de ces derniers ainsi que celle des banques entre elles.
La « juste valeur », que celle-ci découle du « mark to market » ou du « mark to model », a donc contraint les institutions financières à déprécier massivement la valeur de leurs produits structurés de crédit mais également celle de l'ensemble de leur portefeuille de titres négociables, à mesure que les marchés boursiers se retournaient. Mais les conséquences de ces dépréciations n'auraient pas été aussi graves sans l'intervention des normes prudentielles. En effet, si les règles comptables et les règles prudentielles, ne sont pas, en elles-mêmes et individuellement, procycliques, en revanche, prises ensemble, leur combinaison semble avoir aggravé la crise financière.
Les règles prudentielles dites de « Bâle II » définissent le montant de fonds propres que les banques doivent conserver en fonction des risques de leurs activités. Plus une banque a des activités risquées ou détient des titres qualifiés de « risqués » par les agences de notation et plus elle doit maintenir un ratio de fonds propres élevé. Ces règles apparaissent de bon sens et constituent une amélioration dont il faut se féliciter par rapport aux règles de Bâle I, qui se contentaient d'exiger des fonds propres équivalents à 8% du montant des engagements des banques, que ceux-ci soient risqués ou non.
Seulement, la combinaison de ces règles prudentielles avec les règles comptables a des effets redoutables, tant d'ailleurs en période d'expansion qu'en récession. En période d'expansion, des bulles du prix des actifs peuvent se former à la faveur d'un excès de liquidité sur le marché – ce qui s'est passé depuis 2001 avec des taux d'intérêt réels négatifs. Le prix des actifs détenus dans leur bilan augmentant régulièrement – et donc leurs fonds propres, les banques peuvent tout à la fois respecter les normes prudentielles et accroître le montant de leurs prêts aux investisseurs et leurs propres investissements qui, via l'effet de levier, entraînent une nouvelle hausse du prix des actifs et ainsi de suite.
Mais ce mécanisme procyclique fonctionne également en sens inverse, comme c'est le cas actuellement. Dès lors que le prix des actifs évalué en « juste valeur » s'effondre, les dépréciations que les banques sont obligées d'inscrire dans leurs comptes réduisent leurs fonds propres. Parallèlement, comme les agences de notation ont – enfin – considérablement abaissé la note des produits structurés que les banques détiennent dans leur bilan – désormais classés parmi les actifs « risqués », leur besoin de fonds propres s'accroît encore afin de simplement respecter les normes prudentielles. Les banques sont donc contraintes de trouver très rapidement de l'argent frais.
Or, après avoir sollicité leurs actionnaires, les fonds de private equity et les fonds souverains, elles sont désormais contraintes de vendre des actifs afin de restaurer le niveau de fonds propres exigé par les normes prudentielles ; or ces ventes interviennent alors que les marchés financiers sont déprimés, le crédit disparu et les acheteurs rares, et donc à un prix bradé qui déprime plus encore les cours.
Mais il y a pire ! Ce prix bradé auquel sont vendues telles ou telles catégories d'actifs – pas forcément « toxiques » d'ailleurs – devient leur « juste valeur » en application des normes comptables. Les banques et institutions financières qui en détiennent également sont obligées de passer de nouvelles dépréciations qui réduisent leurs fonds propres et donc de vendre à leur tour des actifs pour respecter les normes prudentielles. Le cycle de dépréciations s'entretient donc de lui-même.
Enfin, les fonds propres des banques étaient réduits, leur capacité à prêter se trouve d'autant plus restreinte, et la crise se transmet à l'économie réelle par le biais d'un assèchement du crédit, le credit crunch.
Deux conclusions résultent de ces considérations.
– Premièrement, les normes comptables seules ne sont pas à l'origine de la crise financière. Elles n'interviennent, dans notre scénario, qu'au troisième acte et n'ont fait qu'enregistrer dans le résultat et le bilan des institutions financières, via des dépréciations, l'effondrement de la valeur des produits structurés de crédit puis des autres instruments financiers. Elles ne sauraient donc être le bouc émissaire ni des organismes de crédit qui ont surendetté des millions d'Américains modestes, désormais à la rue, ni des départements de titrisation des banques d'affaires, qui ont camouflé les subprimes dans des produits extraordinairement complexes, ni de la légèreté des agences de notation qui ont donné la note maximale AAA à ces produits, ni des banques qui les ont achetés sans bien les comprendre, ni enfin de l'insuffisance des dispositifs de régulation financière.
– Deuxièmement, les normes comptables, combinées aux normes prudentielles, ont incontestablement eu un effet procyclique qui a aggravé la crise en incitant les institutions financières à se débarrasser « à tout prix » de leurs actifs, même les plus sains, alors même que les marchés financiers sont fragilisés.
La comptabilité est le langage de la vie économique et les normes comptables, aux termes de l'article 120-1 du plan comptable général, ont pour objet de « présenter des états reflétant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entité à la date de clôture » de l'exercice.
Cependant, il n'y a plus aujourd'hui un seul et unique langage comptable, comme ce fut le cas en 1947, lors de l'adoption du premier plan comptable général. Le plan comptable général de 1999 ne s'applique plus désormais qu'aux comptes individuels des entreprises françaises et aux comptes consolidés des entreprises dont les titres (actions et obligations) ne sont pas admis à la négociation sur un marché réglementé de l'Union européenne.
Pour les comptes consolidés des entreprises dont ces titres sont admis à la négociation, c'est-à-dire, en pratique, les plus grandes entreprises, celles-ci doivent appliquer les « normes internationales d'information financière » ou IFRS, comme l'ensemble de leurs consoeurs européennes.
Applicables dans l'Union européenne, les normes IFRS, qui sont élaborées par un organisme international, l'International Accounting Standards Board (IASB) ont d'ailleurs vocation à devenir le langage international de la vie économique – une sorte d'esperanto de la comptabilité.
L'IASB est l'émanation de l'IASCF – International Accounting Standards Committee Foundation – qui est une fondation de droit privé, située aux États-Unis et financée par des dons des entreprises et des grands cabinets d'audit.
Alors qu'elle a réussi à réaliser un marché commun et à créer l'euro, la Commission européenne s'est toujours heurtée, en matière comptable, à l'intransigeance des États-membres. Ceux-ci, attachés à leurs traditions nationales autant qu'à leur souveraineté, ont refusé d'aller au-delà d'une harmonisation a minima (via les 4ème et 7ème directives comptables), laquelle était loin de satisfaire des marchés financiers qui exigeaient transparence et comparabilité des comptes des entreprises cotées. Sous leur pression, les grandes entreprises européennes ont été, dans les années 90, de plus en plus nombreuses à se rallier au référentiel comptable américain – considéré comme le plus fiable (c'était avant l'affaire ENRON) – etou à se faire coter aux États-Unis.
Pour sortir de l'impasse où les États-membres l'avaient mise, la Commission n'avait sans doute pas d'autre choix que d'adopter le référentiel IFRS, unique alternative crédible à l'adoption pure et simple des normes américaines US GAAP. Par une singulière ruse de l'Histoire, les États-membres, crispés sur leur souveraineté au point de ne pas engager d'élaboration de véritables normes comptables européennes, se sont résolus à l'unanimité et dans une indifférence quasi-générale à abandonner, par le règlement n° 16062002CE du 19 juillet 2002, leur pouvoir de normalisation comptable à un organisme absolument inconnu en dehors d'un petit cercle d'initiés, l'IASB, sur lequel ils n'ont aucun contrôle.
Or, ce choix est loin d'être anodin, car le choix d'un référentiel comptable n'est pas neutre et emporte avec lui une certaine vision de la comptabilité, des entreprises et, au-delà, des rapports économiques et sociaux. Ainsi la norme IAS 19 Avantages du personnel impose aux entreprises d'inscrire dans leur bilan l'ensemble des avantages, financiers ou en nature, qu'elles accordent à leur personnel. Les retraités de La Poste, par exemple, disposent du droit – à vie- – d'utiliser les restaurants administratifs et les cantines du groupe. Les normes IFRS, contrairement aux normes comptables françaises, obligent donc celui-ci à comptabiliser cet avantage à son passif. Cet exemple peut apparaître anecdotique, mais il démontre l'impact que le choix de tel ou tel référentiel comptable peut avoir sur les entreprises et, au-delà, sur les relations sociales. Car en donnant un « prix » aux avantages du personnel, en les identifiant dans les comptes, il peut être tentant de les remettre en cause…
C'est pourquoi la comptabilité est, par nature, et loin de l'image d'une technique plus ou moins rébarbative, un choix politique. De notre point de vue, il est regrettable que le politique l'ait dédaignée pendant de longues années, se contentant de déléguer le choix des normes comptables à un Conseil national de la comptabilité ou autre International Accounting Standards Board composés d'experts agissant hors de tout contrôle réel.
Le politique ne s'est pas toujours désintéressé de la comptabilité. J'en veux pour preuve le volet comptable – très substantiel – de la LOLF.
Il faut reconnaître que la technicité des normes comptables n'en fait pas un thème privilégié du débat public. En outre, les experts à qui les politiques ont délégué l'élaboration des normes comptables les ont confortés dans cette image d'une matière technique dénuée de toute portée politique.
Je crois au contraire que l'Union européenne ne peut abandonner totalement la maîtrise des normes comptables à un organisme tel que l'IASB, quelles que soient la compétence et le dévouement de ses membres. Si l'indépendance de l'IASB doit être préservée, l'Union européenne doit se donner les moyens d'agir sur le processus de normalisation comptable international. Les moyens matériels et humains de l'EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), qui est l'organisme chargé par la Commission européenne d'émettre un avis technique sur les projets de normes IFRS avant leur « homologation », doivent donc être renforcés. Il faut promouvoir une vision concurrente de la comptabilité, plus pragmatique que celle portée par l'IASB, qui pêche par son dogmatisme, en particulier s'agissant de la « juste valeur ».
De plus, l'Union européenne ne doit pas s'interdire d'user de sa qualité de principal « client » de l'IASB pour faire pression sur celui-ci, comme l'ECOFIN l'a fait avec succès le 7 octobre dernier, appelant l'IASB à modifier en urgence la norme IAS 39. Celui-ci s'est exécuté et dès le 13 octobre, a publié des amendements allant dans le sens voulu par les ministres européens.
Certes, mais nous avons eu la preuve que lorsque l'Union européenne parle fermement d'une seule voix, l'IASB écoute et s'exécute.
Pour conclure, je tiens à souligner que nous, Européens, avons une tradition comptable qu'il nous appartient de défendre et d'enrichir, en nourrissant une réflexion conceptuelle à même de concurrencer la vision de la comptabilité qui est celle de l'IASB. Celle-ci a, par exemple, une conception extensive de la « juste valeur » alors qu'il m'apparaît préférable d'élaborer une juste valeur plus réfléchie, plus pragmatique, moins portée sur l'instant et donc moins procyclique.
Je remercie les deux rapporteurs pour la qualité de leur travail et la clarté de leur présentation. Bien que nous, à la commission des Finances, soyons pleinement conscients de l'impact qu'ont les normes comptables sur les entreprises et, au-delà, sur l'économie de notre pays, il faut reconnaître que ce thème a longtemps été négligé et que les politiques ont préféré s'en remettre à l'avis des experts, avec des conséquences comme la crise que nous vivons actuellement. La commission des Finances doit donc être une force de proposition.
Je tiens également à saluer la qualité du travail de nos collègues MM. Dominique Baert et Gaël Yanno.
J'ai dit que la LOLF comportait un volet comptable substantiel. Or, la LOLF a été élaborée ici, au Parlement ; c'est la preuve que les parlementaires ne sont pas si incompétents qu'on veut bien le faire croire en matière comptable.
Par ailleurs, même si c'est une question sans lien avec la crise financière qui nous réunit aujourd'hui, il m'apparaît important que le rapport à venir analyse les liens étroits entre la comptabilité et la fiscalité. En effet, en application de l'article 38 quater de l'annexe III au code général des impôts, « les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le Plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt ». En d'autres termes, sauf dispositions contraires, la fiscalité suit la comptabilité, et l'assiette de l'impôt repose sur les agrégats découlant des règles comptables. Par conséquent, en modifiant les règles comptables – qui relèvent du pouvoir réglementaire – le Gouvernement peut fort bien modifier l'assiette de l'impôt, en contradiction avec les dispositions de l'article 34 de la Constitution. Il s'agit là d'une question majeure qui mérite toute notre attention.
Pour l'évaluation des actifs et des passifs, le choix se limite-t-il à la « juste valeur » et au coût historique ? Une autre méthode n'est-elle pas concevable ?
Je vais vous répondre par un exemple. Une compagnie aérienne acquiert un Boeing pour une valeur de 100. En coût historique amorti, au bout de deux ans, il vaut, par exemple, 80. Mais imaginons que sa valeur de marché, suite à plusieurs incidents ayant affecté cet appareil, ne soit plus que de 60. Vous semble-t-il normal d'inscrire cet avion dans le bilan à une valeur de 60, alors même que la compagnie aérienne n'a aucune intention de le céder ? Il m'apparaît préférable, dans des cas comme celui-ci, d'estimer la valeur d'un actif à partir des flux de trésorerie – ou cash flow – qu'il va générer pendant toute sa durée d'utilisation.
Une telle méthode, à partir de la valeur en flux actualisés de trésorerie, nécessite de prendre en compte la durée d'utilisation d'un actif. Est-elle réellement applicable ?
La « juste valeur », telle qu'elle est mise en oeuvre par l'IASB, a montré ses limites lors de la crise actuelle. Il faut désormais réfléchir aux améliorations possibles de celle-ci. Le 13 octobre 2008, l'IASB a amendé la norme IAS 39 afin de permettre aux entreprises, en particuliers les institutions financières, de reclasser leurs instruments financiers afin qu'ils puissent être évalués selon le coût historique, et non plus d'après la seule « juste valeur ». Cependant, ce reclassement est subordonné à l'intention et à la possibilité de l'entreprise de conserver pendant une durée prévisible – voire jusqu'à leur maturité – les instruments financiers concernés.
Un point important qu'il convient de souligner est le contexte dans lequel les normes IFRS ont été appliquées pour la première fois en Europe, c'est-à-dire à compter du 1er janvier 2005. Il se trouve que 2005 a été une année de forte croissance économique mais aussi une année faste pour les marchés financiers. La transition vers le référentiel comptable des institutions financières – dont les actifs sont pour la plupart évalués à la « juste valeur » – s'est donc traduite par une augmentation substantielle de leur résultat et de leur bilan, auparavant sous-évalués en application des normes comptables françaises qui faisaient la part belle au coût historique.
Or, l'effet procyclique des normes comptables fonctionne malheureusement en sens inverse, lorsque la conjoncture se dégrade. C'est pourquoi la possibilité d'un reclassement des instruments financiers doit être saluée, parce qu'elle permet dans une certaine mesure aux institutions financières de lisser dans leurs comptes les soubresauts des marchés financiers.
Par ailleurs, la norme IFRS 7 Instruments financiers : informations à fournir doit être encore renforcée afin que les modèles mathématiques d'évaluation des actifs utilisés par les entreprises lorsque les marchés dysfonctionnent soient parfaitement transparents.
Est-ce que les normes IFRS fixent des règles précises en matières d'évaluation des actifs illiquides ?
Oui, il y a des règles mais, comme l'ensemble des normes IFRS, elles restent très générales et laissent une large possibilité d'interprétation par les entreprises.
J'attire en outre l'attention de la commission sur le fait que les normes comptables applicables aux administrations publiques sont de plus en plus influencées par les normes comptables privées. Il est fort possible qu'un jour, les collectivités territoriales, par exemple, en subissent les effets.
Un autre sujet de préoccupation est la réforme en cours du dispositif français de normalisation comptable. Actuellement dispersé entre un Conseil national de la comptabilité et un Comité de réglementation comptable, largement dominé par les représentants de l'État, il prendra prochainement la forme d'une Autorité des normes comptables, indépendante, où les représentants du monde économique et comptable seront désormais majoritaires. Il y a un risque que le politique soit encore plus marginalisé qu'il ne l'est actuellement en matière comptable.
Je remercie les rapporteurs pour ces précisions, très utiles dans le contexte de crise financière que nous connaissons. Je souhaite que la commission des Finances s'inspire des propositions qu'ils feront dans leur rapport afin de ne pas laisser la matière comptable dans les seules mains des experts.