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Commission des affaires étrangères

Séance du 27 avril 2010 à 17h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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  • désarmement
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La séance

Source

Audition, conjointe avec la commission de la défense nationale et des forces armées, de M. Hervé Morin, ministre de la défense, sur les questions liées aux armes nucléaires

La séance est ouverte à dix-sept heures.

PermalienPhoto de Guy Teissier

La Commission de la défense et celle des affaires étrangères sont réunies pour entendre M. Hervé Morin sur les questions liées aux armes nucléaires, sujet vaste dont l'actualité offre de multiples aspects, notamment avec l'ouverture, la semaine prochaine, de la conférence d'examen du traité de non-prolifération (TNP). Nous évoquerons donc la position française à cet égard, sachant que notre pays est allé très loin dans le désarmement. Nous aborderons également la question iranienne et les dangers de la prolifération d'une manière générale.

Les présidents américain et russe ont signé, à Prague au début de ce mois, un nouveau traité sur la réduction de leurs arsenaux nucléaires. C'est une bonne nouvelle. Mais, déjà, leurs interprétations paraissent diverger. La ratification du traité est-elle assurée ?

M. Barack Obama a fait de l'arme nucléaire un sujet majeur de la politique américaine. Il a plaidé pendant sa campagne pour un monde sans armes atomiques. Il a présenté une nouvelle doctrine et réuni récemment un sommet sur la sécurité nucléaire. Vous nous indiquerez donc, monsieur le ministre, quelle est la réaction du Gouvernement face à cette évolution.

Nous ferons également le point sur les projets de défense anti-missile, qui ont été très largement commentés. Les Russes n'apprécient pas ces projets et voudraient établir un lien entre cette question et celle du désarmement stratégique. Il faut d'ailleurs rappeler que le nouveau concept stratégique de l'OTAN est actuellement en débat et la dissuasion nucléaire en fait bien évidemment partie.

Enfin, nous vous interrogerons sur les éventuels projets d'une force de dissuasion conjointe entre la France et le Royaume–Uni, dont la presse s'est récemment fait l'écho.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Mes interrogations sont à peu près les mêmes que celles du président de la commission de la défense puisqu'elles portent sur la récente signature du traité New START, sur les perspectives de résolution des crises nord-coréenne et iranienne, et sur la place de la dissuasion nucléaire dans la doctrine de sécurité de la France.

J'y ajouterai deux sujets.

En premier lieu, lors de la récente conférence organisée aux États-Unis, le président Obama a fait des déclarations retentissantes sur le terrorisme nucléaire qui, selon lui, est la plus grave menace pesant sur la sécurité de son pays. Le président Sarkozy, lui, a parlé d'une menace seulement « possible », tandis que le rapport d'information présenté en novembre 2009 par nos collègues Jacques Myard et Jean-Michel Boucheron sur les enjeux géostratégiques des proliférations faisait état d'un risque faible. Y a-t-il, à propos du risque nucléaire, une différence d'appréciation entre les deux chefs d'État ?

En second lieu, la position de la France sur sa force de dissuasion nucléaire sera-t-elle tenable à moyen terme lorsque des puissances émergentes, notamment celles qui ont développé des programmes nucléaires nationaux comme le Brésil, exigeront de nouveaux efforts de désarmement de la part des États dotés de l'arme nucléaire, et ce dans un contexte nouveau marqué par des discours russe et américain favorables au désarmement nucléaire ainsi que par la position de la Grande-Bretagne, prête à aller très loin en la matière ? Dans ces conditions, notre pays peut-il encore justifier le maintien d'une force de dissuasion en affirmant que celle-ci est « au taquet », comme l'a indiqué récemment le Président de la République, et après les mesures de désarmement décidées à Cherbourg en 2008 ? Mène-t-on des réflexions sur l'opportunité d'abandonner éventuellement une des deux composantes de la force de dissuasion française – ce qui permettrait, en plus du gain diplomatique, de substantielles économies ?

PermalienHervé Morin, ministre de la défense

La huitième conférence d'examen du traité de non-prolifération s'ouvrira à New York le 3 mai prochain. La France a toute la légitimité nécessaire pour s'y faire entendre, au travers de trois engagements forts.

Le premier concerne la lutte contre la prolifération nucléaire. C'est une condition nécessaire pour progresser réellement dans la voie du désarmement – et non l'inverse comme certains voudraient le faire croire –, pour faciliter l'accès au nucléaire civil, sous le contrôle de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), et pour prévenir le terrorisme nucléaire.

Face aux deux crises de prolifération auxquelles nous sommes confrontés, celles de l'Iran et de la Corée du Nord, nous devons faire preuve de la plus grande fermeté. Il s'agit de savoir si nous serons capables d'éviter la prolifération, de faire en sorte que la communauté internationale soit en mesure d'engager des sanctions ayant reçu l'accord des Cinq, et d'empêcher l'Iran de poursuivre son programme nucléaire militaire. Je rappelle que l'Iran refuse la main que lui a tendue la communauté internationale et viole de façon délibérée depuis 1995 les résolutions du Conseil de Sécurité.

Parallèlement, nous devons continuer à agir pour renforcer le régime de non-prolifération. Pour cela, il faut en particulier renforcer l'AIEA à travers la promotion du protocole additionnel, de nombreux pays n'adhérant pas à ce protocole. Il faut aussi traiter les cas de retrait du TNP pour éviter les abus, les conditions de retrait étant actuellement très souples, mieux contrôler les exportations et l'accès aux informations les plus sensibles et, enfin, nous devons criminaliser les activités proliférantes et réprimer leur financement. Un projet de loi vous sera présenté prochainement sur ce sujet.

Notre deuxième engagement, c'est le désarmement. Dans ce domaine, le bilan français est inégalé et se traduit par sept mesures majeures.

Il s'agit d'abord du démantèlement complet de la composante sol-sol de la force de dissuasion, alors que les États-Unis, malgré la signature de New START, maintiennent leur triade : sol-sol, air-sol et mer-sol.

Nous avons réduit d'un tiers le nombre de nos sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) en passant de six bâtiments à quatre, chiffre en dessous duquel on ne saurait descendre sans remettre en cause la pérennité de notre présence en mer, par exemple en cas d'incident ou d'accident, comme cela a été le cas récemment.

Nous avons diminué d'un tiers la composante aéroportée qui est passée de trois à deux escadrons.

Nous nous sommes engagés à maintenir le nombre total de têtes nucléaires au-dessous de 300, la France étant le seul pays au monde à avoir fait connaître le stock total de ses armes nucléaires.

Nous avons cessé nos essais et démantelé nos sites d'essais.

Nous avons ratifié le traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE) ; nous sommes d'ailleurs les seuls avec les Britanniques à l'avoir fait.

Enfin, nous avons arrêté la production de matières fissiles pour les armes nucléaires et démantelé les installations afférentes.

Ce bilan mériterait d'être mieux connu. Il nous donne toute la légitimité nécessaire pour réclamer des gestes concrets de la part des autres puissances, et ce conformément à la demande du Président de la République et à celle faite par l'Union européenne dans le cadre de son plan de désarmement.

Ces gestes concrets répondent à quatre priorités.

La première, c'est celle du renforcement du cadre multilatéral avec l'entrée en vigueur du TICE et le lancement des négociations d'un traité cut off interdisant la production de matières fissiles pour les armes nucléaires.

La deuxième priorité consiste en la poursuite de la réduction et du démantèlement des arsenaux nucléaires, sachant que, en dépit de New START, les États-Unis et la Russie détiennent à eux seuls plus de 90% des armements nucléaires au monde.

La troisième priorité réside dans le renforcement de la confiance et de la transparence. Là encore, la France est exemplaire : toutes nos installations sont visitées et contrôlées par les experts et par les agences internationales dont l'AIEA.

La quatrième priorité, c'est celle de la poursuite des efforts dans tous les domaines du désarmement, y compris les domaines chimique et biologique, là où réside aujourd'hui le risque terroriste majeur.

Ces objectifs sont réalistes, comme en témoignent les progrès obtenus récemment, qu'il s'agisse de la prise de conscience politique de la nécessité de mieux contrôler les matières fissiles, exprimée lors du récent sommet sur la sécurité nucléaire ; qu'il s'agisse des annonces faites en matière de retrait des stocks d'uranium enrichi par des pays majeurs comme l'Ukraine, le Mexique, le Chili et le Canada ; qu'il s'agisse de la signature du traité New START, qui constitue une bonne nouvelle et qui intègre un processus de vérification, ce qui est loin d'être négligeable. Enfin, nous avons accueilli avec beaucoup d'intérêt la publication par les États-Unis de leur revue de posture nucléaire, dont je vais maintenant vous dire quelques mots.

Cet exercice témoigne de la volonté des Américains de conserver une dissuasion crédible, tout en réduisant le rôle des armes nucléaires. Nous sommes donc encore loin des vues abolitionnistes évoquées durant la campagne de l'élection présidentielle. Les Américains présentent désormais leur dissuasion comme une garantie de la protection de leurs « intérêts vitaux » et de ceux de leurs alliés et partenaires dans « des circonstances extrêmes ». Ils réaffirment également le maintien de leur posture d'alerte et leur disponibilité à maintenir la composante nucléaire de la dissuasion de l'Alliance. Leur doctrine se rapproche donc de celle de la France.

Notre troisième engagement, c'est celui du développement du nucléaire civil. Aujourd'hui, le nucléaire civil redevient l'objet de l'intérêt de pays toujours plus nombreux qui souhaitent relever le double défi de la sécurité énergétique et du développement durable. Dans ce domaine, la conférence internationale qui s'est tenue à Paris les 8 et 9 mars derniers a posé le cadre de nos ambitions : la France est prête à coopérer avec tous les pays qui voudront s'engager dans cette voie en respectant leurs engagements internationaux et les obligations de transparence et de contrôle. C'est là tout le sens du TNP : conditionner le bénéfice des technologies nucléaires civiles au respect des engagements de non-prolifération. Le développement du nucléaire civil ne peut se faire qu'avec les meilleures garanties de sécurité, de sûreté et de non-prolifération. Cela suppose : le renforcement de l'AIEA, notamment en moyens et en personnels ; la promotion des normes et des pratiques les plus exigeantes de sûreté et de sécurité nucléaires, comme c'est le cas en France ; la prévention d'une dissémination incontrôlée des technologies les plus sensibles du cycle du combustible ; enfin, la promotion de solutions sécurisées pour l'enrichissement et le retraitement, notamment en garantissant la fourniture du combustible nucléaire, ainsi que cela a été proposé à l'Iran.

La huitième conférence d'examen constitue un grand rendez-vous. Elle nous offre une occasion exceptionnelle de renforcer le régime de non-prolifération, de favoriser ainsi l'accès au nucléaire civil, tout en progressant vers un monde plus transparent et plus sûr. Pour autant, les quatre semaines de discussion qui s'annoncent seront difficiles. Dans cette affaire, il ne faudra pas sous-estimer le poids des négociations que mène la communauté internationale avec l'Iran. Si nous n'obtenons pas que ce pays fasse un certain nombre de progrès, tout cela perdra beaucoup de son sens.

S'agissant de défense anti-missile, elle constitue a priori un sujet attrayant puisqu'elle permettrait de se garantir contre une attaque nucléaire « rustique ». Mais il faut rester prudent : le système est, en raison de son coût, inaccessible à l'échelon français, et même à l'échelon européen, au vu de la faiblesse des dépenses militaires en Europe. Un tel système ne pourrait donc se mettre en place qu'en association avec les États-Unis et dans le cadre de leur projet. Pour autant il ne fournit pas de réponses aux questions suivantes : quelle est la menace visée ? Quel est le niveau de menace auquel on doit être en mesure de répondre ? À qui reviendraient le commandement et le contrôle de ce système ? Nous ne doutons pas que les Américains voudront conserver la main sur celui-ci. Par ailleurs, cette défense anti-missile s'organise en fonction d'un volume budgétaire prédéterminé ; or nous sommes aujourd'hui confrontés à des insuffisances de moyens dans d'autres secteurs, notamment conventionnels, qui risqueraient donc de s'en trouver encore davantage affaiblis.

Pour les États-Unis, dont les dépenses de défense représentent la moitié des dépenses militaires mondiales, il est possible de s'engager dans un tel programme. Pour un pays au budget contraint, cela risque d'affaiblir sa défense.

Enfin, la problématique anti-missile rappelle celle de la ligne Maginot, du mur d'Hadrien ou de la grande muraille de Chine. Une défense anti-missile n'aurait de sens que pour des pays disposant d'une véritable capacité de résilience, ce qui n'est pas le cas de l'Europe. De plus, un tel système ne constitue qu'un moyen de défense complémentaire, ce qui implique de disposer déjà des autres.

Pour la France, la meilleure façon d'assurer sa sécurité, c'est d'être capable de démontrer sa force. La démarche inscrite dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale est la bonne : elle prévoit de compléter la dissuasion par l'alerte avancée, ce qui suppose de disposer de nos propres moyens d'observation et nos propres systèmes. C'est en effet un moyen de faire savoir à ceux qui pourraient éventuellement nous menacer que nous serons à coup sûr avertis et conscients de l'origine de la menace.

Je suis donc très réticent à l'idée de mettre en place une défense anti-missile. Nous lancer dans un programme de défense anti-missile tout en développant des capacités nouvelles à l'échelon français ou européen impliquerait des arbitrages extrêmement douloureux.

La question de la double composante de notre force de dissuasion a été traitée dans le Livre blanc et examinée lors d'un conseil de défense. Le président de la République a choisi de la maintenir car, sans elle, notre défense perdrait un élément de souplesse. L'avertissement nucléaire en présence d'une menace contre nos intérêts vitaux est en effet rendu possible par la composante aérienne, davantage que par les missiles M 51. Il y va donc de la crédibilité de notre dissuasion nucléaire. En outre, l'essentiel de l'effort budgétaire correspondant a déjà été réalisé.

L'idée de former une force de dissuasion conjointe avec le Royaume-Uni fait l'objet de discussions. Toutefois, le contenu de ces discussions et nos échanges d'information n'ont qu'un lointain rapport avec ce qui est évoqué dans les articles de presse. Mais la mise en place d'une force conjointe ne me semble pas réaliste.

PermalienPhoto de Nicolas Dhuicq

Mis à part la Russie, la France est le seul pays sur le continent européen disposant d'une force nucléaire pleinement autonome, qu'il s'agisse de la chaîne de commandement ou de l'aspect industriel et technologique. Ne voyez-vous pas dans cette idée de désarmement lancée par le président des États-Unis une opération de propagande destinée à faire baisser la garde à la nation française et à engager celle-ci dans une sorte de spirale du désarmement au seul profit, à terme, de la domination américaine ?

PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Nous pouvons bien sûr tous souhaiter l'abolition à long terme des armes nucléaires et estimer que c'est peut-être le meilleur moyen de lutter contre ce risque majeur qu'est la prolifération. Toutefois, ne soyons pas naïfs : outre que les États-Unis et la Russie possèdent des milliers de têtes nucléaires, le traité New START ne comptabilise pas les têtes non déployées et considère un missile ou un avion de combat comme un seul vecteur alors que ce dernier peut embarquer plusieurs armes ; la transparence est donc relativement limitée. En matière de désarmement nucléaire, la France a déjà accompli plus d'efforts que les autres puissances.

PermalienPhoto de Philippe Folliot

La dissuasion n'est crédible que si elle est permanente. Or notre équipement en SNLE a été réduit au niveau minimum. La composante aéroportée reste donc indispensable. La France a consenti un gros effort de désarmement. Mais celui-ci étant acquis, ne va-t-on pas nous demander de nouveaux efforts ? De quelle marge disposons-nous sans remettre en cause la crédibilité de notre dissuasion ?

PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Il n'existe plus de marge pour la force océanique — sauf à accepter le risque de ne pas assurer la permanence à la mer 365 jours par an ; mais dès lors la dissuasion perd une partie de son sens. C'est à peu près la même chose pour la composante aéroportée.

Le message de la France à l'intention des autres puissances est donc clair : quand vous aurez, comme nous, procédé, avec le même souci de transparence, à la cessation de la production de matières fissiles, à la ratification du traité d'interdiction des essais, au démantèlement des installations, à l'ouverture aux contrôles de l'AIEA, à la suppression de la composante sol-sol, à la suppression des missiles à courte ou à très courte portée, alors nous accepterons de rouvrir les discussions.

PermalienPhoto de Jean-Claude Viollet

Je m'étonne que, en dépit de l'existence du Livre Blanc, on continue de discuter de sujets qui ont déjà fait l'objet d'arbitrages. Si nous diminuons encore notre force nucléaire, nous descendrons en dessous du niveau de suffisance et perdrons notre crédibilité.

PermalienPhoto de Jean-Claude Viollet

Dès lors, on doit s'en tenir aux deux composantes actuelles de notre dissuasion, soit quatre SNLE et deux escadrons aéroportés, qui sont indispensables et complémentaires. La force aérienne représente un outil d'appui politique majeur en raison de son caractère démonstratif, de sa réversibilité et de sa capacité de frappes ciblées. J'ajoute que, ainsi que vous l'avez indiqué, les investissements ont déjà été réalisés. Pourquoi donc réduire encore notre armement nucléaire ?

Il faut rappeler que la France est la seule nation à disposer d'une force de dissuasion dont elle détient seule les clés et qu'elle n'est pas partie aux discussions entre les États-Unis et la Russie. Et ce n'est que quand ces pays seront parvenus au niveau de stricte suffisance que nous pourrons reprendre la discussion.

J'en viens à la question de la défense anti-missile. Pour ma part, je souhaite que l'on protège d'abord nos théâtres ; or, en ce domaine, nous ne sommes pas au niveau et nous ne sommes pas près d'y être : il nous manque plusieurs matériels, notamment des radars. J'ajoute que quelques implantations militaires récentes, comme à Abou Dabi, ne sont pas hors de portée de missiles moyenne portée.

S'agissant de la protection du territoire contre les attaques balistiques, il faut cesser de dire que l'on n'en a pas les moyens, que ce n'est pas intéressant. Il serait préférable d'indiquer officiellement que l'on s'y intéresse et que l'on y travaille. Plutôt que de contribuer financièrement, il vaut mieux effectuer des apports en nature, ce qui permettrait de renforcer notre base industrielle et technologique et nous donnerait plus de poids dans les discussions. Nous avons la capacité de fournir des briques technologiques de tout premier ordre. Certes, il y a une contrainte budgétaire, et elle sera durable, mais nous avons une responsabilité, non pour les cinq prochaines années, mais pour les 20 à 30 ans qui viennent.

PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Un débat en commission ne sert pas seulement à adresser un message officiel. Il est évident que, lors des réunions de l'Alliance atlantique, je dis que nous apportons des briques technologiques, que nous sommes plus préoccupés par la défense anti-missile de théâtre, que nous avons nos propres programmes qui concourent à la défense anti-missile de l'Alliance…

Je suis d'accord avec vous, il faut progresser à travers le programme ASTER. Nous sommes face à des défis technologiques qui sont réels.

Toutefois, je le répète, la défense anti-missile, pour séduisante qu'elle paraisse à l'opinion publique, n'en constitue pas moins une erreur. La sécurité de votre pays, vous la garantissez par votre capacité à vous faire respecter au travers d'une puissance militaire crédible et non en vous abritant derrière des murs, même technologiques.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Je signale à notre collègue Viollet que les parlementaires ont toute liberté de rouvrir une discussion sur quelque sujet qu'il soit.

PermalienPhoto de Marc Joulaud

J'aimerais que vous précisiez, monsieur le ministre, en quoi consiste le rapprochement des doctrines de dissuasion française et américaine.

Quel est le seuil en deçà duquel il serait déraisonnable de descendre en matière de dissuasion ?

La France est aujourd'hui autonome en matière de savoir-faire industriel et technologique. Comment en assurer la pérennité ?

PermalienHervé Morin, ministre de la défense

La doctrine américaine sur la force de dissuasion s'est rapprochée des conceptions françaises, et non l'inverse.

S'agissant du seuil, j'ai déjà répondu.

Il suffit de se trouver à bord d'un SNLE en plongée pour se rendre compte des trésors de technologies nous disposons. La France a la capacité technologique de pouvoir embarquer à bord d'un même bateau, qui supporte de grandes contraintes physiques, à la fois une centrale nucléaire assurant la propulsion, des missiles balistiques et des instruments de navigation très sophistiqués, le tout étant servi par des hommes aux qualifications aussi fines que rares, issus de filières de recrutement extrêmement étroites. C'est d'ailleurs un enjeu permanent pour la marine de ne pas perdre ces savoir-faire et ces compétences très recherchés dans le monde civil. J'ajoute que la mise en oeuvre de cet ensemble repose sur une seule entreprise : DCNS ; cela force l'admiration.

Si nous comparons notre situation avec celle des Britanniques, nous constatons que ces derniers, qui vont être obligés de renouveler leur flotte de sous-marins, risquent d'être confrontés à des déficits technologiques considérables. Au reste, nous discutons avec eux des moyens leur permettant de retrouver les niveaux technologiques nécessaires pour mettre en oeuvre de nouveaux sous-marins. Dans ce domaine, si vous cessez vos recherches, il vous faut après 10 à 20 ans d'efforts pour accéder au niveau requis.

PermalienPhoto de Jacques Myard

La défense anti-missile est un piège tendu par les Américains pour tenir les Européens : il est comparable à celui de l'avion de combat futur (JSF). J'oserais dire que c'est un piège à cons.

La même observation vaut s'agissant de la menace d'un terrorisme nucléaire. Cette menace n'est mise en avant que parce que les Américains veulent tout contrôler. On sait bien que le chimique et le biologique sont plus dangereux. Il s'agit encore d'une manipulation.

Les articles de presse sur la coopération avec le Royaume-Uni ont eu un effet désastreux quant à notre volonté d'indépendance. Il serait donc utile de rappeler que notre chaîne de commandement reste exclusivement nationale et ne peut pas être partagée. L'ambiguïté doit cesser.

S'agissant des premiers pas de la France dans la voie du désarmement, je ne suis pas d'accord. Il ne faut pas être naïf : en matière internationale, les bons gestes n'existent pas. Nous devons maintenir le concept de suffisance, et si un troisième escadron aéroporté est nécessaire, il faut le mettre en place. Notre démarche en faveur de la transparence et nos premiers pas dans la voie du désarmement seront oubliés dans un an, et si les autres pays commencent à désarmer, nous serons accusés de ne pas en faire assez.

Quelle est la position de la Chine vis-à-vis du désarmement nucléaire, alors qu'elle arme « à mort » et qu'elle ne s'en tiendra probablement pas à la notion de suffisance ? Il y aura un problème d'équilibre.

Enfin, le TNP est inéquitable par lui-même : tous les systèmes internationaux dans lesquels certains sont privilégiés par rapport à d'autres ne tiennent pas. Pour contrer la prolifération, il conviendrait peut-être d'assouplir certaines dispositions pour parvenir à un meilleur contrôle. À cet égard, je m'étonne que les bonnes conclusions du rapport Boucheron-Myard n'aient pas été retenues par le Gouvernement.

PermalienHervé Morin, ministre de la défense

Je vous communiquerai un tableau des évolutions technologiques comparées de la France et du Royaume–Uni.

La Chine dispose aujourd'hui de plusieurs centaines de têtes nucléaires opérationnelles et en augmente le nombre. Elle possède des sous-marins. Son armement monte continuellement en puissance.

PermalienPhoto de Michel Voisin

Nous avons signé le traité d'interdiction des essais nucléaires et depuis 1995 les expérimentations doivent désormais s'effectuer par le biais du laser mégajoules et des calculateurs, sur lesquels on sait peu de choses. Quelle perspective peut-on dessiner à un horizon de trente ans pour ces équipements?

PermalienHervé Morin, ministre de la défense

L'entrée en service du laser mégajoules a été retardée jusqu'en 2014, la loi de programmation militaire ayant donné la priorité à des équipements dont nos armées ont absolument besoin. Par ailleurs, on ne peut faire de prévisions à trente ans.

PermalienPhoto de Michel Voisin

Ces installations et équipements sont cependant indispensables pour procéder aux mesures et entretenir le caractère opérationnel de notre dissuasion.`

PermalienPhoto de Gilbert Le Bris

La loi du 5 janvier 2010 a prévu l'indemnisation des victimes des essais nucléaires. Mais on attend impatiemment son décret d'application.

La défense anti-missile ne constitue pas une alternative à la force de dissuasion. Toutefois, nous devons prendre position par rapport à la Phased Adaptive Approach en matière de défense contre les missiles balistiques. Je ne pense pas qu'il y ait une volonté de nous piéger. Mais si nous ne réagissons pas, il y a un risque que les Américains traitent individuellement avec les États européens ou les États de l'OTAN et nous mettent dans une position de sous-traitance, ce qui fait que l'on perdra à la fois et la souveraineté et les technologies éventuelles dans ce domaine. Cette réponse devra être apportée au prochain sommet de l'OTAN qui se tiendra à Lisbonne à la fin de l'année, mais elle ne pourra pas être que française, elle devra obligatoirement être celle du deuxième pilier de l'Alliance, c'est-à-dire le pilier européen. Comme l'a indiqué notre collègue Jean-Claude Viollet, il vaut mieux faire des apports technologiques plutôt que financiers.

Je suis d'accord avec l'accent mis sur l'alerte avancée. À cet égard, il faudrait, dans le cadre de l'actuelle loi de programmation militaire, aller plus loin dans deux domaines : celui de l'adaptation des radars LPR des frégates Horizon et celui des fameux radars M3RGS 1000 ou GS 1500 qui ont pris un peu de retard.

PermalienHervé Morin, ministre de la défense

S'agissant de l'indemnisation des victimes des essais nucléaires, le procès qu'on nous fait est désespérant. Depuis 1981, toutes les majorités ont évité de s'engager dans un processus d'indemnisation de ces victimes car, il faut le dire, le lobby nucléaire a toujours été plus puissant que les éventuelles volontés pouvant se manifester sur le sujet.

En 2005, après deux ans et demi d'effort, j'ai réussi à faire voter une loi d'indemnisation et voilà qu'on m'accuse de vouloir la vider de son contenu ! Le titre du Monde diplomatique à ce sujet était honteux. Je ne sais quelles sont les raisons qui poussent l'association nationale des victimes d'essais nucléaires à dire tous les jours que l'on ne veut pas procéder à l'indemnisation, que l'on ne tient pas nos engagements. Mon souci est que ces personnes qui ont été victimes des essais nucléaires soient indemnisées, tout comme l'ont été les victimes anglaises ou américaines de tels essais. On reproche à la loi française d'être plus restrictive que les lois américaine ou anglaise ; or elle est plus généreuse. Certes, la loi française ne reconnaît que 18 maladies alors que la loi américaine en reconnaît 36, mais cette dernière concerne l'ensemble des risques industriels. Je ferai diffuser un tableau comparatif des trois régimes d'indemnisation, anglais, américain et français. Par ailleurs, je voudrais que vous ayez conscience que l'établissement de la liste des maladies a donné lieu à un combat interministériel et qu'il a fallu l'intervention du Premier ministre pour que la loi ne soit pas vidée de son sens.

La difficulté est liée au lien de causalité que le seul fait d'être atteint d'un cancer par exemple ne suffit pas à démontrer. Ainsi, une personne atteinte d'un cancer et ayant participé à des essais souterrains ne peut réclamer, comme elle le fait, une indemnisation car, dans ce cas, il n'y a eu aucune exposition aux rayonnements. L'examen doit se faire au cas par cas. Nous avons toutefois mis en place un système de présomption de causalité pour pallier ce problème : c'est désormais à l'État de démontrer l'absence de lien, la charge de la preuve lui revient.

La loi est honnête, et le décret, qui devrait être publié dans les prochains jours, le sera également.

PermalienPhoto de Yves Fromion

Que le Parlement s'intéresse aux questions de dissuasion nucléaire est une très bonne chose. Il faudra continuer et aller plus loin dans la réflexion, notamment entendre des spécialistes. On ne peut pas se contenter de la position du sapeur Camember : « circulez, il n'y a rien à voir ».

J'ai été surpris par les propos de M. Jean-Claude Viollet, car la France n'est pas absente de la politique de défense des théâtres, avec notamment le programme ASTER et les briques technologiques que l'on met en place peu à peu, à raison des moyens budgétaires. Il ne faut pas donner une image extrêmement pessimiste de la chose.

Je ne suis pas d'accord avec l'idée selon laquelle le Livre blanc aurait clos toute discussion sur les composantes de la force de dissuasion. Le Livre blanc ne nous interdit pas de réfléchir sur la nature de celles-ci. Ainsi, la question des avions ravitailleurs se pose pour la crédibilité de la composante aéroportée. Des évolutions restent à imaginer en matière de vecteurs. La dissuasion nucléaire n'est pas quelque chose de figée, cela ne doit pas être une nouvelle ligne Maginot ; toutefois, elle peut le devenir si les choix stratégiques et technologiques restent inchangés.

PermalienPhoto de Guy Teissier

Je vous remercie, monsieur le ministre, et je compte sur vous pour que le décret sur l'indemnisation des victimes d'essais nucléaires paraisse le plus vite possible afin de mettre rapidement fin à la polémique actuelle.

La séance est levée à dix-huit heures trente.