Nous avons le plaisir d'accueillir maintenant MM. François Desprairies, directeur des affaires publiques France d'EADS, Jean-Marc Thomas, vice-président recherche et innovation et directeur délégué Grand Sud France – que nous avions entendu l'an dernier durant nos travaux sur les pôles de compétitivité -, Jean Perrot, directeur des relations institutionnelles recherche, et Mme Annick Perrimond-du Breuil, directeur des relations institutionnelles France.
Je présenterai brièvement la société que nous représentons car elle est souvent mal connue.
EADS est la première société aéronautique mondiale, avec un chiffre d'affaires de l'ordre de 43 milliards d'euros. Elle emploie 120 000 personnes, dont 97 % en Europe et 45 000 en France. C'est probablement le groupe industriel le moins délocalisé de notre pays.
EADS achète en France de l'ordre de 11 milliards d'euros. Elle a une recherche autofinancée de 2,9 milliards d'euros, dont 1,3 milliard en France, un carnet de commandes de près de 400 milliards et une trésorerie nette, fin 2009, de l'ordre de 10 milliards.
Comme notre groupe fait parfois les gros titres de la presse en étant présenté sous un angle négatif, je souhaite appeler votre attention sur quelques paramètres.
Depuis sa création, EADS a embauché plus de 15 000 personnes, dont la moitié en France, et a même continué d'embaucher pendant la période de crise : nous avons embauché plus de 1 000 personnes l'année dernière et nous allons en embaucher 1 500 cette année. Je ne crois pas qu'il y ait un seul groupe industriel qui continue à recruter comme nous le faisons.
EADS est probablement le premier contributeur à l'économie nationale puisque l'industrie aéronautique civile a un solde positif de 15 milliards d'euros. C'est le premier poste excédentaire de la balance commerciale française, suivi des boissons avec 7 milliards.
Pour notre filière, qui a des cycles très longs, les instruments mis en place à ce jour par la puissance publique sont tout à fait remarquables. À titre sectoriel, nous avons le soutien de la direction générale de l'Aviation civile (DGAC), qui a été restaurée par M. François Fillon, et quatre instruments puissants accompagnent notre industrie en France. Le premier réside dans les « machines à fonds propres » que sont le fonds stratégique d'investissement (FSI), OSÉO et Aerofund pour la partie aéronautique civile. Le deuxième est le CIR, qui est un instrument extrêmement puissant d'aide à la recherche – c'est en partie grâce à lui que la recherche a pu être maintenue l'année dernière en période de crise. Le troisième est les pôles de compétitivité, qui sont un outil important d'association des grands groupes aux PME. Enfin, il existe, en France, un savoir-faire d'accompagnement de grands projets, que le grand emprunt va encore renforcer.
En résumé, vu de notre fenêtre, la France est probablement le pays d'Europe qui accompagne le mieux sa filière aéronautique.
Je ne dis pas que tout est idéal ni que tout va bien. Les grèves à Airbus aujourd'hui même suffiraient à démentir mes propos. Mais le dynamisme de la filière aéronautique reste une bonne nouvelle pour l'économie de notre pays et le CIR a été et est un élément de soutien tout à fait déterminant.
Quel diagnostic global portez-vous sur le crédit d'impôt recherche ?
Nous nous demandons, au sein de la mission, si cet outil ne donne pas lieu à des effets d'aubaine dans les grandes entreprises comme la vôtre alors que son but est de soutenir les efforts de recherche afin de placer les entreprises françaises en position de soutenir la concurrence des entreprises des autres pays comme l'Allemagne ou les États-Unis.
Plus précisément, quel diagnostic faites-vous du dispositif réformé depuis 2008 ?
Il n'y a pas pour nous d'effet d'aubaine, loin s'en faut. Le plafonnement à 100 millions s'exerce à plein sur la principale division du groupe, qui est Airbus, où est localisé l'essentiel des budgets de R&D. Si nous avions voulu créer un effet d'aubaine, nous aurions « coupé Airbus en rondelles ». Je sais que de telles pratiques ont eu lieu à certains endroits. Ce n'est pas notre cas.
Le plafonnement à 100 millions a été intéressant, mais il n'a pas eu des effets démesurés comme ceux dont j'ai pu entendre parler ici ou là.
L'industrie aéronautique porte des projets à long terme, à vingt ans, qui nécessitent une avance cohérente de tout le train industriel et de recherche afin de préparer des échéances à dix ou quinze ans. Il faut, pour ce faire, une vision directive qui mette tous les acteurs autour du même projet ou de la même feuille de route. Cette vision directive est soutenue par l'ensemble des aides apportées à la filière. Le crédit d'impôt recherche est un élément important de ce cocktail.
Le caractère incitatif de la réforme de 2008, qui a fait passer à 30 % le crédit d'impôt recherche pour la tranche de dépenses inférieure à 100 millions d'euros, a un effet d'accélérateur, notamment en période de crise. Les industriels sont incités – comme nous l'avons été – à anticiper des projets qu'ils auraient, sinon, peut-être eu tendance à retarder.
Le fait que le montant du CIR ait été identique en 2008 et 2009, soit 140 millions d'euros, montre que les efforts de réseaux et télécommunications (Recherche & Technologie et Développement) – on sait que le crédit d'impôt recherche cible une fenêtre qui est entre les deux – ont été maintenus dans l'industrie aéronautique, malgré un contexte de crise.
Mes propos sont corroborés par les chiffres puisque les déclarations d'Airbus sont de l'ordre de 350 millions d'euros, pour un crédit d'impôt recherche de 42 millions d'euros. Les efforts de l'industrie privée, des administrations de tutelle et du pays aident à diriger les énergies de recherche des grands groupes, de leurs principaux partenaires et de leurs partenaires naturels que sont les PME, les laboratoires et la recherche académique. Le crédit d'impôt recherche intervient comme un élément supplémentaire et exerce un pouvoir d'accélérateur indéniable.
Pouvez-vous citer des exemples de projets qui n'existeraient pas aujourd'hui s'il n'y avait pas cet avantage financier ?
Dans le cadre de notre laboratoire central Innovation Works, à Suresnes, des projets ont été lancés grâce au crédit d'impôt recherche dans le domaine des technologies de différenciation.
Dans le cadre du pôle de compétitivité Technocampus EMC2, dans les Pays de la Loire, des initiatives touchant aux technologies composites ont pu être maintenues et même organisées à un bon niveau grâce à l'existence du crédit d'impôt recherche, qui a aidé tous les acteurs – Innovations Works, Airbus, industriels locaux – à maintenir leur effort de recherche.
Vous dites, d'une part, que le CIR est un accélérateur de la recherche et, d'autre part, qu'il a simplement permis de maintenir le niveau de recherche pendant la crise. Quelle est la réalité ?
Le CIR présente ces deux caractéristiques.
Dans certains cas, il a un effet d'accélérateur sur des sujets centraux de préparation des technologies de l'avenir.
Dans le cas d'Airbus, il a permis, comme l'a reconnu Louis Gallois, d'éviter que la recherche ne soit la grande sacrifiée pendant la période de basses eaux que nous avons connue du fait de la crise. Bien que nous ayons sorti, l'année dernière, le plus grand nombre d'Airbus jamais produits – pratiquement 500 avions –, nos résultats économiques ne sont absolument pas à la hauteur, ce qui nous oblige à faire des économies pour essayer de revenir à des niveaux plus acceptables. Les arbitrages nécessaires pour y parvenir n'auraient pas été aussi favorables à la recherche s'il n'y avait pas eu le crédit d'impôt recherche.
Pour travailler depuis près de trente-cinq ans, à un niveau ou à un autre, chez Airbus, je puis corroborer les propos de François Desprairies.
Une des variables d'ajustement que l'on utilise souvent dans les périodes difficiles, même si elle fait mal parce qu'elle a toujours des conséquences quelques années plus tard, est la recherche. Dans un contexte traditionnel, il y aurait eu très certainement des coupes sombres dans le programme de recherche. J'ai piloté la recherche à Airbus. J'ai été patron du bureau d'études. J'ai connu des années noires à cause des coupes sombres opérées dans la recherche. Au cours des trois dernières années, il n'y en a pas eu !
En dehors de l'apport financier que représente le CIR, la volonté exprimée par l'État en faveur de la recherche pousse à être exemplaire. Non seulement la recherche n'a pas été réduite, mais elle a été maintenue à un très haut niveau, ce qui ne se serait pas passé en d'autres circonstances. Les travaux sur les composites ont été poursuivis dans le cadre de la mise en oeuvre de l'A350, ainsi que ceux sur les systèmes, puisque cet avion va présenter des nouveautés en ce domaine par rapport à l'A380.
Réinjectez-vous la totalité du crédit d'impôt recherche dans la recherche ou cet outil vous rassure-t-il sur le fait qu'il faille continuer à investir dans la recherche ?
L'affirmation selon laquelle il y aurait probablement eu des coupes sombres dans les programmes de recherche sans le CIR tient beaucoup de la pétition de principe. Comment le prouver concrètement ?
Vous savez aussi bien que moi que notre industrie dépend essentiellement de la recherche. Or, pour mille raisons, largement relatées par les journaux, nos résultats économiques de ces dernières années ne sont pas à la hauteur de ce qui était attendu. Si nous avons pu maintenir notre effort de recherche, c'est très clairement grâce aux dispositifs mis en place par le Gouvernement, dont le CIR.
Quels ont été les montants des crédits d'impôt recherche perçus par votre groupe en 2007 et en 2008, c'est-à-dire avant et après la réforme ?
Airbus a touché 16 millions de crédit d'impôt recherche en 2007 et 42 millions en 2008.
Le niveau de recherche global pour Airbus était de l'ordre de 310 millions d'euros en 2007. Il était un peu plus important en 2008 et il se monte aujourd'hui à 350 millions d'euros.
Deux aspects sont à distinguer : l'aspect mécanique et l'aspect comptable.
Selon le premier, l'argent est directement affecté aux équipes de recherche. Il est injecté dans notre budget de recherche. Ce point est très important parce que, dans d'autres systèmes que nous connaissons, l'argent va dans la poche globale et, quand les chercheurs demandent des budgets pour leur recherche, ils doivent passer à chaque fois sous les fourches caudines de la direction.
La recherche centrale d'EADS a bénéficié, l'année dernière, de 11 millions d'euros au titre du crédit d'impôt recherche. Dans tous les projets de recherche d'Innovation Works, une ligne comptable « contribution du crédit d'impôt recherche » apparaît en plus des subventions que nous pouvons recevoir et des fonds propres que nous pouvons injecter. Du point de vue comptable, un chef de projet a la ligne identifiée du CIR, ce qui garantit que l'argent est remis à cette fin.
Si nous vous posons la question, c'est parce que nous avons des contre-exemples. Comme le CIR diminue le coût de la recherche, certaines structures le traitent comme une subvention.
Je vais vous donner un exemple qui montre qu'il ne faut pas séparer le crédit d'impôt recherche de l'ensemble des mesures prises par les pouvoirs publics.
Le programme A350 va représenter, en incluant les dépenses en capitaux, un investissement de 13 ou 14 milliards d'euros. C'est le plus gros projet que l'industrie privée, et même publique, va lancer au cours des prochaines années. Il représente un tunnel sous la Manche ou encore quatre EPR.
Or, au sujet de l'A350, pour lequel nous avons déjà reçu 530 commandes, je soulignerai la part importante de son développement en France, pour Airbus et sa filière, grâce au soutien à la recherche aéronautique en France. L'Allemagne ne bénéficie pas, à ce jour, d'un dispositif comparable. Le programme de recherche aéronautique allemand (LUFO), ne comporte par les mêmes incitations. Les pouvoirs publics allemands étudient un dispositif équivalent au CIR.
Voilà un exemple concret de ce que la France peut apporter en termes d'optimisation.
Je ne pouvais manquer de signaler, alors que l'on parle de désindustrialisation de notre pays, que le plus gros projet industriel européen des prochaines années est positif pour la France, au point d'être une source de conflit avec les Allemands.
Ce résultat est à mettre au crédit non seulement du CIR, mais également de l'ensemble du dispositif global mis en place par la France incluant les pôles de compétitivité et le FSI.
Le grand emprunt sera effectivement un élément important de ce dispositif puisqu'il nous permettra de « dérisquer » un certain nombre de projets futurs.
Pour une industrie comme la nôtre, poussée dans les reins par la compétition internationale, il est important de franchir le plus rapidement possible les Technology Readiness Levels (TRL), c'est-à-dire les niveaux de maturité technologiques qui permettent d'aller de la recherche au produit. Ce n'est donc pas tant le volume du réservoir qui compte que les accélérateurs que nous avons sous le pied. La flexibilité des mesures mises en place par les pouvoirs publics, et notamment celle du CIR, nous permet d'accélérer les projets, de maintenir vivace la volonté de progresser rapidement et d'être au rendez-vous pour le lancement des produits. C'est le point essentiel !
La définition des dépenses éligibles vous semble-t-elle satisfaisante ou avez-vous un regard un peu différent sur le sujet ?
Comme la nouvelle règle du CIR repose sur une analyse technique poussée par rapport aux critères de Frascati – nous saluons le soutien apporté par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche dans cette démarche fiscale –, elle n'est encore qu'en période de rodage : sa complexité pose des problèmes de compréhension, la jurisprudence des critères doit être assise, et les experts s'expriment encore sur le sujet. Il serait utile que, à partir des retours d'expérience des premières années d'application du nouveau dispositif, des vade mecum soient établis et des directives simples et claires rédigées afin de permettre à tout le tissu industriel de mieux l'appliquer. Les grands groupes peuvent demander le concours de fiscalistes et d'experts mais, comme je l'ai déjà souligné, les efforts de recherche ne peuvent se faire qu'en partenariat avec toute la supply chain.
Permettez-moi, au préalable, de préciser notre regard sur le CIR et sur le grand emprunt.
Nous considérons, nous le répétons, que le CIR est une bonne mesure. Mais les critères de sa mise en oeuvre limitent la maturité technologique des domaines pour lesquels nous pouvons y avoir recours.
Nous avons un bon financement amont de notre recherche jusqu'à un certain niveau de maturité technologique des projets. Nous disposons également d'un bon outil de lancement de produits que sont les avances remboursables, tant qu'elles sont permises par Bruxelles et par l'OMC. C'est ainsi qu'ont été financés tous nos avions.
Mais il existe un « trou dans la raquette » française, entre l'aide amont apportée au développement de nouvelles technologies et les avances remboursables qui ne s'appliquent qu'à des produits finis. Et ce trou, ce sont les démonstrateurs.
Le grand emprunt, quant à lui, est une solution ad hoc et ponctuelle.
Dans notre industrie, il n'y a plus de prototype. Nous ne gardons qu'un avion, généralement le premier, parce qu'il a une valeur symbolique. Par exemple, nous avons gardé l'avion n° 1 de l'A320, qui est à Toulouse, ainsi que l'avion n° 1 de la famille A330A340. Même les avions d'essai en vol – généralement le 2, le 3, le 4 et le 5 – sont refurbished, c'est-à-dire reconditionnés, et revendus. Le premier avion est déjà pratiquement le premier de série, sauf s'il y a de grosses erreurs de conception. Cela vaut pour tous les avions Airbus civils.
En revanche, le démonstrateur est un sous-ensemble représentatif de l'avion qui va faire le pont entre un certain nombre de technologies ayant démontré a priori leurs potentialités et une certaine maturité, et les faire fonctionner ensemble. Par exemple, lors de la réalisation d'une tranche de fuselage, on va appliquer de nouvelles technologies de peau ou d'encadrement de porte.
C'est la définition qui est donnée dans les textes des activités de R&D : elles ont pour objectifs de vérifier des hypothèses scientifiques ou techniques, d'évaluer de nouvelles formules de produits, d'évaluer de nouvelles spécifications de produits finis et d'étudier un équipement et des structures spéciaux pour un nouveau procédé.
Ce point fait l'objet d'un débat. La présidente de l'ANR, que nous avons entendue ce matin, affirme que le CIR couvre toutes les étapes jusqu'à la commercialisation.
Le problème est que nous nous heurtons très rapidement, comme nous l'avons indiqué tout à l'heure, à des effets de seuil.
Les démonstrateurs du grand emprunt étant multipartenaires, ils nous permettront, non seulement de « dérisquer » – je reprends le terme employé par François Desprairies car il est tout à fait adapté –, mais également de vérifier les nouvelles technologies dans l'ensemble de la filière en associant les différents acteurs de celle-ci. Nous réduirons ainsi le niveau du risque tout en préparant l'ensemble de notre supply chain.
Je vais vous donner un exemple concret. Notre concurrent principal, Boeing, semble avoir fait l'impasse sur la phase de démonstrateur du caisson central en composite de son avion 787. Il y a eu des ruptures aux essais, si bien qu'il a pris trois ou quatre ans de retard, ce qui se chiffre en milliards de dollars.
Avec un tel exemple en tête, nous ne pouvons pas faire l'impasse sur les démonstrateurs et avoir uniquement recours aux simulations.
Comme Jean Perrot vous le dira, le CIR ne couvre pas cette partie-là.
C'est un point sur lequel nous allons devoir nous pencher car l'ANR nous assure que le CIR couvre cette phase tandis que des utilisateurs comme vous disent que non.
Les TRL 6 ou 7 qui nous concernent se situent dans une zone un peu grise où les critères de Frascati sont relativement lâches alors que nous avons une lecture assez rigoureuse des choses, pour ne pas nous mettre en exposition de redressement et pour ne pas avoir une lecture trop avantageuse de la mesure. Les démonstrateurs de caisson en composite dont a parlé François Desprairies ne sont pas éligibles au crédit d'impôt recherche.
N'êtes-vous pas un peu timides dans l'utilisation du CIR ? Avez-vous peur d'être sanctionnés ?
Une autre raison pour laquelle le CIR ne permet pas d'aller jusqu'au démonstrateur est le plafonnement du crédit d'impôt recherche. Le démonstrateur du caisson central en composite de l'A350 coûte, dans le cadre du grand emprunt, entre 80 et 90 millions d'euros. Cela représente deux fois le CIR d'Airbus. Je l'ai dit, nous n'allons pas découper Airbus en rondelles en vue d'une optimisation fiscale.
Pas uniquement. Il est dû à la fois au plafonnement du CIR et à une lecture peut-être différente des critères de Frascati.
Pourquoi n'utilisez-vous pas les rescrits pour vérifier préalablement et vous entourer de garanties ?
Dans le cadre des consultations organisées sur le grand emprunt, nous avons parlé avec de nombreux interlocuteurs industriels que nous n'avions pas eu l'occasion de rencontrer par ailleurs : ils avaient tous le même type de problème. Nous pensons réellement que le financement des démonstrateurs, qui permettent de « dérisquer » les technologies développées en amont est aujourd'hui un « trou dans la raquette » française.
Nous l'avions signalé dans l'étude que nous avions réalisée sur les pôles de compétitivité. Mais, par rapport aux définitions données, il y a une ambiguïté…
C'est pourquoi un travail de clarification s'impose afin d'aboutir à des définitions communes et partagées.
Chaque dossier fait l'objet d'une expertise technique. Or les experts sont en nombre réduit et établissent une sorte de jurisprudence sur laquelle il est difficile d'anticiper un rescrit. Nous avons vu le même expert donner des appréciations très différentes sur des sujets qui, pour nous, étaient équivalents.
Si le rescrit peut être utilisé au regard de la loi fiscale, il ne peut l'être au regard du contenu technique pour lequel il existe une marge de manoeuvre et d'appréciation. C'est un facteur qui augmente la crainte.
Peut-être y a-t-il un réglage de la mesure à faire.
Définir une règle en termes de maturité et de typologie sur la base d'exemples qui, réunis, donneront ce que j'appellerai un abaque.
Il faut traiter un certain nombre d'exemples venant de plusieurs sources et définir une philosophie en s'attachant à choisir les bons mots.
Qu'il y ait un plafond ou non n'affecte pas votre stratégie de développement. C'est ce que j'ai cru comprendre de votre introduction.
Non : chaque industrie est spécifique.
Les exemples de l'A380 et de l'A400M montrent que les risques sont systémiques. Notre intérêt est donc de « dérisquer » au maximum les technologies – ce que Boeing n'a pas fait pour le 787 et ce que nous n'avons pas fait pour l'A400M –, d'autant que nous utilisons aujourd'hui de nouveau matériaux que nous connaissons mal et sur lesquels nous n'avons pas d'historique.
Au moment du lancement de l'A350, j'avais demandé au patron du programme, qui est un ami, en quoi la puissance publique pouvait l'aider en plus de son budget de 12 milliards d'euros et des avances remboursables. Il m'avait répondu : « À dérisquer cet avion ! »
Couvrir les fameux démonstrateurs qui représentent un coût collectif important. Cela permet de « dérisquer » un projet lorsqu'on est capable de faire travailler ensemble cinq ou dix acteurs autour de celui-ci.
Nous sommes d'accord, mais vous nous avez demandé quelle était notre réflexion sur le sujet.
Nous pensons qu'il existe un « trou dans la raquette ». Même s'il est difficile à estimer, nous l'avons identifié et nous l'avons repéré également chez Alstom sur des systèmes de récupération de CO2. Je pense que cette entreprise a dû faire ses démonstrateurs en dehors de France, aux États-Unis.
Aux États-Unis, c'est le Pentagone qui finance l'aéronautique.
Ils avaient six ans d'avance sur nous. Ils n'en ont plus que deux.
Ils ont fait des recherches dans lesquelles la NASA a beaucoup investi – par exemple, ils ont réalisé neuf pointes avant composites –, mais elles présentaient un caractère académique. De plus, ils ont fait un certain nombre d'impasses techniques qui, cumulées à une répartition des tâches internationales sur de nouveaux acteurs, les ont empêchés de maîtriser l'ensemble de leur conception.
C'est toute la différence avec les démonstrateurs que nous proposons aujourd'hui. Mais nous sortons du sujet du CIR…
Non. Cela ne se situe pas dans le même espace temporel et ne répond pas aux mêmes préoccupations.
Je donnerai un exemple de démonstrateur pour bien le différencier des autres démarches.
Le démonstrateur composite associera, au premier niveau, les deux avionneurs Airbus et Dassault, ainsi qu'AEROLIA, DAHER-SOCATA, Latécoère et SAFRAN. Puis nous lancerons sur Internet un appel à idées, un appel à innovation, de telle façon que tout un chacun, petit, moyen ou gros, PME, ETI ou autres, puisse apporter sa contribution. Cela aura pour résultat, non seulement de « dérisquer », mais également de faire monter le niveau de la filière.
Boeing a eu une approche de démonstrateur, mais celle-ci n'était pas pertinente : il a travaillé tout seul, a réparti son travail et n'a jamais fait le pont entre tous les aspects. C'est ce qui lui pose un problème aujourd'hui.
Quel est le nombre de chercheurs employés par EADS ? Le CIR a-t-il eu un effet sur le nombre d'embauches ?
On compte environ 150 chercheurs en central, en France, et un nombre à peu près identique dans les business units. On observe un étiage du même ordre dans les postes purs de chercheurs chez Airbus à Toulouse.
Le crédit d'impôt recherche, les mesures en faveur des doctorants et les contrats CIFRE ont conduit à une augmentation relative des embauches. La Fondation EADS aide également, en amont, à se rapprocher du monde universitaire et à financer des actions.
Nous pourrons vous communiquer les chiffres exacts des embauches. J'ai en tête un taux de progression de celles-ci à deux chiffres.
Pas exclusivement. Elle est due au travail à faire, lequel a indéniablement été soutenu par le crédit d'impôt recherche.
Je vais vous donner un exemple de la démarche volontariste qui est la nôtre et vous montrer comment elle acquiert plus d'ampleur quand elle est accompagnée.
Il y a cinq ans, a été créée par les industriels majeurs de l'aéronautique et de l'espace la Fondation de recherche pour l'aéronautique et l'espace, afin de doper la recherche. Cette structure, dont j'assume la présidence, a réalisé aujourd'hui huit ou neuf appels à projets. Comme il s'agit d'une fondation d'intérêt public, la propriété intellectuelle appartient totalement aux laboratoires. Elle a été créée grâce à un abondement des industriels de 9 millions d'euros – dont 6 millions provenant d'EADS – et à un abondement d'un même montant de l'État. Ce dernier nous ayant fait savoir qu'il ne procéderait pas à un nouvel abondement, nous nous sommes concertés et avons décidé de proroger la Fondation même sans apport étatique. Nous consultons actuellement l'ANR pour savoir si elle peut nous accompagner sur certains appels à projets.
La recherche est pour nous fondamentale. La R&D représente 15 % de notre chiffre d'affaires. Il ne doit y avoir que la pharmacie qui ait un niveau de recherche de cet ordre. Avec ou sans accompagnement, il nous faut sans arrêt réinvestir dans ce domaine. Mais, quand nous bénéficions d'un accompagnement, comme avec le CIR, cela dope notre effort.
Nous connaissons dans le groupe des impacts très différents du CIR. Je citerai deux exemples : Airbus et Eurocopter.
Pour l'avionneur, les investissements en R&D sont tels que ce seuil de 100 millions d'euros est très largement dépassé. L'effet très incitatif de la mesure joue un rôle moteur dans la localisation en France des travaux de R&D, comme l'illustrent les arbitrages faits par Airbus pour adapter ses travaux de recherche à la période de crise économique.
Pour l'hélicoptériste, le CIR est une incitation forte à accélérer ses efforts en R&D. Nous allons annoncer dans quelques jours un investissement massif en R&D pour renouveler la gamme d'Eurocopter, ce qui devrait augmenter le montant de son CIR dans les prochaines années.
Pour finir, signalons que chez Astrium, le CIR a partiellement contrebalancé la baisse considérable du budget de R&D de la DGA.
C'est marginal.
Nous regrettons la rupture de charge qui existe dans la répartition de la recherche entre la part réalisée en propre et celle qui est déléguée ou sous-traitée à d'autres structures. Il existe deux seuils majeurs dans le crédit d'impôt recherche : le seuil de dépenses au-dessous duquel le CIR est de 30 % et au-dessus duquel il n'est plus que de 5 % – seuil qui est de 100 millions d'euros –, et le seuil de sous-traitance qualifiée que l'on peut déléguer à des structures innovantes, lequel n'est que de 12 millions d'euros. Cette dissymétrie du crédit d'impôt recherche est un peu pénalisante car, comme l'a souligné Jean-Marc Thomas, l'activité aéronautique repose sur un partenariat de l'ensemble de la filière et une équirépartition des efforts, qui suppose une équirépartition des soutiens.
J'imagine que vous souhaiteriez le relèvement du seuil de 12 millions sans qu'il soit touché à celui de 100 millions.
Oui, d'autant que notre principal concurrent se trouve outre-Atlantique et qu'il est massivement aidé par les pouvoirs publics. Pour lui, l'A400M est inimaginable, même en rêve.
Il ne faut pas oublier non plus qu'il n'a jamais accepté que nous soyons ce que nous sommes, et qu'il ne l'accepte pas plus aujourd'hui qu'hier.
Oui. Le développement de l'entreprise passe par une meilleure présence sur les marchés américains. Le contrat « Tankers » vient après deux premiers contrats gagnés par Eurocopter et Airbus Military. Il marquerait une étape importante dans cette progression. Sur ce cas particulier, je rappelle que nous avons gagné, à ce jour, toutes les compétitions internationales face à Boeing. La compétition américaine avait été gagnée par deux fois par EADS. Nous y retournons donc.
Pensez-vous qu'il faudra introduire un plafond de créance de CIR en fonction du taux global d'imposition des entreprises pour tenir compte de l'optimisation ?
Le crédit d'impôt recherche est une incitation pour accélérer la recherche. Le lier à des notions d'optimisation fiscale dénaturerait un peu cette perception. Nous n'y sommes pas favorables. Jusqu'à présent, le CIR a permis de soutenir les efforts de recherche, et même, comme nous l'avons souligné, d'accélérer des projets qui n'auraient pu voir le jour sans lui.
Le pôle de recherche Technocampus est un bel exemple de structure ayant bénéficié de l'ensemble des montages de soutien à la recherche. Il est né de l'association d'investissements régionaux et d'investissements privés : une vingtaine de millions d'euros ont été mis par l'industrie privée dans les locaux financés par la région pour créer, en partenariat avec l'ensemble des écoles et des industriels de la région, un pôle d'excellence dans les technologies composites. Nous avons insisté à plusieurs reprises sur ce qui était pour nous le caractère névralgique de cette structure, qui emploie des équipes de quelque 180 personnes, et dont la rapide montée en puissance est due à tout un ensemble de mesures incitatives dans lequel le crédit d'impôt recherche joue un rôle important.
Le CIR doit rester au plus près des projets de recherche afin d'y être réaffecté.
Seriez-vous favorables à un fléchage de la créance du crédit d'impôt recherche sur la recherche ?
Nous y sommes favorables.
Comme la recherche est pour nous le nerf de la guerre, flécher le CIR sur la recherche ne nous pose aucun problème.