COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 6 juillet 2011
La séance est ouverte à onze heures quarante.
(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission)
La Commission des affaires sociales entend, en audition ouverte à la presse, M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi, et de la santé, sur la mise en oeuvre de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites (MM. Michel Issindou, et Denis Jacquat, rapporteurs).
Monsieur le ministre, merci pour votre présence. Après les interventions de M. Denis Jacquat et de M. Michel Issindou, auteurs du rapport d'information sur la mise en application de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, nous vous entendrons sur cette mise en oeuvre.
Il ne s'agit pas de refaire le débat. Conformément, mes chers collègues, à l'article 145-7 de notre Règlement, l'objet du rapport que nous vous soumettons, Michel Issindou et moi-même, est de faire « état des textes réglementaires publiés et des circulaires édictées pour la mise en oeuvre de la loi, ainsi que de ses dispositions qui n'auraient pas fait l'objet des textes d'application nécessaires ». Je tiens néanmoins à répéter que la réforme des retraites que nous avons portée avec le Gouvernement – et je tiens ici, monsieur le ministre, à saluer l'action de votre prédécesseur – et avec cette majorité constitue une réforme responsable, juste et efficace dont nous pouvons être fiers. Toutes les retraites ont été payées au jour et au montant prévus, ce qui n'a pas été le cas dans de nombreux pays.
Vos services, monsieur le ministre, ont publié dans un délai très bref l'intégralité des textes nécessaires à la mise en oeuvre de cette réforme d'envergure. Il convient de les en féliciter.
Ainsi, les textes concernant les bornes d'âge, le dispositif « carrières longues », le rétablissement de l'assurance veuvage, l'extinction progressive du départ anticipé pour les parents de trois enfants ou encore le taux de cotisation et le minimum garanti dans la fonction publique ont tous été publiés avant la fin de l'année 2010. Les décrets nécessaires à l'extension de la réforme aux régimes spéciaux l'ont été dès le mois de mars 2011, de même que ceux mettant en oeuvre la réforme anticipée pour pénibilité. Seul le décret relatif au Comité de pilotage de la réforme des retraites (COPILOR) a fait l'objet d'une publication un peu tardive.
En revanche, deux dispositions, qui concernent la pénibilité, manquent à l'appel : l'arrêté relatif aux fiches individuelles d'exposition à des conditions de travail pénibles et le décret devant fixer la composition du comité scientifique chargé « d'évaluer les conséquences de l'exposition aux facteurs de pénibilité sur l'espérance de vie avec et sans incapacité des travailleurs ». Je le regrette. D'autres décrets doivent encore être publiés, mais ils concernent des dispositions dont la date d'entrée en vigueur est plus éloignée – je pense en particulier au droit à l'information.
Au-delà de ce satisfecit global, j'aurais quelques questions un peu plus précises à vous poser.
Premièrement, pourriez-vous revenir quelques instants sur la question de l'allongement de la durée de cotisation, afin de poursuivre l'indispensable travail de pédagogie ? Le processus était déjà inscrit dans la loi Fillon, seules les modalités de fixation ayant évolué avec la réforme qui nous occupe aujourd'hui.
Deuxièmement, s'agissant de l'égalité hommes-femmes, le projet de décret a pu susciter certaines inquiétudes. Nous éclaireriez-vous sur ce point ?
Troisièmement, où en est le décret concernant la prise en compte accrue des périodes de chômage non indemnisées ? S'agissant de l'allocation équivalent retraite (AER), nous nous étions heurtés à des problèmes de stock et de flux. Nous avions réglé celui du stock ; pour résoudre celui du flux, nous avions envisagé, à l'époque, des dispositions spécifiques.
Quatrièmement, l'article 9 de la loi crée un répertoire de gestion des carrières unique, confié à la CNAV. Un groupe de travail a été mis en place. En savez-vous davantage ?
Enfin, l'article 13 prévoyait le dépôt d'un rapport sur les conditions d'un versement des pensions dès le 1er du mois. Nous savons, monsieur le ministre, que ce sujet vous tient à coeur. Où en êtes-vous de votre réflexion ?
Monsieur le ministre, vous vous en doutez, mon appréciation est un petit peu moins positive que celle de mon estimé collègue. Même s'il ne s'agit pas de refaire le débat sur les retraites, je voudrais très brièvement rappeler pourquoi nous nous sommes opposés à cette réforme et pourquoi nous reviendrons dessus au plus vite, si nous sommes en situation de le faire.
Cette réforme est injuste et inefficace.
Elle est injuste car elle fait porter l'essentiel du poids des déficits issus de la crise économique sur les personnes qui sont déjà les plus touchées, c'est-à-dire les salariés ayant commencé à travailler tôt. Les seuls qui ne seront pas touchés par le relèvement des bornes d'âge sont ceux ayant fait de longues études et ayant commencé à travailler tard et qui, pour disposer de l'ensemble des annuités nécessaires, partent déjà après soixante-deux ans. Ma première question sera d'ailleurs la suivante : combien de personnes seront obligées, en 2011, de décaler leur départ en retraite ? En attendant, quelle est leur situation ?
Cette réforme est également inefficace car, sans changement significatif du taux d'emploi des seniors – aujourd'hui, d'environ 38 % pour les 55-64 ans –, elle se traduira inévitablement par un transfert des déficits de l'assurance vieillesse vers l'assurance chômage, l'assurance maladie ou les minima sociaux.
Concernant les différents décrets d'application, celui relatif à l'allocation équivalent retraite (AER) se fait toujours attendre. Certes, la loi prévoit de prolonger cette dernière pour les personnes qui en bénéficient déjà au 31 décembre 2010, mais rien n'est prévu pour celles qui auraient dû en bénéficier depuis ; c'est d'autant plus dommageable que ce nombre augmentera au fur et à mesure du décalage des âges. En septembre 2010, le Premier ministre lui-même avait pris l'engagement que le Gouvernement mettrait en place « un système équivalent à l'AER, pérenne, pour les travailleurs les plus âgés ». Le Gouvernement entend-il honorer cette promesse ?
Pour l'essentiel, les mesures réglementaires prises en application de la loi ont été publiées, ce qui est indiscutablement une bonne chose. Mais il me semble que l'option la plus restrictive a été quasi systématiquement retenue.
S'agissant de la pénibilité, pourquoi avoir retenu une durée d'exposition de dix-sept ans pour bénéficier d'une retraite anticipée, à soixante ans, en cas d'incapacité comprise entre 10 et 20 % ?
Concernant l'obligation de négociation sur la pénibilité, pourquoi est-il envisagé de retenir une proportion de 50 % de salariés exposés aux facteurs de risques professionnels liés à la pénibilité ? Sur quels critères ce chiffre a-t-il été retenu ? Combien d'entreprises seront-elles concernées ?
Pour ce qui est de la possibilité pour les parents de trois enfants de partir à soixante-cinq ans sans décote, les conditions d'interruption d'activité après la naissance des enfants me semblent excessivement restrictives. Quel a été votre raisonnement et quel est le nombre d'assurés susceptibles d'en bénéficier ?
Quant aux aidants familiaux, pourquoi avoir restreint le dispositif aux aidants de personnes handicapées, à l'exclusion des personnes dépendantes ? Là encore, combien de personnes seront-elles concernées ?
Enfin, s'agissant de l'égalité hommesfemmes, les belles intentions de la loi n'ont trouvé qu'une maigre traduction dans les décrets d'application.
Au-delà de ces remarques et de ces interrogations, je tiens à préciser en quoi notre approche du sujet diffère de la vôtre.
On le sait, l'équilibre des régimes de retraite est une question de paramètres. Vous avez choisi de n'apporter aucune ressource nouvelle dans le dispositif et de jouer, en conséquence, sur un seul de ces paramètres : le recul des bornes d'âges. Pour nous, ce n'était pas le seul choix possible.
À l'automne dernier, nous avons défendu avec conviction une solution plus équilibrée et plus durable, passant par une taxation du capital et une augmentation progressive des cotisations. Cela nous aurait permis d'être plus généreux sur l'âge de départ, plus humain sur la façon de prendre en compte la pénibilité et plus efficaces pour l'emploi des seniors.
Dans ces conditions et contrairement à ce que vous affirmez, la retraite à soixante ans restait possible. Cette solution, à nos yeux plus juste, aurait convenu à ceux dont l'espérance de vie est plus courte, en raison de leur métier ; à ceux qui ont commencé à travailler tôt et dont le nombre d'annuités est suffisant ; enfin, à ceux qui souhaitent s'engager, dès cet âge, dans une autre étape de leur vie. La solution que vous avez choisie se traduit, à l'inverse, par des décisions très dures : report de la barrière d'âge et, depuis hier, augmentation anticipée de la durée de cotisations à 41,5 annuités – 166 trimestres.
En outre, votre réforme n'est qu'un sauvetage de très court terme. Comme vous l'avez dit vous-même, l'équilibre financier n'est assuré que jusqu'en 2018. Et encore devrez-vous recourir, plus tôt que prévu, au Fonds de réserve des retraites (FRR). Dès 2013, il faudra reprendre votre travail pour asseoir enfin les régimes de retraite sur des bases solides, de nature à redonner confiance aux générations futures.
Monsieur le ministre, je confirme les propos de Denis Jacquat : cette réforme a été responsable, courageuse et globalement juste.
Je me souviens des années précédentes, notamment entre 1980 et 1983. Ceux qui font des promesses aujourd'hui doivent savoir qu'ils pourraient avoir à les tenir demain, et que le risque est grand, pour eux, d'être sanctionnés.
La France est par ailleurs le seul pays d'Europe dont les dépenses sociales, qui ont atteint cette année le montant record de 610 milliards d'euros, progressent à un rythme supérieur à 3 % par an. Nous devons donc veiller à ce qu'elles n'asphyxient pas l'emploi et l'économie.
Nous devons également rester dans la ligne de la réforme des retraites conduite en 2003 par le Premier ministre, qui nous a conduits à mettre l'accent sur ceux qui ont exercé les métiers les plus pénibles. N'oublions pas que 140 000 personnes pourront prendre leur retraite à soixante ans. Il s'agit, notamment, de celles qui ont commencé à travailler avant dix-sept ans. Cela dit, nous avons besoin d'entendre parler de cas concrets, pour répondre aux questions qui nous sont posées sur le terrain – par exemple sur l'abaissement à 10 % du taux d'incapacité et sur le Fonds de mutualisation.
Enfin, je m'inquiète du développement des ruptures conventionnelles et des conséquences qu'auront celles-ci, notamment lorsque le salarié approchera de 58 ans. L'UNEDIC devra-t-elle prendre le relais ?
Je ne pense pas avoir besoin de refaire le débat, même après avoir entendu les propos de M. Issindou. En revanche, il me semble raisonnable de poursuivre cette réforme, tout en essayant de mener un débat dépassionné sur la question
Certains veulent nous faire croire que la « boîte à promesses » peut encore fonctionner. Mais les Français ne s'y laisseront pas prendre. Ils lisent les journaux, regardent les informations télévisées et savent ce qui se passe à l'étranger : les socialistes espagnols et allemands ont voté des réformes qui vont bien au-delà de ce que l'on fait chez nous, parce que c'était nécessaire. Dans la mesure où nous vivons plus longtemps dans nos sociétés européennes, il faut accepter de travailler plus longtemps. Les Français font preuve d'une grande maturité sur toutes ces questions.
Monsieur Issindou, vous avez parlé des paramètres, que nous connaissons tous : le niveau des cotisations, l'indemnisation et la durée de cotisation. Quoi qu'on fasse, tout le reste est secondaire. Nos concitoyens le savent : en matière de retraite, la pédagogie a été faite depuis bien longtemps.
Ainsi, ils n'accepteraient pas que l'on touche à l'indemnisation : la tradition, en France, à la différence de l'Allemagne, n'a pas été depuis plusieurs décennies – en particulier dans l'industrie – à des salaires élevés – et je ne parle pas de ceux des femmes, qui sont encore plus faibles que ceux des hommes, du fait notamment de carrières fractionnées et, bien souvent, d'une absence de déclaration de leur statut. Or qui dit petits salaires dit petites pensions. Voilà pourquoi, aujourd'hui, il est impensable de toucher au niveau des pensions.
Quant aux cotisations, certains en parlent avec beaucoup d'aise. Sauf que différents enjeux liés au vieillissement seront à résoudre dans les années qui viennent. Il faut prendre pour la retraite, dit-on. Mais pour les autres sujets – la santé, la dépendance – les mêmes disent aussi qu'il faut des cotisations. Or, selon moi, le niveau de prélèvements est arrivé à un point tel dans notre pays que l'on ne peut aller au-delà sans risquer de compromettre définitivement la compétitivité française. Voilà pourquoi les réformes ont été engagées – quel dommage d'ailleurs qu'elles ne l'aient pas été avant 1993 ! – en prenant tout simplement en compte l'évolution de l'espérance de vie et la durée de la période d'activité. Rien de plus, rien de moins. C'est ce qui nous a conduit à adopter une démarche équilibrée qui nous a permis d'aller moins loin – 62 ans en 2018 – que dans d'autres pays. Même si ailleurs les deux mêmes curseurs existent comme en Allemagne, ils jouent de façon alternative et non cumulative – 67 ans et 45 années de cotisation. Je ne fais pas tous ces rappels par esprit polémique, mais pour situer les enjeux.
Dès 2003, notre majorité – je m'en souviens bien pour avoir été rapporteur pour avis de la loi, aux côtés de Bernard Accoyer, rapporteur de la commission des affaires sociales, et de François Fillon, alors ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité – a mis en place le dispositif « carrières longues ». Ceux qui considèrent aujourd'hui comme insupportable de faire passer la durée de cotisation de 41 ans à 41,5 ans devraient d'ailleurs se souvenir que, lorsqu'ils étaient au pouvoir, ils avaient opposé une fin de non-recevoir aux demandes légitimes formulées par les députés communistes – membres de leur majorité – en faveur de certains salariés : cotiser pendant 46 ans, cela ne les gênait pas à l'époque ! Ce dispositif, qui a bénéficié à plus d'un demi-million de nos concitoyens, c'est donc bien, je le répète, notre majorité qui l'a mis en place après 2003. Il a un prix, mais c'était une question de justice.
Je ne suis pas sûr d'ailleurs que l'on ait besoin de toujours se donner des leçons. Il conviendrait même de changer d'autant plus de ton sur le sujet que cela rassure nos concitoyens de voir qu'il y a des points sur lesquels on est capable de ne pas se déchirer. On verra bien à quel moment les Français choisiront le changement de majorité. Mais ils savent pertinemment que, sur ce sujet, il n'y aura pas de retour en arrière. Même si certains en avaient sincèrement envie, ils n'en auraient pas les moyens. C'est aussi simple que cela. Suivant les équations en effet, ce sont entre 9 et 20 milliards d'euros par an qui, sinon, manqueraient alors même que les besoins de financement liés au vieillissement seront importants.
Vous avez soulevé, monsieur Jacquat, la question de l'allongement de la durée de cotisation. Je pourrais vous dire que le processus est automatique, et c'est d'ailleurs ce qui s'est passé depuis 2003. Mais ma conception de la politique m'amène à me projeter au-delà. En fin d'année dernière, des chiffres communiqués par l'INSEE nous ont montré que, passé 60 ans, les Français avaient 24,5 ans d'espérance de vie – je ne distingue pas entre les hommes et les femmes bien que l'espérance de vie, même si les choses se rapprochent, soit encore différente. Il faudra en tirer les conclusions, à partir du ratio déterminé en 2003, à savoir deux tiers de l'augmentation de la durée de vie pour le temps de travail et un tiers pour le temps de retraite. Je prendrai un décret dans les semaines qui viennent en fonction de l'avis qu'aura rendu le Conseil d'orientation des retraites (COR) – cet avis vient d'ailleurs d'être adopté sans vote, ce qui n'est pas en soi une surprise. Je sais bien que l'on veut en faire un sujet polémique, mais c'est alors depuis 2003 que l'on aurait pu, tous les ans, en faire un !
Je ne reproche d'ailleurs pas aux syndicats leur position en la matière. Ils s'étaient déjà opposés au passage de 40 à 41 ans : je ne vais pas leur demander aujourd'hui de changer leur attitude. C'est leur choix, et je le respecte. Simplement, ce n'est pas ma conception des choses car agir en matière de durée de cotisation, est non seulement nécessaire mais également indispensable. Il convient cependant de dépassionner le débat. On nous parle en effet avec cette hausse de la durée de cotisation, combinée au relèvement progressif de l'âge légal, d'une « double peine » qui arrive par surprise. Non, c'est là l'esprit de la loi de 2003. Il est vrai que lorsque l'on est passé de 40 à 41 ans, les mêmes débats quasiment ont eu lieu.
Vous avez par ailleurs évoqué la pénibilité, dont nous avons longuement débattu. Je rappelle que c'est la première fois que nous mettons en place un dispositif la prenant en compte. Malgré son coût, un tel dispositif se justifie pour des raisons de justice. Dès 2003, j'avais déposé des amendements incitant les partenaires sociaux à négocier en ce sens. Certains y avaient vu – à tort – un effet de mode. En définitive, le Gouvernement a été conduit à prendre ses responsabilités.
Cela étant, les dispositions adoptées en 2003 sur les carrières longues ont permis de traiter différemment – pas aussi bien peut-être d'un point de vue médical – la question de la pénibilité. À l'époque en effet, le dispositif a été élargi à ceux qui avaient commencé à travailler à 16 ans, suite à l'action de Pierre Méhaignerie, dans les métiers parmi les plus pénibles – déterminés sur la base de critères pas très objectifs, je le concède.
Aujourd'hui, nous prévoyons que 30 000 personnes par an pourront bénéficier du nouveau dispositif. Certes, au 30 juin 2011, très peu d'attestations ont été délivrées. Cela s'explique par le fait que ce dispositif n'étant pas encore entré en vigueur, les intéressés attendent, ne sachant peut-être même pas à qui s'adresser. Le même phénomène s'était d'ailleurs produit avec la retraite anticipée pour carrières longues puisqu'on n'avait enregistré, au cours des deux mois précédant son ouverture, en novembre et décembre 2003, que 2 287 attributions. En revanche, sur l'année 2004, on en enregistra 100 000, une fois le dispositif devenu opérationnel. Sans vouloir établir de corrélation, si aujourd'hui, on ne compte que 300 ou 400 attestations, cela ne signifie pas pour autant que le dispositif ne va pas fonctionner – avant l'heure, ce n'est pas l'heure, dirais-je.
Cela me conduit d'ailleurs à revenir sur l'une de vos questions, monsieur Jacquat. S'il était important que le COR se réunisse et que je publie rapidement le décret concernant l'allongement de la durée de cotisation, c'était simplement pour que les caisses de retraite puissent informer les assurés sociaux de la génération 1955. Si l'on n'apporte pas de réponse, ils ne sauront pas comment s'organiser. C'est en particulier la raison pour laquelle j'avais notamment soutenu à l'époque, en 2003, le droit à l'information.
Monsieur Issindou, la durée de dix-sept ans qui est imposée aux assurés dont le taux d'incapacité n'atteint pas 20 % n'a pas été choisie par hasard. Elle correspond à la durée qui sera à l'avenir nécessaire pour bénéficier d'une retraite de la fonction publique lorsque l'on fait partie des catégories dites « actives ». Comme il faut arrêter avec ces disparités, que personne ne sait expliquer, entre le public et le privé, il est logique que la même référence soit appliquée pour le privé. Ces catégories, ce sont celles qui sont exposées à des conditions de travail caractérisées par une relative pénibilité. On ne part donc pas de rien : on prend en compte le dispositif qui existe dans le public. Une durée de dix-sept ans va permettre vraiment de juger de la pénibilité d'une carrière. Je rappelle néanmoins que selon la circulaire du 18 avril 2011, cette condition de durée d'exposition n'est pas applicable aux salariés victimes d'une maladie professionnelle ; dans ce cas, c'est-à-dire si l'on a une maladie professionnelle, il n'est pas besoin d'atteindre les dix-sept ans d'exposition. La maladie professionnelle l'emporte sur la durée d'exposition ; pour ceux qui en ont une, le système sera donc plus favorable, ce qui est normal.
Vous m'avez interrogé, monsieur Jacquat, sur le décret relatif aux périodes de chômage non indemnisées en début de carrière. Je l'ai signé et il a été publié au début du mois de juin : il porte de 4 à 6 trimestres, comme nous nous y étions engagés, la période prise en compte pour le calcul de la retraite. Le système ainsi mis en place est donc plus favorable.
Vous avez l'un et l'autre évoqué la question de la retraite des femmes. La réforme apporte plusieurs améliorations, dont celle qui permet la prise en compte des congés de maternité pour le calcul de la pension. Les indemnités journalières perçues à cette occasion seront désormais prises en compte pour la retraite. Le décret en ce sens a d'ores et déjà été publié au Journal officiel.
Malgré tout, certains s'inquiètent, s'agissant de l'égalité salariale entre les hommes et les femmes : les décrets ne risquent-ils pas de revenir en arrière ou d'alléger les contraintes existantes ? Mme Marie-Jo Zimmermann a d'ailleurs publié hier de nouvelles recommandations sur le sujet. Entendons-nous bien : voilà trente ans que le principe « à travail égal, salaire égal » est inscrit dans la loi. Il n'est pas question pour nous de revenir dessus. Il n'est pas question de recul.
Le paiement des retraites le 1er du mois est un sujet qui me tient à coeur. Lors du débat sur les retraites, l'amendement en ce sens avait d'ailleurs été voté à l'unanimité – ce qui n'a pas été le cas pour beaucoup d'entre eux !
J'avais demandé un rapport car, du fait de l'article 40 de la Constitution, j'étais incapable de présenter un amendement qui eût été recevable. Je suis effaré d'ailleurs du nombre de difficultés que l'on dresse en la matière. Au-delà du coût de la mesure, qui s'élèvera non pas à 15 milliards d'euros tous les mois, comme il m'a été indiqué initialement, mais à beaucoup moins, les difficultés ont été de plusieurs ordres.
Actuellement, les retraites sont mises en paiement le 9 et arrivent sur les comptes le 11 ou le 12. Leur versement en début de mois implique donc – pour ne pas imposer une charge de trésorerie supplémentaire aux entreprises – que l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) emprunte. Or emprunter pour dix jours tous les mois comme je l'imaginais, serait, me dit-on, compliqué et certainement coûteux. Il faudrait donc, m'explique-t-on, emprunter davantage sur l'année, ce qui coûterait encore plus cher. Mais si l'ACOSS emprunte davantage, soit entre 10 et 15 milliards d'euros, ne pourra-t-elle pas non seulement avancer le paiement des retraites, mais aussi, sur les vingt jours restants, placer l'argent ? In fine, la facture serait donc moins élevée. J'étudie la question.
Autre difficulté avancée : le versement des retraites en début de mois impliquerait le changement des logiciels de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) – selon un écho publié dans l'Express ce matin, cette dernière estimerait même un tel changement impossible ! Le problème c'est que moi, je ne peux imaginer que cela ne puisse se faire. J'irai jusqu'au bout. On prétend que cela prendrait plus de deux ans ! Il ne faut quand même pas plaisanter !
Bref, je ne renoncerai pas sur ce sujet. Nous lèverons les embûches les unes après les autres, et nous réussirons à avancer la date de versement des retraites dans ce pays. On me dit que ce n'est pas grave, que les gens finissent par être payés. Mais il s'agit quasiment d'un symbole, celui de montrer notre capacité, s'agissant d'une idée simple appuyée sur une volonté politique partagée, à lever les unes après les autres les difficultés techniques et technocratiques qui n'auront pas manqué pas de se dresser sur notre route. C'est un sujet dont on ne parle pas trop à Paris dans les cabinets ministériels, mais sur le terrain, il concerne les gens un peu plus qu'on ne l'imagine.
Le taux d'emploi des seniors s'améliore, monsieur Issindou – ne faisons pas de misérabilisme. On a confondu pendant trop longtemps le taux d'emploi des 55-65 ans avec ceux des 55-60 d'une part et des 60-65 d'autre part. Comme, en outre, l'âge légal de départ à la retraite était de soixante ans, les chiffres ne pouvaient qu'être mauvais s'agissant des 60-65 et faire baisser la moyenne pour les 55-65. Du fait des règles relatives au cumul emploi retraite ou parce qu'elles avaient commencé à travailler très tard, les personnes qui partaient à la retraite après soixante ans étaient très peu nombreuses – moins de 20 000. Aujourd'hui, le taux d'emploi des 55-60 ans se situe dans une bonne moyenne européenne et continue de progresser. La libéralisation du cumul emploi retraite et le relèvement de la surcote permettent d'ores et déjà d'anticiper le relèvement de l'âge de la retraite.
Les gouvernements, de droite comme de gauche, les employeurs, les salariés et les syndicats ont fermé les yeux sur le système des préretraites, qui a coûté très cher au pays en termes financier, économique, mais surtout sociétal car permettre à des gens expérimentés et qui ont dépassé un certain âge de partir à la retraite est un véritable gâchis. La transmission des savoirs dans l'entreprise posait un vrai problème. Nous avons porté le coût de grâce aux préretraites dans les PLFSS successifs, ce que j'assume.
Vous avez donc entièrement raison de dire que l'augmentation du taux d'emploi des seniors est une nécessité. Nous agissons en ce sens. Mais ce n'est pas l'argent de la pénalité dont doivent s'acquitter les entreprises non couvertes par un plan seniors qui m'intéresse, c'est le changement des comportements.
Le Premier ministre François Fillon a très clairement déclaré qu'il demandait aux partenaires sociaux, dans le cadre de la renégociation de l'assurance chômage, de se pencher sur l'allocation équivalent retraite (AER). Les partenaires sociaux qui ont mis en place la filière senior sur l'indemnisation après cinquante ans, n'ont pas traité la question. Vous le savez, l'AER a été prolongée jusqu'en 2010, et Éric Woerth a souhaité qu'elle soit sanctuarisée jusqu'au bout. Aujourd'hui, j'ai besoin de connaître le nombre de personnes concernées, c'est-à-dire qui auraient pu bénéficier du dispositif au moment du vote de la réforme – elles seraient entre 30 000 et 40 000 –, et leur statut. Nous devons en effet savoir, au regard du plan spécifique pour le retour vers l'emploi des chômeurs seniors de longue durée, si elle a eu un impact, voire un impact plus important que l'allocation de solidarité spécifique (ASS).
J'aborderai donc ce sujet avec les partenaires sociaux, sachant qu'il ne faut pas, selon moi, abdiquer face à la nécessité de ramener vers l'emploi ceux qui pourraient être bénéficiaires de l'AER et qui sont aujourd'hui sans activité.
Monsieur Issindou, le nombre de personnes obligées en 2011 de reporter la date de leur départ à la retraite s'élève à environ 200 000.
Enfin, monsieur Jacquat, la traçabilité des expositions est une des missions de la médecine du travail, qui a besoin d'un cadre réformé pour la mener à bien. Nous y travaillons.
Je remercie le ministre et les deux rapporteurs de nous avoir, une fois de plus, apporté la preuve que cette réforme des retraites est à la fois responsable et juste.
Responsable puisqu'elle vise à sauvegarder notre système de retraite grâce à un retour à l'équilibre à l'horizon 2018 – avec l'objectif principal de garantir le versement des pensions aux Français – et parce qu'elle apporte une solution au vieillissement de la population, avec le recul de l'âge de départ à la retraite, comme l'ont fait la plupart de nos voisins européens.
Juste car elle met à contribution les salariés, mais aussi les revenus du capital à hauteur de 3,7 milliards d'euros. Elle est la première, au niveau européen, à prendre en compte la pénibilité. Elle amplifie le processus des carrières longues, qui avait été mis en place lors de la réforme de 2003. Elle comporte enfin des mesures relatives à l'égalité entre les hommes et les femmes.
Depuis quarante-huit heures, le discours démagogique de l'opposition, porteur d'angoisse pour nos concitoyens, se focalise sur la proposition du COR d'allonger à nouveau la durée de cotisations. Or, que je sache, la réforme de 2010 ne remettait pas en cause la réforme Fillon de 2003, laquelle n'est pas non plus remise en cause dans le programme du parti socialiste, qui préconise, pour permettre l'équilibre entre le temps de travail et le temps passé à la retraite, une augmentation de la durée de cotisation de six mois pour un gain d'un an d'espérance de vie. D'ailleurs, la logique impose d'allonger la durée de cotisation de quarante ans à quarante et un ans et demi puisque, comme le montrent les données de l'INSEE, nous avons gagné un an d'espérance de vie depuis quatre ans.
Je suis persuadé que les Français nous sauront gré de cette réforme, car ils attendent non pas un discours démagogique sur le rétablissement de la retraite à soixante ans, mais un discours de vérité. À cet égard, le Président de la République et le Gouvernement ne font que prendre leurs responsabilités pour garantir la protection sociale de nos concitoyens.
Monsieur le ministre, d'autres réflexions seront-elles menées avant 2018, notamment sur le passage à un système de retraite par points et à un régime unique pour l'ensemble des salariés, du secteur privé comme du secteur public ?
Certes, monsieur le ministre, nous ne sommes pas obligés de nous déchirer. Néanmoins, si nous sommes d'accord sur la nécessité de mesures vigoureuses pour pérenniser nos régimes de retraite, nous ne sommes pas dispensés d'exprimer des divergences politiques réelles.
En indiquant que vous ne savez pas quand les Français choisiront le changement de majorité, c'est donc que vous admettez que ce changement est d'ores et déjà programmé. À cet égard, les positions que nous exprimons aujourd'hui sont responsables, c'est-à-dire susceptibles de s'inscrire dans le cadre d'une politique gouvernementale.
La sauvegarde de nos régimes de protection sociale passe évidemment par l'augmentation du temps travaillé, globalement et collectivement, mais n'implique pas nécessairement une augmentation du temps de travail personnel de tous les individus. Elle exige également d'engager des politiques de réduction du chômage, dont le taux avoisine désormais 10 %.
Certes, à l'avenir, des hommes et des femmes pourront travailler plus longtemps car leur métier n'aura pas été difficile ou parce qu'ils auront été gratifiés dans leur activité professionnelle, mais d'autres ne le pourront pas, voire ne le devront pas au regard de leur parcours professionnel et de la pénibilité de leur métier. Voilà pourquoi l'allongement du temps de travail ne doit pas s'appliquer à tout le monde.
Ce qui est porteur d'angoisse pour les Français, monsieur le ministre, c'est le changement permanent des règles. À la fin de l'année dernière, le Gouvernement a clairement indiqué qu'il s'engageait dans la voie du relèvement de l'âge légal de départ en retraite, tout en maintenant une perspective d'allongement de la durée de cotisations à l'horizon 2020 – et non 2012 ! Il a également expliqué que le système était totalement financé jusqu'en 2018-2020 et que le parti socialiste affolait la population. Or quelques jours seulement après l'entrée en vigueur de la loi, vous remettez en cause les paramètres !
La loi de 2003 reposait sur un allongement de la durée de cotisation, sans modification de l'âge légal de départ à la retraite. Or, en 2010, vous avez indiqué qu'il fallait modifier l'âge légal. Si je comprends bien votre logique, dans six mois vous nous expliquerez que l'âge légal de soixante-deux ans doit être reporté à soixante-deux ans et demi ! En réalité, ces deux ensembles législatifs vous permettent de durcir ad libitum les conditions de départ à la retraite.
Cette situation s'explique par votre refus d'envisager la recherche de nouvelles ressources. Pourtant, dans la mesure où le coût du travail ne peut être éternellement alourdi si nous voulons garantir la compétitivité de notre économie, il nous faut rechercher un élargissement de la base des prélèvements, en particulier mettre à contribution les revenus du capital. Votre prédécesseur avait reconnu explicitement que les prélèvements sur les revenus du capital permettraient de faire face aux chocs de court terme et de ne pas relever l'âge légal de départ de retraite, mais que cela n'était pas le choix du gouvernement. Vous confirmez ce choix, alors qu'une remise à plat du financement s'impose.
La durée de cotisation est un critère plus juste que le relèvement de l'âge légal, à condition d'être modulée pour tenir compte des conditions de travail et de la pénibilité. Or votre loi prend en compte non pas la pénibilité, mais simplement l'invalidité qu'elle aménage légèrement. Pour le parti socialiste, l'important est de faire en sorte que l'ensemble des paramètres qui caractérisent une vie professionnelle soit effectivement pris en compte au moment du départ en retraite, et non d'appliquer la même règle à tout le monde comme vous le faites.
Enfin, outre qu'elle est injuste et inefficace sur le plan financier, puisque vous êtes contraint de trouver de nouvelles ressources quelques jours après l'entrée en vigueur de la loi, votre politique est également totalement abstraite dans la mesure où elle est menée dans un contexte de chômage de masse, notamment des plus de cinquante-cinq ans. Vous indiquez que le relèvement de l'âge légal permettra mécaniquement aux gens de cinquante-cinq ans de rester en activité. Or depuis le début de l'année, tous les employeurs savent que l'âge légal sera relevé et, malgré une légère amélioration de l'emploi ces derniers mois, le chômage des plus de cinquante-cinq ans n'a pas baissé.
Au total, la combinaison des critères que vous imposez rendra extrêmement difficile un départ à la retraite à taux plein pour un nombre croissant de gens. À court terme, nous assisterons au retour de la pauvreté pour certains retraités – votre objectif étant, j'en suis certaine, la baisse des pensions.
Madame Touraine, il est effectivement préférable que ce débat soit dépassionné.
Ce n'est pas le plein-emploi qui apporte la réponse au problème des retraites. Le plein emploi accroît la masse salariale. Mais les personnes au chômage voient leurs périodes de chômage validées et comptabilisées pour la retraite.
Contrairement à ce que vous dites, le système est totalement encadré par la loi. En prenant le décret, je ne fais qu'appliquer la loi.
L'augmentation de la durée de cotisation de trois mois, qui trouve sa justification dans l'augmentation de la durée de vie, permettra aux gens de bénéficier du même niveau de retraite. Il s'agit simplement d'équilibrer les retraites en vertu du calcul deux tiersun tiers.
Je relève tout de même une contradiction chez le parti socialiste. Considérant que toucher à l'âge légal était injuste, il avait proposé l'allongement de la durée de cotisations. Or aujourd'hui, vous êtes contre le passage de la durée de cotisations de quarante et un an et un trimestre à quarante et un an et demi ! Il faut assumer vos choix, madame Touraine !
En outre, les règles doivent être définies à l'avance. L'information et la publication du décret – dont j'assume la signature et qui était prévu par la loi – permettront aux personnes qui atteignent aujourd'hui cinquante-six ans de pouvoir s'organiser le plus tôt possible.
M. Robinet est l'un de ceux qui connaît le mieux le sujet des retraites. Il a raison de rappeler que cette réforme est responsable. Je vais plus loin en disant que la question des retraites touche vraiment à la place que l'on accorde au travail dans une société. En général, tout le monde est d'accord sur les mesures généreuses, mais il y a moins de candidats sur les mesures courageuses…
Monsieur le président Méhaignerie, le fonds destiné à soutenir les initiatives des branches et des entreprises, auquel vous tenez, est aujourd'hui en cours de création au sein de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Je prends l'engagement que nous ne fixerons pas de seuil d'effectifs pour les entreprises concernées. Par ailleurs, nous élargirons les missions de ce fonds de façon à intégrer tous les outils pour les fins de carrière – je pense en particulier à la question du contrat. Nous vous communiquerons très bientôt une nouvelle version du décret.
Nous avons atteint le chiffre de 600 000 ruptures conventionnelles. Contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit, les salariés âgés ne sont pas surreprésentés par rapport aux salariés licenciés du même âge : le rapport est à peu près identique.
J'ajoute pour finir, madame Touraine, que les chômeurs d'un certain âge sont avant tout des chômeurs de longue durée, pour lesquels le retour sur le marché du travail est rendu encore plus difficile par la crise. Si les trois quarts de ces personnes ont été reçues par les agents de Pôle emploi, elles ne reviendront pas rapidement sur le marché du travail dans la mesure où elles ont besoin d'être prises en charge, en particulier de bénéficier d'une formation ou d'un contrat aidé. Vous avez raison : même si le chômage global baisse depuis le début de l'année, en particulier celui des jeunes, la tendance ne s'est pas encore inversée pour les chômeurs de longue durée.
Sur le plan politique, je suis étonné, pour ne pas dire scandalisé, des propos de Michel Issindou et de Marisol Touraine concernant l'allongement de la durée de cotisation – disposition que j'estime d'ailleurs plus juste que celle portant sur le recul de l'âge légal. Alors que le parti socialiste et les syndicats ont souhaité que l'on travaille plutôt sur la durée de cotisation que sur l'âge légal, voilà que nos collègues font comme s'ils n'avaient jamais plaidé pour la première solution voilà un an ! Il faudrait tout de même assumer ses convictions !
Sur le plan technique, il nous est fait part, dans nos circonscriptions, de petits dysfonctionnements – mais aux importantes conséquences pour ceux concernés – liés à la mise en oeuvre de la réforme des retraites, s'agissant notamment du versement des retraites complémentaires. Présenterez-vous dans le cadre du PLFSS quelques amendements qui, sans remettre bien sûr en cause l'équilibre général de la réforme, permettront de corriger certains de ces dysfonctionnements – que l'on fait d'ailleurs très régulièrement remonter à votre cabinet ?
Encore faut-il que je sache de quoi il s'agit pour pouvoir intervenir très vite auprès des organismes concernés, comme dans le cas du dysfonctionnement dans le versement des retraites complémentaires que vous citez.
Je sais que de nombreuses questions se posent. Hervé Gaymard m'a fait ainsi part tout dernièrement de certains questionnements – souvent dûs d'ailleurs au seul fait que des changements importants sont intervenus.
Si des problèmes, que le réseau n'est pas à même de résoudre, existent, je dois le savoir afin de les régler avant le PLFSS et, en tout cas, avant le début de l'année. Je suis donc preneur de toute remarque que votre Commission – sans vouloir interférer dans son fonctionnement – serait à même de collecter.
Dominique Tian voulait évoquer les retraites-chapeau ; il est vrai que la Commission elle-même les avaient réduites très fortement pour les cadres moyens.
De nombreux cadres qui bénéficient de retraites-chapeau se plaignent de la dureté du nouveau système. Le Gouvernement devrait peut-être nous apporter des précisions avant même le PLFSS.
Notre collègue Arnaud Robinet faisait remarquer que notre message était anxiogène pour les Français : que faut-il alors penser de votre politique, monsieur le ministre, qui aboutit à ce que 76 % de nos concitoyens estiment que leurs enfants connaîtront une période de précarité, que le taux de suicide dans notre pays est l'un des plus importants à la fois chez les personnes âgées et chez les jeunes et que 30 à 40 % de nos concitoyens renoncent à des soins ?
Quant à la maturité que vous croyez déceler chez les Français concernant l'acceptation de la réforme de retraites, j'appellerai plutôt cela de la résignation. Ils savent qu'avant 25 ans ils sont un quart à ne pas avoir de travail et qu'après 50 ans ils sont trop vieux pour travailler. Comme le montrent des reportages réalisés aux États-Unis, ils se voient avec un balai en main à 75 ans pour essayer de survivre !
Par ailleurs, l'article 94 de la loi du 9 novembre 2010 prévoyait le dépôt de deux rapports du Gouvernement : l'un, « déposé au Parlement, avant le 30 juin 2011, sur les conditions d'introduction dans l'assiette des cotisations sociales de la gratification dont font l'objet les stages en entreprise mentionnés à l'article 9 de la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances, et sur les conditions de prise en compte de ces périodes de stage comme périodes assimilées pour la détermination du droit à pension ou rente » ; l'autre, remis « au plus tard le 30 juin 2011 aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat, sur l'assimilation des périodes de travail en détention à des périodes de cotisations à part entière. » Qu'en est-il de ces deux rapports puisque nous sommes déjà le 6 juillet ?
Je vous remercie de vos propos concernant l'emploi des seniors car trop de personnes sont poussées vers la sortie beaucoup trop tôt.
Par ailleurs, puisque vous avez souligné l'importance de l'information, la CAF ne pourrait-elle pas, au moyen d'Internet ou de ses publications, prévenir les mères de famille – ou les jeunes parents –, au moment de la naissance d'un enfant, de l'impact qu'aurait pour elles le fait de s'arrêter de travailler ? Trop de mères quittent leur emploi, parfois un peu poussées par l'entreprise qui en profite pour les licencier avec une petite indemnité, sans se rendre compte des conséquences ultérieures.
Il conviendrait même que cette information leur parvienne dès la déclaration de la grossesse à la CAF. C'est une question à étudier.
Les pères eux-mêmes pourraient être concernés par des cotisations compensatoires.
Dans le cadre de la délégation aux droits des femmes, nous avons proposé avec Marie-Jo Zimmermann la création d'un compte épargne-temps familial. Les jeunes parents demandent en effet une flexibilité de leur calendrier jusqu'à la retraite. L'établissement d'un tel compte leur permettrait de moduler leur carrière et de prendre leur retraite à temps choisi : certaines mères de famille, qui ont arrêté plusieurs fois leur carrière pour élever des enfants, seraient très contentes de pouvoir travailler un peu plus tard et d'améliorer ainsi leur retraite.
Le groupe SRC a déposé début 2010 une proposition de loi relative à l'extension du régime de retraite complémentaire obligatoire aux conjoints et aides familiaux de l'agriculture, prévoyant notamment une mesure rétroactive pour les personnes déjà retraitées, dont le financement coûterait 137 millions d'euros.
Sachant que les conjoints survivants d'exploitants agricoles sont souvent des femmes et que ce sont elles qui ont les plus petites retraites – 250 euros par mois –, je regrette que cette extension, qui aurait été une vraie mesure de solidarité envers ces retraités, n'ait pas été décidée.
Étant rappelé que nous sommes tous animés du même sens de la responsabilité, je reviendrai sur les trois paramètres dont vous faites toujours état en matière de retraite : la durée de cotisation, le montant des pensions et le niveau des cotisations. Or il en existe d'autres – c'est d'ailleurs le grand grief que nous avons à l'encontre de votre réforme : celui de ne pas prendre en compte tous ces paramètres.
Parmi ces autres paramètres, Marisol Touraine a cité l'assiette des cotisations.
C'est un même paramètre : celui des cotisations.
Sauf que nous élargissons le champ.
Je citerai pour ma part un autre paramètre, qui fait d'ailleurs équilibre entre les trois premiers : la durée du temps pendant lequel on touche sa retraite. Certes, il y a une logique à s'appuyer sur le fait que, globalement, on va vivre plus vieux. Mais le temps pendant lequel on touche sa pension n'est pas le même pour tous. Est-il normal que des gens qui ne vont pas vivre aussi longtemps que la moyenne, pour des raisons qui sont connues, doivent partir à la retraite aussi tard que les autres ?
Bien sûr que si ! Vous nous parlez de 30 000 personnes qui vont bénéficier de mesures moins sévères. La réalité est tout autre. Nombreux devraient être ceux, dans des métiers que nous pouvons pointer, qui devraient bénéficier de cette mesure.
J'apporte mon entier soutien aux mesures prises par le Gouvernement, ne serait-ce que du fait de la réalité démographique. Il nous faut à la fois parvenir à l'équilibre de nos comptes – il ne me viendrait pas à l'esprit de laisser les charges à nos enfants – et préserver un niveau correct des pensions de retraite.
Sur un plan plus général, nous devons travailler à une convergence progressive des systèmes de retraite en Europe. Par exemple, la stratégie Europe 2020 recommande d'améliorer l'emploi des seniors – les 55-65 ans aujourd'hui. De même, si nous avons choisi, concernant l'âge légal d'ouverture du droit à la retraite, l'âge de 62 ans, nous aurions pu aller plus loin. En Allemagne, au Danemark, et en Espagne cet âge est de 65 ans et bientôt 67. Pourquoi n'en ferions-nous pas autant alors que cette décision a été prise par des socialistes comme Gerhard Schroeder ou José Luiz Rodriguez Zapatero ? Quant à la durée de cotisation, soit 41,5 ans, elle est en Allemagne de 45 ans, en Irlande de 48 ans et au Pays Basque de 50 ans.
On le sait, le poids de nos décisions pèse sur les finances publiques et tout problème en la matière peut, à l'exemple de la Grèce, perturber l'Eurogroupe.
S'agissant enfin de la pénibilité, il ne faut pas y penser seulement pour la fin de la vie active, mais lancer des actions de prévention dès le début. À 20 ans, les jeunes employés à des travaux physiques ne savent pas se préserver des troubles musculo-squelettiques (TMS), notamment le mal de dos.
Vous nous avez à nouveau parlé de réforme courageuse et de consensus.
Le vrai courage aurait été, à la faveur de cette réforme, de tenter de réduire les inégalités que vous creusez au fur et à mesure des mois qui s'écoulent, en taxant les revenus du capital beaucoup plus que vous ne l'avez fait, c'est-à-dire d'une manière homéopathique et sous la pression de l'opposition et de l'opinion.
Quant à parler de consensus comme s'il s'agissait en la matière d'une simple réforme technique, c'est oublier que celle-ci est d'abord très politique. J'en veux pour preuve l'enthousiasme du Medef à la soutenir. Vous avez comme nous votre propre identité. Il faut avoir le courage de la défendre.
Avec cette réforme, qui n'est pas courageuse et qui ne peut être consensuelle, les Français voient bien que la droite et la gauche, ce n'est pas la même chose. Ils auront le choix.
Quant à parler enfin d'insécurité, n'est-ce pas plutôt le Gouvernement qui met en place l'insécurité sociale ? Jamais une politique n'aura eu une répercussion aussi anxiogène sur les Français !
Vous avez, monsieur le ministre, un vrai talent qui se voudrait persuasif, mais qui est surtout manipulateur.
Comme tout est en nuance dans vos propos, madame Iborra, puis-je vous demander, dans la répartition de la valeur ajoutée entre le travail et le capital, quand donc a fortement augmenté la seconde au détriment de la première ?
Ce qui est étonnant avec vous, monsieur le président, c'est que l'on n'est jamais surpris par vos interventions.
.. encore faut-il connaître l'histoire : entre 1982 et 1986, c'est la valeur ajoutée du travail qui a fortement baissé – de 7 points !
L'alternance, dont l'opposition a beaucoup parlé, rime, certes, avec bonne chance, mais aussi avec arrogance, comme bien souvent en ce moment !
Mme Delaunay, si les métiers sont en effet différents, pourquoi n'avez-vous pas parlé du dispositif dit « carrières longues » qui est maintenu ? Une présentation exhaustive donne toujours de la crédibilité à ses propos. À force de dire que tout est noir, les gens n'écoutent plus. En tout cas, c'est bien parce que les métiers sont différents que nous avons pris en compte les carrières longues, mais également la pénibilité.
De même, s'agissant des conjoints collaborateurs agricoles, il n'a pas été dit que nous leur avions étendu le régime de retraite complémentaire. Quant à parler d'effet rétroactif, c'est-à-dire de droits garantis payés par l'État, comment faire vis-à-vis des autres assurés ? Même s'il s'agissait avant tout de garantir l'équilibre, nous avons voulu des avancées sociales. Tel est le cas avec l'extension du régime de retraite complémentaire aux conjoints collaborateurs agricoles, mais également avec l'évolution à la hausse des plus petites retraites agricoles depuis quelques années, cela afin de répondre à un impératif de justice.
Edwige Antier évoquait la question des femmes. Une mère qui veut s'arrêter de travailler peut avoir des trimestres de retraite validés grâce au dispositif de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), qui représente un effort de 4,5 milliards d'euros par an et qui bénéficie chaque année à 2 millions de personnes.
Quant aux retraites-chapeau, sur lesquelles Dominique Tian a appelé l'attention, il faut veiller, en fonction des seuils qui sont appliqués, à ce que cela ne taxe pas les cadres qui ne sont pas directement visés, mais ceux dont on parle le plus, c'est-à-dire qui ont des retraites- chapeaux – de même que des rémunérations – extravagantes.
Pascale Gruny a raison de s'intéresser aux comparaisons internationales. La question du benchmark – en bon patois picard – est en effet essentielle. Les politiques ne le pratiquent certainement pas assez, alors que nos concitoyens s'y livrent systématiquement. Quand on voit que, face au même vieillissement de la population, les pays d'Europe qui ont dépassé l'âge légal de 60 ans depuis longtemps n'ont pas les mêmes déficits, cela montre bien la voie à suivre.
Le benchmark permet en outre de dépassionner les débats en montrant qu'il n'y a pas qu'une seule voie en la matière : si certains ne sont pas dans les mêmes familles politiques que d'autres, c'est parce que chacun a ses choix. Concernant, par exemple, la réforme des retraites, des voies différentes existent. À nous de les expliquer avant que les Français décident paisiblement. En revanche, contester tout du début à la fin, c'est entraîner une perte de confiance envers l'ensemble de la classe politique.
Concernant enfin les deux rapports auxquels Mme Lemorton a fait allusion, ils sont en voie finalisation. Ils vous seront transmis, même s'il y a un décalage dans les délais, avant le vote du PLFSS. J'en prends l'engagement.
La séance est levée à treize heures cinq.