La séance est ouverte à neuf heures dix.
Aujourd'hui a lieu notre troisième séance d'auditions au cours de laquelle nous entendrons Mmes Sihem Habchi et Élisabeth Badinter.
Nous organiserons, la semaine prochaine, une table ronde avec des associations laïques et nous entendrons, à huis clos, deux personnes qui travaillent sur le terrain dans un département d'Île-de-France.
Le 23 septembre, est prévue une réunion entre membres de la mission pour faire un point d'étape sur nos travaux et, le 29 septembre, nous entendrons des élus de l'association Ville et Banlieue de France, le maire de Nancy, M. André Rossinot, auteur, en 2006, d'un rapport sur la laïcité dans les services publics, et, sous réserve, un spécialiste du salafisme ou Maître Gisèle Halimi. Il nous faudra aussi organiser, début octobre, une rencontre avec les représentants du Conseil français du culte musulman.
À la suite de la publication dans la presse, fin juillet, d'une estimation du nombre de femmes portant la burqa en France émanant d'un rapport de police, j'ai adressé une lettre, cosignée par notre rapporteur, M. Éric Raoult, à M. Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur, pour lui demander communication du rapport en question et des éclaircissements sur le chiffre avancé. Un autre chiffre est cité dans Le Figaro de ce matin, émanant d'un autre service de ce ministère. Nous devrons examiner cette question de près.
L'objectif de notre mission, je le rappelle, est de faire un état des lieux. Nos travaux porteront sur tout ce que recouvre cette réalité compte tenu des évolutions constatées depuis maintenant une vingtaine d'années dans notre pays. Nous voulons comprendre et surtout déboucher sur des préconisations en souhaitant que la majorité d'entre elles soient partagées par les associations féminines, laïques et – pourquoi pas ? – par une partie des musulmans qui veulent vivre dans notre pays dans le respect des règles de la République et de la laïcité.
Selon un sondage réalisé par le site oumma.com et pris comme argent comptant par les médias, une large majorité des Français musulmans se déclare hostile à une loi réglementant le port du voile intégral et considère la création d'une mission parlementaire sur le port de la burqa comme une « stigmatisation de l'islam ». Je m'étonne que n'importe qui puisse faire des sondages sans méthode sérieuse et publier ensuite des affirmations dénuées de fondement. Cette campagne de désinformation me paraît préoccupante, et je me demande comment nous pouvons y réagir.
J'ai prévu de vous donner tous les éléments dont nous disposons sur ce sujet. La consultation du site oumma.com, qui est en lien avec le travail de Tariq Ramadan, est très instructive. Nous en parlerons lors de notre rencontre du 23 septembre.
La mission aurait tout intérêt à mieux communiquer sur ce qu'elle fait. Il n'y a pas que sur le site oumma.com que sont affirmées des contre-vérités. J'ai été très choqué de lire, au milieu de l'été, sous la plume de Mme Lemonnier – que je ne connais pas mais à qui j'ai écrit à la suite de son article dans Le Nouvel Observateur – que notre mission parlementaire n'avait d'autre but que d'interdire la burqa et était une « alliance sacrée entre politiques de droite défenseurs de l'identité chrétienne de la France et élus de gauche ultra-laïques. » Personnellement, je ne sais pas ce qu'est un ultra-laïque puisque, pour moi, la laïcité est un combat contre tout ce qui est ultra. Nous aurions intérêt à communiquer avec les journalistes pour casser un certain nombre de jugements préétablis qui sont désagréables à lire dans la presse.
Il me paraît utile de rappeler aux journalistes que nos travaux sont consultables sur Internet. À l'issue de notre réunion du 23 septembre prochain, nous pourrons également envisager de préciser à nouveau, par le biais, par exemple, d'une conférence de presse, que notre mission est républicaine et représentative de l'ensemble des sensibilités de l'Assemblée nationale.
Nous devons vivre aujourd'hui avec Internet car nous ne reviendrons pas au temps de la marine à voile. Dès lors, il faut répondre du tac au tac étant entendu que toutes les informations qui remontent du terrain montrent que nos compatriotes, quels qu'ils soient, sont profondément choqués par cette « coutume » du voile intégral et attendent beaucoup de notre mission. Il ne faudrait pas non plus considérer que nous sommes cernés car ce n'est pas vrai.
Je considère comme une nouvelle provocation l'apparition cet été en France du burkini. Une jeune femme de confession musulmane s'est vue refuser l'accès au bassin de la piscine d'Emerainville en Seine-et-Marne dans cette tenue de bain. En ma qualité de maire de Vienne, j'ai été confronté à un événement similaire et j'ai également dû interdire l'accès. J'aimerais que cette question soit discutée par notre mission.
D'autres sondages seront réalisés. Le Figaro de ce matin demande à ses lecteurs de donner leur avis sur le site lefigaro.fr sur la question : « Faut-il légiférer pour interdire la burqa ? ». Nous serons également confrontés à d'autres provocations. Concernant le burkini, je crois qu'il est, tout de même, important de rester centrés sur l'objet de notre mission.
Audition de Mme Sihem Habchi, présidente de l'association Ni putes ni soumises
Comme je l'ai indiqué lors des premières auditions, le voile constitue la face cachée d'un phénomène plus général qui affecte en profondeur la société française. Comme nombre d'entre vous, Mesdames, Messieurs les députés, membres de la mission, je me suis forgé une conviction à partir des observations que j'ai faites dans l'exercice de mes fonctions d'élu local. Nous constatons, en effet, à des degrés différents, une lente paupérisation de certains de nos quartiers, qui n'est pas sans rapport avec le développement de pratiques et de conduites qui portent atteinte aux principes auxquels nous sommes attachés. Nous partageons tous le sentiment que le port du voile intégral met en cause la liberté et la dignité des femmes. Mais d'autres interrogations apparaissent autour de cette pratique. C'est un fait qui touche la vie des quartiers et qui soulève beaucoup de questions, notamment celle des relations entre filles et garçons dans ces quartiers.
Nous recevons aujourd'hui, pour notre première audition de rentrée, Mme Sihem Habchi, présidente de Ni putes ni soumises, association bien connue qui est à la pointe du combat pour le respect de la dignité des femmes et la promotion de l'égalité entre garçons et filles dans les quartiers. Mme Habchi est également, depuis 2007, membre du collège de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE).
Je vous remercie, Madame Habchi, d'avoir accepté de vous exprimer devant la mission.
Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Mesdames, Messieurs les députés, permettez-moi, tout d'abord, de saluer votre initiative qui met la République face à un nouveau défi en ouvrant les travaux de cette mission d'information sur le phénomène du voile intégral et tout ce qui l'accompagne. L'enjeu est de savoir si l'on veut faire du droit des femmes un préalable au progrès social ou en faire la variable ajustable, négociable, en fonction des demandes et des revendications de communautés, de groupes ou d'individus. L'enjeu est également de savoir si l'on est prêt – si vous êtes prêts – à aborder un nouveau combat féministe. Après le droit de vote et le droit à l'avortement, l'occasion nous est donnée aujourd'hui de réaffirmer le droit d'être femme, de manière complètement inaliénable, et le droit à l'émancipation pour toutes.
Mesdames, Messieurs les députés, il ne faut pas nous voiler la face. La burqa est le symbole critique d'un point de non-retour, un chemin pour l'émancipation des femmes en France.
Je n'ai pas besoin de vous faire de dessins et je ne vais pas, comme certains, vous vanter l'esthétique du voile. La burqa est bien le symbole le plus violent de l'oppression des femmes et n'a rien à voir avec la religion musulmane, ma religion. Elle apparaît comme le point culminant d'une évolution en France d'une vision archaïque du rôle des femmes, confinées dans la sphère sexuelle, loin du champ économique et social. La burqa symbolise l'apogée d'un système de relégation des femmes qui prend sa source dans nos quartiers populaires.
Les symptômes sont visibles depuis vingt ans. Ni putes ni soumises s'est constituée en opposition à la réduction de plus en plus grande des espaces de liberté des femmes musulmanes.
Nous avons – faut-il le rappeler ? – payé le prix, et cher : filles rasant les murs et soumises à un contrôle obsessionnel de leurs allées et venues dans l'espace public par les frères d'abord puis l'ensemble des hommes. La soumission commence là : nous ne nous appartenions plus et notre vie quotidienne était rythmée par la routine du respect des horaires, puis du respect d'une tenue vestimentaire réglementaire où la jupe était bannie et, enfin, d'un contrôle de la sexualité avec l'établissement de la sacro-sainte virginité comme baromètre. Le jugement du tribunal de grande instance de Lille, en avril 2008, nous l'a, malheureusement, encore bien démontré.
Nous étions le point aveugle d'une société qui, pour mieux gérer ses quartiers populaires et ses populations, s'est trouvée une règle qui en arrangeait plus d'un : la loi du silence. « Il ne faut pas stigmatiser », nous disait-on. Parler, dénoncer, lever le voile, c'était discriminer les populations, souvent immigrées ! J'appelle cela du racisme à l'envers. Et c'est une belle entourloupe pour flatter les bonnes consciences de certains responsables politiques.
Cette inconscience politique a, au bout du bout, permis les pires des exactions contre les femmes. J'ai encore devant les yeux le portrait de Sohane, brûlée vive dans un local à poubelles pour avoir dit non. Je me rappelle de Samira Bellil, qui a été victime de nombreux viols collectifs et nous a quittés il y a cinq ans. Me reviennent également en mémoire Erim, Malika et tant d'autres qui ont été victimes de mariages forcés, Diaryatou Bah qui a été victime d'excision qui l'a contrainte à faire trois fausses couches, Myriam qui, pour avoir simplement effleuré le bras d'un garçon a décidé d'en finir avec l'oppression familiale et s'est défenestrée en juin dernier. Si certaines ne sont plus parmi nous, d'autres restent debout pour faire en sorte que leurs soeurs ne soient pas mortes pour rien.
Parallèlement à la montée de la violence envers les femmes, la pression sur le corps dans l'espace public est devenue de plus en plus forte. Le harcèlement physique et moral devenait insupportable.
Les filles ont grandi dans cet univers carcéral. Nous devenions des corps dociles dans un système de dressage où les symboles punitifs devaient servir d'exemple à toutes celles qui ne respecteraient pas la règle, comme Khadija, égorgée sur la place publique de Limoges en 2005 pour avoir osé demander le divorce ou Shérazade, brûlée vive la même année dans la rue devant chez elle pour avoir dit non.
Les rumeurs sur les filles faciles constituent un autre moyen de pression : seul le port du voile garantit le respect.
Les dépressions sont courantes et le mal-être grandissant. Dans ce contexte, les études restent le premier échappatoire. Mais, alors que l'école de la République jouait la carte de l'intégration en mettant les enfants dans le même bain des valeurs universelles de citoyenneté et de mixité, les années 1990 ont vu une accélération communautaire dans nos quartiers, ce qui a réduit les filles à des marqueurs identitaires.
La circulaire de 1989 de Lionel Jospin, alors ministre de l'Éducation nationale, a mis un point d'arrêt à l'immense espoir que nous placions dans l'école – qui, pour nous, représentait la vie et l'émancipation. Nous nous sommes rendus compte que tout cela n'était pas pour nous. Nous devenions des sacrifiées de la République, l'étendard d'un projet de société qui faisait le choix du voile comme régulateur social. « C'est un moyen d'accepter nos immigrés », entendions-nous. « Il faut laisser les populations choisir leur mode de vie, ne rien leur imposer ». Et tant pis pour les femmes ! Le message était clair pour nous. Nous n'avions pas le droit à l'émancipation.
Pire, au lieu de nous tendre la main, les institutions nous ont tendu le voile. Par ce glissement vers un communautarisme affiché et revendiqué, la France ouvrait une brèche aux islamistes, une alliance contre nature, qui déboucha sur des horaires de piscine non mixtes et des gymnases réservés aux femmes. La mixité dans les espaces publics se réduisait comme peau de chagrin, y compris dans les institutions.
Les islamistes ont ainsi trouvé, dans les quartiers populaires – les quartiers ghettos – un terreau utile à la propagation de leur message. Ils allaient offrir ce qui paraissait une solution de remplacement en réduisant notre identité à la communauté des croyants.
Le temps est fini où l'on criait lors des manifestations : « Première, deuxième, troisième génération ! Nous sommes tous des enfants d'immigrés ! ». Aujourd'hui, nous disons : « Nous sommes tous des musulmans. »
La propagation du voile fut galopante. L'institution de ce système carcéral pour femmes s'accompagna d'un discours qui structura et valida les élans les plus machistes. On peut parler d'instrumentalisation par des groupes radicaux qui ont utilisé ma religion pour asseoir la domination masculine et la rendre crédible. De nouvelles normes se sont installées, scindant la population des femmes en deux : les voilées et les autres.
Nous avons alors entendu des choses curieuses. Selon certaines féministes, le voile était un outil d'émancipation. « Cela te permet de sortir. », nous assuraient-elles.
Peut-on associer les mots « espace de liberté » et « voile » ? Le voile offre-t-il plus de liberté aux femmes ou est-il simplement une chaîne reliée à un système machiste qui garde un moyen de contrôle ? Qui contrôle qui ?
Indéniablement, le voile ne nous permettait pas d'échapper aux chaînes machistes puisqu'il fallait respecter les règles : certaines n'allaient plus à la piscine, refusaient d'assister aux cours de biologie et disparaissaient lors des cours de sport. Elles étaient soumises à la loi des hommes, aux obscurantistes. Symbole de la société machiste et de l'exclusion assumée et revendiquée, le voile est un marqueur pour scinder la population française. L'avènement de la ségrégation a lieu quand les victimes intègrent l'oppression et revendiquent leurs chaînes.
En vous déplaçant dans votre ghetto ambulant, vous avez le respect de tous. Personne ne vous harcèle. On vous valorise même. Ainsi se dessine, petit à petit, pour une partie des filles, une solution pour échapper à l'oppression quotidienne. Acheter sa tranquillité pour avoir le respect, est-ce cela le projet de la République ?
En 2004, la situation était devenue critique et la pression sur les filles non voilées grandissante. Après des mois de débats, une loi a été votée, réaffirmant la laïcité à l'école. Nous étions réhabilitées dans notre statut de citoyennes et, enfin, respectées par la République.
Mais l'espace public resta miné. Comme nous n'avions eu de cesse de le dire, pour nécessaire qu'elle était, la loi n'était pas suffisante. Le terrain ne devait pas être laissé aux pourvoyeurs ni aux rétrogrades. Mais les espaces de liberté ont continué à se réduire de manière inversement proportionnelle à l'extension du voile au jilbab, puis au niqab et, enfin, à la burqa.
J'ai recueilli à votre intention le témoignage de Karima qui a porté le voile intégral.
Karima exerce une profession commerciale et a grandi dans un quartier populaire de la région parisienne. Son enfance a été marquée par une pression familiale et une éducation très dures pour les filles et, comme beaucoup de jeunes filles, elle s'est mariée pour échapper à l'étouffement familial, mais avec un homme qu'elle a choisi. Malheureusement, après deux ans de mariage, son mari bascule dans le fanatisme parce qu'il retourne habiter dans son ancienne cité. À l'arrivée du deuxième enfant, les choses s'accélèrent. Karima accepte les nouvelles exigences sans vraiment comprendre qu'elle renonce à ses libertés. Cela commence par des conseils sur le comportement que doit avoir une femme : « Il ne faut pas mettre de parfum. » ; « Quand tu mets des talons, le diable te suit. » ; « Si tu refuses de coucher avec moi, c'est un péché et les anges vont te maudire jusqu'au matin. » La pression psychologique aidant, Karima accepte de porter le voile et ne porte plus que des baskets. Finis les talons ! Son mari lui apporte des lectures concernant le jilbab : il faut cacher les formes pour ne pas attirer le regard des hommes. La pression monte d'un cran. Le mari de Karima lui raconte que, si la femme montre ses cheveux, des anges de l'enfer l'attrapent, la pendent par les cheveux et la brûlent petit à petit et qu'elle est condamnée à une souffrance éternelle. Il lui fait lire d'autres slogans du type : « Si tu sors en décolleté, on te versera de l'acide sur toi jusqu'à ce qu'il y ait un trou. » Il la soumet même à l'épreuve de la flamme, lui demandant d'étendre son bras au-dessus d'une flamme pour ressentir la douleur provoquée par celle-ci. Devenue insomniaque, déprimée, Karima continue à lire les lectures conseillées par son mari. Elle témoigne : « Quand je me regardais dans un miroir, je ne me reconnaissais plus. Je n'avais plus envie de rien, plus envie de me faire belle. Par contre, lorsque mon mari rentrait, il fallait être prête et lui donner envie. Je devais être parfumée, maquillée. Des fois, il m'appelait du travail pour savoir si je m'étais préparée. » Son espace de liberté se réduisit ainsi jusqu'au jour où les violences physiques ont commencé. « Il a commencé à me frapper », raconte-t-elle, « parce que je sortais sur le balcon sans voile. Puis, me disant qu'il ne fallait pas qu'on voie les formes de mes lèvres, il m'a remis un voile intégral que j'ai encore une fois accepté. Je voulais que ça s'arrête. J'ai vécu un véritable enfer. J'étais devenue un spectre. » Karima avait disparu ! « Puis, un jour, mon mari a dit aux enfants que maman avait fait une bêtise et qu'elle allait rester là parce qu'un chien, ça reste à la maison ! » Karima s'est enfuie le lendemain.
Le récit que je viens de faire est, non seulement, celui d'une femme victime de violences, mais surtout celui d'une femme qui a eu le malheur de trouver dans l'escarcelle de son mari le voile intégral, qui a été le point culminant de l'oppression qu'elle a subie pendant trois ans. Réduite à un objet sexuel, elle n'avait plus d'identité. Elle n'était plus personne.
Avec le voile intégral – burqa, niqab, appelez-le comme vous voulez –, nous avons atteint le paroxysme de l'oppression machiste. C'est pourquoi je parle d'un point de non-retour. Comment peut-on dire que les femmes ont le choix de porter ou non le voile intégral alors qu'elles subissent le plus souvent des pressions quotidiennes de leur entourage, comme je viens de vous les décrire ? Quelles possibilités d'émancipation ont-elles face à cette remise en question de leurs vêtements ? Jugées trop féminines ou trop masculines, elles en viennent à sacrifier leur corps, considéré comme trop encombrant. Tout signe indiquant l'appartenance à la société est rejeté au profit d'un signe d'exclusion comme la burqa.
Le risque est de voir se pérenniser la coexistence de deux mondes parallèles et totalement hermétiques : celui dans lequel les femmes connaissent leurs droits et savent que leur corps est leur propriété et celui dans lequel, sous couvert de burqa, les femmes revendiquent le fait d'être purement et simplement l'objet sexuel de leur époux.
Quel message adressons-nous aux jeunes générations ? Les enfants se construisent aujourd'hui avec des symboles d'aliénation et de soumission de la femme dans l'espace public.
Il importe de s'interroger sur la progression du port du voile intégral. Pourquoi voyons-nous autant de burqas aujourd'hui alors qu'on n'en voyait pas il y a dix ans ? Elle est maintenant portée par des Africaines du sud, des Françaises de souche – qui constituent d'ailleurs la nouvelle génération des militantes de Ni putes ni soumises.
Oui, il y a une progression du nombre de femmes voilées. Quant aux chiffres parus dans la presse, ils sont produits par ceux-là mêmes qui ricanaient dans les années 1990 et défendaient le voile à l'école ! En 1989, on comptait deux filles voilées. Aujourd'hui, des centaines, voire des milliers de filles sont mises sous cage.
Le port du voile intégral est une question de principe, pas de chiffres, et, lorsqu'on cède sur les principes, c'est le modèle social qui est remis en question. L'alternative est claire : c'est la République ou la burqa.
Cette dernière n'est, d'ailleurs, que la partie visible de l'iceberg. Le phénomène s'est accompagné d'une série de conflits dans l'espace public, mettant au défi et le service public et les institutions de la République. Le bras de fer continue. Les tests se multiplient. Les exemples sont légions. Il n'est que de citer le refus des femmes de se laisser identifier à la sortie des écoles par les institutrices. Il n'y a que la présence policière pour les faire céder. Et, encore, la police doit-elle demander à des femmes de procéder à l'identification, ce qui est déjà un recul sur les principes. Dans les piscines, on veut imposer, en plus des horaires réservés aux femmes, le port du burkini. L'aménagement des horaires s'étend aux gymnases et aux salons de coiffure afin que les femmes échappent au regard des hommes. Des médecins se font agresser parce qu'ils ont osé soigner une femme.
Les agents du service public sont soumis à la loi de la laïcité mais pas les bénéficiaires ! Pourquoi les institutions de la République doivent-elles s'adapter aux revendications de non-mixité et de ségrégation des sexes ?
Face à ces tests successifs, les défenseurs des libertés, certains politiques, certains membres de la société civile « droits-de-l'hommistes » et certaines féministes sont tombés dans le piège du relativisme culturel, qui les a poussés à justifier et à accepter n'importe quoi – comme la polygamie et l'excision – et à hésiter à condamner le voile intégral. La gangrène est bien réelle. Le mal ne vient pas simplement de ceux qui propagent et qui diffusent le message mais aussi de ceux qui, alors qu'ils sont censés défendre les libertés fondamentales, ne le font pas.
Les idées rétrogrades investissent la société et l'on assiste à un effondrement de l'ordre social. La burqa est un symptôme de cet effondrement. La laïcité non seulement garantit la séparation du politique et du religieux mais également promeut un espace d'interaction sociale entre hommes et femmes, hétéros et homos, riches et pauvres permettant la définition d'un nouveau pacte social. La laïcité est la condition sine qua non de l'exercice de la démocratie.
En refusant, le 27 juin 2008, la nationalité française à une femme en burqa, qui affirmait son refus des valeurs d'égalité des sexes, le Conseil d'État a rectifié le tir en rappelant les valeurs qui nous permettent de tous vivre ensemble. Oui, la liberté a des limites : les principes qui organisent la société afin que nous puissions vivre ensemble.
En tous les cas, la dignité de la personne humaine doit être respectée. Les femmes doivent être respectées à la fois en tant que personnes humaines et en tant que composantes de l'ordre public.
Une autre décision du Conseil d'État du 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, réaffirme le principe du respect de la dignité humaine en interdisant le lancer de nains. Un nain avait fondé son entreprise sur le fait de se faire lancer lors de manifestations. Le maire de la ville dans laquelle il devait se produire a interdit cette pratique au nom de la dignité de la personne humaine. Le Conseil d'État a confirmé cette décision. Donc, si une femme veut porter la burqa, on peut le lui interdire au nom de la dignité de la personne humaine.
Nous devons continuer dans la voie ouverte par le Conseil d'État, à la fois en matière d'intégration et de défense des valeurs universelles. La HALDE a également pris des décisions en ce sens. Aux termes de la Constitution, la femme est l'égale de l'homme. La burqa est contraire à ce principe constitutionnel.
Sur le plan européen, on constate que c'est en France, pourtant critiquée, que l'autre s'intègre le mieux et que le « nous » collectif est revendiqué, contrairement au Royaume-Uni qui paie le prix fort de sa politique de laisser-faire face aux intégristes. Plusieurs ministres britanniques se sont déclarés choqués par le port de la burqa et ont salué l'initiative de la mission française. La France est le pays où l'on compte le plus de couples mixtes – mais peut-être pas pour longtemps.
Je tiens également à rappeler qu'il y a même un islamiste radical qui, à la suite de la mise en place de cette mission d'information, a traité de « hore », c'est-à-dire de « pute » la première dame de France, parce qu'elle représente les valeurs occidentales et qu'elle est trop dénudée à son goût.
Je crois que la France est le seul pays à pouvoir avoir un débat sur le voile et trancher la question. Elle porte une responsabilité aux yeux du monde parce que des femmes continuent à mourir dans le monde pour défendre leur liberté – je pense à Loubna Ahmed al-Hussein au Soudan, qui a affronté les tribunaux pour avoir porté un pantalon, à Nojoud Ali qui a osé demander le divorce à l'âge de dix ans et aux Koweitiennes qui sont entrées au Parlement sans voile.
Il me semble qu'on a déjà oublié les journées sanglantes de mon pays d'origine, l'Algérie, quand des femmes se sont fait égorger pour ne pas avoir le choix de porter le foulard. Que dire également de ces femmes afghanes privées d'éducation et souffrant des séquelles liées au port de cette prison ambulante ?
Quand je pense que M. Obama a tendu la main aux intégristes au Caire en pensant les acheter avec le voile. Il n'a pas dit un mot sur les libertés fondamentales au Caire, ni sur l'orientation sexuelle, les homosexuels séquestrés, assassinés, les violences faites aux femmes ! Pas un mot pour toutes ces femmes qui sont en train de se battre de par le monde afin de poser le débat dans leur pays !
Nous devons soutenir ces femmes. Seule la France peut le faire car elle dispose d'un cadre pour cela. Les musulmanes ont le droit au respect et à la protection de la République. En tant que femme, en tant que française et en tant que musulmane, je demande à la République de me protéger du fanatisme le plus vil qui gangrène notre espace public.
De quoi avons-nous peur ? De quoi a peur l'Europe démocratique ? Les libertés individuelles sont attaquées par ceux-là mêmes qui s'opposent à la démocratie moderne et qui nous empêchent de travailler à sa régénération.
C'est à partir de ce creuset républicain que nous pourrons définir un nouveau pacte social sur le plan laïc. Les femmes sont la clé de voûte de ce pacte. Tôt ou tard, les élites laxistes devront redécouvrir le principe de limitation. Si la liberté doit être défendue sans concession, elle ne peut pas l'être au nom de l'archaïsme. Sinon, les élites laxistes se retrouveront dans l'incapacité d'inspirer des visions nouvelles du progrès.
Comme vous l'aurez compris, je ne suis favorable à aucun instrument d'oppression des femmes, quel qu'il soit. Je relie la burqa à toutes les formes de violence que nous subissons aujourd'hui dans le monde. Il est impératif que la France ait le courage de défendre de manière claire le droit des femmes parce que son action sera un point d'appui formidable pour toutes celles et tous ceux – car il y a aussi des hommes – qui se battent pour plus d'égalité et plus de justice sociale dans notre pays.
Nous vous remercions pour cet exposé lucide, courageux, éclairant et riche en émotion. Permettez-moi de vous poser quelques questions :
Combien de quartiers sont-ils, selon vous, concernés par le voile intégral dans notre pays ?
L'émergence de cette pratique a-t-elle un lien avec le contexte international et le repli communautaire ?
Cette coutume archaïque, moyenâgeuse, est-elle liée à la religion ?
Je tiens tout d'abord à vous indiquer, Mme Habchi, combien nous avons été touchés par votre intervention.
Vous avez indiqué que le port de la burqa permet aux femmes de sortir de chez elles. Leur demander de la retirer n'entraînerait-il, pour elles, un repli au domicile ? C'est une des remarques qui nous sont souvent faites.
Votre association est mixte et regroupe un grand nombre de jeunes des quartiers. Comment réagissent les garçons lorsqu'une fille porte la burqa dans son environnement familial et proche famille ? Considèrent-ils cela comme une obligation ? Certaines femmes semblent d'ailleurs ne pas la porter tout le temps.
Enfin, quels arguments opposez-vous aux femmes qui militent pour le droit et la liberté de porter la burqa ?
Je vous remercie, Madame, pour vos prises de position claires et fermes.
Notre mission est-elle pour vous, jeune femme de confession musulmane, une stigmatisation de l'islam ? J'aimerais avoir une réponse très précise à ce sujet car ce reproche nous est souvent adressé.
Le voile intégral est-il une prescription religieuse ou cultuelle ?
Selon vous, quelle est la solution face à cette pratique ? Que devons-nous faire, concrètement, une fois que nous aurons terminé nos travaux et nos auditions ?
Le commissaire à l'égalité et à la diversité des chances, M. Yazid Sabeg, a écrit hier dans un quotidien national que « la polémique sur la burqa va rouvrir des frustrations, des antagonismes, des racismes alors qu'il faut au contraire rassembler les Français. » Pour lui « la liberté individuelle est la règle dans la limite du respect de l'ordre public » et il considère que « pour le reste, les hommes et les femmes sont libres de s'habiller comme ils le veulent. » Il a, par ailleurs, mis en cause notre mission parlementaire et tenu des propos sur son président que je juge scandaleux. Quelle est votre réaction face à de telles déclarations ?
Je m'associe avec force à la condamnation des propos de M. Yazid Sabeg qui, selon moi, devrait démissionner immédiatement.
Vos propos, Madame, nous ont touchés.
Je vous poserai, tout d'abord, des questions sur le mécanisme intellectuel et politique par lequel on oblige certaines femmes de confession musulmane à porter le voile. Comment analysez-vous cette descente aux enfers ? Comment peut-être justifiée une telle régression ?
Dans un ouvrage salafiste énumérant toute une série de fatwas, on trouve la réponse suivante à la question « Que dois-je faire si un bébé fait pipi sur moi quand je le prends dans mes bras ? » : « si c'est un garçon, il suffit de prendre un peu d'eau pour se nettoyer car le prophète l'a fait ; en revanche, si c'est une fille, il faut faire des ablutions car le pipi de la petite fille est impur ». Comment expliquez-vous un retour vers un tel archaïsme ?
Deuxièmement, ces idées sont véhiculées dans une chaîne d'éducation. Avez-vous des témoignages sur l'absentéisme scolaire d'enfants qui seraient dirigés vers des madrasas, c'est-à-dire vers des écoles coraniques d'embrigadement ?
Je vous poserai, enfin, une question plus personnelle car votre courage, qui est grand, doit susciter des réactions vives : avez-vous subi des menaces ?
Je suis touchée par la situation des femmes en général. Les événements que vous avez rappelés ont frappé l'opinion et je comprends que vous ayez été émue en les évoquant.
J'ai été surprise de vous entendre dire que la circulaire de Lionel Jospin de 1989 a fait « le choix du voile comme régulateur social ». Pouvez-vous nous expliquer comment elle a pu être la porte ouverte au voile à l'école ?
Deuxièmement, à vous entendre, les institutions ne vous ont pas tendu la main mais le voile. Dans les années 1990 et jusqu'au début des années 2000, un certain nombre de lois ont été votées sur le droit des femmes, l'égalité et la parité. Était-ce tendre le voile ?
Vous avez fustigé les idées laxistes et avez déploré le discours d'Obama au Caire. Quel est votre avis sur le discours prononcé au Palais du Latran par le Président de la République ?
Votre témoignage bouleversant, Madame, nous est très précieux.
Cela étant, pourquoi dégagez-vous la religion musulmane de toute responsabilité dans le port du voile alors que seules les musulmanes dans le monde portent la burqa et le voile d'une façon générale ? Il ne faut pas avoir peur d'aborder la réalité dans sa diversité et toute son ampleur.
Deuxièmement, vous avez déclaré que la France était le seul pays capable d'avoir un débat sur le voile et de le trancher. Cela peut flatter mon côté un peu cocardier mais je ne vois pas pourquoi l'Espagne ou l'Allemagne ne seraient pas capables d'avoir un débat sur ce sujet et de le trancher. Je fais d'ailleurs remarquer que nous ne l'avons pas encore tranché et je ne sais pas – même si je l'espère –, si nous en serons capables.
Tout en attendant votre réponse aux questions de ma collègue, Mme Sandrine Mazetier, j'indique dès à présent que j'estime comme vous, Madame, que les institutions ne vous ont pas tendu la main et je pourrai apporter mon témoignage personnel.
Je pense que nous trouverons une réponse au port de la burqa. Ce qui me préoccupe davantage, c'est que, après la promulgation de la loi interdisant le port du voile à l'école, par laquelle nous croyions avoir réglé le problème, sont apparues de nouvelles revendications dans l'espace public. La disposition que nous prendrons par rapport au voile intégral ne réglera pas le problème de fond. Je ne partage pas les propos de certains de mes collègues qui me paraissent excessifs et nous devrons faire attention car des pièges nous sont tendus.
Vous avez qualifié le voile intégral, Madame, de « symbole de l'exclusion assumée et revendiquée ». Je pense que le terreau est favorable à ce qui se passe : un certain nombre d'acteurs intégristes excessifs utilisent non seulement la religion mais également des situations dans notre société qui favorisent le développement de leurs idées. Autrement, leur divulgation ne serait pas possible. Nous attendons de vous que vous nous éclairiez sur ce qui a permis le port de la burqa car, si nous ne comprenons pas la cause, nous ne trouverons pas le traitement.
Mon émotion traduit ma sincérité. C'est quand j'évoque la situation des femmes algériennes que cela me fait le plus mal car j'ai grandi avec mes cousines, et certaines sont aujourd'hui obligées de porter le voile intégral après avoir subi des menaces. Je ne me livre pas à une mascarade devant vous.
Nous avons affaire, comme vous l'avez souligné, à un phénomène mondial qui attaque la jeunesse. Quand vous discutez avec des filles qui revendiquent le droit de porter la burqa, vous vous rendez compte qu'en mettant de côté et en critiquant l'islam de leurs parents – qui était un islam laïc, c'est-à-dire une pratique privée s'intégrant dans le cadre de la laïcité et de la République –, elles cassent l'autorité de ces derniers. Elles réussissent à s'extraire du harcèlement familial quotidien et de la soumission. En passant pour des saintes, des religieuses, elles parviennent à rééquilibrer un peu les choses. Mais cet attirail s'accompagne de toute une série de codes qu'il faut respecter. On n'organise pas des fêtes et on ne va pas en boîte de nuit en burqa. Ce voile s'intègre dans un système machiste et constitue un moyen de contrôle : la jeune fille doit se marier, avoir des enfants et, surtout, être un objet sexuel pour son mari, auquel elle doit être entièrement soumise.
Dans le témoignage que j'ai cité, même si la jeune fille n'avait pas toutes les conditions d'émancipation, elle a choisi son « mec » qui devait être, au départ, un type bien. Ensuite, tout bascule et c'est ce basculement qu'il faut regarder.
En Europe, les responsabilités ne sont pas à rechercher, comme en Algérie, dans la concurrence, depuis l'Indépendance, entre des mouvements radicaux qui veulent imposer une république islamique et les partis nationalistes. Elles se trouvent dans la politique de la main tendue aux islamistes et l'achat de la paix sociale, qui a été trop souvent pratiquée. Sous couvert de respecter, au nom de la liberté, les revendications communautaires ont été encouragées une vision machiste de la société – terrible pour les femmes –, et la ségrégation : le port du voile ou de la burqa n'est pas le chemin le plus direct pour aller à l'Assemblée nationale ! Il est grand temps de mettre fin à cette ségrégation.
Quand j'étais jeune, je voyais bien que tout était compliqué pour nous du fait de la discrimination. Mais mon père m'a encouragé à poursuivre mes études, en m'assurant que j'y arriverais. Mais, quand je vois tous les stratagèmes mis en place pour ne pas parler de la citoyenneté d'une partie de la population française et tous les moyens inventés pour justifier la ségrégation, je ne comprends pas.
Dans ce contexte, le voile et la burqa sont pratiques car ils permettent d'éviter les mélanges. Personne ne va parler à une femme en niqab, en burqa ou en voile, et encore moins se marier avec elle. Cela entraîne la séparation des populations. Là est la question fondamentale. Du fait de l'exclusion et du ghetto qui nous ont collé à la peau, certains et certaines n'ont malheureusement plus cru en la République comme un moteur et ont fait un autre choix. Certaines femmes se sont demandées si, par le biais qui leur était proposé, elles ne pourraient pas se faire entendre. Au moment de la révolution iranienne, les féministes islamiques ont pensé qu'elles pouvaient y arriver en annexant ce corps parce qu'il les empêchait d'être les égales des hommes et d'être regardées sur le plan de la pensée et de l'intellect. Comme on a pu le constater, cela n'a pas eu les résultats escomptés : le voile et la burqa ne favorisent pas le partage du pouvoir et des décisions.
L'objectif visé est une République métissée et la mixité dans les décisions, quelles que soient les origines. Il semble bien lointain quand on voit à quel point les libertés fondamentales sont attaquées dans notre pays.
Ni putes ni soumises a toujours défendu la laïcité. Elle s'y est même accrochée comme à une bouée de sauvetage. Ce n'est donc pas moi qui vais défendre le discours du Président de la République au Latran. J'ai autre chose à faire : des femmes continuent à se faire brûler dans les quartiers populaires.
Je suis féministe et je m'estime la digne héritière du féminisme. Beaucoup de femmes continuent à combattre l'obscurantisme. Malheureusement certaines, par peur d'être traitées de racistes, par méconnaissance du phénomène des mariages forcés, de la polygamie et de l'excision, par réticence à trop bouleverser les choses, n'ont pas condamné ces pratiques. Or, quand on a une responsabilité, quand on est présidente d'association ou responsable politique, j'estime qu'il faut, à un moment donné, lorsqu'on a affaire à ce genre de choses, trancher et ne pas attendre que cela dégénère.
Quant à la circulaire de 1989, qui peut oser, aujourd'hui, nier qu'elle ait encouragé la propagation des voiles ?
C'est sans doute par méconnaissance de la situation sur le terrain, Madame. Êtes-vous opposée à ce que le principe de la laïcité ait été réaffirmé en 2004 ?
Que voulez-vous alors ? Que nous disparaissions ? Le problème est que nous sommes Françaises.
En tant que citoyenne française, j'ai les moyens, tant que les conditions d'égalité ne sont pas réunies, de me battre. C'est cela le combat permanent. C'est cela la République.
J'affirme donc ouvertement que la circulaire de 1989, même si on peut lui trouver des explications, des justifications, a été une erreur fondamentale qui a ouvert une brèche aux islamistes. Il faut avoir le courage de le dire pour pouvoir rectifier le tir.
La mission sur la burqa est-elle une stigmatisation de l'islam ? Personnellement, je veux simplement donner de la visibilité à une situation. J'estime que, dans une République, on a le droit de tout dire et de tout montrer. De quoi a-t-on peur ?
Oui, je peux faire l'objet de menaces. Mais qu'ont-elles de commun avec celles qui pèsent sur la jeune femme au Soudan ou d'autres qui risquent leur vie ? En France, je suis plus en sécurité qu'au Danemark ou en Grande-Bretagne, par exemple, où je risquerais ma peau.
Il y a deux poids, deux mesures dans ce débat. Nous demandons simplement d'être traitées comme des citoyennes à part entière. Notre République a affronté des mouvements radicaux politiques intégristes dans son histoire. Elle doit faire la même chose avec les relents d'un fanatisme qui utilise la religion musulmane mais qui, pour moi, n'a rien à voir avec elle.
Je demande à la République de me protéger et de protéger mes enfants. Ces derniers vont grandir entre, d'une part, des voiles et des burqas et, d'autre part, une sorte de laxisme appliqué au nom de la liberté individuelle. Ils ne vont rien comprendre.
Ma mère portait la mlaya, grand voile noir typique de la région de Constantine, quand elle allait dans la famille mais pas en France. Elle n'est pas venue dans ce pays pour entendre parler de burqa et de niqab.
Les valeurs inscrites sur le fronton de l'Assemblée nationale ne semblent plus incarnées. Eh bien, s'il faut les incarner, je m'y emploierai car il en va de la survie de nombreuses jeunes filles et jeunes femmes en France et dans le monde entier. Même si cela déplaît à certains, j'irai – nous irons – jusqu'au bout. C'est, au-delà du simple droit des femmes, une question de participation à la vie citoyenne de ce pays.
Je le répète, le chemin le plus court pour l'Assemblée nationale n'est ni le voile, ni la burqa. Quand on me tend un voile aujourd'hui, je me demande quelle combine se cache derrière.
La participation des jeunes issus de l'immigration va compter dans la situation politique de la France. Si l'on veut sacrifier la génération présente et la maintenir dans la victimisation, la relégation et le ghetto, il faut continuer dans la voie suivie jusqu'à présent et accepter la burqa et tout ce qui l'accompagne. En revanche, si l'on veut s'atteler à trouver de nouveaux moyens de participation, il faut clairement lancer un autre message.
Je ne m'étendrai pas sur les propos de M. Sabeg. Il est, depuis le début, le défenseur du communautarisme à l'anglo-saxonne. Il a été très clair sur le sujet. Je considère, personnellement, qu'il commet une grave erreur. Je ne partage absolument pas son avis.
Le témoignage que j'ai cité montre comment se produit une descente aux enfers. Il est fondamental de créer les conditions d'émancipation pour toutes les femmes, pour tous les individus. Nous devons avoir un débat à ce sujet et le trancher, soit par la publication d'arrêtés municipaux permettant au Conseil d'État de se prononcer, soit par le vote d'une loi. En tout cas, je vous encourage à agir.
Il est nécessaire de se pencher sur la condition des femmes car toutes n'ont pas les mêmes possibilités d'émancipation. C'est cela le fond de l'affaire et la parité ne nous a pas aidées. Seule l'éducation peut nous permettre d'en sortir quand on constate un recul par rapport au corps, à la mixité, à la sexualité, à l'avortement, non seulement pour les jeunes filles musulmanes, mais également pour toutes les jeunes filles françaises.
Je vous remercie, Mme Habchi, d'avoir rappelé la spécificité de la France par rapport aux droits de l'homme.
Je livrerai à ce sujet un témoignage personnel. Je me trouvais en Algérie le jour du massacre de Bentalha en 1997. Le message des femmes algériennes était alors : « Plutôt mourir debout que vivre à genoux. » Je considère que nous avons une responsabilité par rapport à ces femmes, à leur histoire ainsi qu'à toutes les autres femmes.
Vous avez insisté, Madame Habchi, sur le fait que le voile n'est que la partie visible de l'iceberg – ce dernier représentant la condition des femmes dans l'islamisme intégriste, qui n'a rien à voir avec la religion musulmane en tant que telle. Une loi sur le voile intégral ne risque-t-elle pas de faire figure de circulaire bis de la loi sur le voile, le tissu incriminé ayant simplement changé de longueur ? Comment dépasser cette problématique ?
Je reviens de Copenhague où ont eu lieu des débats sur cette question au niveau européen. Plusieurs pays sont en train d'essayer de résoudre le problème en interdisant aux gens de cacher leur identité en dehors des jours de carnaval. Est-ce la solution ? Ne faut-il pas profiter de votre témoignage et des réseaux que vous pouvez avoir dans d'autres pays européens pour trouver une voie commune ne se limitant pas à la simple résolution du problème du port du masque à l'échelon de l'Europe ?
Comment peut-on différencier les prisonnières du voile de pratiquantes volontaires et indépendantes ?
Dans plusieurs territoires outre-mer, comme à Mayotte, la religion dominante est l'islam. Comment peut-on intégrer les Français d'outre-mer à nos traditions tout en respectant les leurs ?
Je vous félicite, Madame Habchi, pour votre courage et la clarté de vos propos, auxquels j'adhère à cent pour cent. Je souhaite que nos travaux aboutissent à une législation très claire sur le sujet.
Je salue votre courage car j'imagine que vous devez subir au centuple le genre de menace qui m'a été adressé la semaine dernière. Un jeune musulman que je connais depuis longtemps et avec lequel j'ai travaillé un peu pendant les dernières élections est venu me voir dans ma permanence. M'informant qu'il faisait partie d'un réseau – il n'a pas employé le mot d'intégriste mais j'ai bien compris qu'il l'était – et que sa femme portait le voile intégral, il m'a expliqué que, si les travaux de notre mission aboutissaient au vote d'une loi, il s'en suivrait probablement des attentats causant des morts, ce qu'il a estimé dommage pour seulement quelque 367 femmes voilées ! Après m'être insurgée contre la publication de ce chiffre et sur la polémique qu'il a suscitée, je lui ai répondu que, même s'il n'y avait que cinq ou dix femmes concernées, c'était une question de principe. Avez-vous entendu de telles menaces ?
En tant que présidente d'association et surtout en tant que musulmane, quels conseils pouvez-vous nous donner pour amener vers nous la communauté musulmane afin de ne pas donner l'impression de stigmatiser l'islam ?
Je pense, Monsieur le président, que nous aurons besoin de faire le point avec des juristes. Quand j'entends dire que le Conseil d'État a abandonné le principe de laïcité en 1989 et l'a rétabli en 2004, je suis un peu surpris parce que cette juridiction s'est appuyée sur la même jurisprudence dans les deux cas. Nous aurons besoin d'avoir un état des lieux précis du droit dans la confrontation entre les libertés individuelles et l'ordre public, surtout après l'annonce par M. Jean-François Copé, avant même la création de la mission, que celle-ci se solderait par une loi interdisant la burqa, ce qui n'est pas de nature à faciliter nos travaux. Il serait notamment intéressant d'entendre les juristes qui ont travaillé sur le port de cagoules dans les manifestations, qui pose le même problème d'enfermement et d'interposition d'un mur entre l'individu et la société. Un éclairage juridique sur ces questions nous épargnera bien des mésaventures.
La France n'est pas le seul pays confronté au problème du port de la burqa.
Au Québec, la commission Bouchard-Taylor a procédé à une vaste concertation – médiatisée – qui a mis en évidence les difficultés existant dans la gestion des conflits entre différentes communautés. Face à diverses revendications, notamment des tribunaux islamiques présents en Ontario, le Québec a voulu se construire un arsenal juridique qu'il n'avait pas.
Un débat est possible en France et celui-ci est fondamental. Même si je suis menacée et même si je prends des risques, un tel débat est beaucoup plus apaisé en France qu'au Pays-Bas, où j'aurais déjà pris un coup de couteau, ou qu'au Danemark, où l'on aurait déjà menacé ma famille, sans parler de l'Angleterre.
Il ne faut pas avoir peur, pour la bonne raison qu'on est déjà allé trop loin. Regardons ce qui se passe dans les autres pays européens. À quoi a abouti le laxisme de l'Angleterre qui a voulu jouer le jeu du communautarisme jusqu'au bout ? À ce que des enfants anglais se fassent sauter dans des autobus au nom de l'islam !
Face à ce constat, que faisons-nous ? Ce dont il est question aujourd'hui, ce sont de jeunes Français et de jeunes Françaises qui ont le droit à la liberté, à l'émancipation et à participer à la vie politique de ce pays. Voilà le fond du dossier.
Le communautarisme en Angleterre s'est accompagné d'une césure. En Allemagne, la nationalité n'a été accordée aux jeunes turcs et kurdes qu'en 2000, laissant se propager jusqu'à cette date la vision communautaire et les crimes dits d'honneur.
Notre association peut analyser la situation sous différents angles et selon divers modèles de société car elle a des comités partout en Europe. L'Espagne et l'Italie sont moins bien équipées que la France parce que ces pays découvrent ces problèmes. Il y a trois ans, l'Italie prévoyait d'ouvrir des espaces spéciaux dans les hôpitaux pour pouvoir pratiquer l'excision correctement. Le débat aujourd'hui est heureusement européen et il existe une collaboration entre les associations.
Notre combat peut être un challenge. Ne nous enfermez pas. Nous pouvons être des porte-drapeaux, non pas pour renforcer un quelconque côté « cocorico », mais pour promouvoir des valeurs de progrès qui sont nécessaires aujourd'hui et qu'on ne peut pas bazarder au nom d'une prétendue vision idéologique.
Nous travaillons « au ras des pâquerettes ». Il faut créer et ouvrir de nouvelles perspectives. Pour ce faire, il est grand temps de réaffirmer clairement une série de principes.
Je ne connais pas la situation à Mayotte. Je pars ce week-end à la Réunion participer à des rencontres sur les violences faites aux femmes et organiser toute une série de débats. Le problème se pose autrement outre-mer mais, comme en métropole, on ne peut pas l'aborder sans parler de la ghettoïsation, de l'exclusion sociale ni, surtout, du droit des femmes.
Le point juridique que vous appelez de vos voeux, Monsieur Glavany, doit porter sur le droit des femmes autant que sur les libertés individuelles et l'ordre public. Il peut être intéressant de faire un lien avec le port de cagoules. Mais, dans le cas du voile, c'est le droit des femmes qui est atteint : elles n'ont pas besoin de se cacher. Je me suis toujours interrogée sur ce que les femmes pouvaient avoir de honteux. Je demandais des explications à ma mère et étais très renfermée sur moi-même car je ne comprenais pas l'injustice qui frappait les femmes.
Il faut chasser l'orgueil masculin, « l'orgueil du mâle » dont parlait Jules Ferry dans son Discours sur l'égalité de l'éducation. L'alternative devant laquelle nous nous trouvons aujourd'hui est très claire : c'est la démocratie ou la mort. Nous avons atteint un point de non-retour en ce qui concerne la condition des femmes, et, pour moi, le seul pays qui pourra montrer qu'il est possible de débattre sans s'entre-tuer, de gérer les conflits dans un espace – laïc et d'interaction sociale – sans arracher les voiles ni brûler des mosquées, comme aux Pays-Bas, et de trouver la solution qui permettra de faire avancer les valeurs de progrès auxquelles nous sommes tant attachés, c'est la France.
Nous avons le plaisir de recevoir Mme Élisabeth Badinter, écrivain et philosophe, que je remercie de sa présence parmi nous. Vous avez, Madame, contribué de manière originale au débat sur la condition des femmes et le féminisme. Vous vous êtes aussi signalée par la vigueur de vos propos dans un article relatif au port du voile intégral paru en juillet dernier dans le Nouvel Observateur. Vous adressant directement aux femmes qui en revendiquent et en justifient le port, vous leur reprochiez, en effet, d'utiliser les libertés démocratiques pour les retourner contre la démocratie, un argument qui ne pouvait qu'appeler notre attention. Avant de vous donner la parole, je tiens à souligner avec la plus grande netteté que, contrairement à ce que laissent entendre ceux qui souhaitent discréditer nos travaux en les disant inutiles ou en prétendant que tout est déjà décidé, l'éventuelle interdiction par la loi du port du voile intégral n'est pas l'objet a priori de notre mission d'information, qui, représentative de l'ensemble des composantes politiques de notre assemblée, a une approche toute républicaine de ce débat.
Je commencerai par rappeler un souvenir qui nous est sans doute commun : le choc ressenti la première fois que nous avons vu à la télévision, il y a à peine dix ans, les femmes fantômes d'Afghanistan. L'image de ces femmes enfermées dans leur burqa, un mot qui nous était à l'époque inconnu, est à tout jamais liée aux talibans, à la lapidation, à l'interdiction de l'école pour les fillettes, en bref à la pire condition féminine du globe – et, en ce domaine, la concurrence est féroce. Je n'aurais pas été plus choquée si j'avais vu des hommes promener leur femme en laisse.
Qui pouvait penser alors que des femmes oseraient revendiquer de se promener dans cette tenue dans les villes françaises ou que des hommes pourraient contraindre des femmes à la porter ? Franchement, personne. Qui pouvait penser alors que nous serions réunis aujourd'hui en nous demandant : que faire ? Quel que soit le nombre de femmes – 300 ou 3 000 – qui dissimulent leur visage en France, force est de constater qu'il n'y en avait pas une seule il y a quelques années, et le nombre ne fait rien à l'affaire. N'y en aurait-il qu'une qu'il faudrait se poser la question des principes ainsi remis en cause. Or, il s'agit précisément des idéaux du triptyque républicain : le port du voile intégral piétine littéralement les principes de liberté, d'égalité et de fraternité.
Je ne m'appesantirai pas sur le principe bafoué de l'égalité des sexes, évoqué de nombreuses fois en tous lieux. À mes yeux, il n'est pas négociable, mais j'observe qu'il existe de l'égalité des sexes deux appréhensions opposées. L'une, la nôtre, celle des démocraties, est celle que l'on retrouve dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et que l'on peut résumer en quatre mots : mêmes droits, mêmes devoirs. Ici, la notion abstraite d'humanité l'emporte sur les différences biologiques, notamment sur la différence sexuelle. Puis il y a l'autre, celle des obscurantistes, celle aussi dont ont usé certains démocrates sincères, les naturalistes. Pour eux, droits et devoirs diffèrent selon les sexes ; les sexes sont égaux dans leurs différences. C'est le modèle de la complémentarité des sexes, où l'un est ce que l'autre n'est pas. L'idée fédératrice d'une humanité commune, d'une citoyenneté abstraite, n'a plus cours. Nos droits et nos devoirs sont différents, mais ils seraient équivalents. C'est une conception que j'ai toujours combattue, y compris quand c'était à l'avantage des femmes, par exemple lors du débat sur la parité.
S'agissant du principe de liberté auquel font appel certaines femmes qui portent le voile intégral, je souligne qu'à côté des « revendicatrices » qui s'expriment volontiers dans les médias, il y a toutes les autres, les soumises, les bâillonnées, celles que l'on ne pourra jamais entendre et en tout cas jamais entendre se plaindre. Autant dire que, déjà, les dés sont pipés : comme seules les premières s'expriment, on oublie les autres, on fait comme si elles n'existaient pas. J'ai même entendu dire au cours d'un débat que s'il en existe, de ces femmes opprimées, « elles n'ont qu'à s'adresser aux services sociaux ». La belle blague ! Comme si elles pouvaient effectivement aller se plaindre aux services sociaux – qui, d'ailleurs, n'en pourraient mais ! N'y aurait-il que très peu de femmes contraintes par leurs proches ou par des religieux radicaux qu'il faudrait leur porter secours. C'est à elles qu'il faut penser, et qu'il faut donner les moyens légaux de se libérer.
Venons-en aux « revendicatrices », qui en appellent à deux de nos libertés démocratiques : la liberté de se vêtir comme on le souhaite et la liberté de conscience. Personne ne songe à les empêcher de mettre les vêtements qu'elles veulent où elles veulent. Mais le visage n'est pas le corps et il n'y a pas, dans la civilisation occidentale, de vêtement du visage. Par ailleurs, la liberté qu'elles invoquent pour elles est complètement bafouée dans les banlieues pour celles qui sont nos soeurs, nos filles, et qui veulent vivre comme tout le monde. Vous le savez fort bien, de trop nombreuses jeunes filles sont interdites, en France, de robe et de jupe. Que fait-on pour elles ? Que fait-on pour que soit respectée, pour ce qui les concerne, la liberté de se vêtir comme elles l'entendent ? Ces jeunes filles sont déjà soumises à de multiples pressions de la part de leur environnement familial et social visant à ce qu'elles cachent leur corps sous des survêtements informes, sous peine d'être traitées de « putes » et pour éviter des agressions physiques.
Même si, à mes yeux, il y a une différence entre voile, niqab et burqa, comment ne pas comprendre que la multiplication du nombre de jeunes filles qui portent le voile a un impact croissant sur celles qui ne veulent pas le porter, et pour lesquelles le refus devient de plus en plus difficile ? Je me suis trouvée un jour avec Sihem Habchi, que vous venez d'entendre, au collège Françoise-Dolto, à Paris, là où avait été tourné le film Entre les murs, pour y engager un dialogue avec les collégiens, après que le film La journée de la jupe leur eut été projeté. Une poignée seulement des collégiennes présentes portait une jupe. Alors que, me tournant vers l'une des autres, d'origine maghrébine, je lui faisais valoir qu'elle pourrait en faire autant, j'ai entendu une réponse qui m'a épouvantée : « Les Françaises le peuvent, mais pas les Arabes ». Assis à ses côtés, un adolescent âgé sans doute de 14 ans a ajouté : « Chez nous, on met le voile, pas la jupe »…
Si, donc, on laisse le voile intégral se banaliser, il deviendra peu à peu, inévitablement, l'uniforme de la suprême pureté que l'on réclamera des jeunes filles et, à son tour, il gagnera progressivement des adeptes au sein des milieux les plus traditionnels où, évidemment, les jeunes filles ignorent leurs droits. Pour dire les choses brutalement, on prend la voie du : « la burqa, c'est mieux que le voile » – et alors il sera toujours plus difficile aux jeunes filles concernées de dire « non » au voile et de lui préférer la jupe. Or, si nous avons une liberté de se vêtir à défendre, c'est celle-là.
Au passage, à ceux qui disent que c'est à la loi du 15 mars 2004 « encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics » que l'on devrait la démultiplication des femmes voilées dans l'espace public, je leur dis qu'ils se trompent. Dans tous les États d'Europe on observe l'augmentation massive du port du voile alors même que ces pays ignorent la loi de 2004 et, dans les pays du Maghreb, on est frappé de voir chaque année des femmes voilées en nombre toujours plus grand – et de plus en plus rigoureusement voilées.
Les femmes sont instrumentalisées pour être l'étendard bien visible de l'offensive intégriste, des intégristes en tous points hostiles aux principes démocratiques de l'Occident et en particulier à l'égalité des sexes. Face à cela, devons-vous détourner le regard, mettre un mouchoir sur les principes chèrement acquis qui fondent notre « vivre ensemble » ?
Je rappellerai ensuite que, contrairement à ce qui se passe dans les pays anglo-saxons, la liberté de conscience et d'expression n'est pas complète en France. Nous combattons les idéologies destructrices que sont, par exemple, le nazisme, le racisme, l'antisémitisme. Nous combattons toutes les idéologies qui portent atteinte à la dignité humaine. Nous luttons contre les sectes qui, elles aussi, en appellent à la liberté de conscience, car nous considérons précisément qu'elles embrigadent les esprits, lesquels en perdent leur liberté de penser. D'ailleurs, tous ceux qui parviennent à s'arracher aux griffes des sectes reconnaissent ensuite qu'en leur sein ils n'avaient plus de volonté propre.
Or, le port du voile intégral est l'étendard des salafistes, considérés comme une secte offensive par la plupart des musulmans. Pourquoi ferions-nous une exception pour cette secte-là, qui prône une servitude volontaire conduisant à une sorte d'auto-mutilation civile par invisibilité sociale ? On aurait tort de comparer les femmes revêtues du voile intégral aux nonnes cloîtrées d'antan, car si ces religieuses étaient recluses et invisibles aux autres, les femmes dont nous parlons aujourd'hui sont souvent mariées, parfois mères de famille, et elles entendent s'imposer dans l'espace public sans identité, sans corps, sans peau, bref en ayant pris soin d'effacer tous les signes de l'humanité.
Je tiens enfin à souligner combien le port du voile intégral est contraire au principe de fraternité – ce principe fondamental auquel on a si peu souvent l'occasion de se référer – et, au-delà, au principe de civilité, du rapport à l'autre. Porter le voile intégral, c'est refuser absolument d'entrer en contact avec autrui ou, plus exactement, refuser la réciprocité : la femme ainsi vêtue s'arroge le droit de me voir mais me refuse le droit de la voir. Outre la violence symbolique de cette non réciprocité, je ne peux m'empêcher d'y voir l'expression d'une contradiction pathologique : d'une part, on refuse de montrer son visage au prétexte que l'on ne veut pas être l'objet de regards impurs – incidemment, c'est avoir une singulière vision des hommes que de penser que tout homme regardant une femme ne pense qu'à la violer –, d'autre part, on se livre à une véritable exhibition de soi, tout le monde fixant cet objet non identifié. En suscitant ainsi la curiosité, on attire des regards que l'on n'attirait peut-être pas quand on allait à visage découvert – bref, on devient un objet de fantasme.
Dans cette possibilité d'être regardée sans être vue et de regarder l'autre sans qu'il puisse vous voir, je perçois la satisfaction d'une triple jouissance perverse : la jouissance de la toute-puissance sur l'autre, la jouissance de l'exhibitionnisme et la jouissance du voyeurisme. Aussi, quand j'entends certaines femmes expliquer qu'ainsi vêtues elles se sentent mieux et qu'elles se sentent protégées – mais de quoi ? –, je veux bien les croire, mais je pense qu'il s'agit de femmes très malades et je ne crois pas que nous ayons à nous déterminer en fonction de leur pathologie.
En conclusion, il nous faut choisir entre deux libertés invoquées : doit-on respecter la liberté de se couvrir le visage en considérant que le voile intégral est un vêtement comme un autre, ou devons-nous au contraire protéger la liberté des plus faibles, celles qui n'ont pas le droit à la parole et qui, de facto, n'ont déjà plus le droit de se vêtir comme elles l'entendent ? Pour ma part, je ne vois pas dans le voile intégral un vêtement comme un autre et je considère que son port marque une rupture du pacte social, un refus d'intégration et un refus du dialogue et de la démocratie.
Enfin, si l'on ne fait rien, on abandonnera à leur sort toutes celles qui ne rêvent que de vivre comme tout le monde mais qui sont de plus en plus pressées de se soumettre au pouvoir religieux ou, pire encore, aux traditions. Nous avons toujours trop attendu pour lutter contre des pratiques traditionnelles insupportables, telles la polygamie ou l'excision. Nous devons rompre avec cette attitude relativiste, paresseuse et bien-pensante selon laquelle toutes les traditions sont respectables, alors qu'elles ne sont pas toutes respectables. Comme Descartes, mon maître, je suis profondément convaincue que nous devons nous plier aux us et coutumes du pays dans lequel nous vivons. On peut certes les faire évoluer, mais cela doit être collectivement et dans le respect du triptyque républicain.
Je vous remercie, Madame, pour ces propos percutants, par lesquels vous avez mis en lumière un défi de civilisation et d'humanité.
Je m'associe à ces remerciements. J'ai été particulièrement frappé par la partie de votre exposé traitant du visage, de la visibilité et de la non-réciprocité et je souhaite que notre mission se penche assidûment sur ces questions qui ont, outre leur contenu philosophique, des aspects sociaux et juridiques.
J'ai été tout aussi intéressé par l'insistance avec laquelle vous appelez à combattre ouvertement l'idéologie talibane, comme nous luttons ouvertement contre les autres idéologies qui nient la dignité humaine. À cet égard, il serait particulièrement utile que notre président fasse diffuser aux membres de la mission les documents distribués par les talibans après leur arrivée au pouvoir en Afghanistan, dans lesquels ils indiquaient quels seraient désormais les droits et les devoirs des femmes. La lecture de ces écrits édifiants justifie à elle seule l'obligation de combattre ouvertement cette idéologie, comme vous nous y avez incités.
Vous considérez donc, Madame, que le voile intégral n'est pas un vêtement. C'est un point de vue d'un intérêt tout particulier au moment où le commissaire à la diversité et à l'égalité des chances s'autorise à dire que notre mission serait sans utilité et propre à semer la confusion, au motif que chacun a le droit de se vêtir comme il l'entend. J'ai aussi retenu de vos propos l'arrogance profondément inégalitaire qu'il y a à se donner le droit de voir sans être vue.
Ces questions nous ramènent à la première des auditions que nous avons tenues, au cours de laquelle il nous a été dit que le Coran ne prescrit pas le port du voile intégral et qu'il s'agit d'une tradition pachtoune antérieure à l'islam. Quant au niqab, c'est, nous a-t-on expliqué, une invention des salafistes, d'une secte donc, comme vous l'avez justement relevé, qui prétend en revenir aux sources de l'islam, dans une version intégriste. Pourriez-vous préciser ce que vous entendez quand vous dites à ce sujet que le port du voile intégral est « l'étendard des salafistes ? »
On imagine effectivement mal Jeanne Hachette conduire des guerriers revêtue d'un voile intégral. Le problème est que nous parlons de deux civilisations qui n'ont pas le même rapport au corps. Alors que la statuaire gréco-romaine égrène une série de nus, hommes et femmes, dans l'autre optique on cache le corps, quel qu'il soit. Pourriez-vous nous dire quelles conséquences cela emporte en matière d'égalité des sexes ?
Je vous remercie, Madame, d'avoir brillamment défini ce qu'est le voile intégral et souligné qu'il ne s'agit pas d'un vêtement comme un autre, contrairement à ce qu'avancent certains en insistant sur le fait qu'après tout chacun est libre de se vêtir comme il l'entend. Vous avez démontré que la burqa porte des valeurs contraires à celles qui fondent notre république, héritière des Lumières. Mais vous n'avez rien dit du « libéralisme civique ». Pourtant, le problème se pose, et Mme Sihem Habchi, que nous avons entendue ce matin, a stigmatisé devant nous le laisser-faire des autorités britanniques qui ont laissé se développer le port du voile intégral. Face à l'agression que les extrémistes salafistes vont faire subir à nos sociétés, cette approche n'est-elle pas dépassée ?
N'étant pas une spécialiste de l'islam, je n'ai pas qualité pour traiter rigoureusement de ses rapports avec le salafisme. Ce que j'en ai dit correspond à ce que j'ai entendu en dire M. Boubakeur et d'autres hautes autorités religieuses musulmanes, à savoir que le port de la burqa n'est pas un commandement religieux mais une tradition et qu'un travail pédagogique s'impose pour le faire savoir. J'ai d'ailleurs fondé un grand espoir sur ces déclarations, considérant que si les autorités religieuses musulmanes les plus qualifiées prenaient les choses en mains, tout allait s'arranger. J'ignore où elles en sont exactement, mais j'ai le sentiment que les choses sont difficiles et que, dans le même temps, de nombreux blogs d'ici et d'ailleurs s'attachent à enraciner l'idée que l'on serait en train de stigmatiser la communauté musulmane.
S'agissant du rapport au corps, les conceptions sont en effet différentes mais nous n'avons pas à nous laisser imposer une conception qui n'est pas la nôtre. Or aujourd'hui déjà, en France, des jeunes filles n'ont plus vraiment la liberté de se vêtir comme elles le veulent et, peu à peu, toutes leurs libertés sont grignotées les unes après les autres : elles doivent se cacher pour aller consulter au Planning familial ; prendre la pilule leur est pratiquement impossible sauf à cacher la plaquette dans l'escalier…
Si, maintenant, nous acceptons de revenir sur nos principes parce qu'il s'agit d'un vêtement ou parce que l'on feint de croire qu'il s'agit d'une liberté religieuse ou parce que l'on est très relativiste et que l'on considère que toutes les traditions sont respectables, si, donc, nous cédons sur ce point, c'en est fini, car, d'une certaine façon, la liberté d'habillement proclame en creux la liberté des droits : le droit à une sexualité libre, le droit de ne pas être vierge quand on arrive au mariage et de n'avoir de comptes à rendre à personne… Toute une série de droits est attachée à la liberté du corps, et je ne vois pas au nom de quoi des traditions de l'Est devraient s'imposer à l'Ouest. D'autre part, à supposer que j'aille en Arabie saoudite, je serais obligée de mettre un voile – ce pourquoi je n'irai jamais. Mais si je m'y rendais, je me conformerais naturellement, aux coutumes de l'islam radical des wahhabites – c'est la moindre des politesses.
Le libéralisme compris comme un droit infini à la liberté d'expression, tel qu'il existe en Angleterre ou aux États-Unis, où l'on peut défiler en arborant des insignes nazis, et bien non, ne vaut pas en France même si je suis de celles et de ceux qui n'aiment pas que l'on étouffe la liberté d'expression – ce qui m'a poussée à signer la pétition « Liberté pour l'Histoire », lancée par Pierre Nora – et même si je pense que l'on doit pouvoir dire des choses y compris lorsqu'elles ne sont pas politiquement correctes. Cela étant, contrairement à la France, ni le Royaume-Uni ni les États-Unis n'ont été occupés. Notre histoire est différente et je considère que l'on doit poser des limites – les plus larges possibles – à la liberté d'expression, pour éviter que les esprits les moins critiques ne succombent à des idéologies indignes. Le plus important est de faire ce que nous pouvons pour ne pas laisser se répandre des poisons terribles. Or, il faut être sourd et aveugle pour ne pas se rendre compte qu'une offensive est en cours et que l'on veut voir si nous allons céder.
Au risque de vous fâcher, Monsieur Glavany, car vous étiez aux affaires à l'époque, je rappellerai qu'à l'automne 1989 paraissait le manifeste Profs, ne capitulons pas, un appel cosigné par cinq intellectuels, dont j'étais. Pourquoi ? Parce que M. Lionel Jospin, alors ministre de l'Éducation nationale, avait déclaré que les chefs d'établissement devaient établir un dialogue avec les parents et les jeunes concernés pour les convaincre de renoncer au port de signes religieux ; mais il ajoutait que si ces discussions échouaient, les enfants devaient être accueillis dans les établissements publics. Il y eut – vous vous en souvenez sans doute – un grand débat national à ce sujet. Vingt ans plus tard, j'ai la faiblesse de croire que, si le phénomène n'est pas exactement le même, nous recommençons la même chose qu'à l'époque et surtout que si nous avions dit alors fermement à trois jeunes filles manipulées par des intégristes « nous n'accepterons jamais ça », tout ce serait arrêté. Je n'aimerais donc pas que les réactions soient les mêmes qu'il y a deux décennies même si elles sont louables car motivées par l'idée de tolérance. Mais, parce que nous avons été tétanisés à l'idée que nous risquions d'être intolérants, nous avons alors toléré l'intolérable.
Si nous avions fait nôtre la conception anglaise, les jeunes filles seraient entrées voilées en masse dans les établissements d'enseignement et il n'y aurait quasiment plus aujourd'hui dans les banlieues que des jeunes filles portant des signes religieux. Cela étant, quinze années se sont écoulées entre 1989 et 2004 ; nous avons attendu trop longtemps pour adopter une loi mettant les choses au clair à ce sujet. Je ne suis ni juriste ni politique, et mon propos n'est pas de faire une analogie avec une loi relative au port de la burqa. Ce qui me tient à coeur, c'est que les plus hautes autorités politiques rappellent à l'ensemble du peuple français que non, nous ne voulons pas de cela.
L'élévation de vos propos suscite l'admiration. Vous avez souligné à juste titre que l'on ne saurait assimiler cette pathologie ou cette idéologie sectaire à l'islam ; nous en sommes convaincus, et il me paraît que nous devrions axer nos travaux sur la pathologie dans le rapport à autrui que vous avez si bien décrite.
Vous avez évoqué votre visite dans un collège du 20earrondissement de Paris. À ce sujet, plusieurs questions se posent. Ce qui nous inquiète est de ne pas savoir comment lutter efficacement contre des comportements et une idéologie sectaires qui se répandent parmi des jeunes qui ont grandi en France et qui, comme tels, ont eu accès à l'enseignement des valeurs issues des Lumières. Quand, selon vous, des dysfonctionnements se sont-ils produits dans la transmission des valeurs républicaines ? Comment faire pour rectifier le tir et éviter que des jeunes gens ne soient séduits par une idéologie rétrograde ?
Élue du 20e arrondissement, je ne pense pas que les conceptions des collégiens du collège Françoise-Dolto soient réductibles aux phrases que vous avez citées. Mais ce collège, comme d'autres de l'arrondissement, se sont transformés en établissements d'exclusion. Certaines familles ont décidé de scolariser leurs enfants ailleurs et les collégiens qui demeurent entre eux se sentent relégués. N'y a-t-il pas quelque chose à faire à ce sujet aussi ?
Enfin, quelles sont les différences entre la conception de la pudeur en France au XIXe siècle – époque à laquelle les femmes sortaient très couvertes – et les exigences actuelles de l'islam à ce sujet ?
J'ai beaucoup apprécié, Madame Badinter, une bonne partie de vos analyses. Ma conviction est que l'on assiste à un combat contre les valeurs de l'Occident, la méthode choisie à cette fin étant d'utiliser l'islam, en en déformant probablement les principes. Je partage sans réserve l'appréciation que vous portez sur l'inégalité dans le rapport à autrui induite par le port de la burqa et je pense, comme mes collègues, que là devra être notre angle d'approche. Pour autant, cette question ne représente que le sommet de l'iceberg. Après que nous l'aurons réglée, si nous y parvenons, quelles autres lignes de conduite devrons-nous adopter pour venir en aide à toutes ces femmes qui, comme vous l'avez souligné, ne s'expriment pas et qui sont dans l'incapacité complète de s'adresser aux services sociaux ou à la police ? Au-delà du port du voile intégral, quel devrait être, selon vous, le rôle du politique ? Comment s'attaquer au problème de fond ?
Après avoir, dans votre remarquable exposé, insisté sur l'irréfragable triptyque républicain, vous avez utilement rappelé, Madame, qu'il existe deux conceptions de l'égalité et que nous ne devons pas transiger. La nôtre, qui institue l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes par indifférence aux sexes, doit être préservée. L'autre, qui sépare hommes et femmes en deux ensembles égaux mais irrémédiablement différents, si elle est récusée, doit l'être en tous temps et en tous lieux.
Vous avez aussi expliqué que la burqa n'a pas de lien particulier avec l'islam. Cela étant, toutes les religions n'ont-elles pas un problème avec le rapport au corps, en ce siècle encore ? Toutes les religions n'oppriment-elles pas les corps, ne les cachent-elles pas ? Que penser, par exemple, de la vague d'incitation à la préservation de la virginité jusqu'au mariage aux États-Unis ? En d'autres termes, le soin mis avec raison à ne pas stigmatiser l'islam n'a-t-il pas pour conséquence une grande bienveillance à l'égard des religions dans leur ensemble, alors que toutes entretiennent de difficiles relations au corps, singulièrement au corps des femmes ?
Enfin, le mouvement de retour à la pudeur, à la décence, n'est-il pas à mettre en relation, en France, avec le rejet contemporain des idées de mai 1968, qui étaient aussi celles de la liberté des corps ?
Votre exposé, Madame Badinter, était particulièrement intéressant. La République, c'est la pluralité et la fraternité. Mais la République est une et indivisible. Or je crains que la question qui nous occupe ne traduise en réalité le fait qu'une identité musulmane entend s'imposer à l'identité française. Disant cela, je ne stigmatise pas l'islam mais une interprétation très particulière du droit à la différence qui donnerait le droit à la contrainte. Le vrai problème est là. Comment, alors, aller plus loin ? On parle d'enseigner le fait religieux à l'école, ce qui me semble une excellente chose car cela augmentera la tolérance, le respect mutuel et la connaissance d'autrui. Mais ne doit-on pas, parallèlement, inscrire dans les programmes scolaires le rappel des principes républicains et en finir ainsi avec un certain laxisme à cet égard ?
La maîtrise de leur corps par les femmes implique aussi la liberté de se vêtir – et de se dévêtir – comme elles l'entendent. C'est en France un acquis récent, qui a conduit à jeter momentanément par-dessus les moulins l'idée de pudeur. Je comprends que cela puisse choquer, mais je pense que l'on est près d'assister à un retour de balancier et à des comportements plus équilibrés. Cela étant, l'argument de la pudeur est incompréhensible pour ce qui concerne le visage, car point n'est besoin d'être vêtue comme une Afghane ou comme une Saoudienne pour avoir une tenue correcte. Aussi, je ne pense pas qu'il soit bon d'invoquer la pudeur pour justifier le recours au voile intégral, car on peut être parfaitement pudique sans aller jusque là.
S'agissant des orientations politiques souhaitables pour ce qui concerne les femmes qui ne peuvent s'exprimer, le travail à faire est considérable car les personnes qui vivent en France ou qui souhaitent s'y installer entendent des autorités deux discours différents. Je vous donnerai un exemple de cette situation. J'ai une profonde admiration pour la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) qui accomplit un travail remarquable, mais j'ai exprimé mon profond désaccord avec l'un de ses avis. Des femmes étaient arrivées en France qui portaient une burqa et qui devaient, pour faciliter leur intégration, suivre des cours de français. Le professeur leur a demandé d'enlever voile et grillage pendant les cours car, pour enseigner une langue, il faut voir les mouvements de la bouche de l'élève. Elles ont refusé de se dévoiler et ont déposé un recours pour discrimination. Or, si la HALDE a été d'avis qu'il fallait enlever le voile pour apprendre le français, elle n'a nulle part mentionné qu'en France on doit retirer son voile parce que, dans notre pays, l'on montre son visage ! Que des institutions et des associations très respectables tiennent des discours différents complique beaucoup les choses. Peut-être faudrait-il un débat national beaucoup plus large, qui permettrait de définir précisément ce que nous souhaitons. S'il est établi publiquement qu'en France certains principes ne sont pas négociables, cela sera su par tous ceux qui sont en France et par ceux qui veulent s'y installer.
Je me suis entendu dire que refuser aux femmes entièrement voilées le droit de sortir dans l'espace public, c'est les confiner chez elles. Elles seront alors confinées chez elles, et c'est tout ! D'ailleurs, elles seront bien obligées d'en sortir pour aller faire les courses ! Au nom de quoi devrions-nous accepter de piétiner nos principes pour quelques personnes ? Déjà, certaines mairies ont consenti à instaurer des horaires de piscine différents pour les deux sexes, au mépris de la mixité. Quand de tels signaux sont donnés, pourquoi se priverait-on d'essayer de contraindre de nouvelles mairies à accepter ce que d'autres ont déjà accepté ? Et c'est ainsi que, de fil en aiguille…
Nous pâtissons d'une idéologie venue des pays anglo-saxons et qui se voulait à la pointe de la tolérance : le différentialisme, que j'ai toujours combattu, y compris lorsqu'il s'agissait du féminisme. Le reliquat de cette idéologie constitue un obstacle à un discours clair et unifié. Peut-être faut-il parler à ces gens qui ont une autre conception des libertés, très respectable en ce qu'elle traduit un souci de tolérance et non une volonté d'oppression mais qui empêche la définition d'une position commune. Un débat national plus vaste est donc nécessaire entre démocrates pour se mettre d'accord sur le minimum commun que nous entendons faire respecter quoi qu'il arrive.
Oui, les trois religions monothéistes ont toutes été misogynes – ainsi ai-je eu l'occasion de rappeler il y a peu que, dans les années 1950, le Vatican était terriblement hostile à l'accouchement sans douleur. Orthodoxes juifs, intégristes musulmans et intégristes catholiques sont globalement hostiles au corps de la femme, à sa libération, à la maîtrise de leur corps par les femmes. Pour eux, le corps des femmes appartient aux hommes, car c'est par là que sont faits leurs fils… Depuis vingt ans, toutes les religions se durcissent et l'on assiste, pour des raisons identitaires, à un mouvement général vers l'orthodoxie au mieux, l'intégrisme au pire. Or la liberté des femmes passe évidemment d'abord par la maîtrise de leur corps, et les religieux n'aiment pas cela.
Il est tout à fait souhaitable que l'école enseigne nos valeurs. Mais, vous le savez, ce n'est plus possible dans certaines écoles. Dans celles-là mêmes où il est indispensable de transmettre les principes essentiels du vivre ensemble et de la plus grande tolérance réciproque, il est déjà très difficile sinon impossible aux professeurs de se faire entendre quand ils évoquent ces thèmes. Des collègues enseignant dans certaines banlieues m'ont dit qu'ils ne peuvent plus enseigner ce que fut la Shoah car on ne les croit pas ; on prétend devant eux que c'est de la blague !
Je vous parais sans doute un peu découragée, mais cela ne signifie pas qu'il faut baisser les bras, et plus nous serons nombreux mieux ce sera. J'observe d'ailleurs que, depuis que vous avez eu l'idée formidable et saluée par tous de constituer cette mission d'information, les gens réfléchissent à la question, et que les voix qui s'élèvent pour dire « non, on n'est pas d'accord pour cela » ont de l'effet sur des jeunes femmes qui pourraient être tentées par des mouvements radicaux. Cet effet, direz-vous, ne peut être mesuré. C'est vrai, mais le fait qu'à vous tous vous incarniez une représentation de la France est un premier pas, important, sur la voie qui s'impose, celle de la pédagogie.
L'audition prend fin à onze heures cinquante.