Je remercie les députés de cet accueil chaleureux. Le projet que je représente poursuivait un objectif : démontrer qu'il est possible à un avion de décoller, de charger ses batteries en vol grâce à l'énergie solaire, et de passer la nuit en l'air grâce aux réserves accumulées. L'expérience a duré une nuit, mais elle aurait pu être perpétuelle car l'appareil ne connaît pas de limite – à l'inverse, il est vrai, du pilote.
Or, ces technologies sont celles d'hier puisque le prototype a été conçu il y a deux ans. Leur utilisation réduirait de moitié l'énergie nécessaire à la vie sur la planète, et elle permettrait de produire 50 % du reliquat à partir de sources renouvelables. Pourquoi alors ces technologies ne sont-elles pas disponibles sur le marché ? Il me semble que deux éléments permettent de l'expliquer.
En premier lieu, je citerai un facteur psychologique. Tout ne va pas si mal : nous sommes tous vaguement conscients des échéances énergétiques et climatiques, mais elles demeurent dans une perspective lointaine et rien ne les transcrit dans notre quotidien. L'automobile électrique, l'éclairage par des diodes électroluminescentes (DEL), l'habitation à énergie positive, tout ceci est possible, mais l'entreprise qui déciderait une mise en vente massive à destination du grand public déséquilibrerait le marché. Je pense, par conséquent, que le recours à une norme prescriptive s'impose pour enclencher un mouvement d'ensemble.
En second lieu, il se produit une confusion de sens entre le prix et le coût. Le prix d'un kilowattheure d'électricité photovoltaïque reflète son coût. Ce n'est pas le cas du prix des hydrocarbures : personne n'intègre le coût de reconstitution de la ressource, les dommages induits par les marées noires, les conséquences des conflits déclenchés pour son contrôle, etc.
Lorsque le projet a été mis en oeuvre, notre principale préoccupation a été l'économie d'énergie. Si notre aéronef était un avion « normal », il n'aurait pu prendre son envol car avec 64 mètres il a l'envergure… d'un A 340 ! En revanche il ne pèse pas plus lourd qu'une voiture, c'est-à-dire 1 600 kilos, et sa consommation d'énergie a été cantonnée à un niveau extrêmement bas, puisqu'en équivalent pétrole notre vol du 21 septembre 2010 n'a pas plus consommé qu'un scooter dont le moteur aurait tourné pendant le temps de vol de 36 heures. Cette démarche m'apparaît comme symbolique de ce que nous voudrions faire pour notre monde, pour lequel la baisse de la consommation d'énergie reste le premier des défis.
Je ne fais par atavisme que faire perdurer une tradition familiale de défense de l'environnement, mon grand-père et mon père ayant, chacun en leur temps, oeuvré dans ce sens, à des époques où la protection de l'environnement coûtait cher et était difficile à faire accepter par l'opinion publique. Aujourd'hui en revanche, cette protection est tout à fait abordable puisque la technologie est là : j'ai coutume de dire que nous avons bâti Solar Impulse non grâce aux techniques de demain ni à celles d'aujourd'hui, mais bien grâce à celles d'hier puisqu'il a été conçu en 2004.
Au-delà de ce projet, cette baisse de coût offre à mon sens de formidables opportunités pour le développement durable, en matière d'emploi, d'amélioration des balances commerciales et de baisse du chômage. Chaque euro dépensé sur un territoire national en faveur des énergies renouvelables permet de tirer profit de ces opportunités et de faire baisser le déficit commercial. Il m'apparaît que le développement durable est d'abord un développement économique et industriel d'une forme nouvelle dont l'impact sur l'environnement est réduit. Notre initiative a consisté à lancer un débat sur le développement durable et les énergies renouvelables, et à en faire un catalyseur.
Je suis très heureux de pouvoir maintenant répondre à vos questions, car je vois dans ma présence aujourd'hui la réalisation d'un de mes rêves secrets et une preuve supplémentaire de la réussite de notre « Vol de nuit ».