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Commission des affaires étrangères

Séance du 30 juin 2010 à 18h20

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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Singapour et Malaisie : avenants aux conventions tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu

La séance est ouverte à dix-huit heures.

La commission examine, sur le rapport de M. Alain Néri, le projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Singapour tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur les revenus (n° 2322) et le projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Malaisie tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu (n° 2323).

PermalienPhoto de Alain Néri

En quelques semaines, notre commission a été saisie d'une vingtaine de projets de loi portant sur des accords relatifs à l'échange de renseignements fiscaux et de sept projets de loi relatifs à des avenants à des conventions fiscales, ayant aussi pour but de faciliter l'échange de renseignements fiscaux. Ce grand nombre d'accords ou d'avenants conclus avec des Etats ou des territoires considérés jusqu'ici comme non coopératifs est la conséquence des décisions prises dans le cadre du G20, selon lesquelles une juridiction qui signe douze accords ou avenants de ce type et s'engage à modifier en conséquence sa législation interne est inscrite sur la liste « blanche » de l'OCDE.

La France a donc contribué à ce que de nombreux Etats et territoires retrouvent une respectabilité internationale en accédant à cette liste « blanche » des Etats respectant les normes internationales en matière d'échange de renseignements fiscaux. Le fait que la signature de douze accords suffise pour quitter la liste « grise », sans même qu'il soit nécessaire que ces accords aient été ratifiés, est en elle-même contestable. L'est aussi le fait que les accords peuvent être signés avec n'importe quel autre Etat ou territoire, y compris si cette signature permet aussi à celui-ci d'accéder à la liste « blanche » et si les deux parties n'ont pas véritablement de relations économiques, financières ou humaines justifiant un tel accord.

Le présent rapport porte sur les projets de loi visant à autoriser l'approbation d'avenants aux conventions fiscales en vigueur entre la France et Singapour et entre la France et la Malaisie.

Singapour et la Malaisie sont tous les deux situés dans le Sud-Est asiatique et leurs économies présentent un certain nombre de points communs. Ils ont fondé une partie de leur succès sur l'attraction d'investissements directs étrangers, ce qui les rend très sensibles à la fois à la conjoncture mondiale et à la concurrence des autres Etats de la région, dont les moins développés offrent des conditions de production moins chères qu'eux.

Depuis son indépendance en 1965, Singapour connaît une réussite exceptionnelle : la croissance s'est établie, en moyenne, à 8 % par an et le niveau de vie atteint est celui d'un pays moderne et développé. Cette réussite économique s'explique par une ouverture commerciale hors du commun et par une stratégie volontariste d'attraction des investissements directs étrangers (IDE).

L'économie est fondée sur trois piliers : les activités manufacturières, notamment dans l'électronique, les activités de logistique et de communication, ainsi que les activités financières et de services aux entreprises – les services financiers ont représenté 13 % de son PIB en 2008. La cité-Etat a beaucoup misé sur son rôle d'hôte vis-à-vis de sociétés étrangères en offrant un environnement politique et social stable, une grande sécurité juridique et des infrastructures de tout premier ordre. En 2010, le pays est premier au classement de la Banque Mondiale pour la facilité à faire des affaires.

Cette très forte ouverture économique explique que la Cité-Etat ait fortement subi les effets de la crise économique mondiale en 2009 : ses exportations ont connu un repli sans précédent et le PIB a reculé de 2 points. Pour 2010 cependant, les prévisions officielles tablent sur un retour graduel de la croissance, entre 4,5 % et 6,5 %.

Si Singapour est un « dragon », la Malaisie est un « tigre », c'est-à-dire un « nouveau pays exportateur », dont la croissance de l'économie est liée à l'enrichissement des « dragons » de la région. Déjà relativement riche en 1960, la Malaisie a connu depuis une croissance soutenue de son économie (+ 6 % par an en moyenne), mais aussi de sa population (+ 2,3 % par an en moyenne depuis 1970 – soit près d'un triplement en quarante ans). Le secteur financier assurait 12 % de son PIB en 2008. La croissance du pays a été négative à hauteur de 1,7 % en 2009.

En effet, son économie est caractérisée par une forte connexion à l'activité économique mondiale. Cette situation date des années 80 et trouve son origine dans la volonté d'ouverture du pays pour contrer la petite taille de son marché interne de l'époque. Son intégration dans le commerce international et sa proximité géographique avec les autres grands acteurs asiatiques lui ont réussi sur de nombreux plans, mais le pays est également de fait très exposé aux chocs externes. Les investissements ont beaucoup baissé en 2009 mais le récent redémarrage de son économie laisse espérer un taux de croissance pour 2010 de l'ordre de 5 %.

Les entreprises françaises ont su tirer partie de l'ouverture des économies de Singapour et de Malaisie pour s'y implanter. Ils sont respectivement le premier et le deuxième partenaires commerciaux de la France au sein de l'Association des nations de l'Asie du sud-est (ASEAN). Notamment grâce à Airbus, nos échanges commerciaux bilatéraux sont excédentaires avec Singapour, à hauteur de près de 3,5 milliards d'euros, et quasiment équilibré avec la Malaisie, après une décennie de déficit. 450 entreprises françaises sont implantées à Singapour, et près de 200 en Malaisie.

Les deux pays ont figuré, un temps, sur la liste « grise » de l'OCDE pour Singapour, sur les listes « noire », puis « grise » pour la Malaisie, notamment à cause de la zone offshore de Labuan où les entreprises bénéficiaient de nombreux avantages fiscaux, auxquels s'ajoutaient des exigences en termes d'informations légales limitées à certaines activités et une obligation absolue de secret, y compris bancaire. Pour figurer sur la liste « blanche », chacun d'entre eux a signé les douze accords nécessaires, dont un avec la France.

Comme notre pays est lié à Singapour d'une part, à la Malaisie d'autre part, depuis plus de trente-cinq ans, par des conventions tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur les revenus qui comportent chacune un article consacré à l'échange de renseignements, il a été décidé, non pas de signer un accord spécifique sur l'échange de renseignements en matière fiscale, mais un avenant à ces conventions, afin de modifier les stipulations existantes. Le but est à la fois d'élargir leur champ d'application et de les rendre plus contraignantes.

Ainsi, alors que la convention limite actuellement les échanges de renseignements à l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, l'avenant prévoit qu'ils portent à l'avenir sur tous les impôts perçus par l'Etat ou les collectivités territoriales. La personne concernée n'a plus à être résidente dans l'un des Etats parties et les renseignements échangés ne seront plus seulement ceux dont l'Etat requis dispose déjà : il devra faire le nécessaire pour procurer à l'Etat requérant les informations demandées.

La rédaction des stipulations relatives aux cas dans lesquels une demande peut être refusée est inutilement compliquée et peu claire, mais il faut en retenir que ni le secret bancaire ni l'inutilité d'une information pour l'administration requise ne peuvent être un motif de refus de communication. Peuvent en revanche l'être la révélation d'un secret commercial, industriel ou professionnel ou le fait que la communication d'un renseignement serait contraire à l'ordre public. Les accords spécifiques aux échanges de renseignements prévoient les mêmes cas. De même aussi, les informations seront tenues secrètes et ne pourront être utilisées qu'aux fins fiscales prévues par l'avenant. Les législations internes de Singapour et de la Malaisie ont été modifiées, respectivement en octobre 2009 et février 2010, pour permettre les échanges conformément aux stipulations des avenants.

Ces avenants ont le même objet que les accords relatifs à l'échange de renseignements en matière fiscale, mais on remarquera néanmoins qu'ils se contentent de modifier la rédaction d'un article de la convention d'origine quand les nouveaux accords comportent une douzaine d'articles. Il est vrai que les conventions qu'ils modifient incluent déjà certaines des stipulations qui figurent dans les accords portant exclusivement sur l'échange de renseignements : c'est notamment le cas de l'article qui définit les termes employés ou de celui organisant la procédure amiable en cas de différends sur la mise en oeuvre des conventions.

En revanche, un certain nombre des stipulations incluses dans les accords est totalement absent des conventions amendées tendant à éviter les doubles impositions : pour ne citer que deux exemples, la possibilité d'associer des fonctionnaires d'un Etat à la conduite de contrôles fiscaux dans l'autre ou de les autoriser à interroger des personnes résidant dans l'autre Etat n'y figure pas ; aucun délai de réponse n'est fixé pour la partie requise, alors que des délais précis figurent dans les accords les plus récents portant sur l'échange de renseignements.

PermalienPhoto de Patrick Labaune

L'actualité politique malaise me préoccupe et m'incite à approuver les propos critiques du Rapporteur. Si j'en crois l'Encyclopedia Universalis, le chef de l'opposition malaise attendrait d'être jugé pour répondre d'une accusation – ou plutôt d'une allégation – de sodomie… Cependant, si la France s'abstient de ratifier ces deux avenants, je crains qu'elle n'adresse en réalité un mauvais signal aux autres Parties, qui pourraient en inférer que de tels textes sont inutiles. Or je les crois nécessaires.

PermalienPhoto de Jacques Remiller

Je souhaiterais que le Rapporteur éclaircisse les raisons de son abstention. Par ailleurs, pourquoi Singapour et la Malaisie ne se sont-ils « pas hâtés », comme vous l'avez dit, pour procéder à leur part des formalités de ratification ?

PermalienPhoto de Alain Néri

Bien que l'aboutissement, en France, des procédures nécessaires à l'entrée en vigueur des deux avenants soit vraisemblablement acquis, j'estime qu'un message d'abstention, dans un premier temps, revient à exprimer le souhait que les autres parties fassent preuve de plus de diligence et acceptent de signer des accords du même type avec un plus grand nombre d'Etats que le minimum requis par l'OCDE pour figurer sur la liste « blanche ». Cela étant, j'entends vos réflexions et j'admets que cette solution n'est peut-être pas la bonne.

PermalienPhoto de Martine Aurillac

Même si cette évaluation est par définition très difficile, dispose-t-on d'une estimation approximative du volume de l'évasion et de la fraude fiscales avec Singapour et la Malaisie au détriment de la France ?

PermalienPhoto de Alain Néri

Le Gouvernement, je le regrette, n'est pas capable de nous fournir une telle estimation.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Mes chers collègues, je vous invite à voter en faveur de ces deux projets de loi. Je rejoins à cet égard l'argumentation de notre collègue Patrick Labaune. Ces avenants, quoiqu'imparfaits, vont dans le sens d'un renforcement des échanges de renseignements fiscaux dont la France ne pourra que profiter. Le rapport montre d'ailleurs qu'il en coûte aux deux États concernés de devoir se plier à cette discipline pour sortir de la liste grise de l'OCDE.

La commission adopte successivement sans modification chacun des deux projets de loi (nos 2322 et 2323).

La séance est levée à dix-huit heures vingt.

Arabie saoudite : accord relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure et de défense civile

La séance est ouverte à dix-huit heures vingt.

La commission examine, sur le rapport de M. Jean-Marc Nesme, projet de loi, adopté, par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume d'Arabie saoudite relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure et de défense civile (n° 2318).

PermalienPhoto de Jean-Marc Nesme

Monsieur le Président, mes chers collègues, le Sénat a adopté, le 22 février dernier, le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et l'Arabie saoudite relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure et de défense civile. Nous l'examinons à notre tour cet après-midi. Ce texte est classique par son objet : nous examinons régulièrement des accords de ce type. Mais ce texte mérite toute notre attention, compte tenu des particularités du pays avec lequel il a été signé par la France. Je pense en particulier à la question terroriste. Car c'est cette question qui représente, en réalité, l'enjeu essentiel de l'accord qui nous est soumis. Un autre sujet est celui de la durée de la négociation de cet accord bilatéral, inhabituellement longue : la négociation a débuté en 1994 pour se conclure en 2008 seulement, et donner enfin à la coopération technique et opérationnelle franco-saoudienne en matière de sécurité intérieure la base juridique qui lui faisait défaut.

Je voudrais en préambule présenter brièvement l'état de la relation bilatérale franco-saoudienne, que je qualifierai de dense et de prometteuse à la fois. Les relations politiques bilatérales entre la France et l'Arabie saoudite s'inscrivent, depuis 1996, dans le cadre d'un « partenariat stratégique ». Le dialogue politique entre nos deux pays repose sur une convergence de vues sur la plupart des questions régionales et des relations personnelles de qualité au plus haut niveau. Les contacts bilatéraux sont nombreux. Le roi Abdallah est notamment attendu à Paris en juillet prochain pour inaugurer au Louvre, à l'invitation du Président Nicolas Sarkozy, l'exposition sur les trésors archéologiques d'Arabie saoudite. M. Hervé Morin, ministre de la Défense, se trouvait il y a quelques jours en Arabie saoudite et je note qu'à cette occasion le Roi Abdallah s'est livré à quelques déclarations « fracassantes » de politique étrangère, déniant par exemple toute existence légitime à Israël et à l'Iran. J'ajoute enfin que des relations suivies se mettent par ailleurs en place entre nos deux parlements.

Quant aux échanges commerciaux entre le France et le royaume saoudien, ils sont importants et caractérisés par un déficit structurel, du fait de nos achats d'hydrocarbures. L'Arabie est notre troisième fournisseur de pétrole après la Norvège et la Russie. En 2007, nos exportations ont atteint 1,9 milliard d'euros et nos importations 2,9 milliards d'euros. Avec une part de marché évoluant entre 4 et 5 %, la France se situe au septième rang des fournisseurs du royaume. Celui-ci est notre troisième client dans la région après les Émirats arabes unis et l'Iran. Notre position en matière d'investissements, au huitième rang, reste insuffisante en dépit de progrès enregistrés par des sociétés comme Danone, Perrier ou Saint-Gobain. D'âpres discussions sont actuellement en cours autour du projet de train à grande vitesse entre les deux lieux saints que sont La Mecque et Médine ; Alstom est sur les rangs.

La signature d'un accord de coopération dans le secteur du pétrole, du gaz et des ressources minières, en janvier 2008, à l'occasion de la visite du Président de la République à Riyad, a par ailleurs renforcé notre coopération bilatérale dans le domaine de l'énergie. Enfin, une soixantaine de sociétés françaises sont présentes dans les secteurs de l'armement, de l'électricité, des services et des communications.

La coopération franco-saoudienne dans les champs culturel, scientifique et technique progresse quant à elle de manière satisfaisante. Elle se concentre dans des secteurs de pointe – médecine, environnement, eau, qualité de l'air, santé –, en matière de formation. La relation franco-saoudienne se décline donc dans toutes les dimensions de la coopération bilatérale ; elle est à la fois importante et riche de développements potentiels de grande ampleur. Pour autant, très rares sont les sujets d'échange et de coopération entre nos deux pays qui revêtent un caractère aussi sensible que la lutte antiterroriste.

L'Arabie saoudite, naguère accusée de complaisance, participe aujourd'hui activement à la lutte antiterroriste. Bien que le phénomène soit en régression, la principale préoccupation du Royaume saoudien demeure le terrorisme. Si l'Arabie saoudite a « beaucoup à se faire pardonner » en matière de complaisance passée avec les terroristes islamistes, qu'on appelle sur place « les égarés », elle a aussi beaucoup de circonstances atténuantes.

Les Saoudiens peuvent difficilement nier que l'idéologie des membres d'Al Qaïda soit un produit indirect de la doctrine religieuse officielle qui prévaut dans le Royaume. Les dérives passées de l'action caritative et des organisations non gouvernementales et institutionnelles saoudiennes sont connues et, même si elles sont soumises à un contrôle dorénavant plus rigoureux, l'Arabie saoudite a fourni en Afghanistan le plus gros contingent de djihadistes et il en a été de même en Irak. Des membres d'Al Qaïda ont regagné la péninsule arabique, aguerris et fortement impliqués dans la cause djihadiste. Ils se sont alors assigné le but de chasser ce qu'ils appellent les « forces croisées », à savoir les soldats non musulmans et occidentaux présents sur « la Terre Sainte de l'islam ».

Mais il faut bien reconnaître que la conception militante et offensive passée de l'islam saoudien a été largement instrumentalisée par l'Occident en Afghanistan, ce qui a contribué à la mise en place d'Al Qaïda. De plus, les circuits financiers actuels du terrorisme international quittent très rapidement le sol saoudien et cessent ainsi d'être contrôlables par ce pays. Gardons-nous donc d'accuser le régime de complaisance aujourd'hui. Rappelons-nous que ce sont d'abord les pays occidentaux – États-Unis et pays européens – qui ont financé, entraîné et armé les fondamentalistes musulmans pour les aider à combattre les communistes soviétiques en Afghanistan. À cette fin, les États-Unis ont sollicité leurs alliés des pays du Golfe pour participer au financement et à l'encadrement. Cependant, une fois les Soviétiques battus en Afghanistan, les résistants afghans se sont transformés en terroristes dès lors qu'ayant pris conscience de leurs capacités, ils ont décidé de poursuivre la lutte dans le but de prendre le contrôle des deux lieux saints musulmans les plus importants – La Mecque et Médine – et d'imposer leur fanatisme à l'Occident.

Si jusqu'au 18 mars 2003, date à laquelle un artificier saoudien s'est tué accidentellement à Riyad lors de la fabrication d'une bombe, les autorités locales niaient toute action terroriste dans le royaume, ils se sont vite ressaisis et ont su reprendre la main. L'une des erreurs principales du mouvement « Al Qaïda pour la péninsule arabique » a été, dès fin 2003, d'attaquer directement des membres des forces de sécurité saoudiennes et leurs familles. Cela a eu pour effet de mobiliser les énergies au sein des services de sécurité, le Gouvernement ayant su leur donner les moyens matériels nécessaires. Les succès policiers se sont alors multipliés, amenant le démantèlement quasi complet d'Al Qaïda pour la péninsule arabique. L'action du Prince Mohamed bin Nayef, ministre adjoint chargé de la sécurité, a été déterminante à cet égard. Depuis les « années de sang », de 2002 à 2004, la situation est revenue à la normale et si la menace n'a pas disparu, les actions terroristes sont moins fréquentes et les quelques cellules qui tentent de se reconstruire sont rapidement découvertes et démantelées. La sécurité constitue la priorité de la famille régnante des Al Saoud, en tant que condition préalable indispensable aux réformes lancées par le Roi Abdallah depuis 2005.

Depuis 1990, il y a eu 101 attentats terroristes en Arabie saoudite, lesquels ont causé la mort de 939 personnes et en ont blessé 1 317. Il y a eu 26 attaques contre des occidentaux, entraînant 87 morts et 524 blessés. De 2003 à 2009, il y a eu 38 affrontements violents entre des groupes d'Al Qaïda et les forces de sécurité, au cours desquels 32 terroristes ont été abattus et 4 policiers tués.

Le principal danger vient maintenant de la recrudescence des adeptes du takfirisme dans le royaume. Méconnu en Occident, ce mouvement extrémiste sunnite a été créé en 1971, après la défaite militaire de l'Égypte contre Israël. Il vise la disparition de toute société non musulmane, mais aussi de tout musulman non pratiquant, qualifié d'infidèle. Ce mouvement livre donc une véritable guerre à l'Occident et à tous les musulmans dits « infidèles » ; il s'agit de l'un des plus grands dangers de déstabilisation en Arabie saoudite aujourd'hui. Les adeptes du takfirisme sont souvent d'anciens membres ou sympathisants d'Al Qaïda qui considèrent que cette organisation n'est plus aussi efficace que naguère. Leur structure familiale et leur mode d'action spontané les rendent imprévisibles et difficilement détectables par les forces de sécurité.

Je n'oublie pas non plus que 15 des 19 terroristes ayant participé aux attentats du 11 septembre 2001 étaient saoudiens. C'est à partir de ces événements que les pressions des pays occidentaux ont conduit les Saoudiens à accroître leur action au niveau national pour tempérer le zèle et le militantisme islamiques d'une partie de la population. Le régime actuel craint ainsi de plus en plus fortement d'être renversé par des extrémistes islamistes. Ont donc été menées des actions vigoureuses à l'encontre de prédicateurs trop virulents, mais aussi pour éviter le financement du terrorisme par détournement des dons des fidèles, pour lutter contre certaines fondations impliquées dans le terrorisme, ou encore pour mieux surveiller les universités islamiques.

Par ailleurs, les autorités saoudiennes ont mis au point un intéressant programme de rééducation des « égarés », destiné dans un premier temps aux anciens détenus rapatriés de Guantanamo et ouvert maintenant aux djihadistes revenus d'Irak ainsi qu'aux auteurs d'actions terroristes commises dans le Royaume. L'efficacité de ces mesures s'est traduite par ce que l'on peut aujourd'hui appeler une « sanctuarisation de fait » de l'Arabie saoudite, qui est devenue inhospitalière pour les éléments les plus radicaux, lesquels se sont repliés au Yémen et dans quelques autres États de la région. Mon rapport écrit comporte davantage de détails sur l'évolution de la menace terroriste localement et sur l'action des forces saoudiennes dans ce contexte. En définitive, la coopération dans la lutte antiterroriste n'est pas seulement nécessaire ; elle est vitale.

Je terminerai en présentant brièvement l'accord de sécurité intérieure soumis à notre approbation. C'est en 1994 que les autorités saoudiennes ont souhaité renégocier les protocoles d'accord existants de 1980 et de 1987 pour en étendre les dispositions relatives à la coopération technique, dont l'Arabie saoudite a le plus grand besoin pour lutter contre le terrorisme sur son propre territoire. La France a alors souhaité y ajouter une coopération opérationnelle.

À l'origine, la signature de l'accord de coopération était liée à l'attribution à la France du contrat portant sur la sécurisation des frontières saoudiennes. L'importance des montants en jeu et la sensibilité du sujet expliquent qu'une rupture se soit produite en 2004. La partie saoudienne a alors découpé le projet en lots et l'a ouvert à la concurrence. En juin 2009, le gouvernement saoudien a finalement décidé d'attribuer le projet au consortium mené par EADS et son partenaire saoudien Al Rashid. Le premier projet d'accord de coopération bilatérale en matière de sécurité intérieure a ainsi été transmis par l'Arabie saoudite à la France dès 1995. Après de nombreux allers-retours entre les deux parties, ce n'est qu'en octobre 2007 qu'un projet français a été transmis officiellement à nos partenaires saoudiens. L'accord a été signé le 25 février 2008, lors de la visite en Arabie saoudite du ministre de l'Intérieur, alors Madame Michèle Alliot-Marie.

Le texte que nous examinons est un accord intergouvernemental, tandis que les textes de 1980 et de 1987 n'étaient que des protocoles qui instituaient un bureau de liaison sans existence diplomatique. L'accord de 2008 assure une bien meilleure sécurité juridique, à tous points de vue. Selon les éléments fournis par le ministère de l'Intérieur, cet accord ne présente pas de différence notable avec les autres accords bilatéraux de sécurité intérieure signés par la France. Deux points méritent toutefois d'être soulignés : d'une part, le fait que l'accord ne prévoie pas d'article concernant l'échange de données personnelles. Cette omission est commune aux accords de sécurité intérieure passés avec des États n'offrant pas des garanties de protection des données équivalentes à celles exigées par le droit communautaire et le droit français. Deuxième particularité : le fait qu'à ce jour, l'Arabie saoudite ait toujours intégralement financé les actions de formation conduites à son profit par la France, soit sur le territoire saoudien, soit sur le territoire français.

Pour le reste, les stipulations sont des plus classiques : l'article 1er fixe le vaste champ de la coopération. Y figure notamment la cybercriminalité, dont on sait, depuis l'affaire Clearstream, toutes les implications qu'elle peut avoir. L'article 3 définit les différentes formes pratiques de al coopération ; l'article 4 encadre l'échange d'informations ; les articles 2, 5 et 6 portent sur les modalités de mise en oeuvre de l'accord et comportent une clause de sauvegarde ; l'article 7 garantit le traitement confidentiel des informations échangées ; les articles 8, 9 et 10 comportent les clauses finales habituelles pour l'entrée en vigueur de l'accord. Ratifié par la Partie saoudienne en 2009, cet accord n'attend plus que l'accomplissement des procédures d'approbation par la Partie française pour entrer en vigueur. Je juge hautement souhaitable l'adoption de ce projet de loi par notre commission. C'est l'intérêt des deux Parties, et même du monde occidental.

Bien au-delà de ce texte, nous gagnerions certainement à examiner de plus près, notamment à la lumière du cas saoudien, la question du poids des religions dans les relations internationales à l'heure actuelle. Notre commission l'avait bien compris ainsi, lorsque nous avions entendu le nouveau responsable du pôle « religions » à la direction de la Prospective du quai d'Orsay, M. Joseph Maïla, le 13 janvier dernier. Je saisis cette occasion qui m'est ici donnée de plaider publiquement pour que cette audition ne reste pas isolée et que la commission engage un vrai travail de réflexion sur ce thème difficile mais tout à fait crucial dans le monde contemporain.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Je note votre demande relative à la création d'une mission d'information sur le poids des religions dans les relations internationales, et j'ai bien reçu votre courrier en ce sens.

PermalienPhoto de Jacques Remiller

Quels sont les autres pays avec lesquels l'Arabie saoudite a signé des accords de coopération en matière de sécurité intérieure ? Je pense notamment à l'Irak, à l'Afghanistan ou à l'Iran.

Par ailleurs, l'accord porte également sur la lutte contre la fraude et la contrefaçon. L'Arabie saoudite est réputée pour être un centre important en ce domaine. Avez-vous des informations sur ce sujet ?

PermalienPhoto de Jean-Marc Nesme

D'après les renseignements que j'ai obtenus, il apparaît que l'Arabie saoudite n'est pas un pays qui abrite sur son territoire des centres de production de produits contrefaits mais en revanche, ce type de produits circule abondamment sur le territoire saoudien.

De nombreux autres pays ont signé un accord de coopération en matière de sécurité intérieure avec l'Arabie Saoudite : le Royaume-Uni, Oman, le Yémen, l'Iran, le Soudan, la Turquie, la Chine, l'Inde, l'Italie, la Pologne, le Tchad, les États-Unis, l'Allemagne et la Malaisie. Toutefois, si l'Iran a signé un tel accord en 2001, l'évolution de ce pays a considérablement dégradé les relations irano-saoudiennes, très conflictuelles aujourd'hui. Par conséquent je doute fort que la coopération entre ces deux pays soit aujourd'hui une réalité.

Ce qui compte en revanche, c'est que d'autres pays occidentaux aient signé ce type d'accord avec l'Arabie saoudite. Cela souligne notre intérêt commun à éviter qu'un nouveau foyer terroriste ne se développe dans la région.

PermalienPhoto de Patrick Labaune

En août 2009, le ministre de l'intérieur saoudien, le prince Mohammed bin Nayef Al Saoud, a échappé à un attentat commis par Al Qaïda, et pas par les takfiristes. Ces derniers sont-ils réellement les seuls terroristes présents ?

PermalienPhoto de Jean-Marc Nesme

Il y a une osmose entre ces deux mouvements. Je dirais que les takfiristes représentent en quelque sorte la branche la plus radicale d'Al Qaïda, en critiquant l'inefficacité de ce mouvement.

PermalienPhoto de Patrick Labaune

Je pensais que nous avions déjà des accords de coopération en matière de sécurité avec l'Arabie saoudite, puisque le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale était intervenu à La Mecque il y a plusieurs années.

PermalienPhoto de Jean-Marc Nesme

Des accords existaient déjà dans ce domaine, signés en 1980 et 1987, mais le présent texte permet de donner un fondement juridique plus sécurisé à notre relation en la matière avec l'Arabie saoudite.

PermalienPhoto de Jean-Michel Boucheron

Vous avez dit que les Américains et les Européens avaient armé les djihadistes afghans contre l'armée soviétique ; en clair, que nous avions soutenu les talibans. Je tiens à corriger cette affirmation : les Américains l'ont fait, pas les Européens. Nous n'avons soutenu que l'Alliance du Nord du commandant Massoud.

PermalienPhoto de Jean-Marc Nesme

Je m'incline devant votre expertise sur cette question.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Cet accord me paraît très important car il permet de développer les relations entre les forces de police de nos deux États, et autorise l'organisation de formations par des Français sur le sol saoudien, ce qui est nouveau.

Par ailleurs, un tel accord ouvre aux entreprises françaises les marchés du ministère de l'Intérieur saoudien, alors que nous étions jusqu'à présent cantonnés aux seuls marchés du ministère de la Défense. Cet accord, en plus de développer notre relation politique, permet donc d'élargir nos intérêts industriels, et d'entrer en concurrence, sur le marché de la sécurité intérieure, avec les firmes américaines et britanniques.

La commission adopte sans modification le projet de loi (no 2318).

La séance est levée à dix-huit heures quarante cinq.