Consultez notre étude 2010 — 2011 sur les sanctions relatives à la présence des députés !

La séance

Source

COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE DE VACCINATION DE LA GRIPPE A(H1N1)

Mercredi 12 mai 2010

La séance est ouverte à dix-huit heures quarante.

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d'enquête)

La Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) entend Mme Sophie Kornowski-Bonnet, présidente du laboratoire Roche.

Mme Sophie Kornowski-Bonnet prête serment.

PermalienPhoto de Jean Mallot

Des stocks d'antiviraux avaient été réalisés en 2005 dans la perspective de la grippe H5N1. La question de l'approvisionnement en antiviraux s'est reposée lorsque la direction générale de la santé a demandé l'automne dernier aux médecins de prescrire systématiquement le Tamiflu en mode préventif. Sur quelles bases scientifiques cet effet préventif avait-il été démontré ? Ensuite, la date de péremption initiale de ces médicaments a été prorogée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Comment cela a-t-il été rendu possible ? Enfin, pouvez-vous nous donner quelques chiffres sur les livraisons complémentaires que vous avez effectuées et sur la consommation effective des produits ?

PermalienSophie Kornowski-Bonnet, présidente du laboratoire Roche

Une première indication se trouve déjà dans l'autorisation de mise sur le marché de Tamiflu, qui fait état à la fois d'un traitement préventif et d'un traitement prophylactique post contact : l'effet protecteur de Tamiflu a été démontré dans plus de 90 % des cas. Puis, son utilisation a été conseillée pour ce que l'on appelle un « traitement préemptif ». Le comité de lutte contre la grippe a recommandé une posologie plus élevée que le traitement de prophylaxie de l'autorisation de mise sur le marché, soit deux doses par jour pendant cinq jours. Cette posologie était justifiée par le profil du virus, qui se multiplie plus vite que le virus saisonnier sur lequel l'autorisation de mise sur le marché était fondée et dont la charge virale est beaucoup plus élevée. Cela permettait de mieux prendre en charge les patients, en particulier les sujets à risques : ne pas augmenter la dose faisait courir le risque de ne traiter que quelques virus, pas tous. L'on a d'ailleurs constaté chez les patients décédés, notamment celui de Saint-Étienne, une charge virale phénoménale.

Assez peu de données étaient alors disponibles sur le Tamiflu. L'autorisation de mise sur le marché avait été basée sur plusieurs études et l'avis de la commission de transparence de la Haute Autorité de santé indiquait clairement que son intérêt devenait majeur en cas de pandémie. Depuis, une dizaine de publications ont mis en évidence une baisse de la contagiosité et de la mortalité et une amélioration significative de l'état des patients, adultes, enfants ou femmes enceintes, traités par Tamiflu – pas tellement en France, où les barrières sanitaires ont bien fonctionné, mais au Mexique, au Chili et en Argentine par exemple. Les attaques très violentes qu'ils ont connues ont montré l'intérêt du médicament.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Door

Est-il vrai qu'une étude comparative entre le Chili, qui avait utilisé le Tamiflu, et l'Argentine, qui n'a pas recommandé sa prescription, donne un très net avantage au Chili ?

PermalienSophie Kornowski-Bonnet, présidente du laboratoire Roche

Oui. Je vous la communiquerai.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Door

La Haute Autorité de santé a fait état d'études contradictoires concernant le service médical rendu du Tamiflu.

PermalienSophie Kornowski-Bonnet, présidente du laboratoire Roche

Il n'y en a pas eu en France à ma connaissance. En revanche, une polémique a eu lieu il y a quelques mois sur une méta-analyse du British medical journal.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Door

Un des experts de la Haute Autorité de santé que nous avons auditionné a fait état de résultats contradictoires concernant le service médical rendu du Tamiflu.

Enfin, la liste des experts qui collaborent avec votre laboratoire et leur déclaration de conflits d'intérêts sont-elles publiées ?

PermalienSophie Kornowski-Bonnet, présidente du laboratoire Roche

Pour en revenir au Chili, c'est un des rares pays qui n'a connu aucun décès parmi les patients traités par un antiviral.

La seule publication contradictoire sur le Tamiflu a été la méta-analyse menée par le British medical journal. En l'occurrence, c'est la presse anglaise qui nous a demandé des données. Or, Roche fournit volontiers ses données à des scientifiques, mais pas à la télévision. Nous avons donc contacté nous-mêmes la personne chargée de l'étude, qui a refusé de signer un contrat de confidentialité alors qu'elle nous demandait la database complète, qui contenait des données sur des patients. Nous ne l'avons donc pas communiquée, en tout cas pas dans un premier temps. L'étude contradictoire n'a d'ailleurs jamais conclu au non-intérêt du Tamiflu : elle a conclu qu'elle ne pouvait pas conclure. Depuis, nous leur avons transmis toutes les données, mais les auteurs de l'analyse ne se sont curieusement pas précipités pour l'achever. Elle le sera certainement un jour. En attendant, le British medical journal a publié le 6 mai un article montrant tout l'intérêt du Tamiflu dans la pandémie. J'en ai apporté un exemplaire.

Par ailleurs, nous déclarons toujours nos contrats avec les experts, même si nous en avons très peu dans le domaine de la grippe. En revanche, nous ne publions pas les listes de ces experts, suivant ainsi la ligne du Leem – Les entreprises du médicament – mais nous pouvons bien sûr vous les communiquer. Nous nous assurons que nos relations sont éthiques. Nous avons une grille tarifaire qui suit la loi du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d'ordre social et que nous déclarons au conseil de l'Ordre des médecins, ce qui n'est pas obligatoire. Pour ce qui est de la grippe, nous avons de nombreuses réunions de travail mais seulement quelques de contrats de partenariat, officiels et déclarés, que je vous communiquerai.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Les autres laboratoires que nous avons auditionnés sont tous favorables à une publication régulière de la liste des experts qui collaborent avec eux, mais sous réserve d'une réglementation, comme aux États-Unis. Êtes-vous d'accord ? Est-ce une question d'enjeu concurrentiel ?

PermalienSophie Kornowski-Bonnet, présidente du laboratoire Roche

Je suis d'accord, et ce n'est pas une question concurrentielle. Le problème est d'essayer d'être créatif, et de choisir les bonnes personnes pour cela. On n'a pas les mêmes idées en travaillant avec un expert ou avec un autre. Si chacun sait qui travaille avec qui, nous allons tous essayer d'avoir les mêmes idées, ce qui n'est pas positif. Mais l'enjeu réel n'est pas là : nous avons besoin de relations transparentes et respectables. Nous ne pouvons pas mettre notre réputation en jeu. Publier les listes ou non n'a pas grande conséquence, du moment que tout le monde les publie ou personne. L'enjeu est d'entretenir des relations parfaitement éthiques avec les professionnels de santé.

Pour ce qui est des chiffres, l'approvisionnement de l'État en Tamiflu datait des contrats signés entre 2003 et 2005. Pendant la pandémie, nous avons travaillé avec les autorités de santé afin de rendre le médicament disponible au plus près des patients, puisqu'il doit être pris dans les quarante-huit heures suivant les premiers symptômes et que la situation n'était pas facile à gérer pour les pharmacies. Nous avons eu aussi assez vite des demandes d'hôpitaux. Nous avons donné aux autorités de santé tous les moyens pour fabriquer des comprimés le plus vite possible. Au final, nous avons vendu pour 12 millions d'euros supplémentaires de Tamiflu au Gouvernement, essentiellement sous des formes pédiatriques qui n'étaient pas disponibles dans le stock initial, le reste consistant en quelques centaines de milliers de boîtes pour adultes destinées à une aide d'urgence au Mexique et à nos ambassades.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Door

Je viens de rencontrer le responsable de la pharmacie centrale des armées qui m'a déclaré disposer encore aujourd'hui de neuf tonnes de Tamiflu en poudre. L'armée serait capable de fabriquer rapidement des gélules à partir de la poudre, grâce à un procédé spécial.

PermalienSophie Kornowski-Bonnet, présidente du laboratoire Roche

L'État a en effet acheté du Tamiflu sous forme de poudre, qui a l'avantage d'une durée de vie très longue, voire illimitée, contrairement aux gélules que nous fabriquons – car c'est la capsule qui vieillit. Nous avons travaillé ensemble pour développer un procédé spécifique, assez complexe, de fabrication de comprimés – il ne s'agit pas de gélules – à partir de cette poudre. La pharmacie centrale des armées est dorénavant capable de fabriquer des comprimés en cas de pandémie.

L'État a aussi, ainsi que vous l'avez dit, prorogé la date de péremption de ses stocks. Nos données de stabilité nous avaient convaincus que leur durée de vie pouvait être augmentée, et nous avions communiqué nos conclusions à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.

PermalienPhoto de Jean Mallot

Combien de doses représentent les 12 millions d'euros ?

PermalienSophie Kornowski-Bonnet, présidente du laboratoire Roche

Cette somme correspond à 436 000 boîtes de 75 mg, 132 000 boîtes de 45 mg et 499 000 boîtes de 30 mg.

En France, pour se préparer à une pandémie, on se fonde sur un nombre de 28 millions de personnes à risques : 4 millions d'asthmatiques, 19 millions d'adultes âgés de plus de 65 ans ou souffrant d'une affection de longue durée et 5 millions d'enfants. On considère aussi le taux d'attaque de la maladie, qui, en l'occurrence, était très élevé : d'après les derniers chiffres, de 9 à 14 millions de personnes ont été contaminées durant la pandémie.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Confirmez-vous que la prescription préemptive du Tamiflu décidée en décembre 2009 aurait dû passer par une extension de son autorisation de mise sur le marché et que cela n'a pas été le cas ?

PermalienSophie Kornowski-Bonnet, présidente du laboratoire Roche

C'est le comité de lutte contre la grippe, qui observe le comportement du virus sans relâche, qui a recommandé cette utilisation. Il l'a fait dans une situation pandémique, c'est-à-dire anormale – je rappelle que les personnes décédées ne correspondent pas aux victimes habituelles – et cette décision était pleinement cohérente avec nos propres réflexions. C'était une décision logique, fondée sur la connaissance scientifique. Il n'y a pas eu de demande d'extension d'autorisation de mise sur le marché, car cela prend trop de temps : s'il avait fallu en passer par là, le Tamiflu serait arrivé après le pic pandémique.

PermalienSophie Kornowski-Bonnet, présidente du laboratoire Roche

Non.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Pourtant, vous nous avez expliqué toute l'efficacité préemptive du Tamiflu. La crise est passée, mais une autre peut venir !

PermalienSophie Kornowski-Bonnet, présidente du laboratoire Roche

Roche se posera peut-être la question à l'avenir, mais il n'y a pas de demande d'extension à ce jour.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je comprends parfaitement que la décision ait dû être prise au plus vite, d'autant que le médicament avait déjà été autorisé. Ce que je trouve étonnant c'est qu'ayant découvert l'efficacité de votre médicament dans cette situation, vous n'ayez pas encore, depuis décembre 2009, déposé de demande d'extension. Le laboratoire y a pourtant tout intérêt !

PermalienSophie Kornowski-Bonnet, présidente du laboratoire Roche

L'efficacité en doses préemptives constatée pour ce virus ne sera pas forcément la même pour un autre. En outre, les demandes d'autorisation de mise sur le marché font l'objet d'une longue réflexion dans l'entreprise. Le fait que je n'aie pas encore été impliquée ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de demande, ni d'ailleurs que la réflexion n'ait pas commencé. Enfin, une demande d'autorisation de mise sur le marché ne se dépose pas en trois mois. Même si nous avions pris la décision en février ou mars, après la pandémie, le dossier ne serait pas encore constitué.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Door

Il y a environ un an, nous avions prévu, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, une possibilité d'autorisation de mise sur le marché transitoire en cas d'urgence sanitaire, destinée à éviter les procédures administratives. C'est sans doute ainsi que le comité de lutte contre la grippe a pu prendre sa décision.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je ne conteste en rien la légalité de cette décision, d'autant qu'il ressort de l'une de nos auditions que l'autorisation de mise sur le marché n'était pas nécessaire puisque la dose est restée inchangée – deux par jour pendant cinq jours au lieu d'une pendant dix jours. L'absence d'autorisation de mise sur le marché n'est donc pas scandaleuse. Reste qu'être le plus transparent possible, dans ces domaines, évite la prolifération de sottises sur internet.

Nous en avons terminé. Merci encore une fois de vous être rendue à notre invitation.

La séance est levée à dix-neuf heures dix.