J'en viens maintenant au bilan matériel de la programmation. Le rapport annexé de la LPM constatait que la précédente programmation (1997-2002) avait ralenti « la marche vers la réalisation du modèle » d'armée 2015. Compte tenu des retards des années précédentes, un effort significatif était nécessaire pour les équipements.
Pour ce faire, le rapport annexé avait établi des objectifs de commandes et de livraisons extrêmement ambitieux avec, par exemple, un deuxième porte-avions, 380 Rafale, 120 Tigre et 1 880 VBCI. Dès l'origine, un décalage est apparu entre les cibles et les capacités réelles de financement.
L'affichage volontariste, aussi nécessaire qu'il ait pu être en 2003, a dû être mis en cohérence avec la réalité des ressources financières de l'État. Le ministère a été contraint de revoir à la baisse les ambitions, en annulant ou en reportant de nombreux programmes, le plus emblématique étant certainement le second porte-avions. Avec retard, il a également fallu prolonger la durée de vie des matériels existants, ce qui a impacté les dépenses de MCO.
La situation est assez contrastée selon les forces, mais, de manière générale, il n'a pas été possible de réaliser l'ensemble des opérations prévues, faute de moyens suffisants. Seule la dissuasion bénéficie d'un bilan très positif, le programme M51 étant entré dans sa phase finale. Pour autant, le respect des ambitions nucléaires françaises a été coûteux, avec un surcoût d'1,2 milliard d'euros sur la période.
La situation de l'aéromobilité est critique : les retards de l'A400M et des hélicoptères NH90 pèsent lourdement sur nos capacités opérationnelles alors que les besoins de projection et de déplacement sont de plus en plus importants, notamment en opérations extérieures. Ces décalages imposent également de prolonger la durée de vie des appareils actuellement en service, avec des coûts de maintenance de plus en plus élevés. De même, le renouvellement des blindés n'a pas respecté les jalons prévus, tant pour l'armée de terre que pour la gendarmerie. Les équipements navals n'ont pas bénéficié de conditions plus favorables : en l'absence d'équipements modernisés, la marine peine à assurer l'ensemble de ses missions et notamment les missions de service public et de police maritime.
En matière spatiale, le bilan est très nettement insatisfaisant alors qu'il s'agit d'un facteur dimensionnant des forces. En ce qui concerne le renseignement, l'exécution a été globalement décevante : même si Hélios II a renforcé les moyens du renseignement d'origine image, de nombreux matériels ont été retirés du service et n'ont pas été remplacés. Plus préoccupante encore est la situation des drones, les résultats engrangés sont bien modestes et ne permettent pas à la France de disposer d'une véritable capacité opérationnelle dans ce domaine.
Après une baisse constante entre 1997 et 2002, les crédits consacrés à la recherche et à la technologie ont bénéficié d'une remise à niveau à partir de 2003. Les montants sont néanmoins restés modestes et l'exécution n'a pas pleinement respecté les orientations de la LPM. Pour autant, les objectifs d'acquisition des capacités technologiques d'une part, et d'équilibre entre les études très amont, la consolidation du socle technologique et la politique de démonstrateurs d'autre part, ont été atteints. Des lacunes demeurent cependant dans des domaines stratégiques comme par exemple les outils de sécurité de l'information ou l'avionique modulaire.
L'exécution de la LPM s'est aussi heurtée à des problèmes industriels et à des carences dans le pilotage des programmes d'armement. La chaîne de décision s'est avérée inefficace, sans structure d'arbitrage final. Le suivi des programmes s'est également montré très insuffisant sur le plan financier, le ministère de la défense ne semblant pas disposer aujourd'hui des compétences nécessaires pour empêcher l'augmentation constante du coût des programmes. La relation avec les industriels a également dû être corrigée pour s'inscrire dans une véritable relation contractuelle responsable.
Quant à la coopération européenne que nous appelons tous de nos voeux, elle n'a pas donné les résultats escomptés, l'AED et l'OCCAR étant restées à un état assez embryonnaire. La logique de coopération reste d'ailleurs marquée par des impératifs nationaux forts qui fragilisent toute initiative commune.
J'en viens maintenant au bilan financier. Le bilan matériel décevant s'explique assez largement par les conditions de l'exécution financière de la programmation. Avant de la détailler, nous tenons à souligner que les changements constants de périmètre budgétaire empêchent de suivre avec exactitude l'évolution de l'agrégat LPM. Il est primordial que la prochaine loi de programmation évite ces modifications permanentes de périmètre.
Globalement, les engagements de la LPM ont été respectés : les lois de finances successives ont ouvert les crédits prévus et le ministère a pu dépenser la quasi-intégralité de ces sommes. En revanche, les crédits d'équipement ont souffert d'une consommation structurellement insuffisante d'autant que la défense a dû faire face à des dépenses nouvelles. L'exemple le plus parlant est celui des OPEX dont le financement s'est fait, pour l'essentiel, au détriment des dépenses d'investissement. Dans le même temps, le coût des programmes a fortement augmenté soit parce que les prévisions initiales étaient beaucoup trop volontaristes, c'est par exemple le cas pour le Barracuda, soit parce qu'il a fallu payer la sophistication accrue des matériels, c'est le cas de l'hélicoptère Tigre.
En sus de ces difficultés, il a fallu financer des programmes non prévus par la LPM comme les FREMM ou le canon Caesar, la plupart du temps au sein d'une enveloppe budgétaire constante.
Malgré des aspects positifs, le bilan financier est donc insatisfaisant et révèle une absence forte de pilotage et de transparence dans les ajustements rendus nécessaires par l'évolution des missions confiées aux armées.
En conclusion, la loi de programmation semble donc globalement respectée malgré des éléments nettement préoccupants. Par définition, une loi de programmation ne peut que proposer des prévisions qu'il convient de corriger pour faire face aux nouveaux besoins. C'est bien le sens du constat du général Georgelin évoqué par Mme Adam. Ces ajustements ne doivent pas pour autant remettre en cause l'économie d'ensemble de la programmation, et surtout, doivent s'opérer en toute transparence. Un effort important doit également être fait pour suivre avec rigueur et fermeté l'exécution de la LPM afin d'éviter les dérives techniques et financières que nous avons constatées.
Le jugement que nous venons de présenter, s'il peut sembler sévère, traduit une réalité qu'il ne faut pas dissimuler. Le niveau des ressources budgétaires consacrées par la France à ses forces armées a atteint un niveau difficilement compatible avec les ambitions qu'elle affiche sur la scène internationale. La prochaine loi de programmation militaire constitue donc un rendez-vous très important pour notre pays et son avenir.
Je voudrais, pour terminer, au nom des trois rapporteurs, rendre à nouveau hommage à notre armée et à son engagement total dans l'exécution des missions qui lui sont confiées.