Audition de M. Bruno Le Maire, secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes
La séance est ouverte à dix-sept heures
Nous avons le plaisir d'accueillir M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.
Avant de commencer, permettez-moi de vous adresser mes félicitations pour votre nomination, monsieur le secrétaire dÉtat. C'est un plaisir pour la Commission des affaires étrangères de vous recevoir à l'occasion de cette première audition. Nous vous souhaitons naturellement de rencontrer un plein succès dans l'exercice de vos nouvelles fonctions.
La présidence française de l'Union européenne, qui s'est achevée voici trois semaines, a été très justement saluée comme une réussite ; notre collègue Nicole Ameline aura prochainement l'occasion d'y revenir devant notre Commission. Sans vous demander d'établir un bilan complet, j'aimerais cependant que vous nous disiez si vous estimez que l'action de la France à la tête de l'Union européenne présente des motifs d'insatisfaction. Si tel est le cas, quelles leçons en tirez-vous ? D'autre part, comment la passation de pouvoirs avec la présidence tchèque s'est-elle effectuée et, plus précisément, de quelle façon la troïka composée de la France, de la République tchèque et de la Suède fonctionne-t-elle ? En dernier lieu, votre nomination était un signe adressé à nos amis allemands, comme vous l'avez indiqué à l'occasion de votre prise de fonctions. Pouvez-vous établir un bilan de santé de la relation franco-allemande ? Quel rôle ce couple peut-il jouer, selon vous, à court et à moyen terme dans une Union comptant désormais 27 membres ?
C'est un grand honneur pour moi d'être accueilli par votre Commission, que je connais bien et dont j'ai toujours apprécié les travaux. Chacun sait par ailleurs l'amitié qui me lie à vous, monsieur le président.
La présidence de l'Union européenne est une question qui mérite d'être abordée avec une grande lucidité et d'une façon aussi équilibrée que possible. Il ne me semble pas qu'il y ait des motifs d'insatisfaction à l'issue de la présidence française que nous venons de vivre ; il existe en revanche des sujets d'inquiétude : on peut notamment se demander si l'Union parviendra à conserver son esprit d'initiative face aux difficultés actuelles, qui proviennent aussi bien de l'Europe elle-même que du reste du monde. Pour cela, il faudra non seulement faire preuve de sens politique, mais aussi disposer des moyens institutionnels nécessaires.
Notre pays venant d'exercer une grande présidence de l'Union, certains en ont déduit que l'année 2009 ne serait pas aussi marquante au plan européen. Or je suis personnellement d'un avis opposé. J'ajoute que je n'ai guère été surpris par la réussite française, car nous avions un Président de la République très actif, ainsi qu'un Gouvernement très mobilisé, qui a réalisé une préparation très en amont et très poussée au plan technique, préparation que j'ai eu l'occasion de suivre de près lorsque j'exerçais mes fonctions à Matignon. Bernard Kouchner s'est beaucoup investi dans cette question, et nous avons pu nous appuyer sur un représentant permanent auprès de l'Union européenne tout au fait exceptionnel en la personne de M. Pierre Sellal.
La question est aujourd'hui de savoir si l'Union saura préserver cet élan en 2009. Pour que l'année qui s'ouvre soit également une grande année pour l'Europe, le premier défi à relever concerne nos institutions communes. Je pense en particulier à la ratification du traité de Lisbonne, objet de nombreuses incertitudes en raison du référendum qui devrait être organisé en Irlande cet automne, mais aussi de la situation politique en République tchèque.
Pour m'être récemment entretenu avec mon homologue, M. Alexandr Vondra, ainsi qu'avec le premier ministre, M. Mirek Topolanek, et le Président de la République, M. Vaklav Klaus, je peux vous dire que la ratification du traité de Lisbonne continue à faire débat en République tchèque. Alors qu'il paraissait acquis qu'elle aurait lieu en début d'année, le gouvernement de ce pays considère maintenant qu'il obtiendrait un beau résultat si elle était effective dès le printemps.
Or, je le répète : il s'agit d'une question essentielle. Si nous ne disposons pas des institutions permettant d'assurer une direction ferme de l'Union européenne, l'Europe politique que nous appelons de nos voeux, en compagnie d'autres peuples, ne pourra pas voir le jour. J'y reviendrai plus tard si vous le souhaitez.
Un deuxième sujet de préoccupation concerne la capacité de l'Union à apporter, en temps utile, des réponses à la crise économique et financière qui est en train de balayer toutes nos certitudes. Alors que tous les constructeurs français et européens assistent aujourd'hui aux Etats généraux de l'automobile, organisés à Bercy par Luc Chatel et Christine Lagarde, on voit bien que les institutions européennes ne sont pas, pour le moment, en mesure de réagir rapidement à la crise actuelle, bien qu'elle détruise de l'emploi et menace des sites industriels.
Pour y faire face, nous devrons instaurer des mesures rapides, puissantes et coordonnées. Je m'y emploie à la faveur des déplacements que j'ai déjà entrepris auprès de la Commission européenne et des États-membres de l'Union les plus concernés, mais je constate que l'Europe ne dispose pas encore des moyens nécessaires pour réagir rapidement et vigoureusement.
Cela vaut en particulier pour la crise financière : il faut que nous soyons capables de définir une position commune dans les semaines qui viennent, avant le début du prochain G20, consacré à la régulation financière. Nous avons pris des engagements très forts devant nos concitoyens, leur promettant : « plus jamais ça ». Pour cela, nous avons fixé l'objectif qu'il y ait désormais des règles, objet d'une surveillance effective ; mais encore faudrait-il commencer par nous mettre d'accord au plan européen sur une position commune, ce qui n'ira pas sans difficultés.
En effet, alors que l'économie britannique repose largement sur la dérégulation financière, les Allemands et les Français aspirent à une réglementation plus forte. De même, tandis que notre pays accueille assez favorablement l'idée d'une coordination européenne de la supervision, qui pourrait notamment être assurée en liaison avec la Banque centrale européenne (BCE), l'Allemagne demeure très attachée au principe d'une supervision bancaire au plan national. Nous devrons donc approfondir très rapidement le dialogue afin d'assurer la compatibilité de nos positions.
Sur cette question essentielle, il faudra que l'Union européenne établisse la preuve qu'elle peut trouver les solutions qui sont attendues d'elles. Des réponses apportées à cette question essentielle, ainsi qu'à celle de la ratification du traité de Lisbonne, dépendra l'Europe que nous bâtirons dans les années, voire les décennies, à venir. C'est pourquoi 2009 sera une année décisive.
En vous interrogeant sur les relations entre la France, la République tchèque et la Suède, vous avez abordé un autre point essentiel, monsieur le président. A défaut d'une présidence stable, nous avons en effet besoin d'un bon fonctionnement du trio formé par la présidence sortante, la présidence en exercice et la présidence à venir.
Pour ce qui est de la République tchèque, je suis en contact permanent avec M. Vondra, et il m'arrive de m'entretenir directement avec M. Topolanek. J'ai par ailleurs noué des contacts avec mon homologue suédoise, que je devrais revoir très prochainement à Stockholm.
Toutefois, chacun entrevoit sans peine les difficultés de fonctionnement auxquelles un tel trio peut se heurter. Il est possible d'organiser une consultation à 3 aussi bien qu'à 27, mais ce n'est pas le cas de la prise de décision. Pour être très clair, celle-ci a généralement lieu entre l'Allemagne et la France, en association avec le pays exerçant la présidence de l'Union européenne ainsi qu'avec d'autres partenaires comme le Royaume-Uni, l'Italie et l'Espagne.
Contrairement à ce que je lis ici ou là, je peux également témoigner, sans manier la langue de bois, que les relations franco-allemandes ne souffrent d'aucune difficulté de nature personnelle : Nicolas Sarkozy s'entend très bien avec Angela Merkel, de même que Bernard Kouchner avec Frank-Walter Steinmeier. Et la force de ces relations a permis depuis des mois de désamorcer les problèmes. Il est vrai cependant qu'il existe certaines difficultés, dont certaines tiennent aux circonstances et d'autres aux évolutions historiques différentes que nos deux pays ont vécues.
Tout d'abord, il est extraordinairement difficile pour des Français, habitués à une stricte hiérarchie au sein du pouvoir exécutif, de traiter avec un gouvernement de coalition rassemblant des partis qui s'apprêtent à s'affronter au cours d'une campagne électorale qui se rapproche – et cette difficulté est d'autant plus grande que nous traversons une grave crise économique et financière.
Le jeu est également contraint par plusieurs règles constitutionnelles en vigueur chez nos voisins – il faut notamment respecter le rôle reconnu aux ministres-présidents des Länder dans certains domaines. Lorsque nous avons invité l'Allemagne à participer aux états généraux de l'automobile, il a ainsi été nécessaire de présenter notre projet non seulement à la chancellerie fédérale, mais aussi à M. Steinmeier et à la CSU en Bavière. C'est un état de fait que nous devons prendre en compte.
Il faut également être conscient que la France et l'Allemagne se sont progressivement éloignées l'une de l'autre pour des raisons plus profondes. L'Allemagne a en effet accompli un effort considérable de compréhension et de dépassement de son propre passé – cela vaut aussi bien pour la Seconde Guerre mondiale que pour la réunification avec l'Allemagne de l'Est. Grâce à ce travail de mémoire, fréquemment sous-estimé dans notre pays, nos voisins ont réussi leur réunification, ce qui n'était pas rien.
L'Allemagne s'est en outre engagée dans un travail d'assainissement de ses finances publiques et de rétablissement de son économie. Ces objectifs n'ont pu être réalisés que grâce à des efforts exceptionnels consentis par tous les ménages pour réduire l'endettement public et le déficit, pour stabiliser les salaires, lesquels n'ont pas progressé en euros courants depuis des années, et enfin pour restructurer l'industrie. De ce fait, nos voisins estiment avoir accompli un travail que nous n'avons pas encore entrepris. C'est un élément essentiel qu'il faut impérativement prendre en compte pour comprendre le regard porté par l'Allemagne sur la France.
Un troisième facteur de divergence résulte des choix industriels de chaque pays : en vue de gagner des parts de marché à l'exportation, l'Allemagne a en effet décidé de porter au maximum sa compétitivité, en assumant toutes les conséquences qui pouvaient en résulter, qu'il s'agisse des politiques monétaire et industrielle, des délocalisations ou encore des relations entre les entreprises et leurs sous-traitants. La France ayant quasiment suivi une orientation inverse, il existe aujourd'hui une divergence entre les intérêts industriels des deux principaux partenaires commerciaux de l'Union européenne, laquelle divergence explique bon nombre des difficultés actuelles.
Ainsi, alors que l'excédent commercial de l'Allemagne s'élève à près de 150 milliards d'euros, la position française est déficitaire d'environ 70 milliards. Il y a quelques années encore, la situation était pourtant presque à l'équilibre. C'est un facteur d'éloignement entre nos deux pays qu'il faut prendre en considération.
J'en viens aux voies et moyens de renforcer les relations franco-allemandes. Il faudra tout d'abord nous efforcer de respecter au mieux l'identité de nos voisins et le travail de mémoire qu'ils ont réalisé sur eux-mêmes. Chaque peuple a en effet son identité, et je ne vois pas pourquoi nous ne serions pas aussi attentifs au respect de ce principe aussi bien quand il s'agit des pays du Maghreb, de l'Iran ou encore des grands États de l'Amérique latine que quand il s'agit de l'Allemagne.
Ensuite, nous devrons impérativement discuter des moyens de poursuivre notre coopération dans de nouveaux domaines : ce que nous avons déjà fait pour l'industrie aéronautique, nous pouvons également le faire pour l'automobile, l'énergie et la construction de gazoducs. Il faut poser les dossiers sur la table et prendre le temps d'en discuter de façon approfondie, aussi bien au niveau des parlementaires et des ministres qu'au niveau des chefs d'État – si ce travail se fait assez naturellement à ce dernier niveau, c'est moins vrai pour les autres échelons.
En dernier lieu, nous devrons veiller à renforcer la connaissance que nos sociétés civiles ont l'une de l'autre en développant encore davantage les échanges entre les étudiants et les apprentis, et plus généralement en favorisant les relations culturelles qui unissent déjà nos deux pays. Il faut stimuler l'intérêt de chacun pour la culture de l'autre. C'est un travail de longue haleine, mais je ne doute pas qu'il porte ses fruits.
Merci, monsieur le secrétaire d'État, pour ces très intéressants propos liminaires. Nous en venons maintenant aux questions que vont vous poser mes collègues.
A la suite du Conseil européen tenu en 2007, la Commission a lancé une consultation sur la réforme du budget communautaire, et devrait bientôt présenter des propositions précises à ce sujet. Selon vous, de quelle façon le budget communautaire devrait-il être réformé ? Quels changements faut-il apporter aussi bien aux dépenses qu'aux modes de financement de l'Union européenne ? Etes-vous favorable à l'établissement d'une nouvelle recette budgétaire ?
M. Erdogan venant de se rendre à Bruxelles, je voudrais vous interroger sur la relance du processus de négociation avec la Turquie. Deux nouveaux chapitres ont en effet été ouverts sous la présidence française : celui de la libre circulation des capitaux, et celui concernant l'information et les médias, ce qui a porté le nombre des chapitres ouverts à dix au total.
J'aimerais savoir s'il est prévu d'ouvrir de nouveaux chapitres sous la présidence tchèque, voire de conclure les négociations sur certains d'entre eux. J'ai en particulier noté que M. Erdogan souhaitait l'ouverture du chapitre consacré à l'énergie, et qu'il avait établi un lien entre cette question et le projet Nabucco , ce qui n'a rien d'innocent compte tenu des menaces qui ont pesé sur nos approvisionnements lors de la crise ukrainienne. Quelles sont les positions de la France et de l'Union européenne dans ce domaine ?
La Commission vient de faire état de prévisions catastrophiques, dont certaines relèvent de l'astrologie économique : il ne me semble guère sérieux d'établir des prévisions précises concernant l'année 2010, tant les incertitudes sont grandes. Dans ces conditions, on peut se demander si la Commission ne souhaite pas, en réalité, reprendre la main après avoir quasiment disparu de la circulation au cours de l'automne, c'est-à-dire au plus fort de la crise. Qu'en pensez-vous, monsieur le secrétaire d'État ?
Je m'interroge également sur nos approvisionnements en gaz. Alors que la Turquie vient de faire des déclarations à ce sujet, comme notre collègue Dominique Souchet vient de le rappeler, les institutions européennes sont restées bien muettes pendant la crise ukrainienne.
S'agissant de votre nomination, monsieur le secrétaire d'État, j'hésite entre les félicitations et les condoléances. Je vous souhaite en tout cas bien du courage ! (Exclamations)
Quand on connaît bien l'Allemagne, on peut également trouver que vos propos concernant le travail de mémoire méritent au moins quelques nuances. A l'Ouest comme à l'Est, un voile pudique a en effet été jeté sur le passé de nombreuses personnes – et je pourrais citer des cas bien connus. Le travail effectué sur la période communiste reste en particulier très mince.
En matière de politique économique, il me semble que nos voisins ont très vite compris que nous entrions dans un monde global, ce qui n'a malheureusement pas été le cas en France. Dès 1992, le patronat allemand a joué la carte des exportations vers l'Asie et les pays émergents, tout en menant une politique industrielle connue sous le nom de Standort Deutschland : rien d'important, qu'il s'agisse des centres de recherche ou de décision, ne devait quitter le pays. Le coeur du complexe militaro-industriel, fruit d'un siècle d'investissements lourds, a ainsi été préservé, puis les exportations ont pu augmenter.
Pendant ce temps, la France en est restée au stade de l'« euro-béatitude » : elle a continué à se fixer pour objectif de maintenir ses exportations vers l'Allemagne, alors que la population de ce pays se réduisait. Compte tenu des différences de structure économique, les intérêts industriels ont alors divergé.
Une crise en cachant souvent une autre, nous sommes maintenant au bord d'un choc asymétrique au sein de la zone euro. Cette « divine surprise » ne peut produire que deux effets : soit les pays faibles abandonneront la monnaie unique, soit nous paierons pour eux. Vous êtes-vous entretenu de cette question avec vos collègues européens ? Pour m'être rendu très récemment à Hambourg, je sais que l'on commence à ouvrir les yeux à ce sujet de l'autre côté du Rhin.
J'apprécie votre connaissance de l'Allemagne contemporaine, monsieur le secrétaire d'État, mais certains de vos propos m'ont surpris. Vous avez notamment prétendu que la relation franco-allemande ne pâtissait pas de problèmes personnels. Puisque vous vous faites fort de renoncer à la langue de bois, reconnaissez plutôt qu'il y a eu des tensions, et que celles-ci sont essentiellement dues au comportement du Président de la République. Il faut espérer que ces difficultés appartiennent au passé, même si l'on peut en douter tant il est difficile, pour qui que ce soit, de modifier sa personnalité.
Vous affirmez par ailleurs que la détérioration des relations entre nos deux pays s'explique par l'existence d'une coalition au sein du Gouvernement fédéral d'Allemagne et par le fait qu'il faut également prendre en compte les contraintes posées par la Loi fondamentale. Or, rien de tout cela n'est nouveau : ce n'est pas la première fois qu'une coalition dirige l'Allemagne, et ce n'est pas non plus la structure fédérale de ce pays qui peut expliquer la situation actuelle.
Aux différentes pistes que vous avez évoquées dans la perspective d'améliorer la relation franco-allemande – mieux respecter l'identité de chacun, mettre de nouveaux dossiers sur la table, faire jouer la société civile –, j'ajouterai la nécessité de restaurer une relation interparlementaire vigoureuse, objectif qui mériterait des efforts supplémentaires. Au-delà des intentions vertueuses, j'aimerais par ailleurs savoir quelles mesures vous comptez proposer en vue d'effacer ces quelques mois bien tristes que nous venons de vivre dans le domaine de la relation franco-allemande, pourtant au coeur de la construction européenne.
Je peux déjà vous répondre, mon cher collègue, que nous allons reprendre nos rencontres avec nos homologues allemands. Elles auront lieu au moins une fois par session.
Outre les raisons déjà évoquées pour expliquer les divergences entre la France et l'Allemagne, il me semble qu'il faut prendre en compte une certaine différence de sensibilité, voire d'appréciation, sur les questions monétaires et financières.
J'en viens à ma question : les gouvernements actuels ont élaboré des plans de relance qui affectent les finances publiques, mais ils n'ont pas renoncé à leur objectif de respecter, dès que possible, la discipline imposée par la monnaie unique, ce qui pose évidemment un problème de cohérence ; je souhaiterais savoir si la France a eu l'occasion d'évoquer ce sujet avec l'Allemagne.
J'aimerais également reprendre la question posée par Jacques Myard, quitte à la formuler en des termes quelque peu différents : que pouvons-nous faire pour aider les membres de la zone euro qui seraient soumis à des difficultés plus fortes que d'autres pays ?
On peut naturellement se réjouir que l'Allemagne ait surmonté les difficultés liées à la réunification, au point de dégager un excédent commercial de 150 milliards, mais il faut s'interroger sur notre propre déficit. Comment rétablir l'équilibre qui existait encore, voici quelques années ?
Étant membre du Conseil de l'Europe, comme d'autres collègues, je dois par ailleurs vous interroger sur la réduction croissante de notre participation budgétaire à cette instance. Une telle évolution nuisant à la position de la France, je souhaiterais que vous nous expliquiez de quelle façon vous comptez opérer un retour à une situation plus normale.
Ma question concerne le Parlement européen : comment peut-on redonner une place politique plus importante aux représentants français, de droite comme de gauche, qui vont bientôt être élus pour siéger au sein de cette institution ? De leur visibilité et de leur action dépend dans une large mesure l'image de l'Europe en France.
S'agissant du budget européen, sur lequel m'a interrogé M. Blum, il ne me semble pas sain de continuer à mener, tous les cinq ans, des négociations semblables à celles que nous connaissons aujourd'hui. L'Union européenne a en effet besoin d'un budget plus stable, plus lisible et doté de vrais moyens.
Bien qu'elles soient souvent décriées, les politiques communautaires répondent aux besoins de la vie quotidienne de nos concitoyens : si nous voulons qu'il y ait une action européenne en matière d'éducation, de recherche, d'échanges au sein de la jeunesse ou encore de technologies, il faudra bien qu'il existe des fonds pour les financer. Il n'est pas très cohérent de réclamer sans cesse une intervention de l'Union européenne sans que les moyens correspondants soient prévus.
D'une façon ou d'une autre, il faudra augmenter le budget communautaire, ce qui implique de trouver de nouvelles ressources financières et de définir clairement ce que nous attendons de l'Europe. Bien sûr, de telles décisions ne se feront pas sans peine, car la règle de l'unanimité prévaut en matière budgétaire. Il faudra en outre revenir sur la question du « chèque britannique », injustice dont la France est la première victime au sein de l'Union. En dernier lieu, nous devrons veiller à instaurer une base fiscale équitable pour l'ensemble des États-membres, tout en garantissant la neutralité fiscale – c'est une nécessité pour obtenir un accord unanime.
J'ajoute que ces questions ne se limitent pas à leur simple aspect financier : elles sont également politiques, car il s'agit de savoir quelle Europe nous voulons, de quels moyens elle doit disposer, et quelles politiques elle doit mener.
S'agissant de la Turquie, je rappelle qu'il existe 35 chapitres de négociation. Dix d'entre eux ont été ouverts, dont deux sous la présidence française, au cours de la conférence intergouvernementale que j'ai présidée à la fin du mois de décembre. Un chapitre, relatif aux sciences et aux technologies, est provisoirement clos. Dans l'attente de la mise en oeuvre du protocole additionnel à l'accord d'Ankara, huit chapitres sont par ailleurs gelés, sans perspective d'un déblocage rapide. Je rappelle enfin que le coeur de la position française consiste à refuser l'ouverture des cinq chapitres impliquant mécaniquement l'élargissement, notamment tout ce qui concerne les questions monétaires.
Une fois les négociations engagées sur les sujets conduisant à l'adhésion de la Turquie, il serait en effet très difficile d'arrêter le processus. Nous continuerons donc à nous opposer à l'ouverture de ces chapitres.
Sans prendre position sur ce sujet, j'estime que les conditions de son entrée ne sont pas aujourd'hui réunies.
Nous devons éviter toute négociation « donnant- donnant », ainsi que toute forme de chantage sur le projet de gazoduc Nabucco. Cela étant, il reste bien des incertitudes sur la construction de cette troisième voie alternative aux gazoducs passant par l'Ukraine, en complément des projets South Stream et Nord Stream. Pour que Nabucco soit rentable, il faudrait en effet atteindre un débit d'au moins 50 milliards de mètres cubes par an, objectif qui reste hors de portée sans un accord d'exploitation avec l'Iran. Or, nous en sommes encore loin.
En réponse à la question de M. Luca, je précise que nous avons certes besoin d'une Commission forte, mais aussi d'un Conseil, d'un Parlement et d'un haut représentant forts. Pour qu'il existe demain une Europe politique, capable de défendre nos intérêts sur la scène internationale, il n'y a pas lieu de privilégier une institution plutôt qu'une autre. Je m'en suis expliqué dans une tribune qui devrait paraître dans les jours à venir : un déséquilibre des pouvoirs au sein de l'Union européenne n'est nullement souhaitable ; il faut au contraire veiller à ce que chacune des institutions soit suffisamment puissante.
Quant aux prévisions de M. Almunia, le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, je rappelle que nous avons en matière de dette et de déficit des objectifs clairs, qui ont été détaillés par mon collègue Eric Woerth. Pour ce qui est de la croissance, nos prévisions sont effectivement différentes de celles de la Commission, mais j'observe que les économistes et les chefs d'entreprise sont bien incapables de prédire si la crise de grande ampleur qui nous affecte sera brève ou de longue durée. S'agissant des capacités de refinancement, les différences de notation entre les Etats posent effectivement problème ; les écarts de spread entre les taux des pays suscitent des tensions, mais je ne pense pas qu'elles puissent conduire à l'éclatement de la zone euro.
J'en viens à la récente crise gazière. Nous sommes déjà les champions des grandes déclarations en matière de sécurité énergétique – l'Union européenne a adopté un très beau texte à ce sujet en 2006 –, mais il faut que nous parvenions à nous entendre sur des décisions concrètes de financement et d'investissement.
En premier lieu, je note que l'objectif de réaliser un maillage garantissant l'approvisionnement des pays d'Europe centrale fait l'objet de l'unanimité : on ne peut pas accepter que la Bulgarie, la Slovaquie ou encore la République tchèque continuent à souffrir des difficultés que nous avons très récemment constatées. Comme il est extrêmement difficile de « tirer » des tuyaux en direction de ces pays, il faut suivre des voies plus longues et moins sûres, posant certains problèmes techniques. Il est en particulier très complexe de substituer au gaz d'origine russe du gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance d'Algérie.
Nous devrons par ailleurs multiplier le nombre des voies de transit, tout en ayant conscience que l'acheminement par l'intermédiaire de l'Ukraine restera essentiel, quand bien même les projets Nord Stream, South Stream et Nabucco auraient été réalisés : d'ici à 2020, nous aurons en effet besoin de 200 milliards de mètres cubes supplémentaires par an, soit précisément la capacité des nouveaux réseaux.
Une troisième priorité concerne la diversification énergétique. A ce propos, je rappelle que bien des États sont aujourd'hui demandeurs d'investissements nucléaires rapides, qui pourraient notamment être réalisés par des technologies développées en France. C'est déjà le cas de la Slovaquie et de l'Italie, et je suis persuadé que l'Allemagne évoluera également en ce sens après les élections législatives du mois de septembre prochain.
Au sujet de l'Allemagne, je ne reviendrai pas sur la délicate question de la mémoire ; je répète en revanche, à l'intention de M. Myard, que les écarts actuels de crédit entre les pays de la zone euro ne devraient pas conduire au pire. Nous travaillons sur diverses solutions, qui devraient pouvoir être appliquées dans les semaines à venir.
Pour répondre à M. Loncle sur la question de la relation franco-allemande, je ne crois pas en l'efficacité des plans de relance grandioses ; je me fierais davantage à des projets très concrets, notamment dans le domaine de l'industrie automobile. La France et l'Allemagne ont en effet des intérêts communs dans ce domaine.
Afin d'être tout à fait clair, je précise que tous les constructeurs actuels ne seront probablement plus présents sur la scène européenne dans les années qui viennent : des regroupements, voire des fusions, devraient en effet se produire ; nous devons nous y préparer. Certaines synergies entre la France et l'Allemagne me semblent notamment plus pertinentes que celles dont la presse se fait souvent l'écho. Il faudra agir vite, car le temps est compté. Je pense notamment à BMW, dont le développement ne pourra pas continuer à reposer sur la seule base des grosses motorisations et des grandes berlines : il faudra mettre au point des moteurs destinés à des véhicules de plus faible cylindrée, émettant moins de CO2. Or BMW n'aura pas les moyens financiers d'y parvenir en restant isolé.
La sécurité énergétique est un autre domaine dans lequel nous pourrions également avancer. Même si la position de l'Allemagne n'a pas beaucoup évolué sur ce sujet, il y a aujourd'hui des discussions en cours.
La défense est un troisième sujet de travail qui s'offre à nous. Dans la perspective d'un retour de la France dans les structures intégrées de l'OTAN, nous pourrions notamment discuter avec nos partenaires allemands de nouvelles possibilités de coopération militaire.
En dernier lieu, il me semble que l'Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) devrait être complètement refondé. C'est un sujet dans lequel je compte m'investir personnellement.
Quant au Conseil de l'Europe, sujet sur lequel M. Rochebloine m'a interrogé, je rappelle que je prévois de me rendre devant cette institution le 27 janvier prochain, à la suite de Bernard Kouchner. Ces visites sont des gestes politiques qui comptent.
Enfin, je trouve effectivement très regrettable que les partis français, de gauche comme de droite, continuent à considérer le Parlement européen comme un pis-aller pour ceux qui n'auraient pas obtenu de siège dans un cadre national. On ne peut pas continuer à demander un renforcement des institutions européennes sans faire preuve d'une plus grande cohérence dans ce domaine.
Il me reste à vous remercier, monsieur le secrétaire d'État, pour vos réponses sur tous ces sujets dont, visiblement, vous possédez déjà une pleine maîtrise.
La séance est levée à dix-sept heures cinquante.