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Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Séance du 19 janvier 2011 à 9h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • renouvelable
  • solaire
  • solar

La séance

Source

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a entendu M. Bertrand Piccard, initiateur du programme Solar Impulse.

PermalienPhoto de Serge Grouard

Je remercie M. Bertrand Piccard d'être venu aujourd'hui devant la commission du développement durable. Sa présence me réjouit d'autant plus qu'elle fait suite à l'annulation d'une première invitation à l'automne dernier. M. Piccard est à l'origine du projet Solar Impulse, qui a donné lieu au premier vol à l'énergie solaire, en Suisse le 7 avril 2010. M. Piccard nourrit aujourd'hui le projet d'un tour du monde, non pas en 80 jours comme dans la littérature, mais par des moyens exclusivement photovoltaïques.

PermalienBertrand Piccard

Vous connaissez sans doute le célèbre tableau de René Magritte « Ceci n'est pas une pipe » ; je suivrai son exemple : Solar Impulse n'est pas un avion. C'est le symbole scientifique, technologique, politique, environnemental d'un avenir pour notre société. Je vous propose d'assister à la projection du bref film qui retrace le projet, qui s'est étalé sur plus de dix ans.

Une présentation audiovisuelle est diffusée dans la salle de la commission.

PermalienBertrand Piccard

Je remercie les députés de cet accueil chaleureux. Le projet que je représente poursuivait un objectif : démontrer qu'il est possible à un avion de décoller, de charger ses batteries en vol grâce à l'énergie solaire, et de passer la nuit en l'air grâce aux réserves accumulées. L'expérience a duré une nuit, mais elle aurait pu être perpétuelle car l'appareil ne connaît pas de limite – à l'inverse, il est vrai, du pilote.

Or, ces technologies sont celles d'hier puisque le prototype a été conçu il y a deux ans. Leur utilisation réduirait de moitié l'énergie nécessaire à la vie sur la planète, et elle permettrait de produire 50 % du reliquat à partir de sources renouvelables. Pourquoi alors ces technologies ne sont-elles pas disponibles sur le marché ? Il me semble que deux éléments permettent de l'expliquer.

En premier lieu, je citerai un facteur psychologique. Tout ne va pas si mal : nous sommes tous vaguement conscients des échéances énergétiques et climatiques, mais elles demeurent dans une perspective lointaine et rien ne les transcrit dans notre quotidien. L'automobile électrique, l'éclairage par des diodes électroluminescentes (DEL), l'habitation à énergie positive, tout ceci est possible, mais l'entreprise qui déciderait une mise en vente massive à destination du grand public déséquilibrerait le marché. Je pense, par conséquent, que le recours à une norme prescriptive s'impose pour enclencher un mouvement d'ensemble.

En second lieu, il se produit une confusion de sens entre le prix et le coût. Le prix d'un kilowattheure d'électricité photovoltaïque reflète son coût. Ce n'est pas le cas du prix des hydrocarbures : personne n'intègre le coût de reconstitution de la ressource, les dommages induits par les marées noires, les conséquences des conflits déclenchés pour son contrôle, etc.

Lorsque le projet a été mis en oeuvre, notre principale préoccupation a été l'économie d'énergie. Si notre aéronef était un avion « normal », il n'aurait pu prendre son envol car avec 64 mètres il a l'envergure… d'un A 340 ! En revanche il ne pèse pas plus lourd qu'une voiture, c'est-à-dire 1 600 kilos, et sa consommation d'énergie a été cantonnée à un niveau extrêmement bas, puisqu'en équivalent pétrole notre vol du 21 septembre 2010 n'a pas plus consommé qu'un scooter dont le moteur aurait tourné pendant le temps de vol de 36 heures. Cette démarche m'apparaît comme symbolique de ce que nous voudrions faire pour notre monde, pour lequel la baisse de la consommation d'énergie reste le premier des défis.

Je ne fais par atavisme que faire perdurer une tradition familiale de défense de l'environnement, mon grand-père et mon père ayant, chacun en leur temps, oeuvré dans ce sens, à des époques où la protection de l'environnement coûtait cher et était difficile à faire accepter par l'opinion publique. Aujourd'hui en revanche, cette protection est tout à fait abordable puisque la technologie est là : j'ai coutume de dire que nous avons bâti Solar Impulse non grâce aux techniques de demain ni à celles d'aujourd'hui, mais bien grâce à celles d'hier puisqu'il a été conçu en 2004.

Au-delà de ce projet, cette baisse de coût offre à mon sens de formidables opportunités pour le développement durable, en matière d'emploi, d'amélioration des balances commerciales et de baisse du chômage. Chaque euro dépensé sur un territoire national en faveur des énergies renouvelables permet de tirer profit de ces opportunités et de faire baisser le déficit commercial. Il m'apparaît que le développement durable est d'abord un développement économique et industriel d'une forme nouvelle dont l'impact sur l'environnement est réduit. Notre initiative a consisté à lancer un débat sur le développement durable et les énergies renouvelables, et à en faire un catalyseur.

Je suis très heureux de pouvoir maintenant répondre à vos questions, car je vois dans ma présence aujourd'hui la réalisation d'un de mes rêves secrets et une preuve supplémentaire de la réussite de notre « Vol de nuit ».

PermalienPhoto de Yanick Paternotte

Je vous félicite d'abord pour votre projet qui n'était pas gagné d'avance. Ma première question portera sur les matériaux utilisés dans le cadre de la construction de votre prototype HB-SIA avec lequel vous avez effectué les premiers vols d'essai. S'agissant des cellules solaires photovoltaïques que vous avez utilisées, leurs composants sont à base de silicium, et un problème de stock ne se pose-t-il pas pour les terres rares d'où est extraite cette matière première? Qu'en est-il du caractère renouvelable et recyclable de ces cellules ? Quelles applications concrètes dans le secteur des industries aéronautique et automobile pourraient être tirées de votre projet, dont le rapport poids – mobilité énergétique me semble fort prometteur - ? Enfin, même si le projet Solar Impulse est par nature pacifique, les industries d'armement ne pourraient-elles pas également bénéficier de certaines de ses applications, je pense en particulier aux drones ?

PermalienPhoto de Jean-Paul Chanteguet

J'ai particulièrement apprécié la projection de votre film « From design to night flight », qui donne de votre projet particulièrement novateur une vision dynamique et vivante. J'ai été intéressé par votre réflexion sur le rapport entre coût et prix en matière d'énergie, et sur le fait que dans le cas des énergies fossiles, le prix est très sensiblement inférieur au coût, notamment de reconstitution du stock, ce qui explique que les politiques publiques visant au développement des énergies renouvelables ont du mal à être réellement mises en place. Je partage votre analyse selon laquelle le monde de l'industrie ne transformera ses processus de fabrication, et nos concitoyens ne modifieront leurs comportements quotidiens, pour évoluer vers un système économique décarboné, que lorsqu'ils y auront été contraints par la puissance publique. N'oublions jamais qu'en un jour, nous consommons en pétrole ou en charbon ce que la nature a mis deux siècles à produire.

Le transport aérien est responsable d'une partie des émissions de GES et son essor reste fortement structurant pour la localisation des activités industrielles et économiques. Ne considérez-vous pas qu'il faudrait, afin de faire évoluer les comportements, réfléchir à une taxation du transport aérien ?

Par ailleurs, dans les partenaires de votre projet, vous comptez la société Solvay, qui fabrique des plastiques issus de la pétrochimie. Quel est le poids carbone de votre avion ? Quelle est l'origine des panneaux solaires photovoltaïques utilisés dans sa construction ? Sont-ils importés de Chine ? Quel est le coût global de votre projet ?

Enfin votre « bel oiseau » aura-t-il des utilisations dans le cadre d'autres expériences ?

PermalienPhoto de Stéphane Demilly

Je vous remercie de nous avoir fait partager votre rêve et votre aventure le temps de cette audition que je félicite le président Grouard d'avoir organisée. Le projet Solar Impulse constitue un formidable défi scientifique et technologique. Ne pensez-vous qu'il est de nature à redonner à nos concitoyens confiance dans le progrès, confiance bien entamée si l'on en juge par la teneur des débats que nous avons eus ici même concernant les OGM ou les nanotechnologies ? Ce projet qui a suscité un intérêt planétaire n'est-il pas également le signe d'une réorientation des objectifs assignés à ce même progrès technologique ? Il ne s'agit en effet pas avec votre aéronef solaire de repartir vers la conquête de l'espace en se posant sur Mars après avoir atterri sur la Lune, mais bien d'améliorer concrètement les conditions de vie sur terre grâce aux énergies renouvelables. En d'autres termes il ne s'agit plus de découvrir d'autres planètes mais bien de préserver la nôtre.

Ma dernière question sera plus personnelle. Je souhaiterais savoir ce que votre formation de psychiatre vous a apporté au cours de défis tels que le tour du monde en ballon ou en avion solaire ?

PermalienBertrand Piccard

Je me réjouis de constater que vous avez tous parfaitement saisi la finalité de ce projet, qui dépasse son seul enjeu aérien.

En matière de cellules solaires, deux mouvements concomitants sont aujourd'hui observables. L'un tend à améliorer les performances et les rendements, indépendamment du prix. Ce sont des cellules en silicium monocristallin ou en gallium-arsenide : elles sont chères, lourdes et parfois fragiles. Pour Solar Impulse, nous faisons appel à un compromis, sous forme de silicium monocristallin, fabriqué par la société américaine Sun Power et dont le rendement est de 22 %. Des encapsulations permettent la protection des cellules à haute altitude. Ces cellules sont relativement chères, donc réservées à des espaces restreints.

L'autre mouvement tend à faire baisser les prix. La guerre des prix qui prévaut actuellement a des conséquences impressionnantes, puisqu'on obtiendra bientôt une parité de prix entre le kWh nucléaire ou thermique et le kWh solaire : compte tenu des rendements actuels, c'est l'affaire de quelques mois dans le sud de la France et de trois à quatre ans pour le nord de la France.

Il est vrai que la Chine s'est engagée dans une politique de dumping des prix pour asseoir la place de sa production sur le marché. Faut-il, pour autant, marquer un désintérêt pour le solaire ou imposer un quelconque moratoire sur le photovoltaïque ? Je ne le crois pas. Car il est vrai qu'on peut acquérir en Chine des cellules solaires à bon marché. Mais est-ce là la totalité de la chaîne ? Non, car, une fois acquises, les cellules doivent être installées, entretenues et connectées dans le cadre de réseaux électriques intelligents – de sorte que les usines solaires du sud de la France interagissent avec les éoliennes du nord du pays et que les éventuels déséquilibres locaux soient résorbés.

Une des questions posées au projet Solar Impulse était celle du stockage de l'énergie. Comment l'opérer ? Avec l'aide de batteries, naturellement, mais aussi en utilisant le facteur « altitude ». L'altitude de 9 000 m atteinte en fin de journée rend en effet possible l'utilisation de 7 000 m de dénivellation au cours de la nuit, c'est-à-dire autant d'énergie potentielle.

À mon sens, le solaire est appelé à représenter environ 20 % de la production d'un pays comme la France, au côté d'autres sources comme la géothermie, la biomasse, l'éolien, l'hydroélectrique, l'énergie marémotrice, etc. L'important est de savoir comment donner du travail aux citoyens du pays dans lequel l'énergie est produite – et c'est possible, même en achetant des cellules solaires en Chine. L'autre aspect est représenté par l'industrie de production des cellules solaires. Les Chinois achètent des matériaux à OC Oerlikon, qui est une entreprise suisse, pour produire leurs cellules. Pourquoi la France n'aurait-elle pas ses propres usines de fabrication ? J'entends bien que le prix unitaire de chaque cellule risque d'être légèrement supérieur ; mais si l'on donne du travail à quelques dizaines de milliers de chômeurs, le bilan global pour la société est totalement positif. Une vision globale est donc nécessaire pour se rendre compte qu'on est économiquement rentable : c'est là une réalité fondamentale. Le fait que First Solar ait renoncé à installer son usine à Bordeaux par crainte du moratoire français est un exemple qui doit faire réfléchir : la tendance est aux investissements dans les énergies renouvelables et tout ce qui les dissuade a des conséquences catastrophiques pour le pays responsable. First Solar a besoin de s'installer en Europe ; il le fera hors de France.

Pour ce qui a trait aux applications concrètes, je reconnais que s'il faut 64 m d'envergure pour transporter un pilote sans passager, le bilan peut laisser perplexe et certaines personnes peuvent penser que tout cela n'a aucun avenir ! Je leur rappellerai juste que Louis Blériot a traversé la Manche seul à bord et qu'il a aussi, de son temps, fait rire ceux qui estimaient qu'il était plus simple de prendre un bateau pour rejoindre l'Angleterre ! Qui aurait alors pu imaginer qu'un jour deux cents, voire quatre cents personnes, voyageraient vers cette même destination dans des avions commerciaux ?

Il s'agit d'ouvrir une porte, une voie vers des futurs que la technologie inventera. Le problème n'est pas aujourd'hui de convoyer des passagers, mais de véhiculer des messages. Lorsqu'on me demande si, prochainement, j'espère pouvoir transporter des passagers dans un avion purement solaire, je réponds toujours qu'il faudrait être fou pour dire « oui » et idiot pour dire « non ». En vérité, je ne sais pas ce qui va advenir.

N'oublions pas que le transport aérien n'est à l'origine que de 3 à 5 % des émissions de gaz à effet de serre : il ne représente donc pas l'essentiel du problème. Celui-ci est sur l'eau et sur terre, pas dans les airs. Nous utilisons donc l'avion, qui est certainement le véhicule qui suscite le plus le rêve, l'engouement et l'enthousiasme - m'auriez-vous jamais invité si j'avais été le concepteur d'une voiture ou d'un bateau solaire ? -, non pour transformer le transport aérien mais pour révolutionner les mentalités en matière d'énergies renouvelables et d'économies d'énergie.

Notre but n'est pas de collaborer avec les militaires, qui n'ont certainement pas besoin de nous et ont accès à des technologies de pointe – ne serait-ce même que parce que les drones ne transportent pas de pilote. Une société comme QinetiQ a réussi à faire voler un modèle réduit solaire pendant deux semaines, mais dont la charge utile était réduite à une caméra vidéo. Personne, parmi les militaires ou ailleurs, ne s'essaie aujourd'hui à faire voler un pilote jour et nuit et à lui faire faire le tour du monde.

L'avion est construit en fibre de carbone. Nous n'avons naturellement rien contre le pétrole, mais nous sommes choqués par le fait de le brûler. Le pétrole nous est nécessaire, comme matière première à l'amont de l'ensemble de la filière pétrochimique et comme moyen de réduire le poids des bateaux, des avions et des voitures. Car c'est largement en diminuant leur poids qu'on diminuera leur consommation. Les isolations de bâtiments sont également, pour la plupart, réalisées avec des matériaux issus de la pétrochimie. Il n'y a pas de chauffage dans Solar Impulse, c'est une coque de mousse qui protège le pilote et chauffer des bâtiments – alors que ceux-ci seraient susceptibles d'être isolés avec les technologies modernes – procède d'une manière d'agir archaïque. Si un nombre suffisant de citoyens de ce monde ont envie, grâce à notre projet, d'économiser de l'énergie ou d'investir dans le renouvelable, alors nous n'aurons pas perdu notre temps – grâce à un seul avion qui aura fait le tour de monde. C'est cela seul qui permettra de dire si, à la fin, le bilan de Solar Impulse est positif ou négatif.

Faut-il taxer le transport aérien ? C'est là une question pratique et concrète. Si l'on répond positivement, on risque de s'aliéner une grande partie de l'industrie. C'est pourquoi je serais favorable à ce que la taxation, c'est-à-dire la punition, n'intervienne qu'un peu plus tard. Il revient au politique de dresser d'abord un cadre légal, qui rende obligatoire l'utilisation des nouvelles technologies afin de réduire les consommations énergétiques. Ce n'est que dans un second temps, si personne ne joue le jeu une fois ce cadre établi, qu'il faudra arriver à une telle taxation.

Imaginons, par exemple, qu'un gouvernement – ou un ensemble de gouvernements – oblige l'industrie automobile à produire des voitures dont la consommation en équivalent énergie fossile serait inférieure à 4 litres pour 100 km. Les industriels crieront au scandale pendant quelques mois, puis se mettront au travail ; et dans cinq ans, nous aurons des véhicules qui consommeront moins de 4 litres pour 100 km en équivalent fossile. Il faut absolument éviter que le gouvernement indique comment procéder ; il doit se borner à indiquer le but à atteindre… qui le sera avec des voitures électriques, pour certains, des voitures hybrides, pour d'autres, ou encore des voitures à hydrogène, au biogaz, à air comprimé, et. Imaginez que le gouvernement américain ait agi ainsi il y a dix ans : General Motors n'aurait alors pas fait faillite. Car il est évident que le prix du pétrole ne peut qu'augmenter – puisqu'il s'agit d'une ressource disponible en quantité limitée et qu'on continue à consommer.

C'est donc, très paradoxalement, en allant contre les lois du marché et en soutenant un certain dirigisme qui oblige l'industrie à utiliser les nouvelles technologies disponibles, qu'on assure l'avenir de ces mêmes industries. Je ne me serais jamais attendu à penser un jour que la préservation de notre société et de nos industries libérales peut passer par des interventions d'État, pour les protéger malgré elles, et que les lois du marché ne fonctionnent plus, lorsqu'on observe la rapidité de la spéculation dans un monde globalisé.

Si l'on réussit à faire de même pour la construction et la rénovation des bâtiments, les économies d'énergie seront telles que l'essentiel des besoins pourront être couverts par des sources renouvelables et que les taxations elles-mêmes deviendront peut-être superfétatoires. Le résultat aura été atteint par de la création d'emplois et de valeur et par le développement économique.

Je crois qu'utiliser le progrès scientifique à de telles fins est de nature à redonner confiance. Mais laisser ce progrès à l'abri des laboratoires, des instituts de recherche et des universités sans qu'il reçoive d'applications industrielles au bénéfice du consommateur final est véritablement dommageable. Au XXe siècle, le but de l'esprit de pionnier était de conquérir la planète – ce qui fut fait… jusqu'à la Lune ! Y retourner serait sans intérêt. Au XXIe siècle, ce même esprit doit être utilisé pour préserver la planète et promouvoir le développement durable, les économies d'énergie, la recherche médicale, la lutte contre la pauvreté, etc. On se souviendra un jour du XXe siècle comme du siècle de la conquête de la Lune, et du XXIe comme de celui de la préservation de la terre. Et ce rôle de pionnier n'est pas réservé à ceux qui partent avec des chapeaux de cow-boys et des machettes à travers la savane ; il appartient aussi aux législateurs, aux gouvernants et à ceux qui ont la capacité de changer le monde.

Mon métier de psychiatre m'a montré que l'être humain, s'il n'est pas forcé à innover, va agir selon ses intérêts personnels à court terme et suivre sa peur de l'inconnu et du changement. Si l'on est capable d'insuffler un peu d'esprit pionnier, alors on se rendra compte que le changement est porteur de profit, d'espoir et d'évolution et que l'inconnu est le meilleur moyen de stimuler la créativité. Comment être créatif si l'on vit dans une société où il n'y a rien d'inconnu et où tout ronronne ? Les moments de grandes décisions, comme ceux du Grenelle, obligent à être créatifs.

Le premier prototype de Solar Impulse va voler cette année à travers l'Europe, avec l'objectif de se poser à Bruxelles pendant une session du Parlement européen. Nous serons également l'hôte d'honneur du salon de l'aéronautique du Bourget, à l'occasion duquel nous ferons une démonstration en vol. Pendant ce temps, l'équipe travaille sur un deuxième avion, qui doit être capable de tenir en vol cinq jours et cinq nuits – avec l'aide d'un pilote automatique – et de traverser l'Atlantique. Nous espérons qu'un tour du monde sera possible en 2014.

PermalienPhoto de Michel Havard

J'ai bien noté l'idée selon laquelle, au-delà de l'avion, c'était bien un message qu'il s'agissait d'envoyer dans le ciel. Les technologies utilisées sont à la fois nouvelles et anciennes – anciennes par leur nature, nouvelles par leur mise en oeuvre. Des leçons peuvent certainement être tirées de votre expérience pour l'industrie aéronautique classique. Je n'ignore pas non plus que les constructeurs d'avion s'intéressent de près à l'usage du photovoltaïque, ne serait-ce que pour gérer la consommation énergétique pendant la durée des vols. Avez-vous des contacts avec cette industrie et de quelle manière pouvez-vous capitaliser positivement cette recherche pour un effet direct ?

PermalienPhoto de Catherine Quéré

Je vous félicite pour ce splendide projet. Avez-vous été le premier à avoir eu une telle idée ? Combien de temps a-t-il été nécessaire pour le monter, car on imagine que l'obtention de financements pour une opération dépourvue de rentabilité directe a probablement été délicate ? Travaillez-vous aujourd'hui sur des applications possibles hors le domaine de l'aéronautique ? Les producteurs de drones pourraient-ils être intéressés par votre projet ?

PermalienPhoto de Jean-Marie Sermier

Monsieur Piccard, j'ai déjà eu le plaisir de découvrir votre projet à l'aéroport de Dole-Tavaux et vous y serez toujours le bienvenu, ainsi que sur le site mythique de la Saline royale d'Arc-et-Senans.

Ayant voté les lois de mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, je ne puis qu'être favorable à vos travaux, lesquels, vous l'avez dit, ne concernent pas seulement la filière aéronautique mais aussi d'autres industries, telles la production d'hydrogène dont l'entreprise Solvay, présente sur le site de Tavaux, est la pionnière dans notre pays. Quelle est votre analyse du devenir de l'utilisation de l'hydrogène embarqué ? Comment vos partenaires industriels valorisent-ils leur participation à votre projet ?

PermalienPhoto de Philippe Boënnec

Vous avez évoqué la question du stockage de l'énergie : pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? Comment envisagez-vous de le traiter à l'avenir ?

Suivant de près l'activité du monde nautique – notamment le projet Planet solar de tour du monde à l'énergie solaire avec Gérard d'Aboville –, je souhaiterais connaître votre opinion sur le moyen de réduire l'utilisation de carbone dans les engins à énergie solaire, qu'il s'agisse d'avions ou de bateaux.

PermalienPhoto de Christophe Caresche

En matière énergétique, la France a fait depuis longtemps le choix du nucléaire, dans lequel elle excelle désormais ; qu'en pensez-vous ? Les hésitations françaises à promouvoir les énergies renouvelables et le retard pris – notamment par rapport à l'Allemagne – ne sont-ils pas directement liés à cette option ?

PermalienPhoto de Yves Albarello

« La fatalité, c'est l'excuse des âmes sans volonté », disait Romain Rolland ; à l'évidence, vous ne manquez pas, Monsieur Piccard, de volonté mais comment entendez-vous passer du prototype au process industriel ? Nombre d'écoles d'ingénieurs françaises organisent chaque année des concours de consommation et d'aérodynamisme pour des véhicules terrestres hybrides : en tirez-vous des enseignements ? Il y a en Seine-et-Marne, à la cité Descartes, des filières de formation extrêmement performantes sur les énergies vertes du futur ; des partenariats croisés sont-ils envisageables ?

PermalienPhoto de Serge Grouard

Je laisse M. Piccard répondre à cette nouvelle série de questions.

PermalienBertrand Piccard

Nous avons effectivement noué des liens avec l'industrie aéronautique, avec Dassault en tant que partenaire et Altran en ingénierie. L'augmentation – présente et à venir – des cours du kérosène la menace directement et il est naturel qu'elle cherche des voies de diversification. Au reste, je ne pense pas que l'installation de panneaux solaires sur les avions actuels serait de nature à diminuer leur consommation de manière significative car le gain potentiel n'est pas du tout à l'échelle de la consommation finale d'énergie ; on n'est pas du tout dans les mêmes ordres de grandeur. En revanche, je suis convaincu qu'en adaptant leurs comportements, les compagnies aériennes pourraient économiser environ 20 % de la consommation d'énergie de leur flotte.

Plus conscient qu'Airbus de cet enjeu, Boeing cherche en permanence à alléger ses avions : un kilo en moins, c'est un kilo de moins de kérosène brûlé. Mais cela passe aussi par un changement d'habitudes : renoncer à servir du whisky en cabine dans un verre en cristal avec de vrais glaçons, cela permet également de réduire la consommation de carburant ! Il y a aussi tout un programme à mener en matière de routes aériennes directes, dans le cadre d'Open Sky, ou d'approches constantes plutôt que par paliers.

L'obstacle principal à cet objectif de maîtrise énergétique tient pour l'essentiel à des facteurs humains, dans la mesure où l'on s'attaque aux habitudes des contrôleurs aériens et où la psychologie du monde aérien se trouverait affectée par de telles évolutions.

À l'origine de mon projet actuel de tour du monde sans carburant, il y a le tour du monde en ballon, qui m'a rendu très concret l'objectif de maîtrise de la consommation des énergies fossiles. Lorsqu'on risque de s'écraser parce qu'on a trop consommé, c'est dans ses tripes que l'on éprouve la nécessité d'économiser la ressource !

Parmi les nombreux sponsors qui nous font confiance – Dassault, Altran, Clarins, Omega, la Deutsche Bank… , je regrette que ne figurent pas plus d'entreprises françaises, en particulier celles qui disent vouloir concourir à la protection de l'environnement. 80 % des 80 millions d'euros nécessaires sont cependant acquis, et nous avons concouru à la création de plusieurs emplois. Du reste, la plus grande part de nos charges consiste en la rémunération de collaborateurs puisque notre activité ne met pas en jeu des technologies chères.

Dassault développe des drones et je suis convaincu que le solaire a beaucoup d'avenir en ce domaine, en particulier pour les télécommunications car leur coût est bien moindre que celui d'un satellite.

L'hydrogène offre un champ de réflexion tout à fait passionnant. Je rappelle cependant qu'il ne s'agit pas d'une source d'énergie disponible dans la nature mais du résultat d'un stockage d'eau. Si je ne crois pas à l'avenir de la voiture tout-solaire, je pense qu'il y a une voie prometteuse dans la production d'électricité d'origine solaire destinée à servir de « carburant » à des véhicules individuels. Songez qu'à partir de quelques mètres carrés de panneaux solaires, il est possible d'hydroniser de l'eau en vue de produire une énergie exploitable pour tout usage domestique, y compris la propulsion d'un véhicule électrique. Le marché potentiel de ces unités de production d'hydrogène individuelles à domicile est colossal et je note qu'il n'est pas exploré à ce jour par les grands groupes énergétiques mais plutôt par des entreprises pionnières comme Belenos Clean Power, entreprise suisse dont l'un des principaux actionnaires est le groupe Swatch fondé par Nicolas Hayek. De même, ce n'est pas un constructeur automobile qui produit la meilleure voiture électrique, la Tesla, mais un milliardaire américain qui a fait fortune dans les nouvelles technologies. Et ce ne sont pas les constructeurs de téléphone fixe qui ont inventé le GSM…

Je constate avec regret que les groupes qui disposent du plus de moyens – notamment en R&D – ne sont pas les plus innovants et, sans leur demander de se recycler, je déplore qu'ils ne se diversifient pas davantage.

M. Caresche m'a interrogé sur le nucléaire, industrie prospère et peu remise en cause en France, à la différence de l'Allemagne ou de la Suisse où les débats sont plus vigoureux. Il faut abandonner les postures idéologiques et dogmatiques. Ce qui ne fait pas de doute, c'est que le nucléaire produit une énergie faiblement carbonée, de l'ordre de 900 grammes de CO2 par kilowattheure d'électricité produite. Parallèlement, j'observe que les spots qui éclairent cette salle de réunion génèrent des déchets radioactifs pour les 20 000 prochaines générations alors que nous pourrions tout aussi bien travailler en lumière naturelle… Au plan économique, il est souhaitable que l'industrie nucléaire se diversifie dans la production d'énergies renouvelables car qu'il s'agisse des voitures ou des avions, l'énergie d'avenir, c'est l'électricité. Il est donc urgent d'investir dans les renouvelables et je rappelle qu'une centrale solaire coûte environ deux fois moins cher qu'une centrale nucléaire, tout en procurant davantage d'emplois dans des PME.

Le stockage continue de poser problème même si diverses techniques existent – en air comprimé, en batteries chimiques, en liquides à haut contenu en chaleur… On peut aussi faire circuler l'énergie renouvelable dans des réseaux intelligents, les smart grids.

Je souhaite vous convaincre que je ne verse pas dans l'angélisme vert : les dépenses en faveur des énergies renouvelables constituent en fait des investissements et un levier efficace pour sortir de la crise.

Je ne suis bien entendu pas hostile aux partenariats avec les écoles d'ingénieurs et nous en avons noué avec l'École polytechnique fédérale de Lausanne. Cependant, je ne souhaite pas aller au-delà car l'Europe regorge de programmes de recherche et d'innovation. Le problème, c'est que l'innovation reste dans les rapports de thèse et les bibliothèques universitaires ! Nous ne manquons pas d'intelligence collective mais de débouchés et d'applications.

Enfin, je crois à la nécessité de cadres légaux contraignants pour promouvoir les énergies renouvelables, notamment sous forme de normes de consommation d'énergie et de CO2. Je rappelle que la promotion des énergies les moins polluantes a aussi été assurée par la mise en oeuvre d'un cadre réglementaire contraignant. Sans la contrainte, l'on continuerait d'enterrer les ordures ménagères dans les forêts et de dégazer en mer, et l'on aurait cédé au chantage des constructeurs automobiles selon lesquels l'obligation d'installer des pots d'échappement catalytiques allait les mener à la ruine.

PermalienPhoto de David Douillet

L'histoire montre que les individus qui ont su rêver, notamment dans le domaine aéronautique, réalisent de grandes choses. Ainsi en va-t-il du Concorde ; ainsi en va-t-il sûrement de votre projet, qui repose sur une volonté et une équipe. Dans ce grand pari de sauver la planète par le recours à une énergie totalement propre, la volonté et les investissements vont-ils suffire ? Par ailleurs, avez-vous été confronté à des lobbies hostiles ?

PermalienPhoto de Jacques Le Nay

L'intérêt que présente une invention telle que la vôtre réside dans la possibilité de son utilisation industrielle. Votre projet pourra s'appliquer dans l'avenir, comme vous l'avez expliqué, au secteur des transports de passagers ou de fret, aux drones. Mais qu'en est-il de l'aviation de loisirs, en particulier pour les ULM ? Peut-on imaginer un prototype avec des applications pratiques au-delà précisément des utilisations de loisirs ?

PermalienPhoto de André Vézinhet

J'ai eu un grand plaisir à vous entendre ; vous avez fait souffler un air nouveau. Ayant été dans le secteur de la recherche pendant trente ans, je pense que votre projet correspond à une très belle expérience, parce qu'il permet un progrès pour l'humanité. En tant que Président d'un exécutif local, je souhaite vous interroger sur le concept de « bâtiment à énergie positive ». Nous avons ainsi construit dans mon département neuf collèges ayant reçu le label de « haute qualité environnementale » et porté en quelques années le niveau de nos économies d'énergie de 17 % à 57 %. Quelles cibles peuvent être recherchées, selon vous, sur cette question des « bâtiments à énergie positive » ? Quel rôle les collectivités territoriales peuvent-elles jouer en la matière ?

PermalienPhoto de Didier Gonzales

J'ai à l'esprit les problèmes des riverains d'aéroports victimes de toutes sortes de nuisances et de pollutions. Je souhaite que, dans ce domaine comme dans d'autres, vous soyez entendu et écouté. Pourquoi, par ailleurs, avoir opté pour l'énergie solaire plutôt que pour l'hydrogène ou l'éolien ? Pourquoi avoir fait le choix d'une mono-énergie solaire, plutôt que d'une association d'énergies renouvelables ?

PermalienPhoto de Jean Lassalle

Vous avez su substituer le réalisme aux propos incantatoires et au « réglementaire à tout va » qui dominent aujourd'hui. Pourquoi mettons-nous, selon vous, tant de temps à nous adapter ? Et comment aider la classe politique à abandonner le « suivisme » et à montrer la voie ?

PermalienBertrand Piccard

Sauver la planète est profondément une question de volonté : les technologies nécessaires existent et peuvent donc être mises en oeuvre. Comment stimuler cette volonté ? Il est frappant de constater, lorsqu'on se tourne vers le passé, l'estime et l'admiration dont continuent de bénéficier tous les pionniers. Et ce rôle de pionnier, chacun peut le jouer dans ce XXIe siècle ; la volonté dont il faut faire preuve n'a d'ailleurs pas à être utopique ou désincarnée de tout intérêt personnel.

Y a-t-il eu des pressions exercées par des lobbies sur le projet Solar Impulse ? Elles n'ont jamais été ouvertes, mais il est de fait que certaines branches industrielles auraient pu, selon moi, intégrer le projet.

La libre entreprise, les lois du marché ne suffisent pas pour changer le monde, car dans notre monde mondialisé, la spéculation, la volatilité des données obligent à des interventions de compensation.

Le projet peut-il s'appliquer à l'aviation de loisirs ? Il existe aujourd'hui des sociétés de production d'avions électriques disposant d'une autonomie d'une heure.

Le secteur immobilier possède une grande rentabilité. La Deutsche Bank a su construire deux tours très bien isolées à Francfort : les économies d'énergie dans ce secteur rentabilisent les investissements bien mieux, par exemple, que ceux réalisés dans le secteur boursier, et le retour sur investissement s'y effectue sur une période de cinq années. Et l'isolation des bâtiments contribue aussi bien à la dynamisation de l'économie et de l'emploi qu'au soutien du pouvoir d'achat. Il est souhaitable cependant d'utiliser la formule des « prêts à taux zéro » plutôt que celle des subventions, qui peut créer des « bulles spéculatives ».

Pourquoi avoir recouru seulement à l'énergie solaire ? Le but était de « voler sans carburant » et le solaire était la seule manière d'atteindre l'objectif « zéro carburant ». Nous ne sommes cependant pas des monomaniaques du solaire.

Pourquoi mettre si longtemps à changer ? Il n'est jamais facile de quitter ses certitudes. Mais, en toute hypothèse, les changements viendront plus du monde politique que des scientifiques. Vous avez vous-mêmes un rôle de pionniers à jouer, en sortant des habitudes et des clivages politiques, comme l'a bien montré l'exemple du Grenelle de l'environnement, qui a profondément dépolitisé ces questions.

Pour Solar Impulse, il était important d'être présent aujourd'hui à l'Assemblée nationale, plutôt que dans quelque rencontre universitaire ou scientifique. Une idée force : nous pouvons agir dès aujourd'hui.

PermalienPhoto de Serge Grouard

Vous avez su passionner la commission et nous vous en remercions vivement (applaudissements de l'ensemble des commissaires).

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