Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a entendu les premières conclusions présentées par MM. Alain Gest et Philippe Duron, rapporteurs sur la mission d'information sur les priorités du grand emprunt
Permettez-moi tout d'abord de remercier nos deux co-rapporteurs, l'un de l'opposition et l'autre de la majorité, Philippe Duron et Alain Gest – qui aura ce matin quelques minutes de retard – pour l'excellent travail qu'ils ont accompli ensemble dans un délai très court. Le projet de rapport d'information qu'ils nous présentent aujourd'hui sur les plateformes portuaires multimodales me semble contenir des propositions tout à fait pertinentes d'investissements durables éligibles au grand emprunt national.
Je rappelle que notre Commission a constitué cette mission d'information en septembre dernier, ses propositions devant être transmises au Président de l'Assemblée nationale et au Premier ministre dans les prochains jours.
Je tiens à rappeler d'emblée que, dans le cadre de cette mission, il ne nous appartenait pas de nous prononcer sur l'opportunité d'un grand emprunt, mais de voir s'il était possible de mobiliser des moyens nouveaux pour améliorer la chaîne logistique portuaire.
Avec Alain Gest et les administrateurs de la commission, nous avons travaillé dans un délai très court et cela nous a conduits à décider de focaliser notre réflexion sur les deux grands ports maritimes français que sont Le Havre et Marseille. Pourquoi ce choix ? Les débats de l'année dernière sur la réforme portuaire ont mis en évidence certaines fragilités des ports français, ainsi que la nécessité d'en moderniser le fonctionnement, les infrastructures, et, en particulier, les processus de pré et post acheminements. La nécessité d'agir sur l'ensemble de la chaîne logistique – les professionnels diraient la supply chain - ne fait donc aucun doute.
Le constat, quel est-il ? Depuis une vingtaine d'années, le trafic maritime international a considérablement évolué. D'abord en volume, puisqu'il s'est développé au même rythme que la mondialisation de l'économie. Les échanges entre l'Est et l'Ouest ont notamment crû dans des proportions inimaginables jusqu'alors. Ensuite, ce trafic a fortement évolué dans ses méthodes, avec l'avènement de la « conteneurisation » comme forme la plus rationnelle d'acheminement, ce qui n'a pas manqué de transformer les navires, passés du modèle Panamax à l'Ultramax, lequel peut transporter plus de dix mille boîtes.
Dès lors, il a bien fallu que les ports s'adaptent à ces nouveaux trafics, à ces volumes inédits et à ces matériels de dernière génération. Et il faut bien admettre que nombre de ports de la mer du Nord se sont adaptés plus vite que les nôtres, depuis Zeebrugge jusqu'à Rotterdam et Hambourg, ainsi que certaines places en Méditerranée, comme Barcelone ou Gênes. Les ports ont agrandi et modernisé leurs terminaux, gagné en efficacité de pré et post acheminement, et, au final, se sont constitués des systèmes d'acheminement à terre des marchandises d'une très grande fiabilité.
Bien entendu, la France n'est pas restée inactive et je rappelle les deux grands projets initiés au cours des dernières années : Port 2000 au Havre et Fos 2XL à Marseille. Pour autant, ces opérations de modernisation n'ont pas été aussi amples ni aussi rapides qu'ailleurs. Moralité, les grands armateurs ne les ont pas trouvées suffisantes et ont souvent préféré des ports étrangers. Une part importante de l'acheminement des grandes métropoles françaises se fait même aujourd'hui à partir de ports étrangers : cela est devenu un lieu commun de dire qu'Anvers est désormais le port de Paris !
Comment améliorer la situation ? De plusieurs façons, selon les intervenants que nous avons pu auditionner, qu'il s'agisse du Port de Marseille, des grands opérateurs, des syndicats professionnels ou des grands organismes de l'Etat (VNF, RFF, SNCF…).
Il convient d'abord d'améliorer la manutention sur le port et de développer des chantiers de transport combiné pour rendre plus efficace le transbordement du bateau vers le rail. Ensuite, il faut améliorer la liaison fluviale entre les ports et leur arrière pays - le fameux hinterland. Dans la dernière décennie, le transport fluvial s'est nettement intensifié, tant sur la Seine que sur le Rhône. Les croissances à plusieurs chiffres constatées jusqu'au début de la crise économique ont démontré toute la pertinence de ce mode d'acheminement, non seulement pour les pondéreux mais aussi, aujourd'hui, pour les boîtes, jusqu'au coeur des grandes agglomérations. Or je n'ai pas besoin de rappeler que le Grenelle de l'environnement fait du report modal, notamment de la route vers le fleuve, une urgente obligation, pour combattre la congestion des axes et la pollution atmosphérique.
Que peut-on faire hors des cadres classiques de financement des infrastructures de transport que sont les grands projets d'Etat, les CPER ou les mannes de l'AFITF - dont on connaît du reste les difficultés, puisque M. du Mesnil nous a rappelé au cours de sa dernière audition en commission qu'elle n'était pas en capacité d'assurer à RFF le financement de la LGV Est, 1,5 milliard de crédits lui faisant défaut jusqu'à 2012 ?
Nous nous sommes attachés à identifier les travaux réalisables dans un délai rapide, afin qu'ils participent de la relance économique dont le pays a besoin tout en nous permettant de remplir nos objectifs de transfert modal.
A la fin de notre projet de rapport d'information figure un tableau qui dresse la liste et le chiffrage des différentes catégories d'opérations qui pourraient être réalisées rapidement et produire un effet de système sur l'ensemble de la chaîne logistique de nos deux principales places portuaires, en Manche et en Méditerranée.
S'agissant du Havre, 360 millions – soit une somme relativement raisonnable – pourraient être mobilisés au profit de l'amélioration de la logistique, dont 220 millions pour l'achèvement de Port 2000 et du port aval. La massification des flux est tout aussi nécessaire : il est impératif, d'une part, de pouvoir décharger et recharger dans un délai très bref des navires de grande capacité, et, d'autre part, de composer rapidement les trains de sortie des cargaison hors des ports. A ce titre, il convient de mobiliser 86 millions au profit de l'amélioration de la performance multimodale du port et d'améliorer la liaison entre le port du Havre et la Seine via le Grand Canal et l'écluse filiale. Il s'agit d'améliorer notablement le système – aujourd'hui trop faible - de déchargement des navires de bord à bord par barges fluviales. Il convient aussi de ne pas négliger toutes les opérations liées au brouettage, très insuffisantes au Havre comme le savent ceux qui connaissent le site. L'évolution est facilitée par le fait que le port détient désormais en pleine propriété ses infrastructures et qu'il peut donc investir directement dans des mesures d'amélioration logistique.
Enfin, il faut s'attaquer à un sujet majeur : comment sort-on du port du Havre ? Aujourd'hui, l'essentiel du pré et post acheminement est réalisé par la voie routière, du fait de sa souplesse et de sa rapidité. Et il est bien compréhensible que les chargeurs aient recours au mode le plus efficace. Les moyens d'élargir l'hinterland portuaire sont bien connus : accélérer la réalisation – bien engagée – du canal Seine Nord Europe et réhabiliter la ligne ferroviaire Serqueux-Gisors pour en renforcer la fiabilité.
Au total, les investissements au profit du port du Havre représentent un montant estimatif d'un peu plus de 2 milliards d'euros.
J'en viens au port de Marseille, dont on a beaucoup parlé en 2008 au moment de l'examen de la réforme portuaire. Si le port de Marseille a connu d'importantes difficultés, il n'en est pas de même du port de Fos, où la gouvernance et l'évolution du service rendu sont meilleures. Le port de Marseille a voté son projet stratégique mois d'un an après la promulgation de la loi et il présente aujourd'hui toute une panoplie de propositions, valables tant pour son site propre que pour celui de Fos.
Ces projets, quels sont-ils ? Il faut accélérer la préparation de Fos 3XL de manière à anticiper l'augmentation des volumes. Comme vous le lirez dans le rapport, l'un des enjeux majeurs est de capter une part plus importante du trafic vers l'Europe occidentale par les ports méditerranéens. Marseille doit être mise en situation de jouer à cartes égales avec Barcelone, Valence ou Gênes, et cela ne sera possible qu'en améliorant l'efficacité de l'acheminement. Traditionnellement, Marseille regardait plus volontiers vers la mer que du côté de son hinterland. Si la situation a évolué, elle demeure encore très perfectible.
Il convient donc d'améliorer la logistique portuaire et d'obtenir un véritable désenclavement, tant routier que ferroviaire et fluvio-maritime. L'axe de dégagement routier est à saturation et il ne permettra pas - à très court terme - de faire face à l'augmentation des volumes attendue dans le port de Fos. S'agissant du ferroviaire, il est urgent d'améliorer les lignes qui desservent tant le port de Marseille que celui de Fos. Là encore, si l'on veut augmenter le trafic, il faut pouvoir pré et post acheminer dans de meilleures conditions. Désenclavement fluvio-maritime, enfin, avec le doublement des entrepôts et la création de 1800 emplois en trois ans. Cela passe par une meilleure liaison entre le Rhône et les darses du port de Marseille. Pour ce faire, il convient de réaliser un ouvrage d'environ trois kilomètres pour un coût qui ne semble pas inaccessible.
Au total, les investissements proposés en faveur de l'amélioration du port de Marseille atteignent un montant – certes très inférieur à celui du Havre mais tout de même conséquent – de près de 600 millions.
Si l'on cumule les efforts à consentir pour les deux sites, tant pour l'amélioration de la logistique que pour la massification des flux et l'élargissement de l'hinterland portuaire, on arrive à un montant de 2,7 milliards, ce qui, compte tenu de l'enveloppe annoncée pour le grand emprunt, n'est pas prohibitif.
Cet effort renforcerait considérablement l'ensemble de la chaîne logistique française et lui permettrait d'atteindre un degré de performance sans précédent. Il est impératif d'accélérer la mise à niveau de nos grands ports pour les aider à affronter la concurrence internationale tout en renforçant la cohérence entre nos différents modes de transport. Inutile de se cacher que la route restera pour longtemps très largement majoritaire si l'on n'opère pas sans délai ces indispensables mutations !
S'agissant des chiffres précis et des analyses plus complètes, je renvoie évidemment à notre projet de rapport écrit.
Merci beaucoup, cher Philippe Duron, pour cet exposé rapide et néanmoins complet de vos conclusions. Nous en venons aux questions.
Nous découvrons cet intéressant rapport et nous remercions les rapporteurs d'avoir travaillé sous la contrainte d'un calendrier très serré. Cependant, j'exprime un regret, à propos de votre choix de départ de ne retenir que le domaine portuaire comme source possible de progrès dans les transports. Il ne serait pas inutile de consacrer un développement aux graves inquiétudes que l'on peut avoir quant au financement de la politique des infrastructures dans notre pays. De même, je suis surpris de ne pas trouver ne fût-ce qu'une allusion à l'avion vert, proposé par le monde aérien dans le cadre, précisément, du grand emprunt. Il y a matière à appeler de nouveau l'attention du Premier ministre et du Président de l'Assemblée nationale sur les difficultés de financement des investissements comme sur le sujet essentiel de l'avion du futur – lequel s'inscrit dans les critères d'éligibilité au grand emprunt tels qu'ils semblent se confirmer. Je conçois bien que vous n'ayez pu ouvrir « trente-six chantiers » dans ce rapport mais il est important d'apporter des réponses aux attentes du monde aérien dans cette période de crise.
Je remercie les deux rapporteurs pour la qualité de leurs travaux. Je constate qu'ils mettent en avant des projets chiffrés avec exactitude ; est-ce à dire qu'ils sont prêts à être réalisés et n'attendent que leurs financements pour être lancés ? Il me semble en effet important que les projets retenus dans le cadre du grand emprunt soient immédiatement réalisables.
Le port de Marseille présente une grande importance pour tout le quart sud-est de la France et pour la ville de Lyon à travers l'artère fluviale rhodanienne, qui ne demande qu'à se développer. Les rapporteurs ont-il eu le temps de se pencher sur le dossier de tunnel du Rove et sur les investissements programmés en vue d'améliorer la liaison fluvio-maritime ?
Par delà le grand emprunt et le volume des investissements nécessaires, chacun sait que le problème marseillais tient avant tout à la gouvernance du port et aux grèves incessantes. Avant d'envisager des investissements lourds, ne faudrait-il pas régler le problème social une bonne fois pour toutes ? Si Gênes et Barcelone se sont autant développées, c'est d'abord parce que les mouvements syndicaux ont « flanqué par terre » le port de Marseille !
Je m'étonne que les rapporteurs se soient limités à Marseille pour traiter de la façade méditerranéenne. Le port de Sète n'est notamment pas mentionné alors qu'il dispose de bonnes capacités de desserte fluviale avec le canal du Rhône à Sète et ses possibles complémentarités avec les autoroutes de la mer.
Nous savons tous que le problème de Marseille a davantage trait à ses mouvements sociaux qu'à la concurrence de la route. Le port de Marseille a cependant accompli d'énormes progrès. Je constate que nous n'avons plus aucun port compétitif à l'échelle européenne, alors que l'hinterland de certains ports hollandais se prolonge jusqu'au sud de Lyon. Il existe également un problème de compétitivité du transport routier, qu'il faudra certainement relier au développement durable dès lors que nos sillons seront fiables. Je rappelle enfin que le transport de longue distance pour lequel on peut privilégier des solutions multimodales en transport combiné ne représente que le cinquième du total français. Quatre-vingt pour cent de la circulation convoient en effet sur de courtes distances pour lesquelles la route restera la seule option.
L'hinterland de Marseille ne devrait-il pas courir jusqu'à la Moselle et prendre en compte la canalisation de la Saône, de façon à se placer au coeur des échanges européens à l'instar des grands ports hollandais ?
Le champ de ce rapport a été pour partie induit par le temps limité dont nous avons disposé. Nous avons donc ciblé ce qui pouvait avoir une forte incidence internationale. Bien entendu, nous aurions pu parler d'autres ports d'intérêt national comme Dunkerque, Nantes Saint-Nazaire ou Bordeaux, d'anciens ports d'intérêt national désormais transférés aux collectivités locales comme Sète, Caen, Cherbourg ou d'autres… Au final, nous avons préféré concentrer nos investigations sur une cible restreinte.
Comme l'a évoqué François-Michel Gonnot, nous eussions pu aussi bien aborder d'autres sujets d'intérêt majeur comme l'avion vert, dont nous nous sommes du reste entretenus avec Dominique Bussereau lorsque nous l'avons auditionné. Le ministre est venu nous voir avec une « liste de commissions » qui couvrait toute la palette des modes de transport et le grand emprunt tout entier eût à peine suffi pour l'honorer !
Je suis tout à fait d'accord pour ajouter une page à ce rapport sur la question du financement des infrastructures, pour relever la situation extrêmement préoccupante que l'administrateur de l'AFITF que je suis ne peut ignorer.
Quelles bornes fixer aux hinterlands ? Il peut être tentant de remonter très loin mais, compte tenu de la feuille de route qui était la nôtre, nous nous sommes efforcés d'aller au plus utile. C'est pourquoi nous avons souhaité que Marseille puisse devenir le port de Lyon et de la Saône, cependant que Le Havre se mettrait au niveau d'Anvers pour la desserte de l'Ile-de-France et du très grand Bassin parisien.
Jean-Paul Chanteguet s'est interrogé sur la fiabilité des chiffres que nous présentons. Nous les avons collectés dans les projets stratégiques que les deux grands ports maritimes ont d'ores et déjà adoptés et qui réalisent une prospective à quinze ans de plusieurs pré-projets déjà évalués. Nous avons également bénéficié de l'aide de Réseau ferré de France et du Gouvernement. Les montants présentés ne sont donc pas estimés « au doigt mouillé » : ils résultent d'une approche rigoureuse et cohérente du sujet, même si chacun sait que, comme toujours, ils ne seront pas forcément tenus au stade de la réalisation.
Je vous remercie pour cette présentation. Je salue l'arrivée d'Alain Gest mais la suite de l'ordre du jour de nos travaux m'empêche de lui donner la parole, compte tenu de l'heure.
Je propose à la Commission d'autoriser la publication du rapport, sous réserve que nos deux rapporteurs complètent la version provisoire à partir des différentes remarques faites ce matin. Nous transmettrons ensuite dans les meilleurs délais la version définitive au Président de l'Assemblée nationale et au Premier ministre.
L'introduction et la problématique seront développées pour préciser encore le champ nécessairement restreint de nos investigations. Nous resituerons aussi notre réflexion dans le contexte plus général du financement des infrastructures en mettant en avant quelques constantes : respecter les prescriptions du Grenelle de l'environnement, favoriser la relance de l'économie nationale, valoriser la logistique et exploiter le gisement d'emploi considérables qu'elle recèle.
La Commission autorise le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.
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Information relative à la commission