Exécution de la loi de programmation militaire 2003-2008 (rapport d'information)
La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné le rapport d'information de Mme Patricia Adam, MM. Patrick Beaudouin et Yves Fromion sur l'exécution de la loi de programmation militaire 2003-2008.
La séance est ouverte à dix heures quinze
Avant d'entamer la discussion de la nouvelle programmation dont nous parlerons d'ici quelques semaines, il apparaissait indispensable d'établir un bilan de la situation de notre outil de défense. Il s'agit là d'une initiative novatrice. Pour ce faire, la commission nous a nommés le 21 octobre 2008 rapporteurs d'une mission d'information sur le bilan de la programmation militaire 2003-2008. Le rapport que nous vous présentons porte sur les ressources humaines, les capacités, les matériels et l'exécution financière.
Nous avons essayé de tirer un bilan objectif, sans concession, dans le plus total esprit de responsabilité. Celui-ci fait apparaître une exécution contrastée et des difficultés dont certaines sont importantes parce qu'elles ont un impact sur le projet de loi de programmation qui vient d'être déposé.
Si le bilan humain est globalement satisfaisant, les résultats pour l'activité, l'entraînement des forces, le maintien en condition opérationnelle (MCO) et la disponibilité technique et opérationnelle des matériels sont mitigés.
De même, la réalisation du programme d'équipement n'a pas été à la hauteur des engagements. Il en va ainsi par exemple – nous le savons tous – pour l'aéromobilité, domaine pour lequel notre analyse ne fait que corroborer celle des rapporteurs, MM. Marty, Sordi et Viollet, ou pour le secteur spatial suivi par M. Sainte-Marie.
En fait, l'équation est avant tout financière : malgré les efforts réels des différentes lois de finances, le coût des nouveaux équipements, mal évalués ou non pris en compte pour certains, a provoqué étalements et retards, lesquels ont eux-mêmes induit une augmentation significative du coût du MCO des matériels vieillissants. Si l'on ajoute à ces facteurs l'impact de nos engagements croissants en OPEX et l'influence de facteurs exogènes comme la hausse du prix du pétrole par exemple, il est clair que l'état des lieux en cette fin de LPM ne fait pas ressortir une situation satisfaisante. Cet état de fait doit être corrigé avec lucidité et détermination si la France veut conserver un outil de défense à la hauteur de ses ambitions et de ses responsabilités.
Ce constat n'a évidemment pas échappé à la commission du Livre blanc qui, fort opportunément, a proposé une transformation en profondeur de l'outil de notre défense pour le rendre plus en adéquation avec nos capacités budgétaires.
Au demeurant, une certitude s'impose. Vos rapporteurs veulent porter témoignage que les difficultés, les insuffisances qu'il leur a été donné de relever, n'ont de toute évidence pas entamé la force morale et le haut degré de compétence professionnelle de nos soldats. En témoigne leur efficacité, leur courage dans l'accomplissement de leurs missions, notamment en OPEX. Cet hommage devait leur être rendu devant notre commission.
Quelques mots, d'abord, sur le bilan humain.
La loi de programmation militaire 2003-2008 devait conforter le modèle d'armée 2015 en consolidant les bases de la professionnalisation après l'effort de transformation de la période 1997-2002. Elle visait notamment à renforcer en nombre et en qualité les effectifs des personnels engagés et des réservistes. Cet objectif peut être considéré comme étant globalement atteint. Nous nous sommes attachés à évaluer le bilan humain en répondant à trois questions : l'évolution générale des effectifs a-t-elle été satisfaisante ? La condition militaire a-t-elle répondu aux exigences d'une armée professionnelle ? Enfin, que pouvait-on dire de la montée en puissance de la réserve opérationnelle ?
S'agissant de l'évolution des effectifs, il nous a semblé utile d'analyser globalement la situation pour mieux conforter notre regard sur les armées. À la fin de l'année 2008, l'effectif prévisionnel était d'environ 416 000 emplois soit 93 % de l'objectif fixé par la LPM. Il est toutefois difficile d'établir un exercice de comparaison sur la totalité de la période en raison de la modification du décompte des emplois instaurée par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) : en effet, c'est désormais la notion d'équivalent temps plein qui prévaut et non plus celle d'effectif physique.
En outre, l'analyse de l'exécution de la LPM a montré la nécessité de mieux calibrer les crédits de rémunération et de charges sociales au plafond d'emplois. En effet, il a pu exister un découplage entre la répartition des effectifs opérée entre armées et services et la dotation en masse salariale. Par ailleurs, celle-ci n'a pas toujours suffi à couvrir les effectifs prévus en raison de mesures financées sous enveloppe comme l'augmentation du point de la fonction publique, difficile à prévoir en début de programmation. Des postes sont ainsi devenus vacants et ont fait l'objet de ce que l'on appelle pudiquement les « ajustements d'emplois ». En fin d'année 2008, le différentiel entre le PMEA et la réalisation devrait ainsi encore s'établir à plus de 3 000 emplois.
Malgré ces bémols, il apparaît que les engagements ont été pour la plupart remplis, qu'il s'agisse du renforcement de la gendarmerie, de l'armée de terre, du service de santé des armées ou des services de renseignement. En outre, il faut souligner que les armées estiment disposer des effectifs en nombre pour assurer leur mission.
Ces efforts ont été entrepris alors que le ministère de la défense devait aussi participer à l'objectif de maîtrise des dépenses pendant toute la durée de la programmation, comme en témoignent les nombreuses mesures de rationalisation.
S'agissant ensuite du recrutement, le flux a pu être maintenu grâce à la mise en place de dispositifs visant l'attractivité et la fidélisation. Le fonds de consolidation de la professionnalisation prévu par la LPM a été effectivement instauré pour répondre à ces objectifs. Il a aussi été conforté par le plan d'amélioration de la condition militaire initié en 2002. De ce point de vue, l'exécution est encourageante, même si des marges de progression subsistent encore.
Les mesures d'attractivité se sont articulées autour de la valorisation de spécialités recherchées et de la reconversion. Près de 66 millions d'euros ont été consacrés à la résorption des difficultés de recrutement dans des spécialités critiques. En outre, corollaire de l'impératif de jeunesse du personnel militaire, l'effort de reconversion s'est traduit par un budget de 542 millions d'euros pour les années 2003 à 2007.
S'agissant de la fidélisation, un certain écart s'est creusé à compter de l'année 2005 en raison des retards du processus interministériel de validation des mesures catégorielles. Cela n'a pas empêché le ministère de la défense de faire preuve de réactivité tant dans le domaine du logement que de la prise en charge des déménagements. L'effort doit être poursuivi car il faut valoriser les hauts potentiels et accompagner la mobilité des personnels militaires.
Enfin, s'agissant de la réserve opérationnelle, le bilan apparaît plus mitigé. Le modèle d'armée 2015 avait prévu une cible de 100 000 réservistes. Pour l'atteindre, la LPM visait un objectif de 82 000 d'entre eux en 2008 pour une durée d'activité de l'ordre de 25 à 30 jours par an. Le respect des cibles d'effectifs et des taux d'activité impliquant un financement trop lourd, de nouveaux objectifs ont été définis, soit 68 530 dès l'année 2003. La réalisation des objectifs chiffrés n'a donc pas été atteinte principalement en raison d'un budget trop contraint.
En revanche, l'attractivité de la réserve ne semble pas poser de problème. Elle a même été favorisée par la mise en place de parcours professionnels ou l'affectation à de nouvelles missions : 270 réservistes ont d'ores et déjà été déployés en mission hors métropole, que ce soit en OPEX ou de courte durée dans les territoires et collectivités d'outre mer. Il subsiste toutefois un problème de fidélisation des réservistes avec un taux élevé de non-renouvellement de contrats malgré l'existence de nombreuses mesures d'incitations. Au bout du compte, ce constat ne doit pas masquer les efforts accomplis par le ministère pour instaurer une réserve motivée et qualifiée, demeurant un point d'appui pour les forces armées.
Qu'il s'agisse des effectifs, de la condition du personnel militaire ou de la réserve opérationnelle à certains égards, le bilan humain peut donc être considéré comme globalement satisfaisant même s'il reste des marges de progression.
J'aborderai maintenant le bilan capacitaire en évoquant trois points : l'activité et l'entraînement des forces, le maintien en condition opérationnelle des équipements et la disponibilité technique et opérationnelle des matériels.
Depuis 2003, le taux d'engagement en opérations extérieures est demeuré très élevé avec une moyenne annuelle de 12 000 militaires déployés. Dans ce contexte, qui privilégie la disponibilité des matériels sur les théâtres extérieurs, les forces ont cependant pu conduire des activités d'entraînement, même si celles-ci ont souvent servi de variable d'ajustement. Les niveaux de réalisation sont proches de ceux fixés par la LPM, avec des exceptions connues, comme les pilotes d'hélicoptères de l'armée de terre et de la marine et les pilotes de transport dans l'armée de l'air. Plusieurs raisons expliquent ces résultats inférieurs aux prévisions mais on retiendra surtout le vieillissement des matériels, qui obère leur disponibilité, et l'envolée des cours du pétrole, qui augmente le coût d'utilisation des équipements et entraîne des restrictions budgétaires.
Les armées ont néanmoins atteint, sur la période de programmation, leurs objectifs de certification de postes de commandement aux normes internationales dans le cadre d'exercices internationaux.
Au total, on peut donc considérer que les objectifs d'entraînement et d'activité ont été réalisées au mieux, sous la double contrainte d'une présence soutenue en OPEX et du vieillissement des différents parcs d'équipements amenant à rationaliser – de façon parfois drastique – les utilisations non directement opérationnelles et à favoriser l'entraînement sur simulateurs. Lors de notre déplacement à la 6è Brigade légère blindée de Nîmes, nous avons pu nous rendre compte que ces difficultés pèsent sur le moral des militaires.
La LPM 2003-2008 avait pris en compte la nécessité de restaurer la disponibilité des matériels pour améliorer le niveau opérationnel des forces en fixant un montant annuel moyen de 2,379 milliards d'euros pour le maintien en condition opérationnelle. De fait, ces crédits ont connu une augmentation significative sur la période en passant de 2,75 milliards d'euros en 2003 à 3,38 milliards d'euros en 2008, soit une moyenne de 3 milliards d'euros. Cet effort financier a permis d'accompagner la tendance à la hausse des coûts d'entretien, liée notamment au vieillissement des matériels, à leur utilisation intense en OPEX et à l'augmentation des prix contractuels.
En parallèle, des efforts conséquents ont été faits pour rationaliser les organismes chargés de la maintenance, tout particulièrement dans la marine, avec la poursuite de la modernisation du SSF mais également dans l'armée de l'air, avec la création de la SIMMAD et du SIAé, dont les résultats sont très encourageants. Sur ce point, l'ambition affichée par la LPM a trouvé une réelle concrétisation.
Ces efforts financiers et structurels ont globalement permis de maintenir une bonne disponibilité technique des matériels, tout particulièrement en opérations extérieures, pour lesquelles un véritable effort a été réalisé (91 % pour les matériels terrestres et 80 % pour les aéronefs en 2007). La LPM n'avait pas fixé d'objectifs chiffrés mais, dès 2003, l'état-major des armées a établi des normes de référence par armée et par type d'équipements qui ont servi de point de repère durant la période de programmation. Les pourcentages globaux dissimulent néanmoins de grandes disparités selon les types de matériels, la disponibilité technique et surtout opérationnelle étant fortement impactée par l'ancienneté des équipements. C'est notamment le cas des hélicoptères de la marine ou de la flotte de ravitaillement et de transport de l'armée de l'air.
Dans ce contexte fortement contraint, les contrats de projection de forces ont été globalement satisfaits, à la seule – mais inquiétante – exception des capacités d'aéromobilité, très largement entamées en raison de l'obsolescence des flottes actuellement en service.
En conclusion de cette seconde partie du bilan, je souhaite rappeler que, selon le rapport annexé à la LPM 2003-2008, le vieillissement des parcs et l'usure prématurée des matériels liée aux OPEX devaient trouver leur solution dans la modernisation programmée des équipements. C'est sur ce dernier point que la loi n'a pas tenu ses promesses, les étalements de programmes successifs, dans toutes les armées, ayant conduit à utiliser de nombreux matériels bien au-delà de leur date de fin de vie.
Si elle souhaite garantir la réalisation des contrats opérationnels, la prochaine LPM devra donc, avant tout, donner aux armées les moyens matériels d'exécuter leurs missions. À ce sujet, je souhaiterais rappeler, à la suite du chef d'état-major des armées, qu'une LPM exprime la volonté d'exécuter une politique de défense mais peut très bien être remise en cause par une loi de finances.
J'en viens maintenant au bilan matériel de la programmation. Le rapport annexé de la LPM constatait que la précédente programmation (1997-2002) avait ralenti « la marche vers la réalisation du modèle » d'armée 2015. Compte tenu des retards des années précédentes, un effort significatif était nécessaire pour les équipements.
Pour ce faire, le rapport annexé avait établi des objectifs de commandes et de livraisons extrêmement ambitieux avec, par exemple, un deuxième porte-avions, 380 Rafale, 120 Tigre et 1 880 VBCI. Dès l'origine, un décalage est apparu entre les cibles et les capacités réelles de financement.
L'affichage volontariste, aussi nécessaire qu'il ait pu être en 2003, a dû être mis en cohérence avec la réalité des ressources financières de l'État. Le ministère a été contraint de revoir à la baisse les ambitions, en annulant ou en reportant de nombreux programmes, le plus emblématique étant certainement le second porte-avions. Avec retard, il a également fallu prolonger la durée de vie des matériels existants, ce qui a impacté les dépenses de MCO.
La situation est assez contrastée selon les forces, mais, de manière générale, il n'a pas été possible de réaliser l'ensemble des opérations prévues, faute de moyens suffisants. Seule la dissuasion bénéficie d'un bilan très positif, le programme M51 étant entré dans sa phase finale. Pour autant, le respect des ambitions nucléaires françaises a été coûteux, avec un surcoût d'1,2 milliard d'euros sur la période.
La situation de l'aéromobilité est critique : les retards de l'A400M et des hélicoptères NH90 pèsent lourdement sur nos capacités opérationnelles alors que les besoins de projection et de déplacement sont de plus en plus importants, notamment en opérations extérieures. Ces décalages imposent également de prolonger la durée de vie des appareils actuellement en service, avec des coûts de maintenance de plus en plus élevés. De même, le renouvellement des blindés n'a pas respecté les jalons prévus, tant pour l'armée de terre que pour la gendarmerie. Les équipements navals n'ont pas bénéficié de conditions plus favorables : en l'absence d'équipements modernisés, la marine peine à assurer l'ensemble de ses missions et notamment les missions de service public et de police maritime.
En matière spatiale, le bilan est très nettement insatisfaisant alors qu'il s'agit d'un facteur dimensionnant des forces. En ce qui concerne le renseignement, l'exécution a été globalement décevante : même si Hélios II a renforcé les moyens du renseignement d'origine image, de nombreux matériels ont été retirés du service et n'ont pas été remplacés. Plus préoccupante encore est la situation des drones, les résultats engrangés sont bien modestes et ne permettent pas à la France de disposer d'une véritable capacité opérationnelle dans ce domaine.
Après une baisse constante entre 1997 et 2002, les crédits consacrés à la recherche et à la technologie ont bénéficié d'une remise à niveau à partir de 2003. Les montants sont néanmoins restés modestes et l'exécution n'a pas pleinement respecté les orientations de la LPM. Pour autant, les objectifs d'acquisition des capacités technologiques d'une part, et d'équilibre entre les études très amont, la consolidation du socle technologique et la politique de démonstrateurs d'autre part, ont été atteints. Des lacunes demeurent cependant dans des domaines stratégiques comme par exemple les outils de sécurité de l'information ou l'avionique modulaire.
L'exécution de la LPM s'est aussi heurtée à des problèmes industriels et à des carences dans le pilotage des programmes d'armement. La chaîne de décision s'est avérée inefficace, sans structure d'arbitrage final. Le suivi des programmes s'est également montré très insuffisant sur le plan financier, le ministère de la défense ne semblant pas disposer aujourd'hui des compétences nécessaires pour empêcher l'augmentation constante du coût des programmes. La relation avec les industriels a également dû être corrigée pour s'inscrire dans une véritable relation contractuelle responsable.
Quant à la coopération européenne que nous appelons tous de nos voeux, elle n'a pas donné les résultats escomptés, l'AED et l'OCCAR étant restées à un état assez embryonnaire. La logique de coopération reste d'ailleurs marquée par des impératifs nationaux forts qui fragilisent toute initiative commune.
J'en viens maintenant au bilan financier. Le bilan matériel décevant s'explique assez largement par les conditions de l'exécution financière de la programmation. Avant de la détailler, nous tenons à souligner que les changements constants de périmètre budgétaire empêchent de suivre avec exactitude l'évolution de l'agrégat LPM. Il est primordial que la prochaine loi de programmation évite ces modifications permanentes de périmètre.
Globalement, les engagements de la LPM ont été respectés : les lois de finances successives ont ouvert les crédits prévus et le ministère a pu dépenser la quasi-intégralité de ces sommes. En revanche, les crédits d'équipement ont souffert d'une consommation structurellement insuffisante d'autant que la défense a dû faire face à des dépenses nouvelles. L'exemple le plus parlant est celui des OPEX dont le financement s'est fait, pour l'essentiel, au détriment des dépenses d'investissement. Dans le même temps, le coût des programmes a fortement augmenté soit parce que les prévisions initiales étaient beaucoup trop volontaristes, c'est par exemple le cas pour le Barracuda, soit parce qu'il a fallu payer la sophistication accrue des matériels, c'est le cas de l'hélicoptère Tigre.
En sus de ces difficultés, il a fallu financer des programmes non prévus par la LPM comme les FREMM ou le canon Caesar, la plupart du temps au sein d'une enveloppe budgétaire constante.
Malgré des aspects positifs, le bilan financier est donc insatisfaisant et révèle une absence forte de pilotage et de transparence dans les ajustements rendus nécessaires par l'évolution des missions confiées aux armées.
En conclusion, la loi de programmation semble donc globalement respectée malgré des éléments nettement préoccupants. Par définition, une loi de programmation ne peut que proposer des prévisions qu'il convient de corriger pour faire face aux nouveaux besoins. C'est bien le sens du constat du général Georgelin évoqué par Mme Adam. Ces ajustements ne doivent pas pour autant remettre en cause l'économie d'ensemble de la programmation, et surtout, doivent s'opérer en toute transparence. Un effort important doit également être fait pour suivre avec rigueur et fermeté l'exécution de la LPM afin d'éviter les dérives techniques et financières que nous avons constatées.
Le jugement que nous venons de présenter, s'il peut sembler sévère, traduit une réalité qu'il ne faut pas dissimuler. Le niveau des ressources budgétaires consacrées par la France à ses forces armées a atteint un niveau difficilement compatible avec les ambitions qu'elle affiche sur la scène internationale. La prochaine loi de programmation militaire constitue donc un rendez-vous très important pour notre pays et son avenir.
Je voudrais, pour terminer, au nom des trois rapporteurs, rendre à nouveau hommage à notre armée et à son engagement total dans l'exécution des missions qui lui sont confiées.
Le travail des rapporteurs est utile et de grande qualité. Ce bilan est indispensable avant d'engager les débats sur le projet de la LPM 2009-2014. S'agissant des investissements, les programmes se révèlent soit mal évalués – et il s'agit alors d'une erreur d'appréciation –, soit sous-évalués – ce qui constitue alors une faute intentionnelle – et des carences dans leur pilotage sont mises en évidence. Comment remédier à ces difficultés ? Il serait souhaitable qu'à l'avenir le Parlement suive les programmes qui s'inscrivent dans le cadre de la prochaine LPM.
En matière de fonctionnement, le maintien des disponibilités des matériels en OPEX s'est fait au détriment des parcs régimentaires et des capacités d'entraînement. L'exemple du NH90 illustre les difficultés réelles que nous connaissons dans le cadre du renouvellement de matériels.
S'agissant de la réserve opérationnelle, son attractivité ne pose pas de soucis selon les rapporteurs. Il ne me semble pas cependant que ce soit le cas pour les militaires du rang. Pour améliorer cette situation, un bilan du fonctionnement de la réserve pourrait être préalablement tiré. Par ailleurs, un contrat opérationnel est en cours d'élaboration en matière de sécurité intérieure et le recours à la réserve pourrait être fort utile à sa mise en oeuvre. Il serait pertinent de travailler sur cette question.
Vos propos sur la réserve sont fondés. Les principales difficultés sont concentrées sur les militaires du rang dont les motivations sont différentes de celles des sous-officiers ou des officiers. La gendarmerie offre à ses réservistes de réelles opportunités en les déployant sur le terrain au sein des unités ; ces personnels ont directement conscience de leur utilité. Les armées rencontrent plus de difficultés à fidéliser leurs réservistes. Ceux-ci n'ont pas les mêmes possibilités d'implication et le manque de disponibilité des matériels ne permet pas de dégager du potentiel pour l'entraînement des réservistes. En effet, les problèmes auxquels sont confrontés les personnels d'active sont accentués pour ceux de réserve. Or, vous le savez aussi bien que moi, on ne peut pas dégager des marges budgétaires au profit de la réserve sans obérer l'activité et l'entraînement de nos forces.
S'agissant des programmes d'équipement, je souligne qu'il n'existe pas d'organisme qui définisse l'ensemble des programmes. L'exemple du VBCI illustre parfaitement les travers auxquels conduit cette situation. Ainsi la fiche de caractéristiques militaires a été insuffisamment élaborée ; au final, 150 spécificités, dont 135 prioritaires, ont été transmises à l'industriel, ce qui s'est révélé inexploitable. Des incohérences de fonctionnement – comme l'impossibilité d'effectuer une rotation de la tourelle sans décapiter le chef de bord – n'ont été mis en évidence qu'avec la réalisation d'une maquette. La création du comité ministériel des investissements qui comprend, outre le ministre, le chef d'état-major des armées, le délégué général pour l'armement, et la direction des affaires financières, ainsi que celle du comité financier, dans lequel interviendra le ministère des finances, devrait permettre d'améliorer la situation.
J'ajoute que le Parlement, et en particulier la commission de la défense, devra mieux s'investir. Les premiers rapports de cette législature ont montré les carences capacitaires. Le travail sur les difficultés soulevées doit s'intensifier. S'agissant du NH90, 23 versions différentes existent, ce qui est une aberration. Pour nos armées, la version terre est prête ; en revanche, pour la marine, les commandes sont passées mais l'industriel est incapable de les livrer dans la version complète définie.
La Cour des Comptes a rédigé un rapport très intéressant sur le suivi de la LPM qui a été adressé à la commission des finances et dont nous avons obtenu communication. Il met notamment en évidence le rôle que le Parlement pourrait jouer dans le suivi de la LPM en travaillant de manière plus incisive et plus précise. Ainsi, les programmes les plus pertinents pourraient être suivis par différents membres de la commission. Dans le même ordre d'idée, il apparaît que les crédits prévus par la LPM sont inférieurs d'environ 30 % au coût réel des programmes, les prévisions étant en général plus réalistes au stade de la commande. La Cour préconise ainsi de mieux évaluer les coûts des programmes et d'effectuer un provisionnement budgétaire en conséquence. Toutefois, il n'est pas certain que la position du ministère des finances permette l'aboutissement de cette démarche.
Si le Parlement n'a pas à se substituer pour prendre des décisions opérationnelles, il peut en revanche s'intéresser aux programmes d'équipement des forces. Ainsi, les troupes déployées en Afghanistan nous ont signalé que le VBCI n'était peut-être pas le moyen le plus adapté compte tenu des caractéristiques de ce théâtre. Des véhicules de l'avant-blindé (VAB), qui assurent mieux la protection des militaires, seraient préférables.
Par ailleurs, beaucoup de programmes ont été lancés et n'ont pas été achevés faute de correspondre aux besoins. C'est le cas de l'obus BONUS, dont le développement a été conçu à l'époque de la guerre froide, et qui se traduit par un stockage important de munitions dont l'utilité reste encore à démontrer. Les parlementaires participant au comité des prix de revient des fabrications d'armement pourraient utilement nous permettre d'identifier les programmes essentiels que la commission serait ensuite amenée à suivre.
Je partage votre analyse sur les VAB. On ne peut que regretter le constat récurrent d'un décalage entre les vues des équipes chargées de la conception des programmes et les attentes des personnels qui en assurent l'utilisation.
J'observe que chaque année nous nous félicitons du bon respect des dotations inscrites en loi de finances : cela ne correspond pas aux manques que vous décrivez.
Les crédits sont bien inscrits en début de chaque année, c'est leur utilisation qui n'est pas respectée.
Le problème vient de ce que la programmation n'a pas anticipé certains dérapages intervenus en cours d'exécution, notamment la croissance du MCO.
Je souhaite vous faire part de deux interrogations. Tout d'abord, en ce qui concerne le renseignement : en quoi le rapprochement de la Gendarmerie nationale avec le ministère de l'intérieur permettra-t-il un travail de renseignement plus efficace ? Je m'interroge aussi sur le renforcement de l'action du Parlement dans le cadre du suivi des programmes.
S'agissant du renseignement, nous avons constaté une amélioration des moyens de certains services tels que la DGSE. Ce n'est toutefois pas le cas de la DRM, qui n'a pas bénéficié du remplacement de certains équipements. La nomination d'un coordinateur national du renseignement est, à mon avis, un élément positif. Il me semble que le décloisonnement de services de renseignement constitue en soit un gage d'amélioration des performances. La gendarmerie jouera son rôle en zone rurale, tout comme la DCRI sur le reste du territoire. Au-delà de cet enjeu, j'observe que le renforcement de l'action de la DGSE nécessite encore un effort sur le recrutement de nouveaux effectifs et l'acquisition de capteurs techniques qui font aujourd'hui défaut. La prochaine LPM devrait permettre de répondre à ces lacunes.
S'agissant du suivi financier, il me semble nécessaire de prévoir des améliorations sur le plan de l'organisation du ministère de la défense. Ses logiciels, par exemple, ne sont pas adaptés au suivi des programmes. En outre, il conviendrait de conférer au chef d'état major des armées davantage d'autorité sur la conduite des programmes, en particulier face aux chefs d'état-major des différentes armées.
Au sujet du projet de deuxième porte-avions, je souhaiterais obtenir le coût précis de cette coopération avec le Royaume-Uni. Par ailleurs, il me paraîtrait utile que l'on nous indique à quelle ligne budgétaire correspond le programme FREMM. Il devait être financé à hauteur 1319èpar le budget du ministère des finances et 619è par le budget du ministère de la défense. La part correspondant 619è a été inscrite, mais il faut encore trouver où sont retracés les 1319è restants. J'ai été surpris que la ministre du budget ne puisse y répondre lors du débat sur la loi de finances rectificative. De même, le chef d'état major des armées hier devant nous a déclaré que tout cela avait été ajourné. Quelle est la traçabilité de cet investissement ?
Je vous rappelle que Jacques Lamblin a déjà fait une communication à ce sujet qui figure dans un compte rendu de la commission.
À ce sujet, je note au passage que la marine britannique traverse actuellement de grandes difficultés. Le projet de construction de deux nouveau porte-avions a été reporté d'au moins deux ans. Le chef d'état-major a menacé de démissionner. Je ne suis donc pas certain que cette coopération se serait finalement bien passée.
J'observe qu'historiquement la commission de la défense a toujours joué un rôle important. À entendre les difficultés de MCO, les problèmes de gouvernance ayant conduit au retard du programme A400M, ou l'absence de choix sur les drones, je plaide pour un renforcement de son rôle. Il importe qu'elle exerce une action plus forte sur les décideurs politiques et militaires.
Dans ma région on évoque des problèmes importants rencontrés par Thalès dans le développement des radars, ce qui est très inquiétant. La France veut-elle maîtriser ce savoir-faire ou compte-elle acheter des équipements sur étagère ? Il s'agit à la fois des emplois et de l'indépendance de notre pays. Quelle est la liste des technologies critiques que la France veut garder ? Le ministre n'a pas répondu à cette question que je lui ai adressée, et je le regrette.
Par ailleurs, le programme de laser Mégajoule accuse deux ans de retard, nous plaçant dans l'impossibilité de dire à quel moment on pourra simuler la modernisation de notre force de frappe.
Pour les drones, le conflit entre Thalès et EADS ne va évidemment pas dans le bon sens et aucun choix n'a été fait. Or, en tant que citoyen, je considère que l'important n'est pas de savoir si la coque de l'appareil est achetée aux Américains ou aux Israéliens. L'essentiel réside dans la maîtrise de l'appareillage.
En somme, je considère que le travail de suivi mené par nos collègues doit être non seulement conforté mais approfondi.
J'observe qu'il y a sept ans j'ai créé une mission qui visait à recentrer nos travaux sur la fonction de contrôle. Elle a été renouvelée année après année mais ses membres sont loin d'être présents à toutes ses réunions. Nous avons donc tous une responsabilité en la matière.
Je souhaite répondre au sujet des nouvelles technologies et des impasses. Figure dans le rapport la liste des capacités technologiques dont la France veut garder le savoir-faire. Elles sont rassemblées dans le plan prospectif à 30 ans (PP30). À ce jour, sur les 40 capacités jugées indispensables, le taux d'acquisition réalisé s'élève à environ 58 %, ce qui est tout à fait honorable. Quatre lacunes fortes demeurent : les capteurs d'écoute électromagnétique, les outils de sécurité de l'information, l'avionique modulaire et la mise en réseau des systèmes d'arme.
Pour le reste, il n'y a pas de décrochage, mais plutôt des retards, ou parfois des avances. La laser Mégajoule l'illustre bien : nous sommes compétitifs par rapport aux États-Unis et nos principaux concurrents.
Nous souhaitons que dans la prochaine LPM les crédits alloués à la recherche de défense soient sanctuarisés. Il faut rappeler qu'il fut un temps où 5 % des crédits de défense étaient obligatoirement consacrés à la recherche. Aujourd'hui, elle est devenue une variable d'ajustement, ce qui n'est pas tolérable.
La commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.
La séance est levée à onze heures quinze