La Commission examine, en application de l'article 151–5 du Règlement, la proposition de résolution européenne relative à l'introduction d'une taxe sur les transactions financières en Europe (M. Pierre-Alain Muet, Rapporteur).
L'ordre du jour appelle l'examen, en application de l'article 151–5 du Règlement, de la proposition de résolution relative à l'introduction d'une taxe sur les transactions financières en Europe.
Cette proposition de résolution, déposée par le groupe SRC, a été examinée par la commission des Affaires européennes la semaine dernière et amendée. C'est ce texte qui est maintenant soumis à la discussion de notre Commission, rapporté par Pierre-Alain Muet, à qui je donne la parole.
Cette proposition de résolution, élaborée avec nos partenaires sociaux-démocrates du Bundestag, engage les gouvernements à présenter au plus tard lors du premier conseil européen de l'automne 2011 une proposition législative visant à introduire une taxe sur l'ensemble des transactions financières, y compris les produits dérivés.
Ce n'est pas un hasard si l'idée d'une taxe sur les transactions financières développée par Tobin pour le marché des changes a resurgi après la crise financière. Au cours des années de folie financière, une gamme toujours plus étendue de produits financiers a été créée. Les échanges financiers ont proliféré, portant principalement sur des produits dérivés et se déroulant souvent sur des marchés informels et opaques, dits de gré à gré. S'est ainsi édifiée une vertigineuse pyramide de produits dérivés qui sert aujourd'hui de force de frappe à la spéculation financière.
L'idée s'impose qu'il faut réguler les marchés financiers. Alors que l'empilement et la multiplication des produits financiers ont mis l'économie mondiale en péril, il est temps de mettre fin à cette aberration qui fait que les produits financiers sont moins taxés que les autres produits. La proposition de résolution préconise la solution la plus générale et la plus souple, pour être acceptée par nos partenaires et pour éviter de prêter le flanc à des détournements, à savoir une taxation qui frappe l'ensemble des transactions et dont le champ géographique serait l'Europe. J'ajoute que le risque de délocalisation serait circonscrit aux transactions sans incidence sur l'économie réelle. Cela a donc un sens que l'Europe, ou même un groupe de pays européens, avance dans un premier temps seule sur la taxation.
La taxe envisagée s'établirait au taux uniforme de 0,05 %, même s'il aurait été possible de distinguer entre les opérations à terme et les opérations au comptant, de telle sorte que les banques soient incitées à privilégier leur vrai métier, le financement de l'économie. Quant au produit de la taxe, il serait affecté au budget national. Cette priorité n'est cependant pas exclusive de tout autre choix, en particulier l'aide publique au développement pour laquelle la taxe avait été à l'origine conçue.
Contre mon avis, la commission des Affaires européennes a modifié la proposition de résolution initiale, d'où était absente toute référence à l'action du gouvernement de Lionel Jospin en 2001, comme toute référence susceptible de mettre en jeu un clivage gauche-droite. Le texte avait en effet pour objectif de créer un consensus en France comme en Allemagne. Parce que, à mon sens, l'amendement adopté par la commission des Affaires européennes ne respecte pas cet esprit, je vous propose deux amendements : l'un vise à revenir au texte initial ; l'autre tend, à défaut, à reformuler dans un sens plus consensuel le texte transmis.
Avant d'examiner les deux amendements du Rapporteur, je propose de donner la parole à ceux des collègues qui souhaitent intervenir.
Quels sont les objectifs d'une taxation des transactions financières ? Il y en a trois, à mon avis : lutter contre la spéculation à tout va, renforcer la transparence des marchés financiers et procurer des recettes publiques supplémentaires.
Avant la crise, les grands groupes bancaires réalisaient effectivement 30 à 50 % de leurs profits grâces à des produits spéculatifs, sans engager en contrepartie de fonds propres. C'est une évolution très dangereuse. Il est légitime de viser à décourager cette spéculation qui atteint un volume annuel considérable, de l'ordre de quatre cents fois le produit intérieur brut mondial.
L'assujettissement à une taxe est-il le meilleur moyen d'y parvenir ? Je ne le crois pas. Il me semble préférable d'imposer aux établissements financiers d'isoler dans leurs filiales ces produits risqués et de disposer d'un niveau suffisant de fonds propres.
J'ai toujours estimé qu'une approche fondée sur la taxation échouerait faute de parvenir à rallier tous les pays : or, le Luxembourg et d'autres, en Europe ou dans le monde, n'en veulent pas.
Je crois que l'on cherche surtout, avec cette proposition de résolution, à se faire plaisir à bon compte. Une autre approche, plus réaliste, plus pertinente aussi, fondée sur des ratios prudentiels de solvabilité, me semble préférable.
Permettez-moi de revenir sur l'intervention du Rapporteur. Il nous a rappelé que la Commission des affaires européennes avait modifié, contre son avis, le texte de la proposition de résolution ; l'amendement adopté avait alors permis de dégager un consensus. Je découvre qu'une nouvelle rédaction nous est proposée ; il ne me paraît pas possible d'y souscrire.
Je précise que nous examinons le texte issu des travaux de la Commission des affaires européennes. C'est par voie d'amendement que notre Rapporteur propose de revenir sur la modification opérée.
Je trouve que cette proposition de résolution est une bonne idée, à double titre. Elle est présentée à un moment judicieux, alors que la mise en oeuvre des normes dites Bâle III – destinées à tirer les leçons de la crise bancaire et financière – est renvoyée à plus tard. Je soutiens aussi ce texte parce qu'il résulte d'une initiative franco-allemande et qu'il me semble opportun, sur de tels sujets, de développer une approche commune. Je vous annonce d'ailleurs le dépôt, à l'automne prochain, d'une proposition de résolution conjointe des députés allemands du groupe DIE LINKE et des membres du groupe GDR.
Je réponds à notre collègue Charles de Courson, qui ne conçoit qu'une taxation universelle des transactions financières et repousse toute initiative isolée, que le Luxembourg ou le Royaume-Uni ne doivent pas nous servir d'alibis à l'inaction.
Nos débats démontrent qu'il n'est guère possible de trouver de consensus sur des sujets aussi sérieux ; pour ma part, je ne le regrette pas, car je crois qu'il est vain de chercher à échapper au clivage entre la gauche et la droite.
Je veux bien entendre les arguments en faveur de la réglementation prudentielle, mais il faut aller plus loin. La commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies, que j'ai présidée et dont M. Jean-François Mancel a rapporté les travaux, a mis en évidence la masse des transactions de gré à gré qui échappent à toutes les règles. Elle a aussi dénoncé les risques du courtage à haute fréquence qui gonfle artificiellement les transactions. C'est pourquoi cette proposition de résolution me paraît de bon sens.
J'observe, par ailleurs, la situation des émetteurs souverains et plus particulièrement celle de la Grèce : croit-on sérieusement que cette dernière sera capable de rembourser sa dette colossale ? Cela m'ennuierait que notre Commission donne à penser qu'elle a été dupe de cette fiction. Par conséquent, je souhaiterais qu'il soit proposé au bureau d'organiser un débat sur la situation de la Grèce.
Nous avons abordé ce sujet, au cours du déjeuner qui a réuni aujourd'hui plusieurs membres de la Commission et une délégation de la Commission du budget du Bundestag. Nos homologues allemands se sont montrés favorables à une restructuration de la dette de la Grèce tandis que d'autres pays, dont la France, s'y opposent, car ils dépendent très largement des conditions de marché pour refinancer leur endettement.
S'agissant de la demande formulée à l'instant par notre collègue Henri Emmanuelli, j'accepte de la soumettre au bureau de la Commission.
L'idée d'une taxation des transactions financières avait été envisagée, initialement, dans le but de financer le développement des pays du Sud. Je ne trouve aucune référence à cet objectif dans le texte qui nous est soumis.
J'en reviens aux trois objectifs déjà évoqués. Premièrement, la taxe est supposée lutter contre la spéculation : son taux est-il alors suffisant ? Deuxièmement, elle est supposée renforcer la traçabilité des transactions financières – c'est effectivement souhaitable – mais il faudrait alors mettre en place des outils spécifiques pour les opérations de gré à gré, comme les chambres de compensation. Enfin, quelle est l'échelle la plus adaptée pour une mise en oeuvre de cette taxe ? Le niveau européen me semble pertinent ; une mutualisation des recettes pourrait même être envisagée pour financer par exemple la restructuration de la dette grecque. Je soutiendrai donc cette proposition de résolution.
Je fais observer que les banques ne sont pas les seules à spéculer ! Le développement des normes prudentielles imposées aux établissements de crédit est certainement souhaitable, mais il n'est pas exclusif d'une taxation qui serait acquittée par l'ensemble des acteurs de la sphère financière.
On pourrait également envisager des taux différenciés en fonction des caractéristiques des transactions afin d'encourager le recours à des chambres de compensation.
Je veux compléter les propos de notre Président en rappelant qu'un des députés allemands, au cours de notre déjeuner commun, s'est déclaré opposé à une restructuration de la dette grecque. Il serait, à cet égard, intéressant de connaître l'exposition des banques allemandes sur la Grèce : cela expliquerait peut-être la position de la chancelière Angela Merkel.
Et réciproquement… L'exposition des banques françaises explique sans doute l'attitude de nos autorités nationales.
La Commission est saisie d'un amendement CF 1 du rapporteur.
Avec cet amendement, je propose de revenir à la rédaction initiale de la proposition de résolution européenne. Il me semble en effet plus opportun de ne faire aucune mention de mesures nationales afin que le texte soit acceptable pour les parlementaires français et allemands, par la gauche comme la droite.
Je regrette que, au rebours de la pratique de nos collègues allemands, le consensus ne soit pas davantage enraciné dans nos traditions.
Nous sommes en train de discuter d'une proposition relative à une imposition de toute nature : il s'agit bien d'une compétence du législateur nationale et non de l'Union européenne.
En réponse à notre collègue Alain Joyandet, je fais remarquer que le Parlement français demeurerait libre de décider de l'affectation du produit de cette taxe, si celle-ci devait entrer en vigueur.
Oui, mais si la France le faisait seule, son initiative aurait bien peu de portée. Je pense qu'il vaudrait mieux une initiative européenne.
La Commission rejette l'amendement CF 1.
Elle examine ensuite l'amendement CF 2 du rapporteur.
Ce second amendement conviendra sans doute à nos collègues du groupe UMP puisqu'il fait explicitement référence aux démarches entreprises en faveur de la taxation des transactions financières par les gouvernements français – et allemands – successifs.
Cette affaire a de quoi lasser les plus patients : la taxe a été créée dans notre droit il y a neuf ans mais elle n'est jamais entrée en vigueur ! La leçon n'a pas vraiment porté puisque l'on a voté une taxe sur les billets d'avion quelques années plus tard.
Est-il bien opportun, dans ces conditions, de viser l'article du code général des impôts correspondant ?
Lors du débat, il avait été explicitement indiqué qu'il s'agissait d'un premier pas, qui ne pourrait pas se concrétiser immédiatement.
Dans la mesure où il n'existe pas d'impôt européen sur les transactions financières, il me semble opportun de le proposer dans une résolution européenne.
En outre, contrairement à ce que laissait entendre Charles de Courson, la taxation des billets d'avion constitue un premier pas très positif. Il pourrait en être de même pour les transactions financières.
Je fais enfin observer que le soutien au Président de la République, qui incarne pour nos partenaires étrangers la voix de la France, devrait permettre de dépasser les clivages partisans et de laisser provisoirement de côté les échéances électorales.
Je veux encore formuler trois observations. La première a trait à l'intitulé de cette proposition qui ne devrait pas être qualifiée d'européenne puisque l'on se place en dehors des compétences de l'Union. En deuxième lieu, je rappelle que j'étais déjà opposé en 2001 à une démarche unilatérale lorsque le principe de cette taxe a été voté.
La démarche de la majorité de l'époque était totalement solitaire. Troisième point, je suis, comme vous le savez, rapporteur spécial du budget annexe Contrôle et exploitation aériens et j'ai, en connaissance de cause, voté contre la taxe sur les billets d'avion.
À Yves Censi, je fais remarquer que, si l'on est soucieux de défendre la voix de la France, rien ne s'oppose à rappeler les efforts engagés par les majorités successives.
La Commission rejette l'amendement CF 2.
Elle adopte ensuite sans modification l'ensemble de la proposition de résolution européenne.
AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION (1)
Amendement n° CF-1 présenté par M. Pierre-Alain Muet
Article unique
I.– Supprimer l'alinéa 9.
II.– En conséquence, à l'alinéa 10, supprimer les mots : « en conséquence ».
Amendement n° CF-2 présenté par M. Pierre-Alain Muet
Article unique
I.– Remplacer l'alinéa 9 par les paragraphes suivants:
« Vu l'article 235 ter ZD du code général des impôts instaurant une taxe sur les transactions de devises introduit par l'article 88 la loi de finances pour 2002 (n° 2001-1275 du 28 décembre 2001)
Vu la démarche engagée depuis 2001 par les gouvernements français successifs et défendue conjointement avec le gouvernement fédéral allemand au sein des institutions européennes et du G20 en faveur d'une taxe sur les transactions financières ; »
II.– En conséquence, à l'alinéa 10, supprimer les mots : « en conséquence ».
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 31 mai 2011 à 17 heures
Présents. - M. Dominique Baert, M. Jean-Pierre Balligand, M. Claude Bartolone, M. Jean-Pierre Brard, M. Jérôme Cahuzac, M. Thierry Carcenac, M. Yves Censi, M. Jérôme Chartier, M. Charles de Courson, M. Jean-Yves Cousin, M. Olivier Dassault, M. Richard Dell'Agnola, M. Yves Deniaud, M. Christian Eckert, M. Henri Emmanuelli, Mme Aurélie Filippetti, M. Jean-Claude Flory, M. Daniel Garrigue, M. Georges Ginesta, M. Marc Goua, Mme Arlette Grosskost, M. Alain Joyandet, M. Richard Mallié, M. Jean-François Mancel, M. Jean-Claude Mathis, M. Pierre-Alain Muet, M. Henri Nayrou, M. Michel Sapin, Mme Isabelle Vasseur, M. Philippe Vigier
Excusés. - M. Pierre Bourguignon, M. Michel Bouvard, M. Michel Diefenbacher, M. Patrick Lemasle, M. Victorin Lurel
1() La présente rubrique ne comporte pas les amendements déclarés irrecevables ni les amendements non soutenus en commission. De ce fait, la numérotation des amendements examinés par la commission peut être discontinue.