Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Hervé Morin

Réunion du 27 avril 2010 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Hervé Morin, ministre de la défense :

La huitième conférence d'examen du traité de non-prolifération s'ouvrira à New York le 3 mai prochain. La France a toute la légitimité nécessaire pour s'y faire entendre, au travers de trois engagements forts.

Le premier concerne la lutte contre la prolifération nucléaire. C'est une condition nécessaire pour progresser réellement dans la voie du désarmement – et non l'inverse comme certains voudraient le faire croire –, pour faciliter l'accès au nucléaire civil, sous le contrôle de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), et pour prévenir le terrorisme nucléaire.

Face aux deux crises de prolifération auxquelles nous sommes confrontés, celles de l'Iran et de la Corée du Nord, nous devons faire preuve de la plus grande fermeté. Il s'agit de savoir si nous serons capables d'éviter la prolifération, de faire en sorte que la communauté internationale soit en mesure d'engager des sanctions ayant reçu l'accord des Cinq, et d'empêcher l'Iran de poursuivre son programme nucléaire militaire. Je rappelle que l'Iran refuse la main que lui a tendue la communauté internationale et viole de façon délibérée depuis 1995 les résolutions du Conseil de Sécurité.

Parallèlement, nous devons continuer à agir pour renforcer le régime de non-prolifération. Pour cela, il faut en particulier renforcer l'AIEA à travers la promotion du protocole additionnel, de nombreux pays n'adhérant pas à ce protocole. Il faut aussi traiter les cas de retrait du TNP pour éviter les abus, les conditions de retrait étant actuellement très souples, mieux contrôler les exportations et l'accès aux informations les plus sensibles et, enfin, nous devons criminaliser les activités proliférantes et réprimer leur financement. Un projet de loi vous sera présenté prochainement sur ce sujet.

Notre deuxième engagement, c'est le désarmement. Dans ce domaine, le bilan français est inégalé et se traduit par sept mesures majeures.

Il s'agit d'abord du démantèlement complet de la composante sol-sol de la force de dissuasion, alors que les États-Unis, malgré la signature de New START, maintiennent leur triade : sol-sol, air-sol et mer-sol.

Nous avons réduit d'un tiers le nombre de nos sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) en passant de six bâtiments à quatre, chiffre en dessous duquel on ne saurait descendre sans remettre en cause la pérennité de notre présence en mer, par exemple en cas d'incident ou d'accident, comme cela a été le cas récemment.

Nous avons diminué d'un tiers la composante aéroportée qui est passée de trois à deux escadrons.

Nous nous sommes engagés à maintenir le nombre total de têtes nucléaires au-dessous de 300, la France étant le seul pays au monde à avoir fait connaître le stock total de ses armes nucléaires.

Nous avons cessé nos essais et démantelé nos sites d'essais.

Nous avons ratifié le traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE) ; nous sommes d'ailleurs les seuls avec les Britanniques à l'avoir fait.

Enfin, nous avons arrêté la production de matières fissiles pour les armes nucléaires et démantelé les installations afférentes.

Ce bilan mériterait d'être mieux connu. Il nous donne toute la légitimité nécessaire pour réclamer des gestes concrets de la part des autres puissances, et ce conformément à la demande du Président de la République et à celle faite par l'Union européenne dans le cadre de son plan de désarmement.

Ces gestes concrets répondent à quatre priorités.

La première, c'est celle du renforcement du cadre multilatéral avec l'entrée en vigueur du TICE et le lancement des négociations d'un traité cut off interdisant la production de matières fissiles pour les armes nucléaires.

La deuxième priorité consiste en la poursuite de la réduction et du démantèlement des arsenaux nucléaires, sachant que, en dépit de New START, les États-Unis et la Russie détiennent à eux seuls plus de 90% des armements nucléaires au monde.

La troisième priorité réside dans le renforcement de la confiance et de la transparence. Là encore, la France est exemplaire : toutes nos installations sont visitées et contrôlées par les experts et par les agences internationales dont l'AIEA.

La quatrième priorité, c'est celle de la poursuite des efforts dans tous les domaines du désarmement, y compris les domaines chimique et biologique, là où réside aujourd'hui le risque terroriste majeur.

Ces objectifs sont réalistes, comme en témoignent les progrès obtenus récemment, qu'il s'agisse de la prise de conscience politique de la nécessité de mieux contrôler les matières fissiles, exprimée lors du récent sommet sur la sécurité nucléaire ; qu'il s'agisse des annonces faites en matière de retrait des stocks d'uranium enrichi par des pays majeurs comme l'Ukraine, le Mexique, le Chili et le Canada ; qu'il s'agisse de la signature du traité New START, qui constitue une bonne nouvelle et qui intègre un processus de vérification, ce qui est loin d'être négligeable. Enfin, nous avons accueilli avec beaucoup d'intérêt la publication par les États-Unis de leur revue de posture nucléaire, dont je vais maintenant vous dire quelques mots.

Cet exercice témoigne de la volonté des Américains de conserver une dissuasion crédible, tout en réduisant le rôle des armes nucléaires. Nous sommes donc encore loin des vues abolitionnistes évoquées durant la campagne de l'élection présidentielle. Les Américains présentent désormais leur dissuasion comme une garantie de la protection de leurs « intérêts vitaux » et de ceux de leurs alliés et partenaires dans « des circonstances extrêmes ». Ils réaffirment également le maintien de leur posture d'alerte et leur disponibilité à maintenir la composante nucléaire de la dissuasion de l'Alliance. Leur doctrine se rapproche donc de celle de la France.

Notre troisième engagement, c'est celui du développement du nucléaire civil. Aujourd'hui, le nucléaire civil redevient l'objet de l'intérêt de pays toujours plus nombreux qui souhaitent relever le double défi de la sécurité énergétique et du développement durable. Dans ce domaine, la conférence internationale qui s'est tenue à Paris les 8 et 9 mars derniers a posé le cadre de nos ambitions : la France est prête à coopérer avec tous les pays qui voudront s'engager dans cette voie en respectant leurs engagements internationaux et les obligations de transparence et de contrôle. C'est là tout le sens du TNP : conditionner le bénéfice des technologies nucléaires civiles au respect des engagements de non-prolifération. Le développement du nucléaire civil ne peut se faire qu'avec les meilleures garanties de sécurité, de sûreté et de non-prolifération. Cela suppose : le renforcement de l'AIEA, notamment en moyens et en personnels ; la promotion des normes et des pratiques les plus exigeantes de sûreté et de sécurité nucléaires, comme c'est le cas en France ; la prévention d'une dissémination incontrôlée des technologies les plus sensibles du cycle du combustible ; enfin, la promotion de solutions sécurisées pour l'enrichissement et le retraitement, notamment en garantissant la fourniture du combustible nucléaire, ainsi que cela a été proposé à l'Iran.

La huitième conférence d'examen constitue un grand rendez-vous. Elle nous offre une occasion exceptionnelle de renforcer le régime de non-prolifération, de favoriser ainsi l'accès au nucléaire civil, tout en progressant vers un monde plus transparent et plus sûr. Pour autant, les quatre semaines de discussion qui s'annoncent seront difficiles. Dans cette affaire, il ne faudra pas sous-estimer le poids des négociations que mène la communauté internationale avec l'Iran. Si nous n'obtenons pas que ce pays fasse un certain nombre de progrès, tout cela perdra beaucoup de son sens.

S'agissant de défense anti-missile, elle constitue a priori un sujet attrayant puisqu'elle permettrait de se garantir contre une attaque nucléaire « rustique ». Mais il faut rester prudent : le système est, en raison de son coût, inaccessible à l'échelon français, et même à l'échelon européen, au vu de la faiblesse des dépenses militaires en Europe. Un tel système ne pourrait donc se mettre en place qu'en association avec les États-Unis et dans le cadre de leur projet. Pour autant il ne fournit pas de réponses aux questions suivantes : quelle est la menace visée ? Quel est le niveau de menace auquel on doit être en mesure de répondre ? À qui reviendraient le commandement et le contrôle de ce système ? Nous ne doutons pas que les Américains voudront conserver la main sur celui-ci. Par ailleurs, cette défense anti-missile s'organise en fonction d'un volume budgétaire prédéterminé ; or nous sommes aujourd'hui confrontés à des insuffisances de moyens dans d'autres secteurs, notamment conventionnels, qui risqueraient donc de s'en trouver encore davantage affaiblis.

Pour les États-Unis, dont les dépenses de défense représentent la moitié des dépenses militaires mondiales, il est possible de s'engager dans un tel programme. Pour un pays au budget contraint, cela risque d'affaiblir sa défense.

Enfin, la problématique anti-missile rappelle celle de la ligne Maginot, du mur d'Hadrien ou de la grande muraille de Chine. Une défense anti-missile n'aurait de sens que pour des pays disposant d'une véritable capacité de résilience, ce qui n'est pas le cas de l'Europe. De plus, un tel système ne constitue qu'un moyen de défense complémentaire, ce qui implique de disposer déjà des autres.

Pour la France, la meilleure façon d'assurer sa sécurité, c'est d'être capable de démontrer sa force. La démarche inscrite dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale est la bonne : elle prévoit de compléter la dissuasion par l'alerte avancée, ce qui suppose de disposer de nos propres moyens d'observation et nos propres systèmes. C'est en effet un moyen de faire savoir à ceux qui pourraient éventuellement nous menacer que nous serons à coup sûr avertis et conscients de l'origine de la menace.

Je suis donc très réticent à l'idée de mettre en place une défense anti-missile. Nous lancer dans un programme de défense anti-missile tout en développant des capacités nouvelles à l'échelon français ou européen impliquerait des arbitrages extrêmement douloureux.

La question de la double composante de notre force de dissuasion a été traitée dans le Livre blanc et examinée lors d'un conseil de défense. Le président de la République a choisi de la maintenir car, sans elle, notre défense perdrait un élément de souplesse. L'avertissement nucléaire en présence d'une menace contre nos intérêts vitaux est en effet rendu possible par la composante aérienne, davantage que par les missiles M 51. Il y va donc de la crédibilité de notre dissuasion nucléaire. En outre, l'essentiel de l'effort budgétaire correspondant a déjà été réalisé.

L'idée de former une force de dissuasion conjointe avec le Royaume-Uni fait l'objet de discussions. Toutefois, le contenu de ces discussions et nos échanges d'information n'ont qu'un lointain rapport avec ce qui est évoqué dans les articles de presse. Mais la mise en place d'une force conjointe ne me semble pas réaliste.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion