L'audition débute à dix-sept heures quinze.
La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'audition de Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu, secrétaire confédérale de la CGT-FO sur la réforme des retraites.
Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu, secrétaire confédérale de la CGT-FO.
Madame, vous savez que la question de la retraite des femmes est actuellement l'une de nos grandes préoccupations. Nous avons reçu la semaine dernière la présidente de la CNAV, Mme Karniewicz, qui a déploré que la réforme des retraites en préparation n'aborde pas la question, pourtant fondamentale, du niveau des pensions, et en particulier de celles des femmes. Qu'en pensez-vous ? Que vous inspire le document d'orientation ? Votre fédération a-t-elle évoqué le sujet avec M. Woerth ? Certes, la retraite n'a pas pour fonction de corriger l'ensemble des aléas de la carrière, mais j'attends que le problème des femmes soit au moins posé.
La position de FO sur les retraites des femmes n'a pas varié. Pour nous, il ne s'agit pas tant d'un problème de retraites que d'un problème de carrières et de salaires. Tant que celui-ci ne sera pas réglé, l'inégalité en matière de retraites perdurera. C'est pourquoi, sur ce thème, nous renvoyons à la négociation sur l'égalité professionnelle et à la question des sanctions à prendre contre les entreprises dans lesquelles persistent des écarts de salaires entre hommes et femmes, la loi de 2006 ayant en la matière fixé un rendez-vous au 31 décembre 2010.
Nous avons été les seuls – avec la CFTC – à mettre cette question sur la table. Nous estimons cependant qu'elle est trop importante pour être traitée dans le cadre des négociations sur les instances représentatives du personnel, comme l'ont proposé les délégués du patronat. Il faut une négociation spécifique sur l'égalité professionnelle. Nous n'avons pas de date, même si M. Darcos avait en principe fixé l'échéance limite à fin avril. Il y a incontestablement un manque de volonté pour régler ce problème. Il s'agit notamment de la question du temps partiel contraint et de celle de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Quant aux sanctions, nous considérons qu'elles relèvent de la compétence de l'État, non de la négociation entre partenaires sociaux ; nous avons été entendus sur ce point, mais nous attendons toujours que des décisions soient prises. Le Premier ministre a déclaré, à l'occasion des États généraux de la femme organisés par le journal Elle, qu'il fallait mettre en place ces sanctions financières d'ici le 31 décembre 2010.
La persistance de fortes inégalités est confirmée par une récente étude de la DARES, qui montre que le taux d'activité féminine dépend à la fois du nombre et de l'âge des enfants, les femmes les moins diplômées étant à cet égard les plus pénalisées. S'ajoutent à cela les problèmes du temps partiel contraint, du chômage, des familles monoparentales, ainsi que la réforme de la majoration de durée d'assurance. Mais si notre système de retraite est inégalitaire au détriment des femmes, c'est le système économique qui est à l'origine de cette inégalité.
Bien entendu, il n'est pas question pour nous que les femmes soient encore davantage pénalisées par la réforme des retraites. Or le Gouvernement s'appuie sur les données démographiques et l'évolution de l'espérance de vie pour proposer un allongement de la durée de cotisation et un recul de l'âge légal de départ à la retraite. Mais au nom de quoi les femmes devraient-elles travailler plus longtemps que les hommes sous prétexte que leur espérance de vie est plus longue ? Elles ont déjà des carrières hachées, s'arrêtant souvent pour s'occuper de leurs enfants, et des chances inférieures à celles des hommes en termes d'emploi et d'évolution professionnelle. Nous insistons donc pour que la question de la retraite des femmes soit abordée dans le cadre de la réforme.
Nous ne sommes encore que dans la première phase des discussions entre le ministre du travail et les organisations syndicales – nous venons de recevoir le document d'orientation. Pour nous, la question qui se pose est celle du financement ; il ne s'agit pas de remettre le système en cause.
Pour ce qui concerne les femmes, nous sommes favorables au maintien de la pension de réversion telle qu'elle existe aujourd'hui, que ce soit pour la fonction publique ou pour le secteur privé. Pour le reste, le règlement du dossier des retraites passe par le règlement de celui de l'égalité salariale ainsi que de celui de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale.
Le maintien de la pension de réversion serait donc menacé ? Je croyais que l'objectif était de faire passer son taux de 54 % à 60%. La suppression de la demi-part fiscale a déjà une incidence importante sur les revenus des femmes retraitées seules.
Certes, il faut se pencher sur la question de l'égalité salariale. Mais il y a toute une génération de femmes pour qui c'est déjà trop tard.
Nous considérons que la pension de réversion dans le secteur privé doit être confortée, d'autant que l'allocation veuvage est faible et plafonnée. Dans la fonction publique, le risque de voir toucher à la pension de réversion est réel. C'est pourquoi nous avons réaffirmé notre attachement à ce système et notre souhait qu'il soit, au contraire, amélioré. D'une façon générale, il faut éviter d'opposer systématiquement public et privé. On oublie trop souvent, par exemple, que les primes ne sont pas prises en compte pour le calcul de la retraite des fonctionnaires, et que les fonctionnaires retraités qui doivent prendre un « petit boulot » ne sont pas si rares…
Une remise en cause de la pension de réversion signifierait un nouvel appauvrissement de personnes à faibles revenus. Cela paraît tout de même un peu invraisemblable…
Nous n'en sommes qu'au stade des propositions, mais la tentation de revenir sur les dispositions en vigueur dans la fonction publique, qu'il s'agisse de la pension de réversion ou de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) – qu'il conviendrait elle aussi de revaloriser –, est bien là. Nous restons donc très vigilants.
La question posée est celle du financement. Nous avons fait des propositions et certaines ont été prises en compte dans le document d'orientation. Ce n'est hélas pas le cas de celle sur la CSG. Pour l'instant, la piste privilégiée semble être un allongement de la durée de cotisation, ce qui est une démarche de court terme puisqu'on ne peut connaître les évolutions démographiques à 30 ou 50 ans.
Nous avons aussi rappelé notre proposition d'instituer une rente pour l'éducation des enfants – déjà en vigueur dans certaines grandes entreprises par le biais de la prévoyance – en cas de décès d'un des conjoints.
Je suis convaincue qu'il faut être beaucoup plus ferme sur le thème de l'égalité, et je le redirai à M. Woerth. Mais il est très inquiétant que l'on ne se préoccupe pas de la retraite des femmes aujourd'hui âgées de 50 à 70 ans qui ont travaillé à temps partiel ou interrompu leur activité professionnelle. Les avez-vous évoquées ? Que se passera-t-il pour celles qui vont partir à la retraite d'ici cinq ans, sans avoir assez cotisé ?
C'est une question que nous soulevons régulièrement : il faut prendre des mesures qui permettent d'assurer une retraite décente à ces femmes. Nous l'avions dit lors de la réforme de la majoration de durée d'assurance (MDA).
Ce qui est prévu par les textes, c'est 85 % du SMIC. Mais une retraite décente, c'est ce qui permet de vivre dignement, sans avoir besoin de recourir aux aides diverses ou aux « petits boulots ». Nous remettrons le sujet sur la table. Pour l'instant, c'est surtout l'allongement de la durée de cotisation et le financement qui ont été abordés avec le ministre. Nous en sommes au stade des rencontres bilatérales : M. Mailly et M. Devy – en charge du dossier des retraites – doivent faire part aujourd'hui à M. Woerth des propositions de FO. Le processus ne fait que commencer : nous avons eu le document d'orientation hier soir ! Mais nous avons déjà appelé à une grève nationale interprofessionnelle sur les retraites, car nous voulons des réponses concrètes, notamment sur la question des inégalités entre les hommes et les femmes.
Oui, le niveau des pensions est une question clé. Nous demandons un taux de remplacement de 75 % du salaire moyen ainsi que l'indexation des pensions sur les salaires, et par ailleurs le maintien des droits familiaux et conjugaux – je pense par exemple à la possibilité pour les femmes fonctionnaires qui ont eu trois enfants de partir à la retraite après 15 ans de cotisations.
La question est de savoir si l'on veut maintenir le niveau de solidarité qui existe en France et s'en donner les moyens. Quelle société voulons-nous ? Acceptons-nous de continuer à creuser les inégalités entre individus, notamment au détriment des femmes, des familles monoparentales et des salariés à temps partiel ?
Nous refusons l'allongement de la durée de cotisation – 40 ans, c'est déjà trop – et nous demandons le calcul de la pension sur les dix meilleures années pour les salariés du privé – même si c'est un voeu pieux – et le maintient du calcul sur les six derniers mois pour les fonctionnaires.
Autrement dit, vous ne voulez toucher à rien… Nous aimerions cependant entendre vos propositions.
Elles concernent le financement ! C'est de ce côté qu'il faut agir. Déjà, le système fonctionnerait mieux si l'État payait ce qu'il doit à la Sécurité sociale au titre des exonérations de cotisations. Et nous avons fait d'autres propositions. Je n'entrerai pas dans le détail, n'étant pas spécialiste du dossier, mais c'est une question de choix : la question est de savoir si l'on veut revenir sur notre système fondé sur la solidarité et aller vers un système par capitalisation.
Le Gouvernement a dit et redit que son objectif était de sauvegarder le système par répartition. Ne lui faites pas de procès d'intention !
C'est en effet ce qu'il dit. Encore faudrait-il savoir comment il entend procéder. Il ne parle pour l'instant que de remettre en cause l'âge légal de départ à la retraite et d'allonger la durée de cotisation, mais cela ne garantit pas que le système pourra être sauvegardé. La durée de cotisation a déjà été portée de 37,5 à 40 annuités par la réforme Balladur, et cela n'a pas réglé le problème. Je crains que le scénario ne se répète.
La situation s'explique par l'augmentation de l'espérance de vie. De 75 ans dans les années soixante-dix, elle est passée à 84 ans aujourd'hui. Il est évident que l'on ne peut rester à la retraite pendant 24 ans au lieu de 15 sans coût supplémentaire !
C'est vraiment le financement qui est au coeur du problème mais on a tendance à toujours faire payer les mêmes…
J'aimerais savoir ce que vous proposez pour les femmes qui ont des carrières hachées. Que proposez-vous pour leur assurer une retraite décente, étant entendu que celle-ci ne peut être équivalente à celle d'une femme qui a travaillé toute sa vie ?
Quand nous demandons l'ouverture de négociations sur la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, notre but est aussi de régler ce problème. Et dans le cadre des discussions sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, nous proposons que les femmes qui interrompent leur activité pour s'occuper de leurs enfants voient leurs années de cotisation validées.
C'est-à-dire la caisse de retraite, ou bien l'État ? Nous partageons votre analyse sur le fait que les femmes sont pénalisées, mais quelles solutions proposez-vous ? Vous nous parlez de valider les années d'interruption d'activité : qui doit financer ?
Je ne peux pas entrer dans les détails techniques, qui ne relèvent pas de mes compétences, mais le financement doit être assuré par la solidarité nationale.
Le Président de la République a ouvert des pistes, en évoquant la taxation des hauts revenus.
Actuellement, les périodes de congé parental sont validées mais non cotisées. Si j'ai bien compris, vous proposez qu'elles soient désormais cotisées ?
D'une façon ou d'une autre, l'État est amené à intervenir pour aider ces femmes à subvenir à leurs besoins.
S'agissant du temps partiel contraint, qui touche en majorité des femmes, nous estimons qu'il faut un minimum de 20 heures par semaine, afin qu'il y ait validation.
Actuellement, il faut travailler 200 heures pour valider un trimestre. Comment prendre en compte les années non travaillées des femmes sans faire de même pour les hommes ?
Nous demandons les mêmes droits pour les hommes et les femmes, notamment le partage du congé parental.
Plus précisément, il a refusé le raccourcissement du congé parental et son partage à parts égales.
Le problème vient peut-être de la composition du Haut Conseil de la famille, où l'UNAF est surreprésentée. Mais c'est un autre débat…
Les femmes sont très nombreuses à avoir eu une carrière hachée. Nous aurions aimé vous entendre proposer des solutions.
Sur la question du niveau des pensions, c'est à M. Devy qu'il faudrait vous adresser. Je suis davantage compétente sur celle de l'égalité.
Non, c'est le patronat qui a refusé d'ouvrir une négociation spécifique sur l'égalité comme nous le demandions, parce qu'il préférait aborder ce thème dans le cadre des négociations sur les institutions représentatives du personnel. La question de l'égalité professionnelle est pourtant au coeur des priorités du Président de la République ! Nous allons donc interpeller M. Woerth par écrit sur ce sujet. Faute de l'ouverture de négociations, le Gouvernement devra s'en saisir. Il est indispensable que ce thème ne soit pas confondu avec d'autres : ce serait le meilleur moyen de tuer l'égalité.
L'audition s'achève à dix-huit heures quinze.