Je ne pense pas avoir besoin de refaire le débat, même après avoir entendu les propos de M. Issindou. En revanche, il me semble raisonnable de poursuivre cette réforme, tout en essayant de mener un débat dépassionné sur la question
Certains veulent nous faire croire que la « boîte à promesses » peut encore fonctionner. Mais les Français ne s'y laisseront pas prendre. Ils lisent les journaux, regardent les informations télévisées et savent ce qui se passe à l'étranger : les socialistes espagnols et allemands ont voté des réformes qui vont bien au-delà de ce que l'on fait chez nous, parce que c'était nécessaire. Dans la mesure où nous vivons plus longtemps dans nos sociétés européennes, il faut accepter de travailler plus longtemps. Les Français font preuve d'une grande maturité sur toutes ces questions.
Monsieur Issindou, vous avez parlé des paramètres, que nous connaissons tous : le niveau des cotisations, l'indemnisation et la durée de cotisation. Quoi qu'on fasse, tout le reste est secondaire. Nos concitoyens le savent : en matière de retraite, la pédagogie a été faite depuis bien longtemps.
Ainsi, ils n'accepteraient pas que l'on touche à l'indemnisation : la tradition, en France, à la différence de l'Allemagne, n'a pas été depuis plusieurs décennies – en particulier dans l'industrie – à des salaires élevés – et je ne parle pas de ceux des femmes, qui sont encore plus faibles que ceux des hommes, du fait notamment de carrières fractionnées et, bien souvent, d'une absence de déclaration de leur statut. Or qui dit petits salaires dit petites pensions. Voilà pourquoi, aujourd'hui, il est impensable de toucher au niveau des pensions.
Quant aux cotisations, certains en parlent avec beaucoup d'aise. Sauf que différents enjeux liés au vieillissement seront à résoudre dans les années qui viennent. Il faut prendre pour la retraite, dit-on. Mais pour les autres sujets – la santé, la dépendance – les mêmes disent aussi qu'il faut des cotisations. Or, selon moi, le niveau de prélèvements est arrivé à un point tel dans notre pays que l'on ne peut aller au-delà sans risquer de compromettre définitivement la compétitivité française. Voilà pourquoi les réformes ont été engagées – quel dommage d'ailleurs qu'elles ne l'aient pas été avant 1993 ! – en prenant tout simplement en compte l'évolution de l'espérance de vie et la durée de la période d'activité. Rien de plus, rien de moins. C'est ce qui nous a conduit à adopter une démarche équilibrée qui nous a permis d'aller moins loin – 62 ans en 2018 – que dans d'autres pays. Même si ailleurs les deux mêmes curseurs existent comme en Allemagne, ils jouent de façon alternative et non cumulative – 67 ans et 45 années de cotisation. Je ne fais pas tous ces rappels par esprit polémique, mais pour situer les enjeux.
Dès 2003, notre majorité – je m'en souviens bien pour avoir été rapporteur pour avis de la loi, aux côtés de Bernard Accoyer, rapporteur de la commission des affaires sociales, et de François Fillon, alors ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité – a mis en place le dispositif « carrières longues ». Ceux qui considèrent aujourd'hui comme insupportable de faire passer la durée de cotisation de 41 ans à 41,5 ans devraient d'ailleurs se souvenir que, lorsqu'ils étaient au pouvoir, ils avaient opposé une fin de non-recevoir aux demandes légitimes formulées par les députés communistes – membres de leur majorité – en faveur de certains salariés : cotiser pendant 46 ans, cela ne les gênait pas à l'époque ! Ce dispositif, qui a bénéficié à plus d'un demi-million de nos concitoyens, c'est donc bien, je le répète, notre majorité qui l'a mis en place après 2003. Il a un prix, mais c'était une question de justice.
Je ne suis pas sûr d'ailleurs que l'on ait besoin de toujours se donner des leçons. Il conviendrait même de changer d'autant plus de ton sur le sujet que cela rassure nos concitoyens de voir qu'il y a des points sur lesquels on est capable de ne pas se déchirer. On verra bien à quel moment les Français choisiront le changement de majorité. Mais ils savent pertinemment que, sur ce sujet, il n'y aura pas de retour en arrière. Même si certains en avaient sincèrement envie, ils n'en auraient pas les moyens. C'est aussi simple que cela. Suivant les équations en effet, ce sont entre 9 et 20 milliards d'euros par an qui, sinon, manqueraient alors même que les besoins de financement liés au vieillissement seront importants.
Vous avez soulevé, monsieur Jacquat, la question de l'allongement de la durée de cotisation. Je pourrais vous dire que le processus est automatique, et c'est d'ailleurs ce qui s'est passé depuis 2003. Mais ma conception de la politique m'amène à me projeter au-delà. En fin d'année dernière, des chiffres communiqués par l'INSEE nous ont montré que, passé 60 ans, les Français avaient 24,5 ans d'espérance de vie – je ne distingue pas entre les hommes et les femmes bien que l'espérance de vie, même si les choses se rapprochent, soit encore différente. Il faudra en tirer les conclusions, à partir du ratio déterminé en 2003, à savoir deux tiers de l'augmentation de la durée de vie pour le temps de travail et un tiers pour le temps de retraite. Je prendrai un décret dans les semaines qui viennent en fonction de l'avis qu'aura rendu le Conseil d'orientation des retraites (COR) – cet avis vient d'ailleurs d'être adopté sans vote, ce qui n'est pas en soi une surprise. Je sais bien que l'on veut en faire un sujet polémique, mais c'est alors depuis 2003 que l'on aurait pu, tous les ans, en faire un !
Je ne reproche d'ailleurs pas aux syndicats leur position en la matière. Ils s'étaient déjà opposés au passage de 40 à 41 ans : je ne vais pas leur demander aujourd'hui de changer leur attitude. C'est leur choix, et je le respecte. Simplement, ce n'est pas ma conception des choses car agir en matière de durée de cotisation, est non seulement nécessaire mais également indispensable. Il convient cependant de dépassionner le débat. On nous parle en effet avec cette hausse de la durée de cotisation, combinée au relèvement progressif de l'âge légal, d'une « double peine » qui arrive par surprise. Non, c'est là l'esprit de la loi de 2003. Il est vrai que lorsque l'on est passé de 40 à 41 ans, les mêmes débats quasiment ont eu lieu.
Vous avez par ailleurs évoqué la pénibilité, dont nous avons longuement débattu. Je rappelle que c'est la première fois que nous mettons en place un dispositif la prenant en compte. Malgré son coût, un tel dispositif se justifie pour des raisons de justice. Dès 2003, j'avais déposé des amendements incitant les partenaires sociaux à négocier en ce sens. Certains y avaient vu – à tort – un effet de mode. En définitive, le Gouvernement a été conduit à prendre ses responsabilités.
Cela étant, les dispositions adoptées en 2003 sur les carrières longues ont permis de traiter différemment – pas aussi bien peut-être d'un point de vue médical – la question de la pénibilité. À l'époque en effet, le dispositif a été élargi à ceux qui avaient commencé à travailler à 16 ans, suite à l'action de Pierre Méhaignerie, dans les métiers parmi les plus pénibles – déterminés sur la base de critères pas très objectifs, je le concède.
Aujourd'hui, nous prévoyons que 30 000 personnes par an pourront bénéficier du nouveau dispositif. Certes, au 30 juin 2011, très peu d'attestations ont été délivrées. Cela s'explique par le fait que ce dispositif n'étant pas encore entré en vigueur, les intéressés attendent, ne sachant peut-être même pas à qui s'adresser. Le même phénomène s'était d'ailleurs produit avec la retraite anticipée pour carrières longues puisqu'on n'avait enregistré, au cours des deux mois précédant son ouverture, en novembre et décembre 2003, que 2 287 attributions. En revanche, sur l'année 2004, on en enregistra 100 000, une fois le dispositif devenu opérationnel. Sans vouloir établir de corrélation, si aujourd'hui, on ne compte que 300 ou 400 attestations, cela ne signifie pas pour autant que le dispositif ne va pas fonctionner – avant l'heure, ce n'est pas l'heure, dirais-je.
Cela me conduit d'ailleurs à revenir sur l'une de vos questions, monsieur Jacquat. S'il était important que le COR se réunisse et que je publie rapidement le décret concernant l'allongement de la durée de cotisation, c'était simplement pour que les caisses de retraite puissent informer les assurés sociaux de la génération 1955. Si l'on n'apporte pas de réponse, ils ne sauront pas comment s'organiser. C'est en particulier la raison pour laquelle j'avais notamment soutenu à l'époque, en 2003, le droit à l'information.
Monsieur Issindou, la durée de dix-sept ans qui est imposée aux assurés dont le taux d'incapacité n'atteint pas 20 % n'a pas été choisie par hasard. Elle correspond à la durée qui sera à l'avenir nécessaire pour bénéficier d'une retraite de la fonction publique lorsque l'on fait partie des catégories dites « actives ». Comme il faut arrêter avec ces disparités, que personne ne sait expliquer, entre le public et le privé, il est logique que la même référence soit appliquée pour le privé. Ces catégories, ce sont celles qui sont exposées à des conditions de travail caractérisées par une relative pénibilité. On ne part donc pas de rien : on prend en compte le dispositif qui existe dans le public. Une durée de dix-sept ans va permettre vraiment de juger de la pénibilité d'une carrière. Je rappelle néanmoins que selon la circulaire du 18 avril 2011, cette condition de durée d'exposition n'est pas applicable aux salariés victimes d'une maladie professionnelle ; dans ce cas, c'est-à-dire si l'on a une maladie professionnelle, il n'est pas besoin d'atteindre les dix-sept ans d'exposition. La maladie professionnelle l'emporte sur la durée d'exposition ; pour ceux qui en ont une, le système sera donc plus favorable, ce qui est normal.
Vous m'avez interrogé, monsieur Jacquat, sur le décret relatif aux périodes de chômage non indemnisées en début de carrière. Je l'ai signé et il a été publié au début du mois de juin : il porte de 4 à 6 trimestres, comme nous nous y étions engagés, la période prise en compte pour le calcul de la retraite. Le système ainsi mis en place est donc plus favorable.
Vous avez l'un et l'autre évoqué la question de la retraite des femmes. La réforme apporte plusieurs améliorations, dont celle qui permet la prise en compte des congés de maternité pour le calcul de la pension. Les indemnités journalières perçues à cette occasion seront désormais prises en compte pour la retraite. Le décret en ce sens a d'ores et déjà été publié au Journal officiel.
Malgré tout, certains s'inquiètent, s'agissant de l'égalité salariale entre les hommes et les femmes : les décrets ne risquent-ils pas de revenir en arrière ou d'alléger les contraintes existantes ? Mme Marie-Jo Zimmermann a d'ailleurs publié hier de nouvelles recommandations sur le sujet. Entendons-nous bien : voilà trente ans que le principe « à travail égal, salaire égal » est inscrit dans la loi. Il n'est pas question pour nous de revenir dessus. Il n'est pas question de recul.
Le paiement des retraites le 1er du mois est un sujet qui me tient à coeur. Lors du débat sur les retraites, l'amendement en ce sens avait d'ailleurs été voté à l'unanimité – ce qui n'a pas été le cas pour beaucoup d'entre eux !
J'avais demandé un rapport car, du fait de l'article 40 de la Constitution, j'étais incapable de présenter un amendement qui eût été recevable. Je suis effaré d'ailleurs du nombre de difficultés que l'on dresse en la matière. Au-delà du coût de la mesure, qui s'élèvera non pas à 15 milliards d'euros tous les mois, comme il m'a été indiqué initialement, mais à beaucoup moins, les difficultés ont été de plusieurs ordres.
Actuellement, les retraites sont mises en paiement le 9 et arrivent sur les comptes le 11 ou le 12. Leur versement en début de mois implique donc – pour ne pas imposer une charge de trésorerie supplémentaire aux entreprises – que l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) emprunte. Or emprunter pour dix jours tous les mois comme je l'imaginais, serait, me dit-on, compliqué et certainement coûteux. Il faudrait donc, m'explique-t-on, emprunter davantage sur l'année, ce qui coûterait encore plus cher. Mais si l'ACOSS emprunte davantage, soit entre 10 et 15 milliards d'euros, ne pourra-t-elle pas non seulement avancer le paiement des retraites, mais aussi, sur les vingt jours restants, placer l'argent ? In fine, la facture serait donc moins élevée. J'étudie la question.
Autre difficulté avancée : le versement des retraites en début de mois impliquerait le changement des logiciels de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) – selon un écho publié dans l'Express ce matin, cette dernière estimerait même un tel changement impossible ! Le problème c'est que moi, je ne peux imaginer que cela ne puisse se faire. J'irai jusqu'au bout. On prétend que cela prendrait plus de deux ans ! Il ne faut quand même pas plaisanter !
Bref, je ne renoncerai pas sur ce sujet. Nous lèverons les embûches les unes après les autres, et nous réussirons à avancer la date de versement des retraites dans ce pays. On me dit que ce n'est pas grave, que les gens finissent par être payés. Mais il s'agit quasiment d'un symbole, celui de montrer notre capacité, s'agissant d'une idée simple appuyée sur une volonté politique partagée, à lever les unes après les autres les difficultés techniques et technocratiques qui n'auront pas manqué pas de se dresser sur notre route. C'est un sujet dont on ne parle pas trop à Paris dans les cabinets ministériels, mais sur le terrain, il concerne les gens un peu plus qu'on ne l'imagine.
Le taux d'emploi des seniors s'améliore, monsieur Issindou – ne faisons pas de misérabilisme. On a confondu pendant trop longtemps le taux d'emploi des 55-65 ans avec ceux des 55-60 d'une part et des 60-65 d'autre part. Comme, en outre, l'âge légal de départ à la retraite était de soixante ans, les chiffres ne pouvaient qu'être mauvais s'agissant des 60-65 et faire baisser la moyenne pour les 55-65. Du fait des règles relatives au cumul emploi retraite ou parce qu'elles avaient commencé à travailler très tard, les personnes qui partaient à la retraite après soixante ans étaient très peu nombreuses – moins de 20 000. Aujourd'hui, le taux d'emploi des 55-60 ans se situe dans une bonne moyenne européenne et continue de progresser. La libéralisation du cumul emploi retraite et le relèvement de la surcote permettent d'ores et déjà d'anticiper le relèvement de l'âge de la retraite.
Les gouvernements, de droite comme de gauche, les employeurs, les salariés et les syndicats ont fermé les yeux sur le système des préretraites, qui a coûté très cher au pays en termes financier, économique, mais surtout sociétal car permettre à des gens expérimentés et qui ont dépassé un certain âge de partir à la retraite est un véritable gâchis. La transmission des savoirs dans l'entreprise posait un vrai problème. Nous avons porté le coût de grâce aux préretraites dans les PLFSS successifs, ce que j'assume.
Vous avez donc entièrement raison de dire que l'augmentation du taux d'emploi des seniors est une nécessité. Nous agissons en ce sens. Mais ce n'est pas l'argent de la pénalité dont doivent s'acquitter les entreprises non couvertes par un plan seniors qui m'intéresse, c'est le changement des comportements.
Le Premier ministre François Fillon a très clairement déclaré qu'il demandait aux partenaires sociaux, dans le cadre de la renégociation de l'assurance chômage, de se pencher sur l'allocation équivalent retraite (AER). Les partenaires sociaux qui ont mis en place la filière senior sur l'indemnisation après cinquante ans, n'ont pas traité la question. Vous le savez, l'AER a été prolongée jusqu'en 2010, et Éric Woerth a souhaité qu'elle soit sanctuarisée jusqu'au bout. Aujourd'hui, j'ai besoin de connaître le nombre de personnes concernées, c'est-à-dire qui auraient pu bénéficier du dispositif au moment du vote de la réforme – elles seraient entre 30 000 et 40 000 –, et leur statut. Nous devons en effet savoir, au regard du plan spécifique pour le retour vers l'emploi des chômeurs seniors de longue durée, si elle a eu un impact, voire un impact plus important que l'allocation de solidarité spécifique (ASS).
J'aborderai donc ce sujet avec les partenaires sociaux, sachant qu'il ne faut pas, selon moi, abdiquer face à la nécessité de ramener vers l'emploi ceux qui pourraient être bénéficiaires de l'AER et qui sont aujourd'hui sans activité.
Monsieur Issindou, le nombre de personnes obligées en 2011 de reporter la date de leur départ à la retraite s'élève à environ 200 000.
Enfin, monsieur Jacquat, la traçabilité des expositions est une des missions de la médecine du travail, qui a besoin d'un cadre réformé pour la mener à bien. Nous y travaillons.