Avant d'entamer la discussion de la nouvelle programmation dont nous parlerons d'ici quelques semaines, il apparaissait indispensable d'établir un bilan de la situation de notre outil de défense. Il s'agit là d'une initiative novatrice. Pour ce faire, la commission nous a nommés le 21 octobre 2008 rapporteurs d'une mission d'information sur le bilan de la programmation militaire 2003-2008. Le rapport que nous vous présentons porte sur les ressources humaines, les capacités, les matériels et l'exécution financière.
Nous avons essayé de tirer un bilan objectif, sans concession, dans le plus total esprit de responsabilité. Celui-ci fait apparaître une exécution contrastée et des difficultés dont certaines sont importantes parce qu'elles ont un impact sur le projet de loi de programmation qui vient d'être déposé.
Si le bilan humain est globalement satisfaisant, les résultats pour l'activité, l'entraînement des forces, le maintien en condition opérationnelle (MCO) et la disponibilité technique et opérationnelle des matériels sont mitigés.
De même, la réalisation du programme d'équipement n'a pas été à la hauteur des engagements. Il en va ainsi par exemple – nous le savons tous – pour l'aéromobilité, domaine pour lequel notre analyse ne fait que corroborer celle des rapporteurs, MM. Marty, Sordi et Viollet, ou pour le secteur spatial suivi par M. Sainte-Marie.
En fait, l'équation est avant tout financière : malgré les efforts réels des différentes lois de finances, le coût des nouveaux équipements, mal évalués ou non pris en compte pour certains, a provoqué étalements et retards, lesquels ont eux-mêmes induit une augmentation significative du coût du MCO des matériels vieillissants. Si l'on ajoute à ces facteurs l'impact de nos engagements croissants en OPEX et l'influence de facteurs exogènes comme la hausse du prix du pétrole par exemple, il est clair que l'état des lieux en cette fin de LPM ne fait pas ressortir une situation satisfaisante. Cet état de fait doit être corrigé avec lucidité et détermination si la France veut conserver un outil de défense à la hauteur de ses ambitions et de ses responsabilités.
Ce constat n'a évidemment pas échappé à la commission du Livre blanc qui, fort opportunément, a proposé une transformation en profondeur de l'outil de notre défense pour le rendre plus en adéquation avec nos capacités budgétaires.
Au demeurant, une certitude s'impose. Vos rapporteurs veulent porter témoignage que les difficultés, les insuffisances qu'il leur a été donné de relever, n'ont de toute évidence pas entamé la force morale et le haut degré de compétence professionnelle de nos soldats. En témoigne leur efficacité, leur courage dans l'accomplissement de leurs missions, notamment en OPEX. Cet hommage devait leur être rendu devant notre commission.
Quelques mots, d'abord, sur le bilan humain.
La loi de programmation militaire 2003-2008 devait conforter le modèle d'armée 2015 en consolidant les bases de la professionnalisation après l'effort de transformation de la période 1997-2002. Elle visait notamment à renforcer en nombre et en qualité les effectifs des personnels engagés et des réservistes. Cet objectif peut être considéré comme étant globalement atteint. Nous nous sommes attachés à évaluer le bilan humain en répondant à trois questions : l'évolution générale des effectifs a-t-elle été satisfaisante ? La condition militaire a-t-elle répondu aux exigences d'une armée professionnelle ? Enfin, que pouvait-on dire de la montée en puissance de la réserve opérationnelle ?
S'agissant de l'évolution des effectifs, il nous a semblé utile d'analyser globalement la situation pour mieux conforter notre regard sur les armées. À la fin de l'année 2008, l'effectif prévisionnel était d'environ 416 000 emplois soit 93 % de l'objectif fixé par la LPM. Il est toutefois difficile d'établir un exercice de comparaison sur la totalité de la période en raison de la modification du décompte des emplois instaurée par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) : en effet, c'est désormais la notion d'équivalent temps plein qui prévaut et non plus celle d'effectif physique.
En outre, l'analyse de l'exécution de la LPM a montré la nécessité de mieux calibrer les crédits de rémunération et de charges sociales au plafond d'emplois. En effet, il a pu exister un découplage entre la répartition des effectifs opérée entre armées et services et la dotation en masse salariale. Par ailleurs, celle-ci n'a pas toujours suffi à couvrir les effectifs prévus en raison de mesures financées sous enveloppe comme l'augmentation du point de la fonction publique, difficile à prévoir en début de programmation. Des postes sont ainsi devenus vacants et ont fait l'objet de ce que l'on appelle pudiquement les « ajustements d'emplois ». En fin d'année 2008, le différentiel entre le PMEA et la réalisation devrait ainsi encore s'établir à plus de 3 000 emplois.
Malgré ces bémols, il apparaît que les engagements ont été pour la plupart remplis, qu'il s'agisse du renforcement de la gendarmerie, de l'armée de terre, du service de santé des armées ou des services de renseignement. En outre, il faut souligner que les armées estiment disposer des effectifs en nombre pour assurer leur mission.
Ces efforts ont été entrepris alors que le ministère de la défense devait aussi participer à l'objectif de maîtrise des dépenses pendant toute la durée de la programmation, comme en témoignent les nombreuses mesures de rationalisation.
S'agissant ensuite du recrutement, le flux a pu être maintenu grâce à la mise en place de dispositifs visant l'attractivité et la fidélisation. Le fonds de consolidation de la professionnalisation prévu par la LPM a été effectivement instauré pour répondre à ces objectifs. Il a aussi été conforté par le plan d'amélioration de la condition militaire initié en 2002. De ce point de vue, l'exécution est encourageante, même si des marges de progression subsistent encore.
Les mesures d'attractivité se sont articulées autour de la valorisation de spécialités recherchées et de la reconversion. Près de 66 millions d'euros ont été consacrés à la résorption des difficultés de recrutement dans des spécialités critiques. En outre, corollaire de l'impératif de jeunesse du personnel militaire, l'effort de reconversion s'est traduit par un budget de 542 millions d'euros pour les années 2003 à 2007.
S'agissant de la fidélisation, un certain écart s'est creusé à compter de l'année 2005 en raison des retards du processus interministériel de validation des mesures catégorielles. Cela n'a pas empêché le ministère de la défense de faire preuve de réactivité tant dans le domaine du logement que de la prise en charge des déménagements. L'effort doit être poursuivi car il faut valoriser les hauts potentiels et accompagner la mobilité des personnels militaires.
Enfin, s'agissant de la réserve opérationnelle, le bilan apparaît plus mitigé. Le modèle d'armée 2015 avait prévu une cible de 100 000 réservistes. Pour l'atteindre, la LPM visait un objectif de 82 000 d'entre eux en 2008 pour une durée d'activité de l'ordre de 25 à 30 jours par an. Le respect des cibles d'effectifs et des taux d'activité impliquant un financement trop lourd, de nouveaux objectifs ont été définis, soit 68 530 dès l'année 2003. La réalisation des objectifs chiffrés n'a donc pas été atteinte principalement en raison d'un budget trop contraint.
En revanche, l'attractivité de la réserve ne semble pas poser de problème. Elle a même été favorisée par la mise en place de parcours professionnels ou l'affectation à de nouvelles missions : 270 réservistes ont d'ores et déjà été déployés en mission hors métropole, que ce soit en OPEX ou de courte durée dans les territoires et collectivités d'outre mer. Il subsiste toutefois un problème de fidélisation des réservistes avec un taux élevé de non-renouvellement de contrats malgré l'existence de nombreuses mesures d'incitations. Au bout du compte, ce constat ne doit pas masquer les efforts accomplis par le ministère pour instaurer une réserve motivée et qualifiée, demeurant un point d'appui pour les forces armées.
Qu'il s'agisse des effectifs, de la condition du personnel militaire ou de la réserve opérationnelle à certains égards, le bilan humain peut donc être considéré comme globalement satisfaisant même s'il reste des marges de progression.