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Intervention de Jean-Marc Nesme

Réunion du 30 juin 2010 à 18h20
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Marc Nesme, rapporteur :

Monsieur le Président, mes chers collègues, le Sénat a adopté, le 22 février dernier, le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et l'Arabie saoudite relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure et de défense civile. Nous l'examinons à notre tour cet après-midi. Ce texte est classique par son objet : nous examinons régulièrement des accords de ce type. Mais ce texte mérite toute notre attention, compte tenu des particularités du pays avec lequel il a été signé par la France. Je pense en particulier à la question terroriste. Car c'est cette question qui représente, en réalité, l'enjeu essentiel de l'accord qui nous est soumis. Un autre sujet est celui de la durée de la négociation de cet accord bilatéral, inhabituellement longue : la négociation a débuté en 1994 pour se conclure en 2008 seulement, et donner enfin à la coopération technique et opérationnelle franco-saoudienne en matière de sécurité intérieure la base juridique qui lui faisait défaut.

Je voudrais en préambule présenter brièvement l'état de la relation bilatérale franco-saoudienne, que je qualifierai de dense et de prometteuse à la fois. Les relations politiques bilatérales entre la France et l'Arabie saoudite s'inscrivent, depuis 1996, dans le cadre d'un « partenariat stratégique ». Le dialogue politique entre nos deux pays repose sur une convergence de vues sur la plupart des questions régionales et des relations personnelles de qualité au plus haut niveau. Les contacts bilatéraux sont nombreux. Le roi Abdallah est notamment attendu à Paris en juillet prochain pour inaugurer au Louvre, à l'invitation du Président Nicolas Sarkozy, l'exposition sur les trésors archéologiques d'Arabie saoudite. M. Hervé Morin, ministre de la Défense, se trouvait il y a quelques jours en Arabie saoudite et je note qu'à cette occasion le Roi Abdallah s'est livré à quelques déclarations « fracassantes » de politique étrangère, déniant par exemple toute existence légitime à Israël et à l'Iran. J'ajoute enfin que des relations suivies se mettent par ailleurs en place entre nos deux parlements.

Quant aux échanges commerciaux entre le France et le royaume saoudien, ils sont importants et caractérisés par un déficit structurel, du fait de nos achats d'hydrocarbures. L'Arabie est notre troisième fournisseur de pétrole après la Norvège et la Russie. En 2007, nos exportations ont atteint 1,9 milliard d'euros et nos importations 2,9 milliards d'euros. Avec une part de marché évoluant entre 4 et 5 %, la France se situe au septième rang des fournisseurs du royaume. Celui-ci est notre troisième client dans la région après les Émirats arabes unis et l'Iran. Notre position en matière d'investissements, au huitième rang, reste insuffisante en dépit de progrès enregistrés par des sociétés comme Danone, Perrier ou Saint-Gobain. D'âpres discussions sont actuellement en cours autour du projet de train à grande vitesse entre les deux lieux saints que sont La Mecque et Médine ; Alstom est sur les rangs.

La signature d'un accord de coopération dans le secteur du pétrole, du gaz et des ressources minières, en janvier 2008, à l'occasion de la visite du Président de la République à Riyad, a par ailleurs renforcé notre coopération bilatérale dans le domaine de l'énergie. Enfin, une soixantaine de sociétés françaises sont présentes dans les secteurs de l'armement, de l'électricité, des services et des communications.

La coopération franco-saoudienne dans les champs culturel, scientifique et technique progresse quant à elle de manière satisfaisante. Elle se concentre dans des secteurs de pointe – médecine, environnement, eau, qualité de l'air, santé –, en matière de formation. La relation franco-saoudienne se décline donc dans toutes les dimensions de la coopération bilatérale ; elle est à la fois importante et riche de développements potentiels de grande ampleur. Pour autant, très rares sont les sujets d'échange et de coopération entre nos deux pays qui revêtent un caractère aussi sensible que la lutte antiterroriste.

L'Arabie saoudite, naguère accusée de complaisance, participe aujourd'hui activement à la lutte antiterroriste. Bien que le phénomène soit en régression, la principale préoccupation du Royaume saoudien demeure le terrorisme. Si l'Arabie saoudite a « beaucoup à se faire pardonner » en matière de complaisance passée avec les terroristes islamistes, qu'on appelle sur place « les égarés », elle a aussi beaucoup de circonstances atténuantes.

Les Saoudiens peuvent difficilement nier que l'idéologie des membres d'Al Qaïda soit un produit indirect de la doctrine religieuse officielle qui prévaut dans le Royaume. Les dérives passées de l'action caritative et des organisations non gouvernementales et institutionnelles saoudiennes sont connues et, même si elles sont soumises à un contrôle dorénavant plus rigoureux, l'Arabie saoudite a fourni en Afghanistan le plus gros contingent de djihadistes et il en a été de même en Irak. Des membres d'Al Qaïda ont regagné la péninsule arabique, aguerris et fortement impliqués dans la cause djihadiste. Ils se sont alors assigné le but de chasser ce qu'ils appellent les « forces croisées », à savoir les soldats non musulmans et occidentaux présents sur « la Terre Sainte de l'islam ».

Mais il faut bien reconnaître que la conception militante et offensive passée de l'islam saoudien a été largement instrumentalisée par l'Occident en Afghanistan, ce qui a contribué à la mise en place d'Al Qaïda. De plus, les circuits financiers actuels du terrorisme international quittent très rapidement le sol saoudien et cessent ainsi d'être contrôlables par ce pays. Gardons-nous donc d'accuser le régime de complaisance aujourd'hui. Rappelons-nous que ce sont d'abord les pays occidentaux – États-Unis et pays européens – qui ont financé, entraîné et armé les fondamentalistes musulmans pour les aider à combattre les communistes soviétiques en Afghanistan. À cette fin, les États-Unis ont sollicité leurs alliés des pays du Golfe pour participer au financement et à l'encadrement. Cependant, une fois les Soviétiques battus en Afghanistan, les résistants afghans se sont transformés en terroristes dès lors qu'ayant pris conscience de leurs capacités, ils ont décidé de poursuivre la lutte dans le but de prendre le contrôle des deux lieux saints musulmans les plus importants – La Mecque et Médine – et d'imposer leur fanatisme à l'Occident.

Si jusqu'au 18 mars 2003, date à laquelle un artificier saoudien s'est tué accidentellement à Riyad lors de la fabrication d'une bombe, les autorités locales niaient toute action terroriste dans le royaume, ils se sont vite ressaisis et ont su reprendre la main. L'une des erreurs principales du mouvement « Al Qaïda pour la péninsule arabique » a été, dès fin 2003, d'attaquer directement des membres des forces de sécurité saoudiennes et leurs familles. Cela a eu pour effet de mobiliser les énergies au sein des services de sécurité, le Gouvernement ayant su leur donner les moyens matériels nécessaires. Les succès policiers se sont alors multipliés, amenant le démantèlement quasi complet d'Al Qaïda pour la péninsule arabique. L'action du Prince Mohamed bin Nayef, ministre adjoint chargé de la sécurité, a été déterminante à cet égard. Depuis les « années de sang », de 2002 à 2004, la situation est revenue à la normale et si la menace n'a pas disparu, les actions terroristes sont moins fréquentes et les quelques cellules qui tentent de se reconstruire sont rapidement découvertes et démantelées. La sécurité constitue la priorité de la famille régnante des Al Saoud, en tant que condition préalable indispensable aux réformes lancées par le Roi Abdallah depuis 2005.

Depuis 1990, il y a eu 101 attentats terroristes en Arabie saoudite, lesquels ont causé la mort de 939 personnes et en ont blessé 1 317. Il y a eu 26 attaques contre des occidentaux, entraînant 87 morts et 524 blessés. De 2003 à 2009, il y a eu 38 affrontements violents entre des groupes d'Al Qaïda et les forces de sécurité, au cours desquels 32 terroristes ont été abattus et 4 policiers tués.

Le principal danger vient maintenant de la recrudescence des adeptes du takfirisme dans le royaume. Méconnu en Occident, ce mouvement extrémiste sunnite a été créé en 1971, après la défaite militaire de l'Égypte contre Israël. Il vise la disparition de toute société non musulmane, mais aussi de tout musulman non pratiquant, qualifié d'infidèle. Ce mouvement livre donc une véritable guerre à l'Occident et à tous les musulmans dits « infidèles » ; il s'agit de l'un des plus grands dangers de déstabilisation en Arabie saoudite aujourd'hui. Les adeptes du takfirisme sont souvent d'anciens membres ou sympathisants d'Al Qaïda qui considèrent que cette organisation n'est plus aussi efficace que naguère. Leur structure familiale et leur mode d'action spontané les rendent imprévisibles et difficilement détectables par les forces de sécurité.

Je n'oublie pas non plus que 15 des 19 terroristes ayant participé aux attentats du 11 septembre 2001 étaient saoudiens. C'est à partir de ces événements que les pressions des pays occidentaux ont conduit les Saoudiens à accroître leur action au niveau national pour tempérer le zèle et le militantisme islamiques d'une partie de la population. Le régime actuel craint ainsi de plus en plus fortement d'être renversé par des extrémistes islamistes. Ont donc été menées des actions vigoureuses à l'encontre de prédicateurs trop virulents, mais aussi pour éviter le financement du terrorisme par détournement des dons des fidèles, pour lutter contre certaines fondations impliquées dans le terrorisme, ou encore pour mieux surveiller les universités islamiques.

Par ailleurs, les autorités saoudiennes ont mis au point un intéressant programme de rééducation des « égarés », destiné dans un premier temps aux anciens détenus rapatriés de Guantanamo et ouvert maintenant aux djihadistes revenus d'Irak ainsi qu'aux auteurs d'actions terroristes commises dans le Royaume. L'efficacité de ces mesures s'est traduite par ce que l'on peut aujourd'hui appeler une « sanctuarisation de fait » de l'Arabie saoudite, qui est devenue inhospitalière pour les éléments les plus radicaux, lesquels se sont repliés au Yémen et dans quelques autres États de la région. Mon rapport écrit comporte davantage de détails sur l'évolution de la menace terroriste localement et sur l'action des forces saoudiennes dans ce contexte. En définitive, la coopération dans la lutte antiterroriste n'est pas seulement nécessaire ; elle est vitale.

Je terminerai en présentant brièvement l'accord de sécurité intérieure soumis à notre approbation. C'est en 1994 que les autorités saoudiennes ont souhaité renégocier les protocoles d'accord existants de 1980 et de 1987 pour en étendre les dispositions relatives à la coopération technique, dont l'Arabie saoudite a le plus grand besoin pour lutter contre le terrorisme sur son propre territoire. La France a alors souhaité y ajouter une coopération opérationnelle.

À l'origine, la signature de l'accord de coopération était liée à l'attribution à la France du contrat portant sur la sécurisation des frontières saoudiennes. L'importance des montants en jeu et la sensibilité du sujet expliquent qu'une rupture se soit produite en 2004. La partie saoudienne a alors découpé le projet en lots et l'a ouvert à la concurrence. En juin 2009, le gouvernement saoudien a finalement décidé d'attribuer le projet au consortium mené par EADS et son partenaire saoudien Al Rashid. Le premier projet d'accord de coopération bilatérale en matière de sécurité intérieure a ainsi été transmis par l'Arabie saoudite à la France dès 1995. Après de nombreux allers-retours entre les deux parties, ce n'est qu'en octobre 2007 qu'un projet français a été transmis officiellement à nos partenaires saoudiens. L'accord a été signé le 25 février 2008, lors de la visite en Arabie saoudite du ministre de l'Intérieur, alors Madame Michèle Alliot-Marie.

Le texte que nous examinons est un accord intergouvernemental, tandis que les textes de 1980 et de 1987 n'étaient que des protocoles qui instituaient un bureau de liaison sans existence diplomatique. L'accord de 2008 assure une bien meilleure sécurité juridique, à tous points de vue. Selon les éléments fournis par le ministère de l'Intérieur, cet accord ne présente pas de différence notable avec les autres accords bilatéraux de sécurité intérieure signés par la France. Deux points méritent toutefois d'être soulignés : d'une part, le fait que l'accord ne prévoie pas d'article concernant l'échange de données personnelles. Cette omission est commune aux accords de sécurité intérieure passés avec des États n'offrant pas des garanties de protection des données équivalentes à celles exigées par le droit communautaire et le droit français. Deuxième particularité : le fait qu'à ce jour, l'Arabie saoudite ait toujours intégralement financé les actions de formation conduites à son profit par la France, soit sur le territoire saoudien, soit sur le territoire français.

Pour le reste, les stipulations sont des plus classiques : l'article 1er fixe le vaste champ de la coopération. Y figure notamment la cybercriminalité, dont on sait, depuis l'affaire Clearstream, toutes les implications qu'elle peut avoir. L'article 3 définit les différentes formes pratiques de al coopération ; l'article 4 encadre l'échange d'informations ; les articles 2, 5 et 6 portent sur les modalités de mise en oeuvre de l'accord et comportent une clause de sauvegarde ; l'article 7 garantit le traitement confidentiel des informations échangées ; les articles 8, 9 et 10 comportent les clauses finales habituelles pour l'entrée en vigueur de l'accord. Ratifié par la Partie saoudienne en 2009, cet accord n'attend plus que l'accomplissement des procédures d'approbation par la Partie française pour entrer en vigueur. Je juge hautement souhaitable l'adoption de ce projet de loi par notre commission. C'est l'intérêt des deux Parties, et même du monde occidental.

Bien au-delà de ce texte, nous gagnerions certainement à examiner de plus près, notamment à la lumière du cas saoudien, la question du poids des religions dans les relations internationales à l'heure actuelle. Notre commission l'avait bien compris ainsi, lorsque nous avions entendu le nouveau responsable du pôle « religions » à la direction de la Prospective du quai d'Orsay, M. Joseph Maïla, le 13 janvier dernier. Je saisis cette occasion qui m'est ici donnée de plaider publiquement pour que cette audition ne reste pas isolée et que la commission engage un vrai travail de réflexion sur ce thème difficile mais tout à fait crucial dans le monde contemporain.

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