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Commission des affaires étrangères

Séance du 17 novembre 2010 à 9h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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Audition du général Michel Aoun, chef du Courant patriotique libre La séance est ouverte à neuf heures trente.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Nous avons le plaisir de recevoir ce matin le général Michel Aoun, chef du Courant patriotique libre.

Mon Général, je suis très heureux de vous accueillir à la Commission des affaires étrangères. Nous suivons avec intérêt l'évolution de la situation au Proche-Orient dans son ensemble et au Liban en particulier. Nos collègues Élisabeth Guigou et Jean-Jacques Guillet avaient eu l'occasion de s'entretenir avec vous à Beyrouth, dans le cadre d'une mission d'information sur la place de la Syrie dans la communauté internationale – dont le rapport, présenté en juin dernier, accorde l'importance qui convient aux relations entre ce pays et le vôtre. La Commission a eu aussi l'honneur, il y a quelques mois, de recevoir le cardinal Sfeir. Notre attention à ce qui se passe au Liban tient à la fois aux liens profonds qui l'unissent à la France et à l'extrême sensibilité de son équilibre politique et social, auquel la stabilité régionale est directement liée.

Je ne rappellerai pas ici votre carrière militaire et votre vie politique : vous êtes certainement l'une des personnalités libanaises les plus connues en France, où vous avez vécu pendant une quinzaine d'années.

Je ne vais pas non plus décrire le paysage politique libanais, très complexe mais familier aux membres de la Commission. Le Courant patriotique libre, dont vous êtes le chef, n'est pas sorti parmi les vainqueurs des élections législatives de juin 2009, mais quatre de ses membres font néanmoins partie du gouvernement de M. Saad Hariri. Un an après la constitution de ce dernier, quel bilan dressez-vous de son action ? À quels dossiers faut-il selon vous donner la priorité ?

La Commission va entendre tout à l'heure M. Joseph Maïla, directeur de la prospective au ministère des affaires étrangères et européennes, au sujet des chrétiens d'Orient. Vous qui êtes l'un des représentants des chrétiens libanais, pouvez-vous nous donner votre sentiment sur l'évolution de cette minorité dans votre pays, et plus généralement au Proche-Orient ?

Le rapport de la mission d'information insistait déjà sur les inquiétudes suscitées par la perspective de publication, par le Tribunal spécial pour le Liban, d'actes d'accusation qui viseraient des membres du Hezbollah. Rien de tel ne s'est encore produit mais, étant entendu qu'il ne saurait être question d'entraver le travail de ce tribunal, comment pensez-vous qu'il conviendrait d'agir pour limiter les risques de déstabilisation que de telles mises en accusation pourraient provoquer ?

Général Michel Aoun, chef du Courant patriotique libre. J'ai passé en France non pas quinze, mais dix-huit ans. En 1958-1959, j'étais à l'École d'application de l'artillerie à Châlons-sur-Marne. Entre 1978 et 1980, j'ai été stagiaire à l'École supérieure de guerre. Cela fait déjà trois années, auxquelles s'ajoutent quinze ans d'exil, dont un an en territoire français mais à l'ambassade, et quatorze ans entre Marseille, La Haute-Maison et Paris. Le peuple français et la vie politique française me sont donc familiers, et j'entretiens avec les Français des liens d'amitié à la fois ancrés dans la tradition et toujours renouvelés.

Le Liban traverse actuellement une crise assez complexe, comportant des composantes intérieures et des composantes extérieures. Je m'attarderai surtout sur les secondes car elles vous concernent davantage.

Parmi les problèmes intérieurs, il y a tout d'abord l'état des finances publiques : depuis 1993 jusqu'à maintenant, il y a eu dilapidation, voire détournement de fonds publics. Pendant les quatre premières années du gouvernement Rafic Hariri, de 1993 à 1996, près de 3,5 milliards de dollars ont été dépensés sans justificatifs. Actuellement, nous sommes surendettés : 60 milliards de dollars, c'est beaucoup pour un pays qui compte moins de 4 millions d'habitants – sur un territoire de 10 464 kilomètres carrés…

Autre source intérieure de crise : la formation à l'initiative de l'administration, donc en contradiction avec les prérogatives gouvernementales, d'unités de sécurité extra-légales qui, de ce fait, fonctionnent en parallèle avec les forces de sécurité. C'est une sorte de milice pour la présidence du Conseil. Il résulte aussi de cette situation une crise au sein de la justice, qu'il faut réformer.

Notre groupe parlementaire, créé en 2005, s'appelle le Bloc du changement et de la réforme, et notre action est conforme à notre nom : la commission parlementaire des Finances et du Budget est désormais présidée par l'un des nôtres, et nous avons constaté le détournement des fonds du Trésor public.

S'agissant des composantes extérieures de la crise, il faut d'abord parler du Tribunal spécial pour le Liban.

Le 14 février 2005, l'ex-Premier ministre du Liban, Rafic Hariri, était assassiné. Le soir même, le Conseil des ministres saisissait notre Cour de justice, compétente pour les crimes qui peuvent déstabiliser le pays. Au cours de l'enquête qui a suivi, on a vu se développer l'idée de former un tribunal spécial pour le Liban. J'ai été le premier à proposer la formation d'un tribunal mixte – à la fin du mois d'août, je crois. Malheureusement, avec le premier juge d'instruction, M. Mehlis, le tribunal s'est trouvé médiatisé avant même d'avoir commencé à travailler. Des soupçons se sont formés contre la Syrie puis contre le Hezbollah. Le tribunal s'est ainsi trouvé exploité politiquement au Liban, et sa crédibilité s'en est trouvée très fragilisée.

Des crimes en série se sont produits, souvent par des attentats à la voiture piégée. Plusieurs députés ont été tués, ainsi que beaucoup de civils. Contrairement à ce qu'on pouvait attendre, aucun de ces crimes n'a été élucidé. Aucun indice n'a été trouvé. Certains en ont conclu ironiquement que ces crimes parfaits ne pouvaient qu'avoir été commis par les juges chargés de l'instruction… Le Liban compte au moins 23 services de renseignement, nous sommes surveillés par plusieurs satellites géostationnaires, toutes nos communications sont écoutées par Israël et par des pays amis. Le fait que ces crimes restent mystérieux n'a pu qu'entraîner des suspicions sur la façon de mener l'enquête. Cela a beaucoup perturbé l'opinion publique.

Quatre généraux responsables de la sécurité ont été arrêtés à Beyrouth : le chef du Deuxième Bureau, le directeur des Forces de sécurité intérieure, le directeur de la Sûreté générale et le commandant de la Garde présidentielle. Le Président de la République libanaise lui-même a été accusé par la presse internationale et locale. La vengeance politique l'a ainsi emporté sur le souci de justice.

Les quatre généraux sont sortis de prison au bout de quatre ans, en dénonçant l'existence de faux témoins. Il est normal que des victimes de faux témoignages demandent justice, mais où ? La justice libanaise ayant considéré qu'elle ne pouvait recevoir leurs plaintes, ils se sont adressés au Tribunal spécial pour le Liban. Celui-ci a déclaré son incompétence. Il y avait aussi des Syriens parmi ces témoins, ce qui a conduit l'opinion publique à accuser la Syrie. La justice syrienne a accepté les plaintes.

Le Tribunal spécial s'apprête à publier un acte d'accusation. On prépare l'opinion publique à l'accusation du Hezbollah. Mais tous les Libanais qui aspirent à la justice pensent qu'en remontant la piste des faux témoins, on peut arriver au vrai commanditaire du crime : il est impossible qu'un groupe de faux témoins ne soit pas manipulé ou envoyé par quelqu'un. Qui ? On parle de différentes personnalités libanaises, jusqu'au Procureur général de la République, accusé par les victimes. En négligeant cette piste, le Tribunal spécial paraît se concentrer contre le Hezbollah – après avoir fait de même contre la Syrie. La justice doit pourtant être égale pour tous.

Le Hezbollah réagit, en clamant son innocence. Cette situation va dresser une grande partie de la population libanaise contre le Tribunal spécial pour le Liban, créé par le Conseil de sécurité, alors que tout le monde avait approuvé sa création.

Aujourd'hui, je le répète, on néglige une partie importante des investigations. Nous essayons d'expliquer cela, afin que des « bavures » ne viennent pas entraver la paix au Liban et nuire à nos relations avec la France et la communauté internationale, et même avec les pays avoisinants.

Deuxième sujet que je voudrais évoquer : la situation des chrétiens au Liban et dans l'ensemble du Moyen-Orient.

Depuis l'entrée des Soviétiques en Afghanistan, époque à laquelle j'étais stagiaire à l'École supérieure de guerre, on a vu la création de la résistance islamique, aidée par les Américains, par Anouar el-Sadate et par le roi Fahd d'Arabie saoudite. Elle était constituée de groupes fanatisés dressés contre le communisme. Je me souviens d'avoir terminé un exposé à l'École en disant que l'islamisme pouvait être aussi bien anticommuniste qu'anti-occidental mais que sur le plan politique, il était parfois pro-occidental ou pro-soviétique et qu'il fallait prendre garde d'encourager cette résistance. J'ai pris à témoin un camarade de promotion tunisien ; il a confirmé mon analyse. Je suis contre l'intégrisme islamiste, non parce que je suis chrétien, mais parce que je ne peux pas concevoir qu'au début du troisième millénaire, on s'oppose à la liberté de conscience, à la liberté religieuse et politique. L'individu doit pouvoir faire ses choix – y compris celui d'être athée. Pour moi, le droit de chaque personne à la différence doit être sacré, non pas seulement accepté. C'est là une attitude d'esprit aux antipodes de l'islamisme. Je suis contre toute forme de racisme et toute conception monodimensionnelle de la société. Partout dans le monde, on va vers la diversité et le pluralisme.

Certaines puissances disent leur opposition au mouvement islamiste mais l'instrumentalisent pour créer des troubles, donc des espaces d'intervention, afin de défendre des intérêts non déclarés mais aisés à deviner – le pétrole, le gaz, l'uranium, bref les matières premières.

Sachant cela, j'ai essayé de m'occuper des Levantins, des chrétiens du Levant – Machrek, première région à avoir été convertie au christianisme, comprenant la Palestine, la Jordanie, la Syrie, une grande partie de l'Irak et Antioche. La Syrie encourage cette démarche, dont l'objectif est l'épanouissement de la communauté chrétienne et son harmonie. Nous ne recherchons pas la différence pour elle-même, mais l'unité dans la différence : le débat est une source d'enrichissement, tant il est vrai que penser tous la même chose, c'est renoncer à penser.

Le travail qui est mené sur les vestiges chrétiens au Nord de la Syrie va conduire à déclarer patrimoine universel une grande partie de cette région, celle des premiers saints de l'Église chrétienne. Nous espérons étendre cela à la Jordanie et à la Palestine.

À Jérusalem, les chrétiens représentaient 55 % de la population en 1948 ; actuellement, ils en représentent 2 %. À Bethléem, on est passé de 82 % en 1948 à 12 % aujourd'hui. En Irak, je n'ai pas les chiffres mais vous savez ce qu'il en est. Le Liban a été très touché en 1983 ; beaucoup de Libanais ont émigré, notamment vers la France, ainsi que vers le Canada et vers l'Australie. La cause est toujours le conflit israélo-arabe, dont les chrétiens font les frais.

Le premier problème qui se pose à nous est l'implantation des Palestiniens – 500 000 personnes, soit 15 % de la population libanaise. Imaginez qu'en France, vous ayez à intégrer et naturaliser d'un seul coup 9 millions de personnes… C'est impossible.

Malheureusement, l'opinion publique européenne est intoxiquée par les médias. Une étude que j'ai présentée sur les relations islamo-chrétiennes montre qu'il n'y a pas de problème religieux si l'on s'en tient aux textes ; c'est l'interprétation de ces textes qui sert de justification à beaucoup d'abus. Dans une lettre rédigée à l'occasion du Synode des évêques d'Orient, j'ai donc appelé les musulmans à revenir aux textes. Le Coran reconnaît le christianisme, la foi du musulman comporte la reconnaissance du Christ et de l'Évangile. Ce n'est donc pas de conflit religieux qu'il s'agit, mais de conflit d'intérêts ainsi que de manipulation. Les chrétiens eux-mêmes se sont fait la guerre ; phénomène indépendant des croyances, la guerre est causée par la volonté de suprématie et le désir de richesses. C'est pourquoi il faut intervenir pour corriger un peu la marche des choses.

PermalienPhoto de Jean-Marc Nesme

La commission des affaires étrangères va bientôt examiner un projet de loi « autorisant l'approbation de l'accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République libanaise ». Cet accord prévoit notamment « le renforcement et la modernisation de l'appareil de défense » du Liban, mais aussi « l'organisation et l'exécution d'activités de formation spécialisée, d'entraînement et d'exercice commun ». Que vous inspire-t-il ? Êtes-vous favorable au renforcement de l'armée nationale libanaise, alors que le Hezbollah est suréquipé et contrôle tout le Sud du Liban et la plaine de la Bekaa, par où transiteraient des armes en provenance de la Syrie et de l'Iran ?

Souhaitez-vous que le Hezbollah, comme les autres milices, abandonne son armement, ainsi que le demande l'ONU, pour n'être qu'un parti politique au sein d'un État de droit, dont l'une des prérogatives régaliennes est la défense, avec une armée nationale sous commandement gouvernemental ?

Quelle est votre position sur la présence de la FINUL à la frontière entre le Liban et Israël ?

PermalienPhoto de François Rochebloine

Mon Général, vous avez été pour beaucoup le symbole de la résistance libanaise contre l'occupation syrienne. Depuis votre retour au Liban, vous avez fait certains choix politiques qui vous font apparaître comme pro-syrien, voire pro-iranien. Qu'en est-il exactement ?

Vous vous étiez par ailleurs ardemment investi dans la lutte contre la drogue. Où en est le Liban dans ce domaine ?

PermalienPhoto de Gérard Bapt

En ce qui concerne l'affaire des faux témoins, comment se fait-il que la justice libanaise n'arrive pas à localiser celui au sujet duquel j'avais interrogé Mme Dati, ministre de la justice, Mme Alliot-Marie, ministre de l'intérieur et M. Kouchner, ministre des affaires étrangères, qui avait quitté la France alors même qu'il faisait l'objet d'un mandat Interpol ? Il est tout de même étonnant que l'on n'arrive pas à interroger ce monsieur qui fait des déclarations ici ou là à travers le monde…

Au sujet de l'intégrisme islamiste, considérez-vous qu'il y a une différence de nature entre le chiisme et le sunnisme ? Il est frappant que l'on voie toujours des synagogues et des églises à Téhéran, alors qu'il n'y en a pas en Arabie saoudite.

PermalienPhoto de Dominique Souchet

Vous avez évoqué les vagues d'émigration, à partir de 1983, vers différents pays dont la France. L'existence du gouvernement d'union nationale depuis un an produit-elle des effets auprès de la diaspora ? Assiste-t-on à un phénomène de retour de familles libanaises, notamment maronites ? Le redémarrage de l'économie libanaise est-il suffisant pour permettre de tels retours ?

PermalienPhoto de André Schneider

Israël devrait décider aujourd'hui de retirer ses troupes du village de Ghajar, en territoire libanais, pour en remettre le contrôle à la FINUL. Cette dernière serait basée à l'extérieur du village, pour maintenir le Hezbollah à distance. Un tel retrait pourrait-il permettre d'apaiser les relations entre l'État hébreu et le Liban ? Cet accord pourrait-il convenir au Hezbollah ?

PermalienPhoto de Jean-Michel Ferrand

Quelle est aujourd'hui la proportion de chrétiens au Liban ? Quel est leur avenir ? Pourquoi les différentes factions chrétiennes ont-elles de si grandes difficultés à s'entendre ? Les Kataëb existent-ils toujours ?

PermalienPhoto de Michel Terrot

Que reste-t-il de l'influence française au Liban – dans le domaine intellectuel, notamment en matière d'enseignement, mais aussi en termes de présence de nos entreprises ?

PermalienPhoto de Jacques Myard

Affreux terroristes pour les uns, patriotes pour les autres : quel est votre propre sentiment au sujet du Hezbollah ?

PermalienPhoto de François Loncle

La tentative de MM. Barack Obama, Benyamin Netanyahu et Mahmoud Abbas de résoudre à eux trois le conflit israélo-palestinien a-t-elle selon vous des chances d'aboutir ?

PermalienPhoto de Lionnel Luca

Y a-t-il un avenir pour les chrétiens au Liban ?

Comment analysez-vous le rôle d'Israël à l'égard de votre pays ?

PermalienPhoto de Jean-Paul Dupré

Quelles seraient les conditions d'un redressement de la situation des finances publiques au Liban ?

Quelles sont les activités économiques majeures dans votre pays ?

PermalienPhoto de Jean-Louis Bianco

Quel rôle l'Iran joue-t-il au Liban ? Quel est votre sentiment sur les liens entre l'Iran et le Hezbollah ?

Général Michel Aoun. La signature d'un accord en matière de défense n'a rien de nouveau : ce n'est que le renouvellement de ce qui se fait depuis très longtemps. Cela me paraît très normal.

Le Hezbollah n'est pas une formation supra-militaire à l'intérieur du pays. Il s'est constitué en réplique à l'invasion israélienne de 1982, ce qui est conforme à la Charte des Nations unies – tout peuple a le droit de libérer son territoire occupé. Aujourd'hui, l'armée libanaise n'est pas en mesure de contrôler la situation. Quant à Israël, il ne se montre pas disposé à trouver un compromis permettant de diminuer la présence armée du Hezbollah. Au contraire, il continue à faire des déclarations agressives, ainsi que des manoeuvres annuelles « contre le Liban, la Syrie et l'Iran » donnant l'impression qu'il s'agit d'un front uni – alors que l'Iran est à 3 000 kilomètres du Liban et que les Iraniens parlent le persan, tandis que nous parlons l'arabe… Je puis vous assurer que pendant la guerre de juillet 2006, il n'y avait aucun Iranien sur le territoire libanais, ni aucun Syrien. Malheureusement, l'opinion publique internationale a été intoxiquée par la presse à ce sujet ; je souhaite qu'une enquête soit menée par une commission internationale. Quant à l'arrivée d'armes, elle peut se faire par la mer. Des marchands d'armes peuvent en apporter de Chine, de Russie ou d'autres pays, directement ou indirectement. Dans le conflit avec Israël, le problème à résoudre n'est pas celui des armes, mais celui de l'occupation et du rejet de 500 000 Palestiniens sur le territoire libanais – mais on essaie toujours d'escamoter les vraies raisons du conflit.

L'Iran n'est pas politiquement présent au Liban. Il aide ouvertement la résistance – cette guerre du pauvre contre le riche, du faible contre le fort –, mais n'a pas d'influence politique. Il a aussi apporté son aide pour restaurer les églises, les écoles, les routes au Sud-Liban après la guerre, et les Libanais ne l'oublient pas. C'est pour cette raison que le président Ahmadinejad a été acclamé au Liban, et non pour ses déclarations tonitruantes. Il profère beaucoup de menaces, mais il n'a jamais fait de tort à personne. D'autres pays parlent de la paix, mais ils ont commis des crimes contre l'humanité et mené une guerre d'épuration en Palestine – Gaza est un prototype en matière de massacres. Il ne faut pas confondre la réalité et ce qui ressort d'une intoxication médiatique.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Considérez-vous la réélection d'Ahmadinejad comme parfaitement légitime ?

Général Michel Aoun. Oui. Avant même l'élection, je savais qu'il en serait ainsi. J'étais allé en Iran le 13 octobre 2008 et j'avais interrogé des ministres et des membres du Parlement sur son éventuelle candidature. On m'avait expliqué que la région de Téhéran, ville dont il avait été maire, était avec ses 14 millions d'habitants son premier bastion électoral et qu'ailleurs, il avait gagné la sympathie des Iraniens. Self-made man, vivant simplement – aujourd'hui encore, il travaille au palais présidentiel mais n'y habite pas –, il a réussi la décentralisation, au profit du développement économique des régions autres que celle de Téhéran et de leurs 56 millions d'habitants. Il y a gagné en popularité, au point de pouvoir sans aucun doute y réunir plus de 60 % des suffrages. À l'inverse, dans la région de Téhéran, il est devenu minoritaire.

S'agissant des faux témoins, le procès a été refusé au Liban parce que certaines personnalités, à commencer par le Procureur général, étaient compromises – et ont été couvertes par le Conseil des ministres. Que diriez-vous si le Président de la République française, M. Sarkozy, refusait qu'un faux témoin soit déféré à la justice, au motif que cela va diviser le pays ?

L'intégrisme ne peut pas être chiite : dans leur interprétation du Coran, les chiites s'adaptent à l'évolution de la société. Les sunnites, en revanche, se fondent sur des traditions remontant au temps du Prophète, ce qui conduit à un monolithisme totalement étranger à notre propre démarche.

Les Libanais qui ont émigré à partir de 1983 ne sont pas encore très nombreux à revenir. Beaucoup d'entre eux attendent que je les appelle à le faire. Tant que le pays n'est pas stable, je leur dis d'attendre. Je prépare les conditions de leur retour, par l'élargissement de l'espace de sécurité du Liban – qui s'étend sur tout le Moyen-Orient. Il faut aussi créer les conditions économiques de ce retour ; le Liban n'est pas un pays en faillite, mais depuis vingt ans il a été pillé – avec la participation de personnes extérieures.

Quelle que soit la situation du village de Ghajar ou des fermes de Chebaa, le problème restera la présence chez nous de 500 000 réfugiés palestiniens. Notre pays est surpeuplé : sa densité est de 400 habitants par kilomètre carré. Nous manquons de ressources. Pour un Libanais présent dans le pays, on en compte trois ou quatre en dehors. Parmi les pays arabes, le nôtre est le plus dense et le moins riche en ressources.

Les chrétiens, qui étaient majoritaires, ne représentent plus maintenant que 38 % de la population. Les 62 % de musulmans se partagent de manière égale entre chiites et sunnites.

La présence française est malheureusement en régression. La culture française reste dominante, mais les Libanais étudient l'anglais autant que le français et actuellement, il y a douze universités américaines, contre trois qui enseignent en français.

Le Hezbollah est un parti libanais, de résistance à l'occupation israélienne. Ce n'est pas un parti terroriste, comme beaucoup le disent, mais un parti patriote qui a essayé de libérer le territoire libanais. À tous les ambassadeurs et diplomates venus me dire qu'ils voulaient le combattre, j'ai toujours demandé de me citer un seul acte terroriste qu'il aurait commis. Il y a sur ce sujet une terrible intoxication, due aux Américains : c'est sous l'influence du mouvement sioniste américain que l'on a essayé de diaboliser le Hezbollah. Quant à moi, je peux vous assurer que vous rencontrerez certainement beaucoup d'intégristes islamistes en cravate, alors que chez les personnes dont l'aspect vous dérange parfois, vous pourriez découvrir des hommes religieux très tolérants.

Le problème palestinien est très difficile à résoudre car c'est celui des réfugiés et de l'entité palestinienne, beaucoup plus que du territoire. Ce que veut Israël pour les Palestiniens, ce n'est pas une patrie, mais plutôt une réserve, comme pour les Peaux-Rouges… En déclarant qu'il n'y aurait plus de retour de Palestiniens, Israël a contredit la résolution 194 des Nations Unies du 11 décembre 1948. Personne ne s'en est indigné, mais ce n'est pas ainsi que l'on va avancer vers une solution.

Israël a joué au Liban un rôle très néfaste, notamment en encourageant le conflit entre les chrétiens et les druzes. La présence d'Israël au Liban a eu les mêmes résultats qu'à Jérusalem et à Bethléem.

Pour redresser la situation des finances publiques, il faudrait commencer par régulariser la comptabilité publique, puis s'attaquer au redressement économique.

Quant aux chrétiens, il faut simplement les laisser exister. Il n'y a pas de pays à majorité chrétienne, ni au Moyen-Orient ni ailleurs dans le monde – il y a seulement des cultures d'inspiration chrétienne. Le christianisme n'est pas un parti politique. Nous avons surtout un rôle culturel, appuyé sur les relations que nous avons nouées dès le seizième siècle avec l'Occident, et d'abord avec l'Italie et avec la France ; nous incarnons la synthèse de la pensée religieuse levantine et de la pensée rationnelle occidentale. Le rôle des chrétiens est d'être la porte d'entrée des autres cultures. Fort heureusement, nous ne sommes pas monolithiques et nous sommes bien loin des théocraties autocratiques.

L'Iran est une puissance régionale mais, je vous l'assure, n'intervient pas dans nos affaires intérieures. Lors de l'agression israélienne en 2006, l'Iran et la Syrie nous ont aidés.

J'étais contre la présence syrienne au Liban, mais quand la Syrie s'est retirée, j'ai respecté ce que j'avais affirmé pendant mon engagement militaire contre elle : ce retrait étant effectué, nous devons avoir les meilleures relations avec elle, comme il convient entre pays voisins.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Il me reste, au nom de tous mes collègues, à vous remercier d'être venu nous apporter votre éclairage.

La séance est levée à dix heures quarante-cinq. ____