Certes, monsieur le ministre, nous ne sommes pas obligés de nous déchirer. Néanmoins, si nous sommes d'accord sur la nécessité de mesures vigoureuses pour pérenniser nos régimes de retraite, nous ne sommes pas dispensés d'exprimer des divergences politiques réelles.
En indiquant que vous ne savez pas quand les Français choisiront le changement de majorité, c'est donc que vous admettez que ce changement est d'ores et déjà programmé. À cet égard, les positions que nous exprimons aujourd'hui sont responsables, c'est-à-dire susceptibles de s'inscrire dans le cadre d'une politique gouvernementale.
La sauvegarde de nos régimes de protection sociale passe évidemment par l'augmentation du temps travaillé, globalement et collectivement, mais n'implique pas nécessairement une augmentation du temps de travail personnel de tous les individus. Elle exige également d'engager des politiques de réduction du chômage, dont le taux avoisine désormais 10 %.
Certes, à l'avenir, des hommes et des femmes pourront travailler plus longtemps car leur métier n'aura pas été difficile ou parce qu'ils auront été gratifiés dans leur activité professionnelle, mais d'autres ne le pourront pas, voire ne le devront pas au regard de leur parcours professionnel et de la pénibilité de leur métier. Voilà pourquoi l'allongement du temps de travail ne doit pas s'appliquer à tout le monde.
Ce qui est porteur d'angoisse pour les Français, monsieur le ministre, c'est le changement permanent des règles. À la fin de l'année dernière, le Gouvernement a clairement indiqué qu'il s'engageait dans la voie du relèvement de l'âge légal de départ en retraite, tout en maintenant une perspective d'allongement de la durée de cotisations à l'horizon 2020 – et non 2012 ! Il a également expliqué que le système était totalement financé jusqu'en 2018-2020 et que le parti socialiste affolait la population. Or quelques jours seulement après l'entrée en vigueur de la loi, vous remettez en cause les paramètres !
La loi de 2003 reposait sur un allongement de la durée de cotisation, sans modification de l'âge légal de départ à la retraite. Or, en 2010, vous avez indiqué qu'il fallait modifier l'âge légal. Si je comprends bien votre logique, dans six mois vous nous expliquerez que l'âge légal de soixante-deux ans doit être reporté à soixante-deux ans et demi ! En réalité, ces deux ensembles législatifs vous permettent de durcir ad libitum les conditions de départ à la retraite.
Cette situation s'explique par votre refus d'envisager la recherche de nouvelles ressources. Pourtant, dans la mesure où le coût du travail ne peut être éternellement alourdi si nous voulons garantir la compétitivité de notre économie, il nous faut rechercher un élargissement de la base des prélèvements, en particulier mettre à contribution les revenus du capital. Votre prédécesseur avait reconnu explicitement que les prélèvements sur les revenus du capital permettraient de faire face aux chocs de court terme et de ne pas relever l'âge légal de départ de retraite, mais que cela n'était pas le choix du gouvernement. Vous confirmez ce choix, alors qu'une remise à plat du financement s'impose.
La durée de cotisation est un critère plus juste que le relèvement de l'âge légal, à condition d'être modulée pour tenir compte des conditions de travail et de la pénibilité. Or votre loi prend en compte non pas la pénibilité, mais simplement l'invalidité qu'elle aménage légèrement. Pour le parti socialiste, l'important est de faire en sorte que l'ensemble des paramètres qui caractérisent une vie professionnelle soit effectivement pris en compte au moment du départ en retraite, et non d'appliquer la même règle à tout le monde comme vous le faites.
Enfin, outre qu'elle est injuste et inefficace sur le plan financier, puisque vous êtes contraint de trouver de nouvelles ressources quelques jours après l'entrée en vigueur de la loi, votre politique est également totalement abstraite dans la mesure où elle est menée dans un contexte de chômage de masse, notamment des plus de cinquante-cinq ans. Vous indiquez que le relèvement de l'âge légal permettra mécaniquement aux gens de cinquante-cinq ans de rester en activité. Or depuis le début de l'année, tous les employeurs savent que l'âge légal sera relevé et, malgré une légère amélioration de l'emploi ces derniers mois, le chômage des plus de cinquante-cinq ans n'a pas baissé.
Au total, la combinaison des critères que vous imposez rendra extrêmement difficile un départ à la retraite à taux plein pour un nombre croissant de gens. À court terme, nous assisterons au retour de la pauvreté pour certains retraités – votre objectif étant, j'en suis certaine, la baisse des pensions.