Orientation des travaux de la Délégation pour la session prochaine
La séance est ouverte à 16 heures 10.
– J'ai souhaité tenir cette dernière réunion de la session pour que nous réfléchissions ensemble aux orientations de travail que nous souhaiterions donner à la Délégation au cours des six mois qui nous restent avant la campagne électorale, à savoir de septembre 2011 à février 2012.
Depuis 2002, la Délégation a abordé de nombreuses problématiques.
Nous reste-t-il assez de temps pour lancer une nouvelle étude sur un grand sujet ?
Le problème de la dépendance fait-il bien l'objet d'un rapport en cours de rédaction de la part de la Délégation ?
Oui. Notre rapporteure sur ce sujet, Mme Marianne Dubois, en présentera les conclusions, notamment les perspectives en termes de propositions, au cours de la prochaine session.
Notre collègue a conscience que ses propositions ne feront pas plaisir à tout le monde. L'examen des situations de dépendance fait apparaître que les femmes sont doublement concernées par ce problème : les personnes dépendantes sont majoritairement des femmes et leur nombre ne cesse d'augmenter ; quant aux personnes qui les prennent en charge, ce sont également et essentiellement des femmes, qu'elles appartiennent à la sphère familiale ou qu'elles travaillent dans le secteur médico-social ou dans celui de l'aide à domicile, secteurs qui offrent aux femmes des emplois ingrats, souvent à temps partiel, mal payés et peu reconnus.
En 2007, Mme Hélène Mignon avait déjà souligné le fait que le secteur de l'aide à la personne ne mobilisait que des emplois féminins et précaires.
Le rapport de Marianne Dubois formulera des questions qui exigeront des réponses. Comme dans le cas des retraites, nous enfoncerons peut-être des portes ouvertes pour ce qui relève des constats, mais au niveau des propositions, il nous faudra assumer des choix qui ne correspondront peut-être pas toujours à ceux du Gouvernement.
Les constats dressés par ce rapport s'inscriront dans la prolongation des rapports rendus par la Délégation en 2004 et en juin dernier sur le temps partiel et sur ses conséquences sur la précarité des femmes.
Nous sommes face à des choix de société comme le démontre la bataille que j'ai menée la semaine dernière sur l'article 13 bis de la proposition de loi pour le développement de l'alternance et la sécurisation des parcours professionnels : il a fallu que j'explique à nos collègues en quoi les dispositions de ce texte assouplissant l'organisation du temps partiel étaient en complète contradiction avec l'idée d'une sécurisation des parcours professionnels.
Comment, dans l'avenir, les personnes en charge de la gouvernance pourront-elles affronter toutes les difficultés liées à la dépendance ? C'est là une question qui me préoccupe particulièrement.
On constate la multiplication des « petits bouts » de temps partiels. Je pense aux emplois féminins dans les hypermarchés. Je pense aussi aux femmes de ménage qui commencent leur service à 6 h 30, par exemple à l'Assemblée nationale. Pensons à l'heure à laquelle ces femmes sont obligées de se lever !
Si des dessins animés pour les enfants sont diffusés sur les chaînes de télévision dès 4 heures du matin, la raison en est que des mères se lèvent à cette heure là.
Qui va payer pour la dépendance de ces femmes qui auront travaillé toute leur vie à temps partiel ?
La réalité insupportable à laquelle renvoie cette question n'est aucunement perçue à l'heure actuelle ; elle ne l'est ni par rapport à la situation présente ni par rapport à la situation que nous prépare l'avenir.
Je suggère que dans les six mois restant, nous nous interrogions sur les moyens à mettre en oeuvre pour susciter une véritable prise de conscience de la part de nos dirigeants. Quelle stratégie mettre en place pour faire apparaître le caractère crucial de ce problème ? Comment populariser cette question qui est mal appréhendée par la classe politique mais aussi par la société toute entière ?
L'enjeu est là : faire en sorte que ce problème crucial soit mieux perçu.
Qui pourrait être notre porte-parole, notamment dans les médias ?
Chacune d'entre nous doit être la porte-parole de cette problématique dans les médias. Cela relève de notre responsabilité.
Lors de l'audition sur le temps partiel de Mme Geneviève Bel, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité du Conseil économique, social et environnemental (CESE), j'ai proposé l'organisation d'une table ronde, en octobre 2011. Réunissant au CESE les délégations aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, du Sénat et du CESE, cette table ronde nous permettrait d'inviter des représentants des syndicats et des sociologues, de débattre de la façon dont le problème de la dépendance est perçu et d'envoyer un message plus large à l'opinion.
Quand je parlais de porte-parole, je voulais dire qu'il fallait trouver des personnes pouvant faire écho à nos préoccupations dans les médias.
Il faut aussi saisir l'occasion des élections présidentielles pour que ce thème soit un sujet de campagne sur lequel les candidats seront amenés à se positionner.
Il serait possible de contacter de nombreux journalistes, y compris ceux de la presse spécialisée. Les journalistes femmes devraient en particulier être intéressées.
Autrement dit, il faut produire du buzz.
Mais en faire un thème de la campagne ne signifie pas que la question doive être récupérée par un parti politique ; il faut poser un problème politique.
Comme on l'a fait pour la question des retraites, même si les résultats sont restés « anecdotiques »…
Je proposerais la rédaction d'un document de deux à cinq pages qui expliquerait en quoi le problème comporte des conséquences dramatiques pour demain.
Ma préoccupation avait été la même en 2004 au sujet des recommandations formulées par la Délégation sur le temps partiel. J'avais demandé un rendez-vous au ministre qui était alors en charge de cette question, M. Jean-Louis Borloo. Je n'ai jamais été reçue par le ministre !
Le document auquel je pense serait un opuscule court et percutant, qui présenterait les enjeux de la dépendance pour aujourd'hui et surtout pour demain, et qui formulerait diverses préconisations. Il nous faudrait ensuite rencontrer des journalistes – je pense, par exemple, à ceux travaillant dans le secteur de la presse économique tels le Nouvel Économiste, La Tribune, Les Échos, Usine Nouvelle ou Liaisons sociales – pour leur expliquer en quoi cette question majeure doit être abordée au cours de la campagne électorale.
Malheureusement, j'ai le sentiment qu'aucun programme politique n'aborde pour le moment ce sujet.
Doit-on attendre d'être dans la situation où la France comptera des dizaines de millions de femmes, très pauvres, très âgées et très dépendantes ? Il faudra alors bien trouver de l'argent public !
Je rappellerai que des obligations légales de prise en charge des parents âgés pèsent sur les enfants ; ce qui est un juste retour des choses car les femmes ont souvent choisi le temps partiel pour s'occuper de l'éducation de leurs enfants. Il n'est pas normal que ceux-ci héritent des biens de leurs parents mais refusent de payer les frais de leur dépendance. Pendant la canicule de 2003, aucun des morts dont les corps n'ont pas été réclamés par une famille n'était d'origine maghrébine ; il y a des cultures où on n'abandonne pas les personnes âgées en fin de vie. C'est une question de solidarité intra-familiale.
Il ne faut cependant pas renvoyer le problème en le faisant peser sur la famille. Ce serait botter en touche.
Les familles ont évidemment un rôle à remplir. Mais le problème que nous soulevons est celui de l'insertion professionnelle de personnes qui travaillent aujourd'hui dans des conditions précaires et qui, une fois qu'elles seront à la retraite, n'auront pas les moyens de payer à elles seules les frais relatifs à leur situation de dépendance. Le minimum vieillesse ne permet pas de payer un aidant. C'est cette réalité là qu'il faut mieux expliquer.
– Il arrive même que des femmes qui ont travaillé perçoivent des sommes inférieures au minimum vieillesse une fois qu'elles sont à la retraite. On marche sur la tête ! Et il est bien normal que ces femmes ne comprennent pas le traitement qui leur est ainsi réservé.
Le problème que nous soulevons est une question de salut de la République, car dans trois ou quatre ans les gouvernants devront faire face à une situation explosive.
– Le « papy boom » a en effet déjà commencé. De plus en plus de femmes sont donc concernées.
Leur condition est d'autant plus précaire qu'on connaît – c'est une réalité sociale – le caractère volage des compagnons…
Jusqu'au mois de janvier 2012, nous devons donc nous concentrer sur cette problématique.
– Les candidats aux élections présidentielles doivent se positionner sur cette question. Il ne faudrait pas renouveler le précédent de la réforme des retraites dont je rappellerai que les instigateurs avaient « oublié » le problème spécifique que pose la retraite des femmes !
Pour la rédaction du texte auquel je pense, on pourrait s'inspirer du remarquable document élaboré par Mme Margaret Maruani ; en deux pages, toute la problématique était formulée.
– Mme Rachel Silvera a, elle aussi, produit un texte très bien fait.
Je suis d'accord pour qu'on travaille à l'élaboration d'un document analogue.
Avec ce document, l'ensemble de la presse pourrait être ciblé, c'est-à-dire pas seulement la presse spécialisée dans le secteur social, mais toute la presse lue par les gens sérieux.
– En outre-mer, certaines femmes travaillent, mais très peu, pour élever leurs enfants et d'autres, beaucoup plus nombreuses, qui ne travaillent pas du tout parce qu'elles sont au chômage. L'emploi y est en effet rare. Une fois âgées, celles qui sont veuves reçoivent une maigre pension de réversion, toutes les autres perçoivent le minimum vieillesse.
Certains enfants ne veulent plus garder leurs parents chez eux, surtout s'ils sont atteints de la maladie d'Alzheimer. En Guadeloupe, le conseil général propose des prises en charge dans des centres de personnes âgées. Si la situation de dépendance est aujourd'hui particulièrement difficile à assumer financièrement pour toutes les femmes, elle va toucher prochainement de plus en plus d'hommes en raison du chômage.
Les coûts seront très lourds, d'autant que le recours aux assurances – par exemple pour payer les obsèques – est de moins en moins répandu. Il faudrait inciter nos compatriotes à prendre des assurances, aussi minimes soient-elles.
– J'ai pu lire dans un rapport que l'écart salarial entre les hommes et les femmes était moins important à La Réunion qu'en métropole. La raison vient de ce que le chômage qui sévit à La Réunion est très important.
Le recours à l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) pose aussi le problème de la récupération sur la succession, question que j'avais soulevée dans le cadre d'une proposition de loi – le sujet ayant été ensuite repris dans le projet de loi qui a réformé la retraite des agriculteurs. On observe que certaines personnes refusent de percevoir le minimum vieillesse et préfèrent s'enfoncer dans une précarité encore plus grave pour ne pas hypothéquer le bien qu'elles veulent transmettre à leurs enfants.
La situation est d'autant plus spécifique en outre-mer que, comme l'a montré un rapport de l'INSEE, le nombre de familles monoparentales y est deux fois plus élevé qu'en métropole.
L'analyse de ces particularités de l'outre-mer pourraient certainement révéler des difficultés présentes aussi en métropole.
– Tous ces problèmes que rencontrent les femmes, parmi lesquels ceux qui sont propres à l'outre mer, devront être mis sur la table à l'occasion de la future campagne électorale.
La séance est levée à 17 heures.