En quelques semaines, notre commission a été saisie d'une vingtaine de projets de loi portant sur des accords relatifs à l'échange de renseignements fiscaux et de sept projets de loi relatifs à des avenants à des conventions fiscales, ayant aussi pour but de faciliter l'échange de renseignements fiscaux. Ce grand nombre d'accords ou d'avenants conclus avec des Etats ou des territoires considérés jusqu'ici comme non coopératifs est la conséquence des décisions prises dans le cadre du G20, selon lesquelles une juridiction qui signe douze accords ou avenants de ce type et s'engage à modifier en conséquence sa législation interne est inscrite sur la liste « blanche » de l'OCDE.
La France a donc contribué à ce que de nombreux Etats et territoires retrouvent une respectabilité internationale en accédant à cette liste « blanche » des Etats respectant les normes internationales en matière d'échange de renseignements fiscaux. Le fait que la signature de douze accords suffise pour quitter la liste « grise », sans même qu'il soit nécessaire que ces accords aient été ratifiés, est en elle-même contestable. L'est aussi le fait que les accords peuvent être signés avec n'importe quel autre Etat ou territoire, y compris si cette signature permet aussi à celui-ci d'accéder à la liste « blanche » et si les deux parties n'ont pas véritablement de relations économiques, financières ou humaines justifiant un tel accord.
Le présent rapport porte sur les projets de loi visant à autoriser l'approbation d'avenants aux conventions fiscales en vigueur entre la France et Singapour et entre la France et la Malaisie.
Singapour et la Malaisie sont tous les deux situés dans le Sud-Est asiatique et leurs économies présentent un certain nombre de points communs. Ils ont fondé une partie de leur succès sur l'attraction d'investissements directs étrangers, ce qui les rend très sensibles à la fois à la conjoncture mondiale et à la concurrence des autres Etats de la région, dont les moins développés offrent des conditions de production moins chères qu'eux.
Depuis son indépendance en 1965, Singapour connaît une réussite exceptionnelle : la croissance s'est établie, en moyenne, à 8 % par an et le niveau de vie atteint est celui d'un pays moderne et développé. Cette réussite économique s'explique par une ouverture commerciale hors du commun et par une stratégie volontariste d'attraction des investissements directs étrangers (IDE).
L'économie est fondée sur trois piliers : les activités manufacturières, notamment dans l'électronique, les activités de logistique et de communication, ainsi que les activités financières et de services aux entreprises – les services financiers ont représenté 13 % de son PIB en 2008. La cité-Etat a beaucoup misé sur son rôle d'hôte vis-à-vis de sociétés étrangères en offrant un environnement politique et social stable, une grande sécurité juridique et des infrastructures de tout premier ordre. En 2010, le pays est premier au classement de la Banque Mondiale pour la facilité à faire des affaires.
Cette très forte ouverture économique explique que la Cité-Etat ait fortement subi les effets de la crise économique mondiale en 2009 : ses exportations ont connu un repli sans précédent et le PIB a reculé de 2 points. Pour 2010 cependant, les prévisions officielles tablent sur un retour graduel de la croissance, entre 4,5 % et 6,5 %.
Si Singapour est un « dragon », la Malaisie est un « tigre », c'est-à-dire un « nouveau pays exportateur », dont la croissance de l'économie est liée à l'enrichissement des « dragons » de la région. Déjà relativement riche en 1960, la Malaisie a connu depuis une croissance soutenue de son économie (+ 6 % par an en moyenne), mais aussi de sa population (+ 2,3 % par an en moyenne depuis 1970 – soit près d'un triplement en quarante ans). Le secteur financier assurait 12 % de son PIB en 2008. La croissance du pays a été négative à hauteur de 1,7 % en 2009.
En effet, son économie est caractérisée par une forte connexion à l'activité économique mondiale. Cette situation date des années 80 et trouve son origine dans la volonté d'ouverture du pays pour contrer la petite taille de son marché interne de l'époque. Son intégration dans le commerce international et sa proximité géographique avec les autres grands acteurs asiatiques lui ont réussi sur de nombreux plans, mais le pays est également de fait très exposé aux chocs externes. Les investissements ont beaucoup baissé en 2009 mais le récent redémarrage de son économie laisse espérer un taux de croissance pour 2010 de l'ordre de 5 %.
Les entreprises françaises ont su tirer partie de l'ouverture des économies de Singapour et de Malaisie pour s'y implanter. Ils sont respectivement le premier et le deuxième partenaires commerciaux de la France au sein de l'Association des nations de l'Asie du sud-est (ASEAN). Notamment grâce à Airbus, nos échanges commerciaux bilatéraux sont excédentaires avec Singapour, à hauteur de près de 3,5 milliards d'euros, et quasiment équilibré avec la Malaisie, après une décennie de déficit. 450 entreprises françaises sont implantées à Singapour, et près de 200 en Malaisie.
Les deux pays ont figuré, un temps, sur la liste « grise » de l'OCDE pour Singapour, sur les listes « noire », puis « grise » pour la Malaisie, notamment à cause de la zone offshore de Labuan où les entreprises bénéficiaient de nombreux avantages fiscaux, auxquels s'ajoutaient des exigences en termes d'informations légales limitées à certaines activités et une obligation absolue de secret, y compris bancaire. Pour figurer sur la liste « blanche », chacun d'entre eux a signé les douze accords nécessaires, dont un avec la France.
Comme notre pays est lié à Singapour d'une part, à la Malaisie d'autre part, depuis plus de trente-cinq ans, par des conventions tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur les revenus qui comportent chacune un article consacré à l'échange de renseignements, il a été décidé, non pas de signer un accord spécifique sur l'échange de renseignements en matière fiscale, mais un avenant à ces conventions, afin de modifier les stipulations existantes. Le but est à la fois d'élargir leur champ d'application et de les rendre plus contraignantes.
Ainsi, alors que la convention limite actuellement les échanges de renseignements à l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, l'avenant prévoit qu'ils portent à l'avenir sur tous les impôts perçus par l'Etat ou les collectivités territoriales. La personne concernée n'a plus à être résidente dans l'un des Etats parties et les renseignements échangés ne seront plus seulement ceux dont l'Etat requis dispose déjà : il devra faire le nécessaire pour procurer à l'Etat requérant les informations demandées.
La rédaction des stipulations relatives aux cas dans lesquels une demande peut être refusée est inutilement compliquée et peu claire, mais il faut en retenir que ni le secret bancaire ni l'inutilité d'une information pour l'administration requise ne peuvent être un motif de refus de communication. Peuvent en revanche l'être la révélation d'un secret commercial, industriel ou professionnel ou le fait que la communication d'un renseignement serait contraire à l'ordre public. Les accords spécifiques aux échanges de renseignements prévoient les mêmes cas. De même aussi, les informations seront tenues secrètes et ne pourront être utilisées qu'aux fins fiscales prévues par l'avenant. Les législations internes de Singapour et de la Malaisie ont été modifiées, respectivement en octobre 2009 et février 2010, pour permettre les échanges conformément aux stipulations des avenants.
Ces avenants ont le même objet que les accords relatifs à l'échange de renseignements en matière fiscale, mais on remarquera néanmoins qu'ils se contentent de modifier la rédaction d'un article de la convention d'origine quand les nouveaux accords comportent une douzaine d'articles. Il est vrai que les conventions qu'ils modifient incluent déjà certaines des stipulations qui figurent dans les accords portant exclusivement sur l'échange de renseignements : c'est notamment le cas de l'article qui définit les termes employés ou de celui organisant la procédure amiable en cas de différends sur la mise en oeuvre des conventions.
En revanche, un certain nombre des stipulations incluses dans les accords est totalement absent des conventions amendées tendant à éviter les doubles impositions : pour ne citer que deux exemples, la possibilité d'associer des fonctionnaires d'un Etat à la conduite de contrôles fiscaux dans l'autre ou de les autoriser à interroger des personnes résidant dans l'autre Etat n'y figure pas ; aucun délai de réponse n'est fixé pour la partie requise, alors que des délais précis figurent dans les accords les plus récents portant sur l'échange de renseignements.