La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'examen du rapport d'information de Mme Bérengère Poletti, députée, sur la contraception des mineures .
La séance est ouverte à 16 heures 30.
En 2008, j'avais eu l'occasion de faire un certain nombre de propositions dans mon rapport sur l'application de la loi du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) et à la contraception. Certaines de ces préconisations ont fait l'objet d'amendements au projet de loi Hôpital, patients, santé et territoires, dont plusieurs ont été adoptés. Ce rapport contenait en particulier une recommandation portant sur la contraception des mineurs, qui m'avait conduite à citer le professeur Israël Nisand, chef du pôle de gynécologie obstétrique du centre hospitalier universitaire de Strasbourg, dont on connaît l'engagement sur ce sujet depuis plusieurs années.
Fin 2010, j'ai de nouveau été sensible aux propos du professeur Nisand qui, lors d'une intervention télévisée, soulevait la question de l'accès anonyme et gratuit des mineures à la contraception. Il m'est apparu qu'il s'agissait d'un problème qui perdurait et dont on ne parlait pas assez car lorsqu'en général, le sujet de la contraception et de l'IVG est abordé, la discussion a pour objet la majorité des femmes concernées soit celles qui ont entre 20 et 25 ans. Mais sur un plan moral, il est difficilement acceptable que les mineures ne soient pas suffisamment accompagnées et encadrées dans leur accès à la contraception. C'est pourquoi, j'ai demandé à notre présidente de retravailler cette question.
Certes, il y a des dispositifs destinés à répondre aux situations d'urgence. En cas d'accident de parcours, les jeunes filles peuvent aller voir l'infirmière scolaire ou s'adresser à un pharmacien pour se faire délivrer, de façon anonyme et gratuite, une contraception d'urgence. Plus de 300 000 boîtes sont ainsi remises par les pharmacies chaque année dans ce cadre. Ce dispositif est facile d'accès et bien connu des adolescentes.
Les jeunes filles accèdent aussi anonymement et gratuitement à l'IVG.
En revanche, si une jeune fille décide de prendre une contraception pour éviter de futurs accidents, la réponse des pouvoirs publics n'est pas satisfaisante. Les médecins ont bien l'obligation de recevoir la mineure et de lui prescrire des moyens contraceptifs mais si elle est en difficulté avec sa famille, elle se retrouve obligée de régler elle-même, sans être remboursée, la consultation du médecin, les moyens de contraception, voire les examens médicaux – même si ceux-ci ne s'imposent pas toujours.
J'ai débuté cette mission en novembre de l'an dernier et procédé à un grand nombre d'auditions. Les avis sont unanimes : lorsque la contraception n'a pas été proposée ou a été mal suivie, il faut tout faire pour en éviter les échecs qui conduisent à des IVG.
Ma proposition centrale est la suivante : garantir un accès anonyme et gratuit à la contraception – un accès qui devrait, en outre, être facile et connu de tous. Cette proposition revient à généraliser ce qui se fait en cas de contraception d'urgence. Le but est que tous les médecins, sur le terrain, puissent recevoir les mineures qui le demandent, leur prescrire une contraception et recevoir le paiement de leur acte directement par la caisse d'assurance maladie. Ce mode de remboursement vaudrait aussi pour le pharmacien et le biologiste.
J'ai auditionné à cette fin, et à deux reprises, le directeur de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), M. Frédéric Van Roekeghem. Il est apparu que le recours à la carte Vitale comporterait un risque d'erreur ; il faudrait en effet entrer normalement le numéro de la carte dans le système informatique et procéder à un codage pour la rendre anonyme. Mais, en cas d'erreur, les parents seraient de fait informés de l'existence d'une prescription au nom de leur fille, ce qui dans certains cas pourrait de révéler dramatique. Pour garantir que toute remontée d'information est bloquée, un moyen plus simple et plus sûr serait d'utiliser le compte professionnel de santé du médecin. La même procédure serait possible pour le pharmacien.
70 % d'entre eux en possèdent un. Cela peut paraître peu mais c'est déjà cela.
Certes, les principes d'anonymat et de gratuité existent déjà dans les centres de planification et d'éducation familiale. Mais il faut que les jeunes filles puissent et osent s'y rendre en jonglant entre les horaires de leur temps libre et ceux de l'ouverture des centres. Il leur faut le plus souvent prendre des transports en commun et dans certaines régions, l'accès à ces centres est difficile. Je propose donc un dispositif plus lisible, plus facile d'accès et valable auprès de tous les médecins.
Je ne suis pas sortie satisfaite de l'entretien que j'ai eu avec les services du ministère de la Santé sur ce sujet. Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la Santé n'a pu me consacrer qu'une demi-heure. M. Xavier Bertrand a été plus sensible à cette question mais le Gouvernement ne semble pas prêt à reprendre ma proposition. Si aucune décision n'est prise avant l'automne, je déposerai une proposition de loi que je proposerai pour cosignature à mes collègues de la Délégation aux droits des femmes.
L'augmentation du nombre d'IVG chez les mineures, même si les chiffres paraissent se stabiliser depuis deux ans, montre qu'il y existe un problème d'accès à l'information. Aux Pays-Bas, ces questions sont abordées beaucoup plus tôt qu'en France à l'occasion d'une « semaine papillon », organisée chaque année pour les enfants, depuis leur plus jeune âge - 4 ans - jusqu'au collège. Il faut apprendre le plus tôt possible à respecter le corps, le sien et celui des autres.
L'audition de M. Luc Chatel, ministre de l'Éducation nationale a été plus positive. Le ministre a reconnu que la loi du 4 juillet 2001 posait une obligation d'information à la sexualité. Si cette information ne se fait pas correctement dans tous les établissements scolaires, c'est qu'elle dépend de la façon dont le chef d'établissement et le conseil d'administration choisissent d'inscrire cette thématique dans le projet d'établissement. Les thèmes retenus portent plus souvent sur l'alcoolisme et le tabagisme que sur la contraception ; lorsque le chef d'établissement est une femme, l'information semble cependant être mieux diffusée.
Dans mon département des Ardennes, d'excellentes initiatives ont été prises en ce sens ; le but de ma démarche est que toutes les bonnes initiatives menées sur le territoire soient généralisées et rendues obligatoires.
Il faut en outre que des réseaux se constituent autour de ces actions en réunissant des gynécologues, des associations, des enseignants et des conseillères conjugales, et que des outils pédagogiques nouveaux soient conçus.
Au sujet des expériences d'accès des mineurs à une contraception gratuite et anonyme qui ont été lancées dans les régions Poitou-Charentes et Île de France, il me semble que ces initiatives ne constituent pas une mauvaise idée, faute de mieux. Mais, je considère qu'il serait préférable de se battre pour que soit proposée une réponse nationale unifiée sur l'ensemble du territoire. Une telle politique relève de la compétence du ministre de la Santé.
Concernant la formation des professionnels de santé, on constate qu'il y a encore beaucoup d'idées reçues. Les médecins et les sages femmes doivent être mieux informés sur la diversité des moyens de contraception. En France, la pilule est prescrite en priorité et de façon prédominante ; mais toute femme, et surtout toute jeune fille, peut oublier de prendre ce médicament oral alors qu'il existe d'autres méthodes où ce risque n'est pas couru tels que les patchs, les anneaux vaginaux et les implants. Il est vrai que certaines de ces techniques sont assez onéreuses comme l'implant ou la pilule de troisième génération et qu'elles posent un problème de prise en charge par la sécurité sociale. Mais, en tout état de cause, il convient de proposer des solutions adaptées à la physiologie et au confort de la jeune fille.
Par ailleurs, nombre de professionnels de santé croient qu'un examen gynécologique est indispensable avant toute prescription contraceptive. Or, comme l'ont souligné les deux chefs des services de gynécologie obstétrique des hôpitaux hospitaliers universitaires de Nîmes et de Strasbourg, les professeurs Pierre Mares et Israël Nisand, imposer un tel examen à une jeune fille consultant pour une contraception peut être ressenti comme un véritable viol. De nombreuses mineures en ont peur et il faut, par conséquent, que les professionnels concernés en tiennent compte.
Une meilleure formation est donc nécessaire. Mais, comme l'a rappelé Mme Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche, on ne peut pas compter sur un levier national en matière de formation médicale en raison de l'autonomie des universités. Diverses améliorations pourraient néanmoins être envisagées en première année et au cours de l'internat. Se pose cependant, le problème des étudiants ayant choisi la spécialité de médecine générale qui, ayant à effectuer un stage obligatoire soit en pédiatrie, soit en gynécologie, choisissent le premier domaine et non le second : ils n'acquièrent donc aucune pratique en gynécologie. Je souhaite qu'on puisse avancer sur cette question.
Des diplômes universitaires (DU) de gynécologie mis en place par certaines universités peuvent permettre aux différents prescripteurs de moyens contraceptifs de perfectionner et de mettre à jour leurs connaissances que ce soit au cours de leur formation initiale ou par le biais d'une formation continue.
Il me paraît enfin nécessaire de lancer de grandes campagnes d'information en direction des parents afin qu'ils comprennent la nécessité d'avoir un dialogue ouvert et respectueux avec leurs enfants. Et, en toute hypothèse, les parents des familles où tout va bien, doivent comprendre qu'ils ne sont pas représentatifs de l'ensemble des familles et que dans certaines d'entre elles, des jeunes filles sont laissées à l'abandon. En outre, dans toute famille, le souci qu'un mineur peut avoir de préserver sa sphère d'intimité face à ses parents ne doit pas constituer un obstacle pour accéder à la contraception.
Je compte sur l'action du Gouvernement, de la Délégation aux droits des femmes ainsi que de la presse pour faire passer un certain nombre de ces messages.
En conclusion, j'évoquerai mon déplacement en Guadeloupe qui, comme la Guyane, connaît des taux catastrophiques en matière d'IVG des mineures. Alors que depuis la métropole, le rapport des îliens à leur corps semble être mieux accepté, la réalité est que les attitudes moralisantes de la majeure partie de la société posent de nombreuses difficultés aux adolescents. En outre, les pharmaciens ne jouent pas le jeu ; ils sont nombreux à refuser de délivrer la contraception d'urgence. Et quand j'ai souhaité m'entretenir de ce problème avec le conseil de l'Ordre des pharmaciens, j'ai de fait été reçue non pas par un pharmacien d'officine mais par un biologiste !
Dans ma circonscription aussi certains pharmaciens estiment que la contraception d'urgence leur pose un problème moral et refusent de la délivrer à des mineures.
Ces sujets de la sexualité des mineurs et de la contraception font l'objet en Guadeloupe de nombreux tabous alors que les comportements y sont très libres. Le nombre d'IVG et de grossesses précoces est donc très important et il peut englober des mineures de 13 ou 14 ans.
L'Éducation nationale devrait être plus impliquée et lancer des programmes d'éducation sexuelle à destination des enfants. En effet, la simple méconnaissance de ces problèmes de la part des parents mais aussi l'existence de nombreux interdits liés aux convictions religieuses font que les familles ne discutent pas de ces sujets avec leurs enfants. Pour que l'information atteigne l'ensemble de la population, il faut recourir à des réseaux tels que les associations sportives, religieuses ou politiques.
Il est vrai que l'accès à l'information est très disparate sur le territoire alors que tout le monde passe par l'Éducation nationale. Il faut donc des stratégies renforcées se traduisant par des programmes s'inscrivant dans la continuité.
Maintenant qu'elles commencent à trouver leurs marques, les Agences régionales de santé doivent aussi avoir un rôle à jouer pour définir une politique territoriale d'information.
Enfin, il serait utile d'organiser un échange de savoir entre les jeunes internes et les médecins plus âgés.
J'ai beaucoup apprécié la venue de Mme la rapporteure en Guadeloupe. Nous avons pu nous rendre compte à cette occasion que le degré de mobilisation des acteurs est assez disparate. La mobilisation de tous est pourtant nécessaire face à un problème qui est un véritable fléau.
Quand une mineure est confrontée à une IVG ou qu'elle doit prendre à répétition des pilules contraceptives d'urgence, sa vie amoureuse et sexuelle commence mal. Il est de notre devoir de l'aider à accéder à une prévention correcte.
Les informations ne manquent pourtant pas ; les jeunes en sont même submergés, à la télévision ou sur Internet. Mais la communication ne se fait pas là où il faut et elle ne met pas suffisamment en évidence le nécessaire respect que les filles et les garçons doivent avoir les uns pour les autres.
Dans un collège de mon département, j'ai pu constater, à l'occasion d'une rencontre avec une classe de quatrième, que même si les filles sont plus matures sur ce sujet, les garçons sont capables de parler librement de sexualité, contrairement à ce qu'on croit. Mais ils sont mal informés : par exemple, ils croient qu'une fille ne peut pas tomber enceinte après son premier rapport sexuel ou que la fécondation ne peut avoir lieu qu'au quatorzième jour.
Il est nécessaire que dès le plus jeune âge, les enfants soient mieux éduqués dans leur rapport au corps et que cette information imprègne leur inconscient, avant même l'adolescence.
J'ai essayé de sensibiliser à ces questions M. Xavier Bertrand, ministre du Travail, de l'emploi et de la santé, mais je n'ai pas réussi à organiser une audition avec lui. Aussi, me suis-je tournée vers Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la Santé, mais mes démarches auprès d'elle n'ont pas été très fructueuses.
Nous nous heurtons aux mêmes difficultés que pour la question de l'égalité des femmes et des hommes.
Je suis membre de la mission sur la médecine scolaire qui a été créée conjointement par les commissions des affaires culturelles et des affaires sociales. J'y constate le même manque de personnels et les mêmes défauts d'information.
De l'audition de M. Luc Chatel, il ressort que mes propositions sur l'éducation à la sexualité pourraient être reprises par décret, telle, notamment, l'obligation d'inscrire l'éducation à la sexualité dans le projet d'établissement. Le dispositif actuel est trop généraliste. Le thème précis de la contraception doit être systématiquement enseigné et être inscrit dans le projet d'établissement. Les professeurs des sciences de la vie et de la Terre (SVT) pourraient être chargés de cet enseignement, des outils pédagogiques étant par ailleurs à concevoir.
Si selon le ministre de l'Éducation nationale, le dossier avance, je suis par contre plus inquiète des réponses du ministère de la Santé.
Au sujet de la contraception d'urgence, il faut noter que la proportion des comprimés délivrées par les infirmières scolaires est faible (12 000 en 20092010) par rapport à celle délivrée par les pharmacies (339 045 en 2009). Pourtant, où qu'elles soient, les mineures doivent savoir qu'elles ont accès à la contraception. Ces chiffres montrent qu'il serait préférable de disposer d'un système de soins généralistes plutôt que de procéder par petites touches.
Évidemment, il n'y a pas à regretter que différents organismes s'impliquent dans cette problématique. Mais si des conseils régionaux ont lancé ici et là des initiatives heureuses, il ne me semble pas que les campagnes d'éducation à la sexualité relèvent de leurs compétences. C'est une politique au niveau national qu'il est nécessaire de mettre en place.
Le conseil régional intervient à partir des classes de seconde. Or les questions de contraception se posent dès les classes de cinquième et de quatrième. On tirerait certainement profit d'impliquer les professeurs principaux dans ces problématiques : ce sont eux en effet qui fédèrent les classes ; ils disposent en outre d'heures thématiques leur permettant d'aborder certains sujets. Les professeurs principaux connaissent bien les enfants et ils sont en lien avec la famille.
Les professeurs des sciences de la vie et de la Terre (SVT) ont aussi un rôle à jouer. Ils pourraient y être aidés par la diffusion de petites vidéos qui serviraient d'outils pédagogiques.
Les comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté qui existent dans les collèges pourraient également servir de bons relais. Réunissant les professeurs principaux, les infirmières scolaires, les assistantes sociales et les médecins scolaires, ils constituent des réseaux efficaces. Ils permettent notamment d'informer les enfants en dehors du seul cadre des cours de SVT, parfois perçus comme trop livresques, en organisant notamment des rencontres avec les services du planning familial. En Guadeloupe, j'ai personnellement participé à un programme, dans un collège où je travaillais, qui avait traité les thèmes suivants : l'alimentation en 6ème, la connaissance du corps en 5ème, l'éducation sexuelle en 4ème, le développement et le respect du corps en 3ème.
Tous les sujets de santé passent en effet par ce comité quand il est constitué et il est vrai que les visites des élèves dans les services de planning familial sont particulièrement utiles ; mais ces initiatives se heurtent de plus en plus aux problèmes financiers que rencontrent les collectivités territoriales.
Si je n'arrive pas à convaincre les ministres concernés, je rédigerai en accord avec les membres de la Délégation une proposition de loi que je leur demanderai de cosigner.
L'obstacle principal est le coût de la mesure, de l'ordre de 7 millions d'euros pour les jeunes de 15 à 19 ans. Ce chiffre est en lui-même intéressant car il montre quelle est la somme qui est aujourd'hui à la charge des mineures concernées. Mais, je ne suis pas du tout convaincue que la mesure coûtera autant quand elle sera mise en place.
Néanmoins, en raison de ce coût, introduire par voie d'amendement cette mesure de gratuité de la contraception des mineures n'était pas possible. C'est pourquoi je déposerai une proposition de loi qui pourrait être discutée si le Gouvernement accepte de lever le gage.
La séance est levée à 17 heures 30.